La pharmacie plébiscitée mais challengée

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La pharmacie plébiscitée mais challengée
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«Moniteur de la santé» 2015
La pharmacie plébiscitée mais challengée
Thier r y Ph i lb et
La satisfaction des Suisses vis-à-vis de leur système de santé atteint un niveau
record. C’est ce qui ressort du dernier «Moniteur de la santé gfs». La satisfaction vis-à-vis des pharmaciens est également très forte. Mais attention, l’envoi postal et la commande sur internet sont de plus en plus cités comme
nouveaux canaux de distribution.
La satisfaction vis-à-vis du système de Les médecins ont eux quelque peu décrosanté atteint pour la troisième fois consé- ché. En 2009, ils étaient beaucoup plus légicutive un nouveau record depuis l’intro- timés par le public avec un pourcentage de
duction de la Loi fédérale sur l’assurance- 88%. Six ans après, ils n’obtiennent plus
maladie (LAMal). En effet, plus de huit que 73%. Les drogueries perdent égalepersonnes interrogées sur dix (82%) se ment des plumes (51%, – 4). Le commerce
disent satisfaites. 9% seulement tirent un non spécialisé (les grands magasins p. ex.)
bilan très négatif ou plutôt négatif. Les recule encore plus fortement (24, – 8).
pharmaciens flirtent aussi avec les somMais un phénomène nouveau est
mets selon les résultats du dernier «Mo- observé: une majorité des personnes inniteur de la santé gfs» 2015.
terrogées envisage de se faire envoyer des
médicaments par la poste (60%, + 17) et
Achat de médicaments:
une minorité croissante de passer comla pharmacie d’abord
mande sur internet (38%,+ 12).
Les commandes par internet sont un
En effet, à la question «Si vous devez vous élément de l’envoi postal. Il n’est donc
procurer les médicaments prescrits par guère surprenant selon gfs.bern que l’envotre médecin, laquelle des solutions sui- voi postal soit (presque) toujours mieux
vantes serait envisageable pour vous», accepté qu’internet et que les tendances
95% répondent la pharmacie. Depuis le évoluent en parallèle. Rappelons qu’il
début des enquêtes du «Moniteur de la existe aujourd’hui déjà des modèles d’assanté», les pharmacies restent le canal de surance qui prévoient une première
distribution des médicaments le mieux consultation par téléphone et qui incluent
accepté (voir figure 1).
un envoi de médicaments par la poste.
Figure 1: Achat de médicaments
«Si vous devez vous procurer les médicaments prescrits par votre médecin, laquelle des solutions
suivantes serait envisageable pour vous?»
«envisageable»
Pourcentage de votants
Qui doit gagner sur les médicaments?
gfs.bern a ensuite confronté le panel à des
affirmations en lien avec les revenus liés à
la vente de médicaments. 93% (+ 2 par
rapport à 2014) des personnes interrogées semblent les trouver justifiés pour
les pharmaciens car leurs conseils utiles
évitent de devoir consulter systématiquement un médecin pour tout problème de
santé. Mais elles sont tout de même 27%
à considérer que les pharmaciens ne sont
que des intermédiaires contribuant à renchérir le prix des médicaments. En 2010,
cette proportion était de 67%! Une évolution qui tendrait à montrer que le regard
de la population sur le rôle de notre profession est en train de changer.
En revanche, 78% du panel est d’accord avec l’affirmation suivante: tant que
les médecins gagneront sur la vente de
médicaments, ils seront plutôt enclins à
prescrire des médicaments (trop) chers.
Enfin, 72% acceptent des prix élevés
pour les médicaments si une grande partie des bénéfices est réinvestie dans la
recherche.
Les autres résultats en bref
→→ 85% des personnes interrogées souhaitent
plus d’informations sur la qualité des prestations hospitalières avant de décider où se
100
95
80
73
60
60
51
40
38
24
20
faire soigner.
→→ 41% trouvent que l’on pourrait augmenter la
franchise maximale. 31% approuvent au
contraire la proposition d’abolir la franchise
maximale actuelle. 57% se prononcent pour
une franchise qui dépende du revenu.
→→ 31% sont en faveur d’une extension des
prestations de l’assurance de base. La majo-
0
2000
en pharmacie
auprès du médecin
par la poste
rité souhaite un maintien à l’état actuel.
2005
2010
drogueries
par l’internet
commerce non spécialisé, p. ex. grands magasins
Source: gfs.bern, Moniteur de la santé 2015 (N = depuis 2003, toujours env. 1200, avant env. 1000)
pharmaJournal 15 | 7.2015
2015
→→ 66% veulent que les caisses-maladie continuent à conclure des accords avec tous les
médecins.
→→ 55% trouvent que l’industrie pharmaceutique informe de manière transparente.
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Figure 2: Compétence des acteurs du système de santé
«Dites-moi, S.V.P. – en vous servant pour cela de l’échelle suivante –, quel degré de compétence vous
donnez aux organisations ou groupes suivants compétents dans le domaine de la santé. ‹0› signifie
que ces organisations ou groupes n’ont pas de compétence, ‹10› signifie beaucoup de compétence.
Les valeurs intermédiares vous permettent de nuancer votre jugement. Si vous ne connaissez pas une
de ces organisations, veuillez me le signaler ainsi.»
Augmentation des primes: la faute
aux caisses
Qui est responsable de la hausse des
primes? Les assureurs sont les plus souvent cités (première nomination: 22%,
+ 5 versus 2014), suivis de peu par les
Valeurs moyennes
frais administratifs du secteur de la santé
9
(20%, – 1). Logiquement, et pour la deu8.0
8
xième fois de suite, les caisses-maladie
7.4
(26%,
+ 2) sont le plus souvent nommées
7.2
7
pour endosser la responsabilité par rap6.8
port à la diminution des coûts de la
6
santé. La Confédération (23%, + 2) qui,
jusqu’en 2013, était considérée comme
5
principale responsable vient en seconde
4
position.
199920012003200520072009201120132015
Les personnes interrogées ont égalemédecins
pharmaciens/pharmaciennes
ment conscience que le manque d’effica secteur recherche de l’industrie
le Conseil fédéral
cité du système (10%, – 1) est pénalisant,
pharmaceutique
tout comme le vieillissement de la population (9%, + 2). Si on ne peut intervenir
sur le facteur démographique, il est en
Compétences: médecins devant
Tous deux sont en net progrès, le Conseil
revanche possible d’améliorer sensiblefédéral de 0.6 point, les offices de 0.4. Les
ment l’efficience du système grâce à une
Selon les résultats 2015 du «Moniteur de caisses-maladie (6.7, + 0.1) et les organimeilleure collaboration entre professionla santé», les médecins sont toujours sations de patients (6.3, + 0.1) voient
nels de santé.
considérés comme les plus compétents aussi leur score s’améliorer, mais plus
Les hôpitaux (6%, – 4), qui avaient
dans le domaine de la santé (8 sur une modestement.
été particulièrement en point de mire en
échelle de 0 à 10). Jusqu’alors, les pharL’attribution de compétences s’est
2014, ne sont guère plus montrés du doigt.
maciens occupaient le plus souvent la améliorée pour la plupart des acteurs du
Et encore moins les pharmaciens (5%,
seconde position de ce classement. En système de santé. La baisse enregistrée
+ 1), les médecins (4%, + 1) ou encore
2015, même s’ils améliorent légèrement en 2013, année de la votation populaire
l’industrie pharmaceutique (3%, – 2).
leur score par rapport à 2014 (+ 1), ils sont sur les soins intégrés (Managed Care),
devancés par l’industrie pharmaceutique s’est donc depuis largement atténuée.
Génériques: la contrainte ne fait
(7.4, + 0.3) (voir figure 2).
Toutefois, les organisations de consompas l’unanimité
Viennent ensuite le Conseil fédéral et mateurs (6) font du sur place alors que les
les offices fédéraux, ex aequo en qua- scientifiques (6.6, – 0.2) et les politiciens
Plus de deux Suisses sur trois (71%, + 6)
trième position, avec une moyenne de 6.8. (6.2, – 0.2) perdent des points.
trouvent que les prix des médicaments
sont trop élevés en Suisse et un quart
(24%, – 10) qu’ils sont dans la moyenne
(voir figure 3). Pour autant, ils sont majoFigure 3: Attitude vis-à-vis du prix des médicaments
ritairement opposés (66%) à une limita«A votre avis, est-ce que les prix des médicaments sont en Suisse trop élevés, dans la moyenne ou trop bas?»
tion de l’accès aux nouveaux médicaments ou aux nouveaux traitements méValeurs moyennes
dicaux pour permettre de baisser les coûts.
100
Une forte majorité (77%) souhaite
clairement
que les prix des génériques
80
baissent. Mais les personnes interrogées
sont plus nombreuses encore (80%) à
60
penser que le médicament le moins cher
40
n’est pas forcément le plus approprié
pour le patient. Le prix ne doit donc pas
20
être le seul critère de décision. Malgré
tout, si le patient doit prendre à sa
0
charge le différentiel de prix pour un
1997
2003
2007
2011
2015
médicament plus cher ayant le même
effet, trois quarts des personnes interro trop bas
dans le moyenne
trop élevés
gées estiment que de nombreux patients
Source: gfs.bern, Moniteur de la santé 2015 (N = depuis 2003, toujours env. 1200, avant env. 1000)
accepteront alors un générique.
pharmaJournal 15 | 7.2015
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Coûts supplémentaires
Source
http://www.interpharma.ch/3605-gfs-gesundheits­
Mais deux tiers craignent qu’un tel mécanisme entraîne une limitation de la liberté
thérapeutique. Presque autant pensent
qu’un patient contraint de changer de
traitement n’adhèrera pas aussi bien à
celui-ci, d’où au final des coûts supplémentaires.
La mise en place d’un système de
prix de référence pour les médicaments
dont le brevet a expiré ne fait donc pas
l’unanimité au sein de la population, loin
de là. Le Conseil fédéral est prévenu. Le
projet de modification de la LAMal, sous
la houlette du DFI, doit être présenté d’ici
❚
la fin de l’année. monitor-2015
1210 personnes interrogées
Le but du «Moniteur de la santé» est de connaître
avec le plus de fidélité possible les points de vue
des citoyennes et des citoyens suisses vis-à-vis
Adresse de correspondance
Thierry Philbet
Rédacteur en chef du pharmaJournal
E-Mail: [email protected]
du système de santé. Les résultats reposent sur
une enquête représentative conduite par gfs.
bern, sur mandat d’Interpharma, auprès de 1210
personnes de toute la Suisse. L’enquête a été réalisée entre le 9 mars et le 10 avril 2015 sous forme
d’entretiens personnels en face-à-face.
Interview de Claude Longchamp, gfs.bern
«De nouvelles formes de distribution en plus de celles
proposées par les pharmaciens»
Qu’est-ce qui, selon vous, explique
la forte hausse des canaux de distribution «envoi postal» et «Internet»?
merciale choisie dépend probablement du
médicament. Il s’agit de deux marchés
parallèles avec des exigences différentes.
Claude Longchamp: C’est dû à l’esprit
du temps et aux différences entre générations. L’envoi postal de marchandises au
client augmente depuis de nombreuses
années. Amazon et Zalando sont des
exemples typiques. Les personnes ont
davantage l’habitude de passer leurs
commandes en ligne. Les jeunes ou «digital natives» ont grandi avec internet et
utilisent donc facilement cet outil. Ceci est
aussi vrai pour les personnes ayant fait
des études supérieures. Les deux groupes
représentent des proportions plus importantes avec une capacité renforcée à
prendre leurs propres décisions.
Les pharmaciens suisses doivent-ils
adapter leur business model pour intégrer cette forte demande de «pharmacie postale» et de «e-commerce»?
Cette hausse n’est-elle pas contradictoire avec le fait que les pharmaciens
restent toujours, loin devant les autres,
le point d’achat le mieux accepté?
Non. Le fait que le niveau d’acceptation
de l’envoi postal et des commandes par
internet augmente ne signifie pas pour
autant que les citoyennes et les citoyens
suisses tournent le dos aux pharmaciens.
Ils acceptent plutôt de nouvelles formes
de distribution, en plus de celles proposées par les pharmaciens. La forme compharmaJournal 15 | 7.2015
Je pense, oui. Les futures générations ne
pourront plus se passer du commerce en
ligne. Même s’il s’agit encore d’un marché de niche, il est possible de se procurer
un avantage dans ce domaine, d’autant
plus qu’à l’avenir, toujours plus de médicaments seront achetés en ligne. Ceci est
surtout vrai pour les patients qui veulent
ou doivent régulièrement commander le
même médicament. Dans un proche avenir, la vente de médicaments en pharmacie, avec un entretien-conseil, restera
malgré tout très appréciée. Plus de 90%
considèrent les conseils en pharmacie
comme utiles.
Enfin, comment expliquez-vous le fort
décrochage des médecins dispensants:
de 88% en 2009, ils sont tombés à
73% en 2015?
La situation n’est pas claire. 73% est un
chiffre légèrement inférieur, mais pas dramatiquement bas. En 2005, ils étaient
Claude Longchamp est président du conseil
d’administration et de la direction de gfs.bern,
politologue et historien.
© gfs.bern
67% et donc encore moins nombreux.
Dans ce domaine, il est intéressant de
constater l’augmentation enregistrée au
niveau de l’affirmation suivante: «Lorsque
les médecins profitent de la vente de
médicaments, ils prescrivent des médicaments (trop) chers». Désormais, 78% des
personnes interrogées sont en effet de cet
❚
avis.
Interview: Thierry Philbet