IEP de Toulouse Le Front National, Facebook et les jeunes : Une
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IEP de Toulouse Le Front National, Facebook et les jeunes : Une
IEP de Toulouse Le Front National, Facebook et les jeunes : Une approche de la stratégie de communication numérique du FN Mémoire de recherche présenté par Melle Morgane Hébert Directrice de mémoire : Isabelle Lacoue-Labarthe Date : 2012 1 2 IEP de Toulouse Le Front National, Facebook et les jeunes : Une approche de la stratégie de communication numérique du FN Mémoire de recherche présenté par Melle Morgane Hébert Directrice de mémoire : Isabelle Lacoue-Labarthe Date : 2012 3 Je remercie Isabelle Lacoue-Labarthe d’avoir accepté d’être ma directrice de mémoire, et Laureen, Marie, Noémie et les Paulines pour leurs conseils avisés. 4 Avertissement : L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur(e). 5 Liste des abréviations CEVIPOF : Centre de Recherches Politiques de Sciences Po CNCDH : Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme EELV : Europe Ecologie Les Verts FG : Front de Gauche FN : Front National FNJ : Front National de la Jeunesse MJS : Mouvement des Jeunes Socialistes MoDem : Mouvement démocrate ONG : Organisation Non Gouvernementale PCF : Parti Communiste Français PS : Parti Socialiste SIEL : Souveraineté Indépendance Et Libertés UMP : Union pour un Mouvement Populaire 6 Sommaire Partie 1 Analyse Contextuelle : Un environnement de crises, appui pour le développement du Front National auprès des jeunes ......................................................... 17 Chapitre 1 La montée de l’extrême droite en Europe....................................................... 17 Chapitre 2 Contexte de crise économique et stratégie du Front National ........................ 21 Chapitre 3 Contexte de crise de la représentation politique et stratégie du Front National ………………………………………………………………………………………………………………….25 Partie 2 Analyse stratégique : La communication numérique, outil de transmission idéologique auprès des jeunes ............................................................................................... 31 Chapitre 1 Limites de la puissance du média internet ...................................................... 31 Chapitre 2 La normalisation de l’image du FN : Génération Marine Le Pen .................. 33 Chapitre 3 Un secrétariat à la communication numérique ............................................... 34 Chapitre 4 La mise en place sur le terrain numérique ...................................................... 37 Chapitre 5 Diabolisation des médias et son contraire ...................................................... 42 Chapitre 6 La viralité, un but communicationnel ............................................................. 43 Chapitre 7 Est-ce une réussite ? Les chiffres ................................................................... 46 Partie 3 Analyse netnographique : Le Front National sur Facebook, noyau officiel, rayonnement officieux…………………………………………………...………………….49 Chapitre 1 Le réseau officiel : Canal de diffusion top down, interactivité limitée mais présente …………………………………………………………………………………………………………………..49 Chapitre 2 Le réseau élargi : Parole libérée et appui à la diffusion des cadres de pensée du parti …………………………………………………………………………………………………………………..55 7 Introduction Mai 2011, un an avant les élections présidentielles en France, les partis commencent à faire état de leurs forces, à les revendiquer, les mettre en avant. Alors que le Parti Socialiste se prépare pour les premières élections primaires ouvertes de son histoire, le Front National a choisi son leader, celle qui portera le combat devant les urnes Marine Le Pen. A cette date, le Front National fait étalage de sa force sur les réseaux sociaux, et revendique fièrement son titre de premier parti sur Facebook, le premier réseau social numérique français, et mondial. Un an plus tard, à trois semaines de l’élection, un sondage qui fera polémique1 déclare que le Front National est le parti préféré des jeunes. Lien de causalité ? Nous avons voulu étudier le rapport que le Front National entretenait avec les réseaux sociaux numériques, et par conséquent, parce qu’ils en sont les premiers utilisateurs, avec les jeunes électeurs. Contextualisation et définition des termes Notre enquête a été réalisée dans une période particulièrement faste pour l’étude des partis politiques, puisqu’il s’agit d’une part d’une période de campagne pour les élections présidentielles, et ensuite d’une période postélectorale qui permet ainsi de disposer de résultats sur les stratégies mises en places, à savoir les stratégies pour que le parti gagne un maximum de voix à l’élection présidentielle ainsi qu’à l’élection législative qui a suivi. C’est également une période riche car elle voit la mise en place du système Marine Le Pen, qui remporte les élections primaires organisées au sein du parti du Front national, face à Bruno Gollnish. Le Front National Le Front National sera ici au centre de notre étude, puisqu’il s’agira de comprendre sa stratégie envers les jeunes générations et d’étudier sa communication numérique. Parti phare de l’extrême droite française, fondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen, c’est un parti qui place la nation au centre de ses intérêts et des débats qu’il suscite. Loin d’être reconnu comme l’emblème de l’extrême droite parmi celle-ci, il est cependant le parti le plus important de 1 Etude de l'institut CSA fondée sur un cumul de trois vagues successives d'intentions de vote réalisées du 12 au 28mars pour le groupe Le Monde, et publiée le 4 avril 2012 8 cette mouvance, se prêtant au jeu républicain. Il faut donc préciser que toute une partie de la droite nationaliste ne se retrouve pas dans ce mouvement qui a choisi de se plier au jeu des élections démocratiques, notamment les groupes nationaux révolutionnaires ou encore royalistes, qui se situent aussi à droite de l’échiquier politique, et peuvent partager nombre d’opinions communes2. Il est cependant le parti le plus fort de l’extrême droite, les autres partis (comme Debout le République, le Mouvement National Républicain ou le Mouvement pour la France) ayant eu plus de mal à s’intégrer et à faire une démonstration de force dans le jeu politique français. Il reste marginal en nombre de voix jusqu’aux élections présidentielles de 2002 où il arrive pour la première fois de son histoire au second tour de l’élection présidentielle. C’est un électrochoc, une révélation pour les français, et depuis lors, bien qu’il ne possède que peu de poids à l’assemblée nationale (aucun député en 2002 et 2007, deux députés depuis 2012), c’est une des forces majeures du pays politiquement parlant, puisqu’il atteint 10,44% à l’élection présidentielle de 2007 et 18,3% à celle de 2012. Depuis janvier 2011, c’est Marine Le Pen, la fille de Jean-Marie Le Pen, fondateur du parti, qui en est la présidente. C’est un renouveau, une nouvelle image du parti qui se dessine. Présente activement au sein du FN depuis la campagne présidentielle de 2002, elle a mis tout en place pour lisser l’image sulfureuse du parti, et y a grandement réussi, puisqu’en 2012, 52% des personnes interrogées lors d’une étude sur le Front National menée par Birgita Orfali3 en 2012 estiment qu’elle est plus crédible que son père. C’est donc ce nouveau Front National que nous souhaitons découvrir, celui normalisé de Marine Le Pen, celui qui inquiète sérieusement en nombre de voix les deux grands partis, Parti Socialiste et Union pour un Mouvement Populaire. Réseaux sociaux et communication numérique Les autres grands qualificatifs que nous utiliserons dans ce mémoire sont « réseaux sociaux numériques » et « communication numérique ». Par réseaux sociaux nous entendons, selon la définition proposée par L. Garton (1997)4, « un ensemble d’individus, organisations ou entités entretenant des relations sociales fondées sur l’amitié, le travail collaboratif, 2 Venner Fiammetta, Extrême France : Les mouvements frontistes, nationaux-radicaux, royalistes, catholiques traditionalistes et provie, Grasset, Paris, 2006 3 Orfali Birgitta, L’Adhésion à l’extrême droite, L’Harmattan « Logiques Sociales », Paris, 2012, p30 4 Garton L., Haythornthwaite C. et Wellman B., « Studying online on social networks », Journal of computer mediated communications, n°3 9 l’échange d’informations etc. ». Appliqué au numérique, ces réseaux sont visibles sur des plateformes telles Linkedin, Facebook ou Flicker, et sont capables de rendre compte de ces liens dans l’espace qu’offre l’internet. La communication numérique concerne toutes les communications faites sur internet, que ce soit via ces réseaux sociaux, via un site web, un blog, ou encore via une application pour téléphones mobiles. Le contenu peut être aussi varié que du texte, des images, des vidéos ou encore des jeux, il est à l’image de ce qu’est le net, un champ de possibles gigantesque. La communication numérique est devenue un passage obligé de toute communication politique. Avoir un site internet, être présent sur des réseaux sociaux permet de se faire voir, mais aussi permet au citoyen de pouvoir se renseigner. En 2008, l’élection présidentielle américaine s’est jouée en grande partie sur le net, avec l’apparition d’outsiders inconnus du grand public comme Howard Dean, capables d’amasser plus de fonds que le candidat républicain qui sera finalement désigné, John McCain. Mais aussi avec le poids tout nouveau qu’ont pu représenter les votes sur Facebook5. En effet, à l’occasion de la primaire du parti démocrate, Barak Obama a recueilli près de trois fois plus de fans sur sa page Facebook qu’Hilary Clinton, un indicateur de puissance qui aujourd’hui fait partie de la vie politique. En France, une vraie bataille sur internet était annoncée pour l’élection de 2007, mais on peut dire que la première campagne où internet a vraiment eu du poids a été celle de 2012, ne serait-ce que parce que les personnages et les partis politiques ont apprivoisé et se sont servi massivement de Twitter, le réseau de micro-blogging qui permet de poster une phrase ou un lien de moins de 145 caractères6. Ainsi, bien qu’internet reste toujours derrière le média télévisuel dans la hiérarchie des moyens de renseignement des français, il est bel et bien entré dans la vie de ces derniers7, ce qui est un élément à ne pas négliger. Mais les réseaux sociaux numériques, ce sont aussi un moyen de toucher une population jeune. En effet, sur Facebook, le premier réseau social numérique français, les 1824 ans représentent en 2012 25% des utilisateurs, et les 25-34 ans 26%, soit à eux deux plus de 50%8 des membres français du réseau social. Avec 955 millions d’inscrits au monde et 26 5 Vedel Thierry et Cann Yves-Marie, « Internet, une communication électorale de rupture ? » dans P. Perrineau dir., Le vote de rupture, Les Presses de Sciences Po, Paris, 2008, p53 6 Vuetaz Audrey «Twitter influence t’il la campagne de 2012 ? » Journalisme .info 7 Baromètre politique français et Panel électoral français, 2006-2007, Cevipof-ministère de l’Intérieur 8 Rapport Nielsen Online – Juillet 2012 10 millions d’inscrits en France, c’est le réseau social numérique par excellence, et celui sur lequel va se pencher notre étude. D’autant plus que les partis ne s’y sont pas trompés et y ont une présence accrue, et tout particulièrement le Front National avec ses 89 106 fans (au 7 août 2012), soit bien plus que les 57 040 fans du Parti Socialiste (idem), pourtant parti pour lequel les jeunes ont le plus voté à l’élection présidentielle de 20129. Les jeunes Nous considérerons comme « jeunes » la tranche d’âge 18-24ans, par souci de précision scientifique. En effet, nombre de nos sources proviennent du CEVIPOF10, pour lequel les 18-24ans représentent une catégorie d’âge pour la majorité des études. C’est aussi une tranche d’âge que nous avons retrouvé dans de nombreux articles scientifiques, et sur Facebook. C’est une catégorie de la population particulièrement intéressante à étudier en science politique car elle représente l’âge du premier vote, c’est une population neuve qui a la possibilité de s’exprimer, avec de nouvelles revendications ou de nouvelles priorités. C’est également une population qui n’a pas forcément conscience de l’histoire politique un peu ancienne, les manuels d’histoire n’abordant que rarement les 20 dernières années, un facteur qui peut prendre toute son importance dans le cas du Front National de Marine Le Pen. Mais surtout c’est une génération qui a été dès l’adolescence pour la fin du panel, avant pour les autres, confrontée à l’infini qu’offre l’internet, et c’est pour cette tranche d’âge leur premier moyen d’information politique11, avant la télévision. De plus ils sont une grande majorité à être présents sur Facebook, la plateforme qui servira à notre étude. Intérêt du sujet L’étude des stratégies de communication numérique du Front National présente toute une série d’intérêts. Tout d’abord nous sommes actuellement dans un contexte de bouleversement des équilibres dans le domaine des médias. Ce qui était vrai hier ne l’est plus obligatoirement aujourd’hui. En témoigne l’ouvrage La politique en France et en Europe, sous la direction de 9 Anne Muxel, « Le soutient déterminant des jeunes à François Hollande », Le Figaro, 9 mai 2012 CEVIPOF : Centre de Recherches Politiques de Sciences Po 11 Enquête postélectorale, 2007, CEVIPOF-Ministère de l’Intérieur 10 11 Pascal Perrineau et Luc Rouban12. Paru pourtant en 2007, le chapitre sur les médias ne recense pas les pratiques sur internet, alors qu’Arnaud Mercier qui écrit ce chapitre pointe pourtant qu’internet a dépassé en 2006 le support papier comme moyen d’information chez les européens. Le champ d’étude de la politique sur internet en est à ses débuts, et le support évoluant tellement rapidement, les études sont très vite dépassées, ce qui fait tout l’intérêt de ce domaine de recherche. D’autre part depuis 2002, le Front National est une force politique majeure en France, une force qui inquiète, qui intrigue, mais surtout une force dans laquelle se sont retrouvés près de 18% des français aux dernières élections. Ce qui marque également, c’est que de nature traditionnaliste, le Front national est particulièrement présent sur le domaine du numérique, et réussit à première vue mieux que ses concurrents pourtant plus progressistes. Mais aussi et bien sûr, c’est le parti numéro un en France sur Facebook. La plateforme regroupant un grand nombre de jeunes, cela intrigue, puisque depuis les débuts de la Ve république, à l’exception de l’élection de Jacques Chirac en 1995, les jeunes ont toujours voté en majorité à gauche13. Aussi avant l’élection on pouvait se demander si cet équilibre allait se retrouver bouleversé, et si oui, pourquoi. Ce qui est intéressant ici, c’est d’essayer de comprendre les ressorts d’un parti qui essaye d’attirer une nouvelle frange de votants, à travers des outils adaptés. Mais aussi de comprendre le fonctionnement du domaine politique sur un réseau social. En outre, le Front National est en cours de mutation avec l’arrivée de Marine Le Pen en tant que présidente du parti. Un changement qui passe par une communication offensive, à première vue très efficace. Une communication qui vise à gommer l’image polémique qu’avait donnée son père au Front National, notamment en tenant des propos racistes ou révisionnistes. La communication prend un nouvel essor dans ce Front National là, et cela parait pertinent de l’analyser avec comme point d’entrée les jeunes et la communication numérique, car un réel effort à été fait à ce point de vue, dans l’optique de la campagne présidentielle de 2012. 12 13 P. Perrineau et L. Rouban dir., La Politique en France et en Europe, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007 Muxel Anne, « Les jeunes sont-ils plus à gauche ? », Avoir 20ans en politique, Seuil, Paris, 2010 p145 12 Problématique Le Front National est comme nous l’avons vu le premier parti sur Facebook, bien qu’il ne soit pas le premier parti politique français en nombre de voix. Nous nous sommes donc attachés à tenter de résoudre ce paradoxe, en étudiant d’une part la stratégie mise en place par le FN de Marine Le Pen envers la communication numérique et la communication visant les jeunes. Et d’autre part nous avons tenté de comprendre les ressorts internes qui peuvent pousser un jeune à devenir fan d’une page politique sur Facebook, à travers le contexte général, mais aussi le jeu du réseau qui se fait sur cette plateforme, par le biais de pages qui pointent vers d’autres pages. Ainsi nous tentons de comprendre d’une part la stratégie émise et d’autre part les mécanismes d’adhésion qui sont à l’œuvre, par le biais d’un sondage et de l’analyse des réseaux sociaux. Ce qui est questionné principalement ici, c’est la notion d’appartenance et d’identité que peut revêtir Facebook. Nous avons fait l’hypothèse que les pages nationalistes fournissent un vivier pour le Front National sur Facebook. Par leur dimension identitaire, plus marquée que la majorité des mouvances politiques, ils se fondent bien dans le paysage du réseau social numérique, dont la description de soi passe souvent par ce que l’on « aime ». Etat des connaissances De très nombreuses études ont été menées sur le Front National et ses électeurs, dont les spécialistes sont parmi les plus reconnus de la sociologie politique, à savoir Nonna Mayer et Pascal Perrineau14. Ils ne sont cependant pas les seuls sur lesquels je m’appuierai au cours de ce mémoire. L’enquête de Birgita Orfali, L’Adhésion au Front National15, a été un précieux document de travail. Cependant du fait de l’arrivée récente au pouvoir de Marine Le Pen, en 2011, peu d’ouvrages sont capables de dire quel est l’impact de ce nouveau management. Ce qui fait tout l’intérêt de la recherche actuelle. 14 Nonna Mayer est la présidente de l’Association Française de Science Politique et Pascal Perrineau le directeur du CEVIPOF, entre autres distinctions. 15 Orfali Birgitta, L’Adhésion à l’extrême droite, L’Harmattan « Logiques Sociales », Paris, 2012 13 Concernant les jeunes et leurs engagements politiques, les écrits de la sociologue Anne Muxel16 du CEVIPOF, m’ont été particulièrement utiles. Ceux de Magali Boumaza, avec sa thèse Le Front National et les jeunes de 1972 à nos jours17 m’ont permis une première approche des motivations des jeunes à se porter militant du FN, toutefois sa période d’étude se situe avant la démocratisation d’internet, c’est donc une génération différente qui est étudiée. Les écrits de Monique Dagnaud18sur les jeunes et les réseaux sociaux chez la génération Y19 m’ont aussi apporté beaucoup d’éléments, que j’ai transposés au domaine politique. Pour ce qui est des réseaux sociaux numériques, j’ai essentiellement puisé dans des articles scientifiques parus sur les revues spécialisées sur les réseaux sociaux, le marketing mais aussi la science politique. Du fait de la rapide évolution dans ce domaine, les ouvrages imprimés sont rapidement dépassés. Deux études sur le parti socialiste dans le domaine du numérique m’ont aiguillée sur la méthode à adopter ainsi que sur les résultats à attendre. Il s’agit d’un article de Thierry Barboni et Eric Treille20, ainsi que d’un article de Maria Mercanti-Guérin21. Toutefois je n’ai trouvé aucune documentation se rapportant directement à mon sujet d’étude, à savoir le FN sur les réseaux sociaux. Méthodologie La première partie de mon travail correspond à l’étude d’une stratégie de parti politique. Il apparait donc logique que je choisisse comme cadre conceptuel la sociologie des partis politiques, en suivant l’exemple d’Alexandre Dézé22 qui rappelle qu’un parti est d’une part une « entreprise » politique (Offerlé 2010)23 réunissant des gens « intéressés » par l’obtention de « profits », les profits électoraux, et donc ici la conquête du pouvoir. Mais aussi 16 Muxel Anne, Avoir 20ans en politique, Seuil, Paris, 2010 Boumaza Magali, Le Front National et les jeunes de 1972 à nos jours, Thèse doctorat Strasbourg 3, 2002 18 Dagnaud Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2011 19 La Géneration Y désigne les individus nés entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990. On les appelle aussi les digital natives, car c’est la première génération à avoir connu jeune l’usage d’internet. 20 Barbony Thierry et Treille Eric, « L’engagement 2.0 » Les nouveaux liens militants au sein de l’e-parti socialiste, Revue française de science politique, 2010 /6 Vol.60 21 Mercanti-Guérin Maria, « Facebook, un nouvel outil de campagne : Analyse des réseaux sociaux et marketing politique » , La revue des sciences de gestion, Direction et Gestion, n°242, Mars-Avril 2010 22 Dézé Alexandre, Le Front National à la conquête du pouvoir ?, Armand Colin « Elements de réponse », Paris, 2012 23 Offerlé M., Les partis politiques, Paris, PUF, 7eme édition, 2010 17 14 une «institution de sens » (Hastings 2001)24, c'est-à-dire une instance productrice d’idéologie. Ce cadre permettra la mise en perspective de la stratégie de FN sur le plan idéologique et ainsi que sur le terrain de la lutte face à d’autres partis. Néanmoins j’emprunterai beaucoup au marketing politique. Car plus que tout c’est de cela qu’il s’agit, l’entreprise visant à obtenir un maximum d’électeurs pour accéder au pouvoir. L’étude du marketing politique permet de mettre à jour certains ressorts et leur efficacité. Dans un deuxième temps, nous utiliserons l’analyse des réseaux sociaux (ARS), toujours dans une perspective sociologique, en effectuant une analyse netnographique. Pour Robert Kozinets c’est « Une nouvelle méthode de recherche qualitative qui adapte la méthode ethnographique à l’étude des cultures et des communautés qui émergent grâce aux communications automatisées »25.Un domaine qui emprunte beaucoup à la sociologie politique et aux sciences de l’informatique et de la communication. Elle sera relayée par un sondage réalisé sur une centaine de jeunes entre 18 et 24 ans. Cette analyse permettra d’une part d’analyser les thèmes abordés sur les pages Facebook, d’observer les interactions qui s’y déroulent, mais aussi de cartographier le réseau non officiel faisant référence au Front National. J. Füller et al. (2008)26 identifient cinq étapes structurant la méthodologie de la netnographie : • Etape 1 : Détermination des objectifs de la recherche • Etape 2 : Identification et sélection des communautés • Etape 3 : Observation et collecte de données • Etape 4 : Analyse des données et interprétation des résultats • Etape 5 : Transfert des résultats en solution Nous avons suivi cette méthodologie lors de notre analyse netnographique sur Facebook des groupes gravitant autour des pages officielles du parti. 24 Hastings M. « Partis politiques et administration de sens » dans Andolfatto D., Greffet F., Olivier L. dir., Les partis politiques : quelles perspectives ?, Paris, L’harmattan, 2001 25 Robert Kozinets, Netnography : Doing research online, Sage publications Ltd, Toronto, 2010 26 Füller J., Jawecki G. et Münhlbacher H. « Innovation creation by online basketball communities », Journal of business research, n°60, 2007 15 Afin de nous apporter d’autres éléments, nous aurions aimé recueillir des témoignages de jeunes adhérents du Front National. Cependant, malgré plusieurs tentatives de prise de contact avec la section locale du Front National de la Jeunesse (FNJ), il n’a pu être possible de rencontrer des militants. Annonce de la logique de réflexion et aperçu des résultats Nous avons voulu dans un premier temps analyser les raisons qui pouvaient pousser un jeune à se déclarer « fan » du Front National sur Facebook. Pour cela nous avons analysé les ressorts externes, à savoir un contexte de montée des extrêmes-droites en Europe, et un contexte de crise économique doublé d’une crise démocratique ; mais aussi les ressorts internes du Front National, à savoir la mise en place d’une stratégie de la part du parti pour séduire les jeunes (et les moins jeunes), en s’appuyant sur un contexte qui leur est favorable. Dans un deuxième temps nous nous sommes penchés plus en profondeur sur la stratégie numérique du Front National. Les jeunes générations étant les plus nombreuses sur ce média qu’est internet, c’est une stratégie qui les vise directement. Nous souhaitons mesurer les efforts qui ont été faits au niveau communicationnel pour sensibiliser au discours du FN les jeunes électeurs, notamment en misant beaucoup sur la viralité des contenus. Une stratégie qui a fait ses preuves, comme nous le verrons dans le deuxième chapitre de cette seconde partie qui analyse de façon netnographique le réseau autour des pages officielles du parti. Cette dernière partie nous montre que d’une part l’influence des partis politiques sur Facebook est limitée, le sondage nous montrant que peu de jeunes souhaitent dévoiler leurs préférences politiques sur la plateforme, mais que cependant le Front National voit son image relayée dans un vaste réseau de pages thématiques. Un réseau qui fortifie le réseau officiel et permet la diffusion d’un cadre de pensée via du matériel développé par le parti. Des résultats à double tranchant donc. 16 Partie 1 Analyse Contextuelle : Un environnement de crises, appui pour le développement du Front National auprès des jeunes Avec ses 18,3 % en termes de voix aux élections présidentielles de 2012 (chiffre TNS Sofres), le Front National a repris sa place de troisième parti français, qu’il avait perdue aux élections de 2007 où il n’avait fait que 10,44% des voix. Une telle reconquête ne peut se faire sans compter sur une partie de la population souvent délaissée par les partis, la jeunesse. C’est donc une partie de cette stratégie que nous essaierons de décrypter à travers ce chapitre, comment le Front National a tenté de séduire les jeunes, sur quel contexte il s’est appuyé. Leur présence sur les réseaux sociaux relève de cette stratégie, mais nous le verrons dans la seconde partie, pour l’instant nous souhaitons révéler les ressorts de l’idéologie du parti qui permettent aux jeunes de s’y identifier. C’est une crise d’une grande ampleur qui touche actuellement l’Europe, crise économique tout d’abord, touchant d’abord les plus exposés, les populations les plus vulnérables, mais aussi une crise démocratique et une perte de confiance dans les institutions. Aussi, avec un tel contexte, le continent voit refleurir sur son territoire mécanismes protectionnistes et retour des nationalismes, le contexte idéal pour voir s’épanouir l’un des plus gros partis nationalistes européens, Le Front National27. Chapitre 1 La montée de l’extrême droite en Europe La percée du Front National n’est en rien un phénomène isolé en Europe, c’est un mouvement général de renouveau du national populisme auquel on assiste. Aussi nous verrons dans un premier temps en quoi il s’agit d’un phénomène à l’échelle du continent, puis dans un second temps nous verrons plus en détail le cas français. Section 1 Un retour en puissance du national-populisme en Europe Italie, Hongrie, Roumanie, Pologne, Suisse, France et bien sûr le dernier venu la Grèce. Tous ces pays connaissent en leur sein une flambée des partis d’extrême droite28. C’est 27 Birgitta Orfali, L’Adhésion à l’extrême droite, L’Harmattan « Logiques Sociales », Paris, 2012, p.23 Pascal Perrineau, « L’extrême droite en Europe », dans P. Perrineau et L. Rouban dir., La Politique en France et en Europe, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007, p. 392 28 17 donc un phénomène européen auquel on assiste, le retour du « national-populisme » dans la vie politique selon les termes de Pierre-André Taguieff29.Cette formule pourrait être définie comme un mouvement nationaliste, idéologiquement centré sur la défense de l’identité nationale et fonctionnant sur un mode populiste où un leader charismatique multiplie les appels au peuple supposé « sain » et « vertueux ». Que ce soit le FPÖ en Autriche, le Vlaams Blok en Belgique, Alleanza Nationale en Italie ou encore l’Aube Dorée en Grèce, tous ces partis peuvent se retrouver dans la définition donnée par Taguieff du national-populisme, mais surtout ils partagent en commun le fait d’être des partis traditionnellement outsiders du jeu politique qui ont gagné ces dernières années un poids considérable, les faisant passer du statut d’underdog à celui de représentant de premier plan. Une force avec laquelle les partis traditionnellement au pouvoir doivent composer, par le jeu des compositions de gouvernement comme cela a été le cas en Belgique où il est formé proportionnellement, ou encore en prenant en compte qu’il s’agit d’une réserve de voix non négligeable et intégrant certains de ses thèmes de prédilections comme l’immigration, dans son programme, comme l’a fait Nicolas Sarkozy en France. La carte présentée à la page suivante, extraite d’un dossier spécial du Monde Diplomatique30, représente les scores des partis d’extrême droite aux dernières élections législatives. Cependant, pour le cas de France, la couleur n’est pas représentative de la puissance de l’extrême-droite puisqu’aux élections législatives, cette mouvance réalise toujours de bien moins bons scores que pour les éléctions présidentielles. Néanmoins aux dernières législatives, le Front national a obtenu 13,6% des voix, ce qui place la France dans la catégorie suivante, celle des 10 à 15%. 29 30 Taguieff Pierre André, Le nouveau national populisme, CNRS Editions, Paris, 2012 Mondes émergents, l’Atlas du Monde diplomatique, 2012 18 La réussite de ces partis peut s’expliquer par plusieurs raisons, pointées déjà en 2001 par Nonna Mayer31. Tout d’abord la chute de l’URSS a laissé derrière elle des partis communistes européens qui n’ont pas tardé à se faire de moins en moins nombreux en termes de voix, laissant toute une population sans repères et sans idéologie pour faire face au capitalisme et à la mondialisation, d’où le repli identitaire et national. Pendant longtemps les partis d’extrême droite luttaient d’ailleurs contre les partis communistes, à leur chute, une reconstruction idéologique a eu lieu permettant d’intégrer les déçus du communisme. Ainsi ils ont mis l’accent sur l’identité, la nation et la vision d’un Etat fort, en France, « l’ouvrieroLepenisme », tel que décrit par Nonna Mayer32, qui reprend beaucoup à l’organisation du Parti Communiste Français, y compris dans ses thèmes. La crise est évidemment un élément important de cette montée en puissance du national-populisme, un phénomène qui est régulièrement observé en temps de crise économique, le protectionnisme et son pendant idéologique, le nationalisme, sont renforcés. Et la situation vécue actuellement n’est pas sans rappeler les heures les plus noires de l’Histoire européenne, lorsqu’à la suite de la crise de 1929, les partis nationalistes ont gagné en puissance, en Allemagne, en Italie, en Espagne, mais aussi en France avec les ligues. 31 Mayer Nonna, Ces français qui votent Le Pen, Flammarion, Paris, 2002, p29 Pascal Perrineau parle lui de « Gaucho-Lepenisme », termes qui semble moins bien adapté, puisqu’en terme d’identité, les électeurs du FNsont peu à se reconnaitre à gauche. 32 19 Xénophobie et discours anti-système Les partis nationaux populistes européens se recoupent dans deux grandes composantes de leurs discours : la xénophobie d’une part, avec le recours aux critiques contre l’immigration, et leurs propos anti-système de dénonciation des élites et des institutions d’autre part33. Cependant il faut rappeler que tous ces partis européens n’ont pas nécessairement les mêmes valeurs et les mêmes buts, s’ils se retrouvent dans les grandes lignes que nous venons de citer, ils peuvent être opposés entre eux. Ainsi, Jean-Marie Le Pen a toujours refusé que son parti soit associé dans l’imaginaire collectif aux ligues34 et se défend de toute référence au fascisme, au contraire, le Parti de l’Aube Dorée, en Grèce est un parti ouvertement néo-nazi. Les électeurs : une population majoritairement peu diplômée Si nous nous intéressons plus particulièrement à la population qui vote pour ces partis, on remarque clairement qu’en Europe, grâce à une enquête réalisée en 200435 que 84% des personnes qui votent à l’extrême droite sont des personnes sans diplôme ou avec un diplôme inférieur au secondaire. C’est donc cette population qui constitue un vivier pour ces partis. Anne Muxel36 pointe d’ailleurs le fait que même chez les jeunes, cette répartition des équilibres est valable. En effet, lors d’une enquête faite par le CEVIPOF sur l’électorat en 2007, elle découvre que la jeunesse non diplômée vote quatre fois plus que la jeunesse diplômée à l’extrême droite. Section 2 Vers une légitimation de l’extrême droite Au cours de ses cinq années de mandat, nul président de la Ve république n’aura autant parlé de thèmes chers à l’extrême droite que le président Sarkozy. Débat sur l’identité nationale, stigmatisation de l’islam, lutte contre l’immigration ont été des maitres mots de son mandat. Des mots, et des thèmes qui appartiennent au registre du national populisme, comme le souligne Birgita Orfali dans L’adhésion à l’extrême droite. Le rapport de la CNCDH de 33 Perrineau Pascal, « L’extrême droite en Europe », dans P. Perrineau et L. Rouban dir., La Politique en France et en Europe, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007 p396 34 Mayer Nonna, Ces français qui votent Le Pen, Flammarion, Paris, 2002, p28 35 Enquête ESS 2004 36 Muxel Anne, Avoir 20ans en politique, Seuil, Paris, 2010, p214 20 l’année 2010 le précise d’ailleurs : « L’année 2010 a été marquée en France par la succession de débats, de prises de parole politiques, de polémiques qui ont pour point commun d’interroger la place de l’étranger, du différent dans la société française actuelle », ce qui conduit comme souvent dans les crises économiques à prendre l’étranger comme bouc émissaire. Mais plus que ça, une enquête menée à l’échelle européenne par Kai Arzaheimer37 démontre que plus les formations en lice accordent de l’importance à l’immigration, plus elles favorisent la montée en puissance des partis d’extrême droite. Ainsi M. Sarkozy depuis le discours de Grenoble n’a eu de cesse de renforcer ce pouvoir en stigmatisant toujours plus les étrangers, comme le pointe Nonna Mayer dans la préface du livre d’Alexandre Dézé, Le Front National : A la conquête du pouvoir ?. Marine Le Pen, la normalisation du grand parti d’extrême droite Egalement en termes de légitimation, l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti a beaucoup joué. Avec une image plus lisse, pas de dérapages verbaux sur les « détails de l’histoire » comme son père, son élection parait plus plausible que celle de Jean-Marie Le Pen auprès du grand public. En effet, Alexandre Dézé 38 parle du « relooking » que Marine a opéré depuis 2002 sur le FN, en essayant de le « normaliser ». En témoigne un reportage diffusé pendant la campagne sur la chaine parlementaire où une jeune fille explique que Marine Le Pen n’est pas raciste, qu’il s’agit simplement d’un « cliché» « à cause de son père »39. L’opération de normalisation semble ainsi avoir eu au moins quelques réussites chez les jeunes. Chapitre 2 Contexte de crise économique et stratégie du Front National Avec la crise, le Front National a gagné en puissance, et surtout a su adapter son discours pour séduire les populations les plus touchées. Nous analyserons dans un premier temps les ressorts de l’attraction pour l’extrême droite en temps de crise, puis dans un second temps nous nous pencherons sur la stratégie du FN pour réaliser cette attraction. 37 Kai Arzaheimer, « Contextual Factors and the extreme right vote in western Europe 1990-2000” , American journal of political science, vol 53 n°2 p259-275 38 Dézé Alexandre, Le Front National à la conquête du pouvoir ?, Armand Colin « Elements de réponse », Paris, 2012, p133 39 « Mon village à l’heure de la présidentielle » diffusé sur la chaine LCP 21 Section 1 Contextualisation : La fragilisation de certaines populations, dont les jeunes Crise économique et « perdants de la mondialisation » Nous l’avons vu, les crises économiques permettent souvent la résurgence des mouvements nationaux-populistes. C’est évidemment le cas avec l’aggravation de la crise économique qui atteint les pays occidentaux depuis 2007. Dans de nombreux pays d’Europe les scores du chômage ont explosé, faisant craindre aux populations la perte de leur emploi. Dans ce contexte, où la crise s’est propagée du fait de la mondialisation de l’économie, les partis les plus à droite de l’échiquier mettent en avant le fait qu’il faille remettre des barrières entre les pays, diriger l’économie vers le protectionnisme et effectuer un repli national. Un discours qui semble approprié en ces temps troublés et qui parle à une partie de la population tout particulièrement, ceux que Nonna Mayer nomme « les perdants de la mondialisation »40. Les perdants de la mondialisation ce sont les catégories sociales les plus fragiles, les ouvriers, les sans diplômes, les personnes au chômage, tous ceux qui sont dépendants de l’économie mondiale sans avoir un pouvoir dessus, ceux qui ne voient que le côté négatif de ce mouvement, à savoir délocalisations et libéralisation sauvage. Les jeunes, une population fragile en temps de crise Or parmi les populations les plus fragiles, on peut également classer les jeunes, de 18 à 30 ans. Car c’est une frange de la population qui est plus facilement touchée par le chômage que les autres catégories. Et les données européennes sont alarmantes, notamment en Espagne et en Grèce où le taux de chômage chez les jeunes atteint 52,1%41, et en France 22,7%. Avec des taux pareils, il est difficile pour un jeune européen d’envisager l’avenir avec sérénité, et cette jeunesse peut être tentée par les partis d’extrême droite qui pointent clairement le coupable de ce chômage, l’immigration. D’autre part, un autre phénomène touche les jeunes en France et en Europe, il s’agit du déclassement social42. Une dégradation qui affecte toutes les catégories sociales. En effet, les trajectoires ascendantes parmi les milieux les plus défavorisés se font de plus en plus rares, alors que les parmi les jeunes issus des classes plus favorisées, un sur trois ne réussit pas à reproduire la position sociale de son père, et ce malgré des études de second ou de troisième 40 Mayer Nonna, Ces français qui votent Le Pen, Flammarion, Paris, 2002, p28 Chiffres Eurostat juin 2012 42 Camille Peugny, Le Déclassement, Paris, Grasset, coll. « Mondes vécus », 2009 , p56 41 22 cycle. C’est donc une situation particulièrement rude pour la jeunesse, qui peut alors être tentée de vouloir faire changer les choses. Retour sur l’Histoire Enfin, sur la crise économique on peut faire un parallèle inquiétant avec la crise de 1929 qui avait vu la montée des partis radicaux de droite et des émanations de cette tendance politique. C’est Pascal Perrineau qui en parle le mieux malgré lui dans l’article rédigé sur l’extrême droite en Europe pour l’ouvrage collectif La politique en Europe. En effet, il pointe la montée en puissance de la xénophobie, et le repli national. Cependant, il se refuse à faire un parallèle avec cette période, arguant qu’une crise économique d’une telle ampleur n’a pas lieu en Europe, et citant en exemple la faiblesse de l’extrême droite grecque. Des paradigmes qui ont tous les deux bien changé depuis 2007. Section 2 Une idéologie adaptée : Vers le redressement de la France et la protection des français Le Front National a su tirer parti des crises économiques au fil du temps. Parce qu’il désigne des ennemis clairs qu’il faut combattre, l’immigration et les élites au pouvoir, il est une puissance protestataire qui a su attirer à elle une partie des classes les plus défavorisées. C’est ainsi que depuis le début des années 1990, qui ont vu l’hémorragie du PCF, le FN est un des partis qui regroupe le plus d’ouvriers, d’employés et de petits artisans en son sein. C’est une stratégie que Nonna Mayer nomme « l’ouvriero-Lepenisme » et qui a fait ses preuves, puisqu’en 2001, 47% des personnes ouvrières ayant un père et un conjoint ouvrier votaient pour le FN43. Aujourd’hui, le tryptique « chômage, immigration, insécurité » fait toujours recette pour le FN, et la crise est une des composantes majeures de leurs discours. Quand on sait que les jeunes sont les premiers touchés par cette crise, ce discours est particulièrement adapté. Chômage et pouvoir d’achat Si l’on compare objectivement tous les clips de campagne des candidats à la présidentielle 2012 et que l’on cherche à savoir qui est le candidat du pouvoir d’achat, la réponse saute aux yeux, il s’agit de Marine Le Pen. En effet, alors que tous parlent de valeurs, 43 Mayer Nonna, Ces français qui votent Le Pen, Flammarion, Paris, 2002, p36 23 emploient des grands mots idéologiques, y compris les candidats à l’extrême gauche de l’échiquier, seule Marine Le Pen parle seulement de problèmes directs : l’augmentation du prix du gaz ou des biens de consommation44. Elle frappe au cœur de ce qui concerne les français, la chute de leur niveau de vie. Ci-dessus est une affiche téléchargeable sur le site du Front National reprenant cette rhétorique. Immigration Nous l’avons vu, les grandes dépressions voient souvent l’arrivée d’une vague de xénophobie. Cette crise n’échappe pas à la règle, et le FN, parti pionnier en France en la matière, n’hésite pas à faire le rapprochement entre chômage et immigration. A une époque où les emplois se font rares du fait de la crise, c’est un discours qui trouve un certain écho et qu’ils ne se cachent pas d’avoir. Décadence Ce qui fait la cohérence de l’extrême droite française, c’est une notion qui rassemble idéologiquement, une impression qui pousse les citoyens à s’engager : la décadence de la France45. Décadence autant matérielle qu’idéologique, elle touche pour les militants d’extrême droite notre pays de façon évidente, et voter pour Marine Le Pen est une façon de « redresser la France », un terme qui revient régulièrement au fil de ses discours, et dont le deuxième clip de campagne porte le nom. Redresser la France, c’est la faire revenir à un Etat fort, capable de protéger ceux qui ont été oubliés par la politique européenne, les ruraux et les classes défavorisées. Pour les jeunes générations, l’image de cet Eldorado perdu peut trouver une caisse de résonnance. En effet, les jeunes de moins de 30 ans n’ont toujours connu que la crise, et un discours vantant le « redressement » de l’économie et des valeurs morales peut paraitre attractif. 44 45 Clip de campagne : www.frontnational.com/videos/ameliorer-le-pouvoir-dachat-des-francais/ Orfali Birgitta, L’Adhésion à l’extrême droite, L’Harmattan « Logiques Sociales », Paris, 2012, p58 24 Chapitre 3 Contexte de crise de la représentation politique et stratégie du Front National Une crise de la représentation politique est un problème majeur pour une démocratie, cependant tous les partis n’en souffrent pas de la même façon, les partis dits « anti-systèmes » en sont renforcés, comme c’est le cas pour le Front National. Après avoir énoncé les grands points de cette crise nous verrons en quoi le FN bénéficie de cette dynamique. Section 1 Contextualisation : Une perte de confiance envers les institutions démocratiques De l’avis de nombreux observateurs, les démocraties occidentales sont en train de passer par une crise de leur système et une remise en question de leur fonctionnement. Premier facteur, l’absentéisme électoral, qui est un symbole de la perte d’intérêt pour le politique, ou de la perte de confiance dans les institutions. En France, pour les élections européennes, le pourcentage d’abstention est monté à 57,2% près de deux tiers des électeurs ne se sont pas déplacés. Il est vrai que pour les élections de type présidentiel, les taux de participation sont plus élevés. Mais toujours est-il qu’une partie de la population ne se sent pas concernée par le jeu politique, souvent les personnes les moins diplômées, qui ne se reconnaissent pas dans ce système réservé aux « gens d’en haut » (Perrineau 2007)46. On assiste à un repli sur la sphère privée, déjà pointé par Albert Hirshman en 198347 dans son livre Bonheur privé, action publique. Selon lui les sociétés démocratiques connaissent des phases cycliques de fort engagement dans l’action publique et d’autres de repli sur la sphère privée. Nous serions dans une phase de désillusion de l’action publique. Méfiance envers les institutions et les élites au pouvoir Mais outre un fort abstentionnisme en France, on remarque aussi une crise de légitimité des partis au pouvoir comme le montrent les chiffres48 : 45% des français ne font pas confiance aux hommes politiques et 57% n’ont qu’une faible satisfaction du fonctionnement de la démocratie. Un manque de confiance donc généralisé, qui fait le beau jeu des partis qui se présentent comme les attaquants de la « sclérose du système » tel que le Front national en France. Plus que cela, cette même enquête montre que chez les électeurs 46 Perrineau Pascal, « La crise de la représentation politique», dans P. Perrineau et L. Rouban dir., La Politique en France et en Europe, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007, p16 47 Alfred O. Hirsman, Bonheur privé, action publique, Fayard, Paris, 1983 48 Enquête ESS 2004 25 d’extrême droite français, ils sont 80% à être faiblement satisfaits du fonctionnement de la démocratie. Pippa Norris 49 parle de « cynisme croissant », en effet, alors que le système démocratique progresse dans le monde, la confiance en ce système décroit. En France, en 2011, 72% des français pensent que les élus et dirigeants français sont plutôt corrompus50, un des signes que ce « cynisme croissant » est bien réel et se fait sentir dans notre pays. Un « cynisme croissant » particulièrement présent chez les jeunes Du côté des jeunes, puisque c’est notre sujet d’étude avant tout, ce cynisme est particulièrement prégnant et renforcé par des émissions telles que Les guignols de l’info ou Le petit journal qui mettent en avant le spectacle électoral et ses faiblesses de façon humoristique. En effet, plus d’un jeune sur deux suit régulièrement Les guignols de l’info51, 57% des 15-30ans, et 77% des personnes les regardant trouvent que les vicissitudes des personnages ne sont pas exagérées. Pour Anne Muxel52, regarder ce genre d’émission est un signe du temps, mais aussi signe d’une génération pour laquelle la critique est jugée salutaire, une génération qui entretient la défiance à l’égard des organisations à caractère politique. D’un autre côté on observe une augmentation parmi la population de ce que Nonna Mayer appelle des « Ni ni »53. Ce sont des électeurs qui refusent le clivage traditionnel gauche droite et ne se reconnaissent pas dans ce système bipartisan, où seulement le Parti Socialiste et l’Union pour un Mouvement Populaire sont considérés comme grands partis. Parmi les personnes votant pour le Front National, on retrouve de nombreux ninistes, qui refusent ce jeu électoral à deux choix. Or les électeurs du FN ne sont pas les seuls, et les jeunes sont nombreux à ne pas se retrouver dans ce schéma classique. En témoigne le large vote des jeunes en direction de François Bayrou en 2007, avec 28% du vote des jeunes54, celui qui proposait une troisième voix se place très bien. Une preuve que les jeunes sont sensibles à un discours de troisième voix, ni à gauche ni à droite, qui peut être celui du FN aussi. 49 Pippa Norris, Critical Citizen, Global support for Democratic Governance, Oxford, Oxford University Press, 1999 50 Sondage TNS-Sofres pour La matinale de Canal + en face à face, 23-26 septembre 2011, échantillon national de 1000 personnes repésentatif de la population de 18 ans et plus. 51 Olivier Donnat dir., Les pratiques culturelles des français à l’ère du numérique. Eléments de synthèse 19972008, Ministère de la Culture et de la Communication, coll. « Culture études », octobre 2009 52 Muxel Anne, Avoir 20ans en politique, Seuil, Paris, 2010, p86 53 Mayer Nonna, Ces français qui votent Le Pen, Flammarion, Paris, 2002 54 Panel électoral français 2007, CEVIPOF 26 Montée de l’impolitique et refus de la hiérarchie Cependant toutes ces observations de recul et de méfiance vis-à-vis du politique sont à mettre en perspective. Pierre Rosanvallon55 rappelle le fait que plus qu’une dépolitisation des jeunes, nous assistons à une montée de l’impolitique puisque les jeunes s’engagent vers d’autres chemins, comme les ONG, il s’agit d’un militantisme moral. Anne Muxel56 le pointe et rappelle qu’en France 75% des gens seraient prêts à aller manifester pour une cause qu’ils souhaitent défendre, un chiffre qui rappelle que l’intérêt politique est bien là. Enfin, dernier point sur la crise démocratique, Pascal Perrineau57 à propos des jeunes exprime le fait qu’ils désertent les partis par refus de l’autorité verticale, ce pourquoi ils préfèrent des organisations moins hiérarchiques comme certaines ONG. En cela, les stratégies web des partis peuvent jouer un rôle déterminant, car le web a la possibilité de gommer les hiérarchies et de faciliter la parole. C’est l’expérience qui a été tentée avec la Coopol du Parti Socialiste58. Section 2 La crise démocratique, un atout dans le camp des partis anti-système Le web 2.0. Renouveau démocratique ? En ces temps de crise démocratique, beaucoup ont imaginé qu’internet émergerait comme un nouveau pouvoir, un pouvoir efficace qui permettrait aux citoyens de s’exprimer librement et de remettre en doute ce qui a été dit par les plus hautes instances. La fin de plusieurs générations de communication top down59, puisqu’avec le net 2.0, le citoyen peut enfin s’exprimer par un média. Cette façon de s’exprimer, la génération Y, à savoir les jeunes de 18 à 30 ans aujourd’hui, y est habituée, en maitrise les codes et n’envisage pas qu’il puisse en être autrement60. Internet apparait pour eux comme un contre-pouvoir, permettant de dénoncer et de contrôler ce qui se passe en démocratie. Sans aller jusqu’à parler de Wikileaks 55 Rosanvallon Pierre, La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Seuil, Paris 2006 IPSOS, 13-14 mars 2009 57 Perrineau Pascal, « La crise de la représentation politique», dans P. Perrineau et L. Rouban dir., La Politique en France et en Europe, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007, p27 58 Barbony Thierry et Treille Eric, « L’engagement 2.0 » Les nouveaux liens militants au sein de l’e-parti socialiste, Revue française de science politique, 2010 /6 Vol.60 59 La communication dite top down ne permet pas une interactivité directe, un émetteur envoie un message, reçu par les récepteurs. C’est le modèle des médias de masse. 60 Dagnaud Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2011 56 27 qui révéla au monde nombre de dossiers secrets américains, on peut penser aux journaux tels Rue 89 dont les commentaires sur les articles sont souvent aussi riches que les articles en termes de critique et d’apports. Or, ce rôle de contre-pouvoir dans le jeu politique actuel, ce sont les extrêmes qui se l’approprient, à l’extrême gauche comme à l’extrême droite, ils dénoncent la connivence des élites, et le FN en tant que troisième parti de France en a fait une thématique récurrente de son discours. Aussi, il n’est pas étonnant de voir que le FN tente de s’appuyer sur les réseaux du net dans son rôle de contre-pouvoir, car le web 2.0 est par essence un contre-pouvoir, un lieu où les opinions divergentes peuvent s’appuyer. Critique du rôle des médias par le FN Cette volonté de s’établir sur internet et sur les réseaux sociaux est en outre totalement en accord avec une stratégie de communication qui depuis de longues années invoque la « diabolisation » du FN par les grands médias61. En effet, régulièrement, les dirigeants du FN affirment qu’ils reçoivent une différence de traitement dans les médias traditionnels, soit télévision, journaux et radio. Ils n’hésitent pas à clamer la connivence entre les partis au pouvoir, « l’UMPS » comme ils les nomment, et les journalistes (donner exemple). C’est une sorte de martyrisation, qui incite les partisans à se renseigner de préférence sur les réseaux officiels du FN. En cela internet a changé la donne, car il devient beaucoup plus facile qu’auparavant de se renseigner sur le parti, ses buts et ses projets sans pour autant avoir à franchir le cap de se présenter physiquement au parti. En effet, Barboni et Treille62 ont constaté pour le Parti Socialiste que lorsque le parti avait lancé son adhésion à 20€ sur internet, il avait récolté de nombreux militants, cependant moins de la moitié d’entre eux se sont présentés au siège local pour valider l’inscription. Une preuve de la difficulté de passer le cap entre partisan et militant. « L’UMPS », creusement de la tendance « ni-niste » Les études sur la crise démocratique ont montré un désintéressement de la politique parmi toutes les générations, et principalement les plus jeunes, et une méfiance grandissante envers les partis au pouvoir. Le FN creuse cette tendance « ni-niste » en dénonçant haut et fort la connivence des partis majoritaires, à savoir l’UMP et le PS. C’est une partie majeure de leur discours, la dénonciation de ce qu’ils nomment « L’UMPS », deux partis qui appliquent 61 Dézé Alexandre, Le Front National à la conquête du pouvoir ?, Armand Colin « Elements de réponse », Paris, 2012 62 Barbony Thierry et Treille Eric, « L’engagement 2.0 » Les nouveaux liens militants au sein de l’e-parti socialiste, Revue française de science politique, 2010 /6 Vol.60 28 selon eux les mêmes politiques. Quand on sait que les jeunes sont sensibles à cette théorie, notamment parce qu’ils ont été nombreux à voter Bayrou (28% en 2007), ou parce qu’ils regardent d’un œil méfiant les élites au pouvoir, cette recette peut faire succès. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si de nombreuses photos estampillées « UMPS » proviennent de la page Facebook « Les jeunes avec Marine », ce que nous verrons plus précisément dans la deuxième partie. L’image est extraite du site web des Jeunes avec Marine. Absence de représentation, le signe d’une démocratie malade Un autre aspect synonyme pour le FN et pour de nombreux observateurs de la crise démocratique est la quasi non représentation de ce parti dans les instances de gouvernement, et plus précisément à l’assemblée. En effet, en 2002, alors que le parti arrive au second tour des élections présidentielles, il n’obtient aucun siège à l’assemblée. Pour de nombreux commentateurs, et pour le FN en tout premier lieu, c’est bien le signe que la démocratie est malade, que ses institutions sont dépassées et qu’il faudrait du changement pour qu’elles soient vraiment démocratiques. Aujourd’hui le FN dispose de deux députés, mais c’est peu par rapport à son score aux élections présidentielles. Ce dysfonctionnement des institutions va dans le sens du Front national, qui trouve une fois de plus un argument de martyrisation. Valorisation du militantisme Concernant cette crise démocratique toujours, on observe un effet inverse pour le Front National. Déjà, Magali Boumaza le mentionnait dans sa thèse sur les jeunes et le FN63, adhérer au parti est exclusif. Un témoignage d’un jeune homme ayant adhéré indique être rentré au FN et avoir trouvé comme une deuxième famille, alors que la sienne refusait de le voir. Si Birgita Orfali64 précise que la majorité du temps la famille approuve les idées du FN, elle soutient elle aussi que ce parti a une grande capacité intégratrice en son sein. Alors que le militantisme est en crise, l’extrême droite le valorise particulièrement, en permettant à ses militants de composer avec un monde où sa propre identité sociale est valorisée. « Etre membre du FN c’est pouvoir redessiner la cartographie politique, sociale et culturelle de la 63 64 Magali Boumaza, Le Front National et les jeunes de 1972 à nos jours, Thèse doctorat Strasbourg 3, 2002 Orfali Birgitta, L’Adhésion à l’extrême droite, L’Harmattan « Logiques Sociales », Paris, 2012, p106 29 France de façon à trouver un équilibre personnel et social. » Etre militant apporte donc une sécurité et une sensation de communauté qui rassure, redonne confiance, notamment du fait de l’exclusion sociale partielle de ceux qui assument être militants au FN. Ainsi, c’est l’un des rares partis où le militantisme est le plus valorisé. La séduction de jeunes travailleurs, une opération réussie Enfin, il faut préciser dans les chiffres que le Front National a déjà réussi à séduire les jeunes lors de l’élection de 2007, et plus particulièrement les jeunes travailleurs. En effet, ils ont été 22% des jeunes travailleurs à voter pour Jean-Marie Le Pen à cette élection, alors que le score total pour le candidat n’a été que de 10,44% pour l’ensemble des votes exprimés. Ils ont donc réussi à séduire une part non négligeable de cette population jeune, bien qu’ils ne séduisent pas les étudiants, qui ont été moins de 3% à voter pour lui. Aussi le FN avait tout intérêt à adopter une stratégie qui leur soit adaptée. 30 Partie 2 Analyse stratégique : La communication numérique, outil de transmission idéologique auprès des jeunes Le contexte actuel est donc, comme nous venons de le voir particulièrement favorable au Front National, et ses stratèges mettent en avant une idéologie qui peut séduire les jeunes générations. Aussi après avoir expliqué les raisons idéologiques et contextuelles qui pouvaient pousser les jeunes à se tourner vers le Front national, nous allons tenter de décrypter la mise en place concrète de la stratégie communication du parti envers cette génération, et plus particulièrement sa stratégie sur les réseaux sociaux, puisque nous souhaitons comprendre comment le FN a pu devenir le premier parti politique français sur Facebook. Nous verrons donc dans un premier temps le déploiement de la stratégie communication sur les réseaux sociaux, et dans la dernière partie nous nous interrogerons sur les facteurs externes qui peuvent expliquer cette place de numéro un, à savoir les nombreux groupes nationalistes et identitaires qui peuvent servir de soutien à la campagne, et aux idées du parti, à travers une analyse netnographique. Chapitre 1 Limites de la puissance du média internet Avant d’aller plus loin dans l’explication de la stratégie internet, et plus spécialement sur les réseaux sociaux, du FN, il est important de rappeler quelques chiffres qui remettent en perspective l’importance de ce média. En effet, en 2007, 83% des électeurs préfèrent s’informer par la télévision que par internet, ce premier étant le média principal en France. D’autre part, parmi ceux qui citent le net comme moyen d’information, 56% ont moins de 35ans65. Ces deux chiffres nous montrent bien à quel point la stratégie internet ne peut toucher qu’une petite partie de l’électorat, dont les jeunes sont la priorité. En outre, il faut rappeler que ce que Pascal Perrineau appelle « la démocratie électronique » ne doit pas être vue comme un substitut aux médias démocratiques traditionnels, mais plutôt comme un moyen de revitalisation de cette démocratie66. Nous ne 65 Enquête postélectorale, 2007, CEVIPOF-Ministère de l’Intérieur Perrineau Pascal, « La crise de la représentation politique», dans P. Perrineau et L. Rouban dir., La Politique en France et en Europe, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007, p33 66 31 parlons pas d’un moyen surpuissant qui viendrait se substituer aux institutions existantes et aux stratégies militantes, mais plutôt d’un moyen utilisé par les partis pour tenter de redynamiser leur système militant. L’enquête de Barboni et Treille 67 sur le e-Parti Socialiste le confirme d’ailleurs, bien que les stratégies menées sur internet ne soient pas un échec, elles ne bouleversent en rien la hiérarchie militante. La France est également un des pays les plus atypiques sur le plan de l’information en politique, qu’il convient de le rappeler. En effet, l’enquête menée par le CEVIPOF sur les médias en Europe68 fait clairement apparaitre un phénomène étonnant. Les français font parti des peuples les plus politisés en Europe, en revanche ils se classent parmi les derniers en matière de recherche d’informations politiques dans les médias, ils sont parmi ceux qui regardent le moins les émissions politiques à la télévision, à la radio ou dans les journaux. Un phénomène qui n’est pas sans rappeler les premières études sur les choix de l’électeur menées par Lazarsfeld69 en 1944, les médias ne permettent pas à l’électeur de changer d’avis dans la majeure partie des cas, car les choix politiques sont le plus fréquemment influencés par le milieu familial. Ainsi, la stratégie internet ne peut expliquer qu’une infime partie des résultats électoraux, mais c’est un passage obligé, que tous les partis mettent en place, et à laquelle ils ne peuvent échapper. Un moment du jeu électoral qu’il est intéressant d’analyser pour déterminer si un parti peut grâce à un nouveau média prendre de l’avance sur un autre. De plus, sur internet plus que sur tout autre média, la recherche d’information dépend de ce que la personne cherche, ce n’est pas un média de masse où le message sera diffusé de toute façon, sur internet le message ne sera diffusé qu’à la personne qui a voulu se renseigner sur ce message, c’est un média sélectif70. C’est en cela qu’il est un média d’activation71. Dans cette partie nous allons donc tenter de mettre en lumière la stratégie web 2.0 du FN. 67 Barbony Thierry et Treille Eric, « L’engagement 2.0 » Les nouveaux liens militants au sein de l’e-parti socialiste, Revue française de science politique, 2010 /6 Vol.60 68 Enquête ESS 2004 publiée dans Mercier Arnaud, « Médias et recherche d’information politique », dans P. Perrineau et L. Rouban dir., La Politique en France et en Europe, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007, p281 69 Lazarsfeld Paul, The people’s choice, 1944 70 Muxel Anne, Avoir 20ans en politique, Seuil, Paris, 2010, p85 71 Schier Steven E., “Aiming a riffle and missing millions: Campaign polling in contemporary politics” Communication présentée à la Conference on polling and campaigns, Hubert Humphrey Institute, University of Minnesota, 27 février 2007 32 Chapitre 2 La normalisation de l’image du FN : Génération Marine Le Pen S’il était l’image même du leader charismatique et la première raison pour les militants d’adhérer au Front72, Jean-Marie Le Pen n’était pas un personnage consensuel, et ses multiples dérapages négationnistes ou ouvertement racistes ne pouvaient pas faire de son parti un parti comme les autres. Même si en 2002 un important « relooking » avait eu lieu, le posant sur son affiche comme un homme calme, la vraie phase de « normalisation »73 du parti commence lorsque Marine Le Pen se fait de plus en plus présente sur les plateaux de télévision, de radio et dans la presse, à partir de 2002. Beaucoup disent qu’elle est son atout communication alors. Aujourd’hui c’est elle qui est à la tête du parti et la « normalisation » du FN est une composante non négligeable de ses stratégies de communication. Alexandre Dézé s’avance même à dire qu’ayant souffert de la « diabolisation » du parti dans sa jeunesse, elle a à cœur d’en faire un parti dans la normalité, qui ne soit plus stigmatisé74. Sa réussite est en cours, déjà 52% des personnes interrogées par Birgita Orfali dans le cadre de son enquête trouvent Marine Le Pen plus crédible que son père75. Ses clips de campagne sont un bel exemple de cette normalisation. En effet, alors que celui de Nicolas Sarkozy accuse directement l’immigration, celui de Marine Le Pen ne la mentionne même pas, il y a beaucoup de non-dits, ce qui permet d’avoir l’image d’un parti qui n’est pas radical. Or ces non-dits peuvent tromper une partie de la jeunesse, celle qui ne possède pas une culture politique approfondie, celle qui n’a pas connu les dérapages médiatiques de Jean-Marie Le Pen. Cette jeunesse là peut entendre un autre discours de la part du FN, celui qui insiste sur le côté social, la protection des français. En effet, le parcours de la jeune Vénussia Myrtil peut en être un exemple76. Ancienne militante au NPA, cette jeune fille de 21 ans, métisse, adhère au FN et se présente dans la circonscription des Yvelines pour les élections cantonales de 2011. Elle soutient ouvertement le droit à l’avortement, les droits gays et lesbiens, s’attire les foudres d’une partie du FN, et se fait même agresser physiquement par des militants d’extrême droite lors d’une manifestation. Elle affirme haut et fort ne pas comprendre ce qui 72 Jean-Marie Le Pen disposait de la « légitimité charismatique » (Weber) Mayer Nonna, Ces français qui votent Le Pen, Flammarion, Paris, 2002, p36 73 Dézé Alexandre, Le Front National à la conquête du pouvoir ?, Armand Colin « Elements de réponse », Paris, 2012, p133 74 idem 75 Orfali Birgitta, L’Adhésion à l’extrême droite, L’Harmattan « Logiques Sociales », Paris, 2012, p31 76 Fourest Caroline et Venner Fiammetta, Marine Le Pen, Grasset, Paris, 2011 33 fait l’originalité de sa situation77. Cet exemple, montre la réussite d’une politique de normalisation, mais aussi de la stratégie « gaucho-lepeniste »78 du FN, qui, elle, date de presque deux décennies. Car ce que Vénussia Myrtil a vu en premier à travers le FN, c’est son côté social, sa volonté d’instaurer un Etat fort, et bien sûr son patriotisme. D’autre part, un réel effort de « nettoyage » a été fait au sein du FN depuis l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti. Il faut que l’image du parti soit le plus irréprochable possible, ce qui a entrainé l’éviction de plusieurs candidats aux législatives, notamment Alexandre Gabriac (conseiller régional Rhônes Alpes et membre du bureau politique du FN), dont ont circulé des photos où ils faisaient des signes ouvertement nazis. Cela ne veut pas dire que les radicaux ne soient plus acceptés au FN, Steeve Briois79 en est un bon contre-exemple, mais leur image doit être intacte. La brochure officielle du parti, L’image du Front National du mois d’avril 2011 l’exprime clairement : à l’occasion du défilé du 1er mai, il faut « Refuser toute inscription de personnes habillées en tenues folkloriques (treillis-rangers ou autres skinheads) ». Ainsi les groupes à réputation violente ou sulfureuse sont exclus de la visibilité du parti. Il s’agit de gommer l’image violente du FN, en coupant les liens (visibles) avec les groupes d’extrême droite réputés violents, néo-nazis, skinheads etc. Le nouveau FN se veut donc un parti comme les autres, avec une réputation qui se veut irréprochable et qui coupe de façon visible les liens avec certaines factions d’extrême droite. Une stratégie d’image destinée à séduire le grand public. Chapitre 3 Un secrétariat à la communication numérique Avant d’évoquer la création du secrétariat à la communication numérique, rappelons que l’équipe communicante du FN est particulièrement jeune. En effet, tous font parti de la nouvelle équipe mise en place par Marine Le Pen. Une équipe jeune, avec à sa tête Florian Philippot, qui sait manier les nouvelles technologies et innovations de la communication. En vue des élections de 2012, a été créé un secrétariat à la communication numérique au sein du Front National. La création et l’existence même de ce secrétariat prouve à quel 77 Sophie de Ravinel et Pïerre Baudis « Vénussia Myrtil, Transfuge du NPA au FN », Le Figaro du 28 Février 2011 78 Nous employons ici le terme de « gaucho-lepenisme » (Perrineau) plutôt qu’« ouvriero-lepenisme » (Mayer) car il convient mieux à ce cas de figure. L’emphase est mise sur le côté social. 79 Steeve Briois est le secrétaire national du Front National 34 point le Front National s’intéresse aux nouveaux médias. C’est David Rachline, un des jeunes promus avec l’élection de Marine Le Pen à la tête du FN qui est en charge de ce secrétariat, avec Julien Sanchez. Agé de 25ans il est conseiller de la région PACA et un des tout premiers « Gars de la Marine », cette équipe de jeunes qui soutenaient Marine Le Pen pendant la campagne interne. Il a été également le président du Front National des Jeunes, et est connu pour avoir purgé les FNJ des éléments les plus perturbateurs, ses détracteurs vont jusqu’à parler de « purges rachliniennes »80. Autant dire qu’il joue un rôle important dans la normalisation du parti et les stratégies de communication. Le fait que ce soit l’ancien président des FNJ qui soit responsable de ce secrétariat, créé pour lui, nous permet de penser qu’il répond à un besoin ressenti en tant que président du FNJ, une analyse d’un manque dans les stratégies communication du FN. On peut considérer que le secrétariat à la communication numérique travaille en étroite relation avec le FNJ, maintenant sous la présidence de Julien Rochedy. Ce secrétariat voit le jour pour les élections de 2012, et c’est toute une stratégie sur le web qu’il faut mettre en place. En effet, en 2007, alors que le parti socialiste, le Modem, les Verts ou l’UMP avaient beaucoup investi dans ce domaine, de 6 à 9% de leur budget de campagne, le FN n’avait investi que 0,3% dans les stratégies web81. Tout était donc à faire pour les élections de 2012. Le FN a pris conscience qu’internet était devenu un média à ne pas négliger, surtout que dans un esprit de conquête, les jeunes générations, les plus utilisatrices de ce type de média, sont à séduire. Si les autres partis ne s’y sont pas trompés en 2007, il est évident que les relations entretenues entre les électeurs et les partis politiques sont en train de changer avec le web 2.0. L’enquête de Barboni et Treille sur le « e-parti socialiste »82 nous montre que nous sommes en plein changement de paradigme. En effet, alors qu’autrefois, et cela reste vrai pour le moment, le parti était composé d’adhérent-militants, on évolue aujourd’hui vers le concept d’adhérent-électeur. Le plus bel exemple est les primaires citoyennes organisées par le parti socialiste en septembre 2011 pour élire le candidat à la présidentielle. Tous les sympathisants du Parti Socialiste étaient appelés à venir voter, et non plus, les seuls militants comme auparavant. Nous assistons à une relative ouverture des partis, qui tentent, notamment à 80 Fourest Caroline et Venner Fiammetta, Marine Le Pen, Grasset, Paris, 2011 Comptes de campagne des candidats remis au conseil constitutionnel 82 Barbony Thierry et Treille Eric, « L’engagement 2.0 » Les nouveaux liens militants au sein de l’e-parti socialiste, Revue française de science politique, 2010 /6 Vol.60 81 35 travers internet et la révolution du web 2.0 (qui amène l’interactivité), de fédérer au delà des milieux militants. Et c’est justement ce que le FN parvient à faire sur les réseaux sociaux, notamment grâce à la dimension identitaire fondamentale qui constitue une partie de l’image du FN, comme nous le verrons plus tard. Cependant, même si le FN, tout comme le parti socialiste essaie de fédérer au-delà de sa base militante, il faut relativiser son ouverture en comparaison de celle du Parti Socialiste. En effet, au FN, aucun effort n’a été fait pour ouvrir le parti aux internautes, notamment via des forums, des communautés, ou encore une adhésion à tarif réduit comme cela a été fait pour le Parti Socialiste. C’est donc une ouverture de façade, qui permet simplement aux sympathisants de clamer leur appartenance identitaire. La question est aussi de savoir si les autres partis se évoluent mieux dans cet univers interactif qu’est le web 2.0. Etrangement, la majorité des études concernant ce domaine sont relatives au parti socialiste, d’où deux hypothèses, soit le parti socialiste est le parti le plus intéressant en la matière, soit il est le plus accessible. Il est très probable que le Parti Socialiste soit bien plus ouvert à ce niveau là que par exemple l’UMP sous Nicolas Sarkozy. Cependant il semble étrange qu’aucune étude n’ait été menée sur celui qui a investi 7% de son budget en stratégies web en 2007 et qui a su convaincre 28% des jeunes : François Bayrou (MoDem). Ces derniers chiffres semblent indiquer la réussite de son entreprise, cependant il serait hasardeux de dire qu’en investissant massivement dans les technologies web, il a gagné le cœur de l’électorat jeune. Ainsi, pour en revenir à l’analyse, le parti socialiste semble le parti le plus avancé en ce qui concerne le parti web 2.0. Déjà avec la Segosphère en 2007, il avait devancé ses concurrents sur le plan de l’innovation en créant une plateforme reliant à des blogs de partisans ou à des forums où les sympathisants pouvaient s’exprimer. Il a continué fort en créant la Coopol, un forum social, bâti sur le même modèle que Facebook, permettant de débattre et de communiquer pour ceux qui souhaitaient s’y inscrire. Le PS est donc l’élément de référence en matière de web 2.0, cependant il dispose de beaucoup plus de moyens en termes de ressources humaines et de budget que le Front National. Pour comparer avec l’autre grand parti contestataire face au FN, le Front de Gauche, ce dernier est loin derrière en ce qui concerne toutes les technologies interactives : peu de contenus téléchargeables, une page Facebook avec huit fois moins de fans que le FN, et aucun forum de discussion. Un adversaire qui n’a pas accordé sa priorité à ce medium. 36 Chapitre 4 La mise en place sur le terrain numérique Il semble logique, avant d’en venir aux applications concrètes de la politique de communication 2.0 du FN d’énoncer clairement ce qui caractérise une politique 2.0. Cet effort de méthodisation a été fait par Maria Mercanti-Guérin dans son article Facebook, un nouvel outil de campagne : analyse des réseaux sociaux et marketing politique, paru dans la revue des sciences de gestion, direction et gestion83. La politique 2.0 se caractérise par : - Une présentation du candidat plus authentique et plus accessible - Une plate-forme d’idées, de réactions, un observatoire de l’opinion - Un catalyseur de l’engouement pour le candidat - Une remise en cause des structures d’autorité et de hiérarchie (groupes spontanés, décentralisation, auto-organisation) - Une réintégration de certaines couches sociales (jeunes) dans le débat démocratique - Un nouvel outil de marketing relationnel et de récolte de fonds - Un palliatif au déclin des structures associatives, traditionnel relais local des politiques - Un support pour les actions locales et l’évènementiel Nous allons donc nous servir de cette grille d’évaluation tout au cours de notre analyse pour déterminer l’avancée du FN en matière de politique 2.0. Tout d’abord, en ce qui concerne la mise en place des politiques de communication web des partis, Thierry Vedel et Yves-Marie Cann84 remarquent que toutes les communications numériques sont bâties sur un même modèle : le modèle de l’occupation du territoire numérique. Selon eux cette occupation du territoire numérique s’est fait selon peu ou prou le même schéma pour tous les partis (même si les petits partis disposaient de moins d’infrastructures et donc d’un territoire couvert moins grand). Ce schéma se composait tout d’abord d’un site « amiral », le site du parti, ou alors un site dédié à la campagne en ellemême, et ce site est entouré d’une « galaxie de sites » parmi lesquels on peut retrouver plusieurs catégories : les sites annexes à vocation thématique, officiels, pour les électeurs désirant soutenir le candidat (les supporters de Nicolas Sarkozy, la Ségosphère pour Ségolène 83 Mercanti-Guérin Maria, « Facebook, un nouvel outil de campagne : Analyse des réseaux sociaux et marketing politique », La revue des sciences de gestion, Direction et Gestion, n°242, Mars-Avril 2010, p 20 84 Vedel Thierry et Cann Yves-Marie, « Internet, une communication électorale de rupture ? » dans P. Perrineau dir., Le vote de rupture, Les Presses de Sciences Po, Paris, 2008, p56 37 Royal etc.) ; les sites ou blogs de soutien, des comités locaux ; les sites ou blogs indépendants produits par des particuliers mais soutenant un candidat. On retrouve cette structure en 2012 pour le FN. En voici quelques exemples. Site Amiral www.marineLe Pen2012.fr Sites annexes thématiques http://jeunesavecmarine.fr/ http://toilebleumarine.fr/ www.ruralite2012.fr http://www.projetmarine2012.fr/ Sites de soutiens locaux http://www.fn78-1.fr/ http://www.fnj-midi-pyrenees.fr etc. Sites ou blogs d’indépendants http://www.partisansmarine.com http://programmefront-national.overblog.com/ http://frontdespatriotes.blogspot.fr etc. Cependant, la particularité du FN réside dans sa grande implication sur les réseaux sociaux. En effet, que ce soit sur le site amiral ou sur le site du parti, la physionomie du site est faite de telle sorte que les réseaux sociaux soient mis en avant. Sur le site du FN, une colonne est même tout spécialement dédiée aux réseaux sociaux. Plus que cela, dans le listing des personnes clés du parti, à côté de chaque nom se trouve une petite icone qui permet de se connecter directement au réseau social de la personne concernée. Cette facilité d’accès a été pensée pour pouvoir relier le plus grand nombre aux réseaux sociaux de la candidate ou de ses vassaux. Si l’on compare avec les sites des autres partis, du point de vie de l’accessibilité, c’est celui par lequel on arrive les plus facilement sur les réseaux sociaux. 38 Ici sur la page d’accueil du site de campagne pour 2012 : Ici sur le site du FN : On remarque clairement dans cette deuxième capture d’écran à quel point les réseaux sociaux sont présents sur le site : tout d’abord en permanence à côté du logo du parti sur la partie supérieure droite de la fenêtre, mais aussi en bas, avec un feed85 en direct, notamment de Twitter, permettant de voir les dernières actualités sur les réseaux sociaux des membres du parti en temps réel. Au centre de la fenêtre, les différentes entités et personnages du parti avec 85 Un feed est l’alimentation d’un site par des sources provenant d’autres sites. Ici ce sont les publications des comptes twitters qui viennent nourrir la page d’accueil du site du Front National de façon automatique. Cette technique permet une grande fraicheur des informations publiées, et donne l’impression au visiteur que la page est régulièrement actualisée. 39 leur présence sur les réseaux sociaux. Ici par exemple on voit que « Les Jeunes avec Marine » sont présents sur Twitter et Facebook, Marine Le Pen sur Twitter, Facebook, Youtube et Flickr et Jean-Marie Le Pen seulement sur Facebook. Il suffit ensuite simplement de cliquer pour se retrouver sur le Facebook ou la chaine Youtube de Marine Le Pen ou de Steeve Briois par exemple. Il est également intéressant de se pencher sur les supports et l’utilisation qui en est faite : - Facebook et Google+ principalement utilisés pour les réseaux sociaux interpersonnels et les pages fan. - Youtube et Dailymotion qui permettent au FN de contrôler les vidéos qu’ils font circuler, en les mettant directement en ligne, et pouvant aussi effectuer un « trackage »86 de ces vidéos : par combien de personnes sont-elles regardées, où sontelles publiées, il s’agit d’une analyse de la viralité de ces vidéos. De plus elles fournissent ainsi un contenu officiel, la parole du parti, qui sécurise les militants. Ces deux chaines représentent sans doute une des grandes puissances du FN, en raison de l’utilisation qui en est faite. En effet, partout sur ses sites, le Front national poste des vidéos, chargées sur l’une des deux plateformes, les sites en sont envahis ce qui facilite deux choses, tout d’abord la viralité mais aussi la lisibilité. En tout premier lieu donc la viralité : une vidéo de moins de 3 minutes se partage bien plus facilement qu’un article ou un argumentaire. Aussi toutes ces vidéos peuvent être transmises sur les autres réseaux sociaux, à savoir Twitter, Facebook ou Google +. Cette façon de communiquer est particulièrement bien adaptée aux jeunes, dont 28% regardent des contenus politiques sur vidéo, contre 19% de l’ensemble des usagers87. De plus les vidéos reprennent un schéma classique, celui de la télévision, qui est le média le plus utilisé pour se renseigner lors des élections, il reprend beaucoup de codes similaires, à commencer par l’image et le discours. C’est donc un outil adapté, d’autant plus dans le cas du FN dont l’électorat repose en partie sur des personnes non diplômées, plus réticentes à l’utilisation du support écrit. 86 Le « trackage » permet d’obtenir des statistiques sur la propagation d’un contenu : combien de personnes l’ont visionné / partagé, quelle est la répartition géographique etc. 87 Vedel Thierry et Cann Yves-Marie, « Internet, une communication électorale de rupture ? » dans P. Perrineau dir., Le vote de rupture, Les Presses de Sciences Po, Paris, 2008 40 - Twitter, qui permet une relation permanente avec l’électeur, en quelque sorte d’occuper le terrain médiatique et de lui faire connaitre chiffres clés et dernières nouvelles préoccupantes pour le FN88. Julien Longhi89, linguiste à l’université de Cergy Pontoise, s’est penché sur la virtuosité du FN sur Twitter. Son analyse est sans équivoque : si Marine Le Pen réussit mieux que les autres sur ce média, c’est qu’elle n’envoie pas un message sur Twitter, elle parle le langage Twitter, avec une parfaite maitrise des hashtags (#). Plus que jamais à l’heure du numérique « le message c’est le médium »90 et Marine Le Pen sait maitriser le langage Twitter91. - Flicker, un outil pour le partage des photos, le plus souvent des photos de meetings, destinés d’une part à montrer la grandeur du parti, mais aussi à fédérer une communauté. On retrouve par exemple la sortie en canoë effectuée par un groupe FNJ ou les photos du réveillon de Noël au parti. Le compte Flicker est lui donc plutôt destiné à ceux directement impliqués dans la vie du parti, cependant il offre une illusion de proximité pour les sympathisants qui s’y rendraient. - Une application pour smartphones a aussi été créée pour la campagne, ce qui est une preuve de l’implication technologique de l’équipe communicante du FN. D’autant plus qu’hormis le parti socialiste, aucun autre parti n’a créé d’application permettant d’avoir du feed permanent que ce soit à travers des vidéos, des argumentaires, ou alors la retransmission de tweets majeurs. Enfin, pour en revenir aux stratégies de la politique 2.0, une grande importance est donnée à la participation des militants, et des sympathisants, (grâce à la nouvelle porosité des frontières partisanes permise par le Web 2.0) sur les réseaux sociaux. En témoigne cette invitation à occuper l’espace sur internet, envoyé à tous les fans de la page officielle du Front National au mois de juillet 2011 : 88 Nous ne nous pencherons pas ici sur cet aspect, mais les comptes Twitter des cadres du partis ont tendance à annoncer ou retwitter de nombreux faits-divers mettant l’accent sur l’insécurité, ou ayant pour thème l’islam et les problèmes qu’il peut causer. 89 Longhi Julien, « Twitter, l'océan virtuel du mouvement bleu Marine pour clôturer et totaliser le web », Le Huffington Post, 14 Aout 2012 90 Mac Luhan Marshall, Pour comprendre les médias, 1964 91 Il est intéressant de noter que cet article a été retweeté par David Rachline, le secrétaire à la communication numérique. 41 Cette missive, envoyée par le tout jeune secrétariat à la communication numérique montre à quel point le FN accorde une importance toute neuve à la communication sur le net, et qu’il compte bien avoir recours aux masses sympathisantes pour faire valoir son image de marque. En cela 2012 est vraiment une campagne sur le net 2.0., elle fait appel à de potentiels électeurs qui ne sont pas militants au parti, elle rapproche ainsi les deux univers. De plus, c’est vraiment une stratégie d’occupation des médias numériques qui est exprimée ici, puisqu’il s’agit d’aller contrer les détracteurs sur des médias en ligne comme Agora vox ou LePost, cités ici. Pour le FN, il était bien clair qu’une partie de la campagne se jouerait sur les réseaux sociaux. Chapitre 5 Diabolisation des médias et son contraire Nous l’avons vu, le Front National a mis l’accent sur les réseaux sociaux, pour séduire les jeunes d’une part, mais aussi parce qu’internet et ses fonctionnalités correspondent bien à une partie importante de leur discours : la méfiance envers les médias traditionnels. En effet, les références y sont nombreuses. Dans les discours de Marine Le Pen, le parti subirait une « diabolisation » dans les médias traditionnels : différence de traitement, refus de certaines 42 émissions de les recevoir, coalition entre journalistes et élites dirigeantes (le fameux UMPS), tout serait fait pour empêcher le FN de s’exprimer. Nous ne nous pencherons pas sur la question de savoir la part du vrai et du faux dans ce discours, ce qui nous intéresse c’est la présence en elle-même du discours. Le FN enjoint ses sympathisants à ne pas croire ce qui se dit dans les médias, que ce soit par rapport au parti lui-même, ou par rapport aux actualités. Aussi, les réseaux sociaux deviennent un excellent moyen de communiquer sans avoir recours à « ces médias qui mentent », puisque les vidéos sont diffusées par le parti, ce qui apporte une authenticité et un présupposé de vérité pour les sympathisants. Internet devient le média le plus accessible pour le FN, celui sur lequel il a le plus de possibilités de s’exprimer, sans entrave de journalistes politiques ou de difficulté de diffusion. Cependant il faut noter que cette rhétorique a ses limites. Si le FN accuse les médias traditionnels de mentir (radio, télévision, presse), la grande majorité du contenu qui est diffusé par les canaux officiels du parti (via le site, les comptes Facebook ou les comptes Twitter) proviennent de ces même médias traditionnels ! Il s’agit le plus souvent d’interviews des cadres dirigeants du parti, de leur passage à telle ou telle émission de télévision ou de radio. Là réside toute l’ambiguïté de ce discours. Le web se nourrit encore beaucoup des médias traditionnels, il n’en est pas encore émancipé. Cela peut être analysé comme étant, malgré leurs discours, un gage de fiabilité, de vitalité du parti, une façon de montrer que le parti reste très présent dans la vie politique française, à travers les médias, qui sont pourtant décriés. Chapitre 6 La viralité, un but communicationnel Aujourd’hui, le marketing viral est omniprésent dans nos vies. Les grandes marques ont toutes tentées de faire le buzz92 avec une courte vidéo qui pourrait faire le tour du net et permettrait à cette marque de gagner des points de sympathie auprès du public. Le marketing politique s’est inspiré des théories commerciales, et la viralité est également devenu un but pour les partis. Un parti pris qui peut s’avérer risqué, car le buzz est toujours à double tranchant, mais qui en politique, justement par peur du côté négatif de la viralité est souvent 92 Le buzz consiste à créer un engouement pour un contenu sur le net, le contenu se partageant entre internautes, sans l’intervention du créateur, de manière exponentielle. Il est la réussite d’une campagne de bouche à oreille sur internet. 43 effectué timidement. On se souvient de l’avalanche de critiques à la parution du lip dub de l’UMP, l’image même d’une tentative de marketing viral qui a marché à son détriment93. Le marketing viral peut se définir comme le lancement d’une campagne à travers un support (vidéo, jeu concours, badge à afficher…) qui vise à se répandre de personne à personne avec un but exponentiel. Le plus souvent ces campagnes sont des clips vidéo humoristiques, car l’une des caractéristiques du net et des réseaux sociaux est la large diffusion de tout ce qui a trait à l’humour94. Ainsi, le FN a particulièrement mis l’emphase sur cet aspect de la communication, comme nous l’avons vu un peu plus haut, en proposant beaucoup de contenu téléchargeable, préparé pour la rediffusion sur son site, principalement des vidéos. La page d’accueil propose d’ailleurs sur une large partie de l’écran toutes les nouvelles vidéos sur le site du Front National. Mais la préparation pour la viralité ne s’arrête pas là, que ce soit sur le site du FN ou sur celui des Jeunes avec Marine, se trouve une rubrique dédiée proposant de télécharger des images, des tracts, des affiches, des argumentaires, des pétitions : tout pour que le sympathisants puissent se servir de ces images. D’ailleurs, concernant les Jeunes avec Marine, le concept de la viralité humoristique est très bien compris : ce qui fait rire se partage mieux, aussi ils n’hésitent pas à créer des affiches qui se diffuseront facilement sur le net du fait de leur coefficient humoristique. En voici un exemple : Une image parodiant François Bayrou, publiée sur la page Facebook des Jeunes avec Marine. 93 En décembre 2009, les Jeunes Pop ont diffusé une vidéo musicale sur laquelle apparaissent de nombreuses personnalités de l’UMP. En quelques jours elle avait été largement diffusée et détournée. Les médias ont contribué largement à la critique. Dorian Chotard, « Lip dub de l’UMP, beaucoup de bruit pour rien ? », Le Monde du 11 décembre 2009 94 Dagnaud Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2011, p80 44 La campagne du « Carton rouge à Sarkozy » Cette image est une capture d’écran du site du Front National. Au début de l’année 2012, le FN a lancé un vaste plan de marketing viral en vue des élections du mois d’Avril. Ce plan appelé « Opération carton rouge à Sarkozy » visait à passer par les réseaux sociaux pour montrer la force du FN. En terme concrets, le FN demandait à ses sympathisants de participer à l’opération de plusieurs manières pour montrer leur affiliation au parti. Il s’agissait sur Twitter de répertorier toutes les manœuvres jugées mauvaises de la politique de Nicolas Sarkozy au cours de son mandat et d’y apposer le hashtag #sarkozycartonrouge. Cette méthode permettait d’une part aux sympathisants de se reconnaitre entre eux, mais surtout de lister un grand nombre de personnes mécontentes de la politique de Nicolas Sarkozy (et qui soutiennent le FN), en un mot de faire preuve de sa force. Sur Facebook l’opération consistait à réunir un grand nombre de personnes qui changeraient pour un temps leur photo de profil pour y mettre la photo « carton rouge à Sarkozy » représentant une main mettant un carton rouge dans une urne. C’est là aussi une démonstration de puissance qu’a tenté de mettre en place le FN. Et c’est une expérience qui a eu un certain succès, d’autant plus que cette campagne a été lancée à l’occasion de la déclaration de candidature à la présidentielle de Nicolas Sarkozy. Un moyen de faire voir son opération puisque les recherches concernant Nicolas Sarkozy ont sans doute été nombreuses sur Google ce jour là. 45 Un gage de son succès est le fait que pour l’essentiel des pages officielles du parti sur la plateforme Facebook, la semaine avec la plus grande fréquentation a été justement la semaine du 12 février, semaine de lancement de la campagne95. Chapitre 7 Est-ce une réussite ? Les chiffres Nous avons voulu vérifier empiriquement la puissance du FN sur les deux premiers réseaux sociaux. Voici une comparaison au 16 Août 2012. Nombre de followers Page FN PS UMP FG** MoDem Page Facebook officielle 89 514 57 258 47 627 14 926 5 205 Page Facebook du Président 103 756 327 624 773 805* 135 286 31 603 Page Facebook des jeunes du parti 18 478 11 814 11 717 1949 _ Compte Twitter du parti 11 552 41 581 41 129 10 614 8 271 Compte Twitter du président 92 155 439 498 287 223* 87 961 120 815 Compte Twitter des jeunes du parti 885 _ 12 131 _ _ * Nous avons choisi de parler de Nicolas Sarkozy ** Les résultats sont faussés car le Front de Gauche est composé du Parti Communiste Français et du Parti de Gauche, qui recueillent aussi des followers et divisent les chiffres. Les résultats ne sont pas évidents, s’il est vrai que le FN est de loin le premier parti sur Facebook, ainsi que le premier parti pour les jeunes du parti, l’UMP et le PS sont très bien placés sur Twitter, et surtout la page fan de leur président (ou candidat pour l’UMP) est bien plus importante que celle du FN. Néanmoins il faut noter que les chiffres de Twitter et les chiffres de Facebook n’ont pas la même valeur. En effet, sur Facebook on est «fan», on déclare « aimer » la personne qu’on suit, alors que sur Twitter on ne suit pas seulement les personnes qu’on aime, on suit ce qui nous intéresse. Ainsi les deux résultats montrant le FN arriver en premier sont très positifs pour le parti. Néanmoins, à travers ces chiffres on remarque que les français ont pris le pli de la personnalisation du jeu politique : les personnages politiques sont bien plus suivis que leurs partis. Aussi c’est ce chiffre qui nous apparait le plus important, et dans cette catégorie là, Marine Le Pen est loin derrière Nicolas 95 Cette information est visible en cliquant sur le nombre de fans d’une page. On accède alors à certaines statistiques de la page. 46 Sarkozy ou François Hollande, même s’il faut nuancer car elle n’est présidente de son parti que depuis un an et demi. Twittoscope Plus d’un an avant, et pendant tout le temps de la campagne la TNS-Sofres96 a mis en place un « Twittoscope », un observatoire de l’activité relative aux élections sur Twitter. Son but était de faire le bilan mois par mois de la popularité des personnages politiques, en mesurant le nombre de tweets parlant d’eux et les catégorisant entre « tweets de rejet» , « tweets de critiques », « tweets d’information » et « tweets positifs ». Voici les résultats de la dernière vague, au 16 avril 2012, assortis d’un récapitulatif de la popularité de Marine Le Pen. On remarque en regardant l’évolution de Marine Le Pen qu’au tout début de l’étude, elle se situe au deuxième rang des personnalités les plus tweettées, sans doute du fait de son élection à la tête du parti, avant de rétrograder, puis de revenir souvent dans le top 5 à mesure que l’élection approche. Mais plus qu’une question de volume, il est intéressant de regarder de quoi parlent les tweets. 96 Institut de sondage 47 Pour cette dernière vague, on remarque que la valence (les tweets hostiles) de Marine Le Pen est assez élevée, elle est celle dans ce top 10 qui recueille le plus de tweets de rejets, toutefois les tweets de critique sont moins nombreux que ceux destinés à Nadine Morano, Nicolas Sarkozy ou Dominique Strauss Kahn. Côté tweets positifs, elle en enregistre plus que Nicolas Sarkozy, et François Hollande, mais moins que d’autres candidats situés derrière elle en présence sur la plateforme de micro-blogging comme Bayrou ou Eva Joly. Au final, Marine Le Pen recueille plus de tweets négatifs que positifs. Seulement il faut rappeler devant ces résultats, un facteur essentiel sur internet. En effet, bien plus qu’avec tous les autres médias, qui sont pourtant sélectifs, les internautes vont chercher sur le web des informations qui les intéressent97. Ce qui veut dire que le FN ne peut pas toucher des jeunes qui se désintéressent de la politique ou de leur cause. A l’inverse des médias de masse, internet est un média sélectif qui ne peut qu’activer un plus grand sentiment d’appartenance chez le citoyen qui se renseigne, il ne peut forcer le citoyen à se renseigner, c’est un média d’activation. 97 Muxel Anne, Avoir 20ans en politique, Seuil, Paris, 2010, p85 48 Partie 3 Analyse netnographique : Le Front National sur Facebook, noyau officiel, rayonnement officieux Ce chapitre va nous permettre de rentrer plus en profondeur dans l’analyse de la stratégie du FN sur les médias numériques en réduisant notre champ d’analyse à la seule plateforme Facebook. Dans un premier temps nous étudierons ce qu’il se dit sur les pages officielles du parti, la façon de communiquer qui est utilisée, alors que dans un deuxième temps, nous passerons réellement à l’étape de recherche en réalisant une étude netnographique des pages non-officielles soutenant le FN afin de déterminer l’importance qu’elles ont dans la réussite du parti sur le réseau social créé par Marc Zuckerberg. Chapitre 1 Le réseau officiel : Canal de diffusion top down, interactivité limitée mais présente Nous avons étudié le contenu des pages officielles du Front National pour en faire ressortir les grandes lignes. Mêmes si elles n’ont pas toutes exactement le même contenu, elles se ressemblent grandement dans leur construction. Devant le grand nombre de pages officielles, FN locaux, FNJ locaux et hommes politiques locaux ou nationaux, nous avons choisi de faire une sélection qui soit représentative. Aussi, les constatations que nous avons faites sont nées de l’étude des pages officielles suivantes : le Front National, Marine Le Pen, Les Jeunes avec Marine, Le FNJ du Midi-Pyrénées, David Rachline et Steeve Briois. Section 1 Contenu et interactivité des pages officielles La première étape consiste à se demander ce qui est dit sur la page Facebook, quelle est la nature du contenu ? Comment la page est-elle articulée ? Y a-t-il un contrôle des publications ? Y a-t-il interactivité ? Il faut noter en tout premier lieu que le groupe Facebook du FN, loin d’exploiter toutes les ressources de la démocratie numérique, se contente d’une utilisation basique, suivant le 49 modèle de la télévision en diffusant une information selon le modèle top down. En effet, sur la page, le community manager98 publie les sujets afin de transmettre une information à l’ensemble des fans de la page. Une fois le sujet publié ceux-ci commentent entre eux, mais le community manager n’intervient à aucun moment : pas de réponse aux questions, pas d’informations supplémentaires, il n’y a pas d’interactivité entre la source officielle et les commentateurs. S’ils ont été supprimés, sur les pages du parti, avec la nouvelle maquette Timeline99 de Facebook, il y a pourtant eu des forums qui auraient pu permettre l’interactivité entre le parti et les sympathisants (ou détracteurs d’ailleurs), mais même à l’époque, ces débats se faisaient entre utilisateurs de la page, sans intervention officielle. Aussi les pages sont avant tout à but informationnel, sans nouveau contenu, elles renvoient vers des contenus existants, et dans la majeure partie des cas elles renvoient au site du FN, au blog d’un élu lorsqu’il s’agit de sa page. Cette simple retransmission d’information est un grand classique de la communication politique sur le net, qui n’apprivoise pas encore toute l’étendue des possibilités qui s’offrent sur ce média, comme le pointent Thierry Vedel et Yves-Marie Cann100. Le fait que les renvois soient systématiquement vers le site du FN participe d’une double volonté. Volonté de contrôle tout d’abord, puisque même lorsqu’il s’agit de parler d’un fait divers ou d’un article paru sur le FN, le lien direct vers l’article de presse n’est que rarement donné, il faut passer par le site du FN, qui, lui, donne une vision et explication du fait divers ou de l’article, sans non plus effectuer de renvoi vers les sources afin que l’internaute puisse éventuellement se renseigner par lui-même. C’est donc un cercle très fermé qu’on observe puisqu’en cliquant sur un lien, l’internaute ne pourra que trouver les argumentaires du parti. Mais cette façon de fonctionner, en renvoyant toujours au site, permet également à l’internaute, selon un schéma marketing classique, de se retrouver facilement sur le site du parti et ainsi d’en découvrir le contenu par effet de curiosité. Il permet de le faire vivre, d’autant plus que le site dispose de davantage de contenu et de fonctionnalités que la page Facebook. Ainsi, si l’on peut déplorer le manque d’interactivité, il faut toutefois préciser 98 Le community manager est la personne qui gère la communication sur les réseaux sociaux. La maquette Timeline de Facebook est la nouvelle organisation de la plateforme, mise en place depuis fin 2011 et en cours de généralisation. Il devient plus facile de remonter dans le temps grâce à un petit calendrier qui permet de retrouver les publications d’une date précise. Concernant les pages fan, les publications des utilisateurs sont relayées dans un cadre sur le côté droit de l’écran. Elles sont donc moins visibles que le contenu publié par le community manager de la page. 100 Vedel Thierry et Cann Yves-Marie, « Internet, une communication électorale de rupture ? » dans P. Perrineau dir., Le vote de rupture, Les Presses de Sciences Po, Paris, 2008, p60 99 50 que selon les conclusions de l’étude menée par Maria Mercanti-Guérin101, une page ne peut pas être bien positionnée à la fois sur le côté informationnel et sur le côté interactif. Non que ce soit impossible dans la pratique, mais les statistiques montrent clairement que les pages ne sont jamais bien positionnées sur les deux critères. Ici elles sont bien positionnées sur le rôle informatif. Toutefois, il faut concéder que si le parti ne diffuse qu’une information top down, il n’y a pas de sélection dans les commentaires. Commentaires négatifs et positifs s’expriment, souvent nombreux, sans « nettoyage » de la part du community manager. C’est un signe que le FN malgré la volonté de contrôle dévoilée au paragraphe dernier, a compris le fonctionnement du web 2.0. : il ne sert à rien d’essayer de faire taire les critiques, cela a un effet contre-productif, et c’est contre la culture du net. C’est à travers ces commentaires que l’on assiste au débat, et c’est là que réside l’intérêt de la page, il permet un débat entre les partisans sur un sujet choisi par le FN, mais aussi un débat avec les détracteurs qui sont très présents, et particulièrement sur la page du parti et celle de Marine Le Pen. Sur l’image, on peut voir, que certains articles ont suscité plus de mille commentaires. Et s’il y a autant de commentaires, c’est sans doute dû au fait qu’il y ait de nombreux détracteurs du FN sur les pages officielles. Ces détracteurs participent grandement au débat puisqu’ils critiquent soit la politique globale du FN, soit l’article qui est publié, cela entraîne des réactions de la part des sympathisants auxquels répondent les détracteurs. Cependant plus qu’un vrai débat, on assiste souvent à ce que Dumoulin appelle « des monologues interactifs »102, chacun restant campé sur ses positions, sans réelle avancée ou échange. Nous avons recensé sur un mois tous les sujets postés sur la page officielle du Front National, pour savoir quels sont les grands thèmes majeurs, ce qui se dégage de la page. L’analyse porte du 15 juillet au 15 août 2012, et recense 65 publications. 101 Mercanti-Guérin Maria, « Facebook, un nouvel outil de campagne : Analyse des réseaux sociaux et marketing politique », La revue des sciences de gestion, Direction et Gestion, n°242, Mars-Avril 2010, p26 102 Dumoulin M., Les forums électroniques : délibératifs et démocratiques?, Québec, Monnière et Wollank éditeurs, 2002, p141-157 51 Thèmes abordés Nombres d’éléments Pourcentage publiés Critique des autres partis ou du gouvernement 22 34% Intervention des députés ou interviews de 14 21% responsables du parti Immigration 8 12% Soutien aux employés et artisans 4 6% Dysfonctionnements de l’Union Européenne 4 6% Etat / Institutions 3 5% Politique étrangère 3 5% Islam 2 3% Liens vers d’autres pages officielles 2 3% Autres (radars, pouvoir d’achat…) 3 5% Ce qui ressort de cette analyse c’est bien évidemment la fonction fondamentale du FN, son rôle en tant que parti politique et en tant que contre pouvoir. En effet la grande majorité des publications font référence à une critique des autres partis et du gouvernement, avec 34% des publications, son rôle premier est donc de critiquer les actions du gouvernement (et des autres forces politiques) afin d’affirmer son point de vue, et d’avancer des arguments contraires à ceux qui ont été avancés, mettant en avant la décadence de la France causée par les autres hommes politiques. Avec 21% de retransmission de l’activité parlementaire des députés ou d’intervention des hommes politiques dans les médias, et 34% de critique des autres partis, l’activité principale de la page Facebook du Front National consiste principalement à retransmettre les actions politiques du parti. Le reste des publications est consacré à ses thèmes forts : critique de l’immigration, de l’Union Européenne, mais aussi soutien aux employés et artisans victimes de la mondialisation économique. Il est intéressant de noter que plus que ses thèmes de prédilections, la page du FN parle de l’activité en elle-même du FN, une façon de montrer qu’il est actif. Enfin, toujours sur la question du contenu, on remarque toutefois quelques différences sur le contenu selon les profils. Si les profils de Marine Le Pen et du FN se ressemblent beaucoup, ceux de Steeve Briois et David Rachline sont plus personnels, parce qu’ils ont certes un écho moins grand (moins de 2000 fans), mais les articles sont accompagnés d’un 52 titre et on peut penser qu’ils s’occupent eux-mêmes de leur page fan. Cependant ils appliquent toujours la même technique de renvoi systématique à la page du FN ou à leur blog d’élu local. La page des Jeunes avec Marine est elle aussi plus personnalisée, avec des titres, plus de photos et un élément viral de toute importance, comme nous l’avions noté dans le premier chapitre, l’emploi d’images ou de vidéos satiriques avec un fort potentiel de viralité. Section 2 Les acteurs de la page Facebook En tout premier lieu on peut noter le fait que le nombre de fans qui commentent est très faible comparé au nombre de fans global. Ce sont en fait toujours les mêmes personnes qui commentent les articles, que ce soit sympathisants ou détracteurs. Souvent une personne de ce cercle restreint est épaulée par des personnes qui vont ajouter un commentaire occasionnellement, mais on assiste bien à la création d’une communauté, qui connait les arguments des autres, leurs positions, car ce sont les mêmes qui participent au débat sur les publications. Cependant, si l’on dit les mêmes, cela ne veut pas dire qu’ils ne changent pas, au bout d’un certain temps, les personnes qui débattent sont remplacées, elles se lassent d’un débat peu constructif et laissent la place à de nouveaux commentateurs. La question est de savoir qui ils sont, et nous avons peu d’éléments pour y répondre. Du côté des partisans, on peut penser que même les moins diplômés sont bien intégrés au débat et participent activement, au vu du faible niveau d’orthographe. Cela représente un point fort pour la démocratie, ces personnes là souffrant souvent de « cens caché »103, c'est-àdire s’autocensurant de participer au débat politique, ne se sentant pas concernées ou pas assez compétentes. Du côté des détracteurs, deux profils se dégagent, d’un côté l’antifasciste aux longs discours tentant de faire entendre l’absurdité selon lui de la position du FN, de l’autre les détracteurs au discours plus simple, plus violent et n’appelant pas de débat. Il est intéressant de noter qu’on retrouve peu de détracteurs dans les pages socialistes, alors qu’ils jouent un rôle primordial sur les pages d’extrême droite en général. 103 Gaxie Daniel, « Le Cens Caché », Réseaux n°22/vol.5, 1987 53 Section 3 La publication, acte de création d’une communauté virtuelle Ecrire sur une page politique, c’est exprimer clairement sa position sur l’échiquier politique dans une arène publique104, où son nom (ou son pseudonyme, sachant que sur Facebook, même avec un pseudonyme il est facile de retrouver l’identité de quelqu’un en fonction de ses amis) est dévoilé et que la page est accessible à plusieurs dizaines de milliers de gens. C’est donc un acte fort, pourtant lorsqu’il est fait, peu de gens en prennent conscience. Commenter un statut du Front National en tant que partisan, permet progressivement l’entrée dans le cercle d’appartenance au FN, presque inconsciemment. Plusieurs ressorts à cela. Tout d’abord il faut rappeler que l’identité sur les réseaux sociaux est négociée, si elle ne correspond pas toujours à la vie réelle, elle ne peut être complètement déconnectée de la personne réelle, sans quoi la réaction sociale ne se fait pas attendre : c’est notamment l’image du petit garçon chétif qui exhibera une image de gros dur, son cercle social, par ses réactions lui indiquera qu’une telle position n’est pas tenable105. L’espace social numérique, est un espace où l’on peut négocier son image, tout en étant déconnecté d’une éventuelle réaction physique, c’est un espace de test qui convient particulièrement bien à l’affirmation d’appartenances politiques controversées par une partie de la société, comme celle au FN. Birgita Orfali le dit dans son ouvrage106, souvent les membres du FN ne disent pas leur appartenance au travail, par peur d’une réaction négative. Sur les réseaux sociaux, on peut dévoiler un peu de son opinion, notamment en commentant ou en aimant une image, et attendre de voir quelle est la réaction sociale. Cependant, le fait d’aimer ou de commenter un sujet engagé politiquement a plutôt un effet d’engagement (Kiesler et Sakumura 1966)107 que le contraire, surtout dans le cas de l’appréciation de valeurs controversées comme celles du FN. En effet, nous l’avons vu, le FN fonctionne sur une dynamique très inclusive avec ses militants et très valorisante, parce que le rejet est plus fort à l’extérieur du cercle, les liens d’appartenance et de communauté se font d’autant plus fort. C’est dans cette dynamique qu’a lieu l’effet d’engagement, une fois le 104 Habermas, l’Espace Public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise (1962) 105 Coutant Alexandre et Stenger Thomas, « Processus identitaire et ordre de l’interaction sur les réseaux socionumériques », Les Enjeux de l’information et de la communication, 2010/1 Volume 2010 106 Orfali Birgitta, L’Adhésion à l’extrême droite, L’Harmattan « Logiques Sociales », Paris, 2012, p56 107 Kiesler et Sakumura, « A test of a model for commitment », Journal of Personality and Social Psychology, 3, 1966, p349-353 54 premier pas franchi, on se sent intégré dans la communauté. Le commentaire de l’image ci-contre exprime clairement notre propos : la jeune femme commente et affiche donc son identité partisane, alors que son amie s’inquiète, ou ironise, de cette affirmation partisane aux yeux de tous. Enfin, parce qu’il est le parti avec le plus de détracteurs sur sa page, le FN forme sans doute plus que les autres une communauté virtuelle qui se débat contre des enemis bien présents. Cela forge ce sentiment d’appartenance à la communauté Front national, le fait de « se batttre » avec des mots contres « des enemis communs» renforce le sentiment de faire parti d’un même tout. Quant à ceux qui vont sur la page sans commenter, l’abondance des commentaires ainsi que le grand nombre de fans a pour effet de rassurer l’éventuel partisan, de savoir qu’il n’est pas seul à partager certaines convictions propres au FN. C’est l’effet majeur de Facebook, selon le même modèle que les élections ou les sondages, il recense un état des forces des partis en présence. Chapitre 2 Le réseau élargi : Parole libérée et appui à la diffusion des cadres de pensée du parti Dans cette partie nous allons tenter de répondre à une hypothèse que nous avons formulé concernant la puissance du FN sur Facebook, que celui-ci entretiendrait de manière informelle un lien étroit avec des groupes identitaires, patriotes ou xénophobes sur la plateforme. Aussi nous définirons dans une première partie cette hypothèse et les raisons qui nous ont poussés à la formuler, avant de décrire la méthode de recherche employée pour dessiner le réseau autour des pages officielles et enfin d’analyser les résultats dans un dernier temps. 55 Section 1 Hypothèse avancée : de l’importance des pages non-officielles Avant d’approfondir sur l’hypothèse de recherche que nous avons formulée, il convient de rappeler que la communication politique moderne est conçue comme un processus sélectif d’activation108. Loin de s’appuyer sur les médias de masse pour convaincre ses électeurs (bien que le jeu politique soit fait de tel sorte qu’il soit impossible de ne pas passer à travers eux), elle cherche à cibler les leaders d’opinions avant tout, les personnes qui seront susceptibles d’avoir une influence sur leur entourage dans certains domaines donnés. C’est en cela qu’elle est un processus d’activation, elle cherche d’une part à cibler des personnes qui ont des prédispositions à entendre et se reconnaitre dans un certain discours, puis à s’appuyer sur ces personnes qui pourront répandre le discours autour d’eux, avec la labellisation qu’entraîne la parole d’un proche. Hypothèse Nous sommes partis du fait que le Front National était le premier parti sur Facebook, et nous avons voulu découvrir pourquoi. Dans une première partie nous avons exploré les ressorts idéologiques et contextuels qui pouvaient pousser les jeunes à se déclarer « fan » du parti sur Facebook, puis nous avons analysé la stratégie émise par le parti lui-même. Maintenant nous allons analyser concrètement ce qui se passe sur le principal réseau social français. L’hypothèse est la suivante : le Front National, plus que tout autre grand parti français porte une large partie de son discours sur la notion identitaire, la fierté d’être français et le refus de laisser la France sombrer, avec un discours personnifiant le pays. Or cette rhétorique identitaire est particulièrement adaptée au réseau Facebook, puisque sur la plateforme, la notion d’identité est omniprésente, il s’agit de dévoiler qui l’on est par ce que l’on « aime »109, par ce que l’on partage. Les groupes auxquels on appartient, les pages que l’on aime, permettent aux autres de dévoiler son identité numérique. Ainsi on voit fleurir sur la plateforme nombre de groupes mettant en avant la fierté d’être français, des groupes défendant l’identité française, souvent de façon xénophobe. Et ces groupes, proches de la pensée d’extrême droite dans les thèmes abordés peuvent s’avérer être un véritable vivier pour le principal parti de cette mouvance, le Front National. D’autant plus que depuis 2002, les 108 Schier Steven E., “Aiming a riffle and missing millions: Campaign polling in contemporary politics” Communication présentée à la Conference on polling and campaigns, Hubert Humphrey Institute, University of Minnesota, 27 février 2007 109 Georges Fanny, Représentation de soi et identité numérique » Une approche sémiotique et quantitative de l’emprise culturelle du web 2.0, Réseaux, 2009/2 n°154 56 études menées par Birgita Orfali110 montrent que l’identité sociale en tant que partisan du FN n’est plus autant cachée, elle s’affirme et devient même valorisée. Une première observation nous amène à penser que ces groupes patriotes et identitaires sont plus ou moins reliés entre eux grâce au système des « j’aime ». Or s’ils étaient reliés au Front National ils pourraient représenter une réserve de personnes sensibles aux mêmes valeurs et donc susceptibles d’aimer leurs pages et à plus large échelle, de voter pour le parti aux élections. Il faut cependant prendre une précaution, nous ne sommes pas en train d’avancer l’hypothèse que le Front National utiliserait de manière délibérée les groupes identitaires. Nous voulons dresser un constat qui serait selon notre hypothèse que les groupes identitaires, parce qu’ils sont nombreux, permettent par le jeu des liens « j’aime » d’amener toute une population à se rendre sur une des pages du FN. Ces groupes peuvent être considérés comme des réserves de voix en raison du principe d’homophilie. Déjà pointé par Lazarsfeld111 en 1954, puis réaffirmé par Lamy en 1993, les réseaux, qu’ils soient réels ou numériques sont battis principalement sur le principe d’homophilie : les gens qui composent le réseau ont souvent les mêmes caractéristiques sociales, et des opinions politiques proches. Le principe d’homophilie est une des bases du marketing, et aussi du marketing politique. En touchant les leaders d’opinions d’un groupe, il y a de fortes chances de toucher une population qui lui ressemble. Sur Facebook, le principe est d’autant plus vrai que les groupes d’intérêt regroupent justement des personnes qui partagent un intérêt ou une opinion commune. Section 2 Communauté virtuelle et e-leader d’opinion : définition des notions Lors de notre analyse, nous nous sommes beaucoup appuyés sur des notions théorisées ou approfondies par Youness Fejlaoui dans sa thèse sur les communautés virtuelles de consommation112. Ces notions sont celles d’« e-leader d’opinion » et de « communauté virtuelle ». Son étude se consacre essentiellement sur la même plateforme que nous pour cette étude, Facebook. Nous avons appliqué ces notions du marketing au marketing politique. 110 Orfali Birgitta, L’Adhésion à l’extrême droite, L’Harmattan « Logiques Sociales », Paris, 2012, p40 Lazarsfeld P. et Merton R. « Friendship as social process : a substantive and methodological analysis » dans Kendall P. dir. The varied sociology of Paul Lazarsfeld, New York, Columbia University Press, 1954, p298-348 112 Fejlaoui Youness, Les leviers d’influence des leaders d’opinion au sein des communautés virtuelles de consommation : approches netnographique et psychométrique, Thèse doctorat, Toulouse 1, 2011 111 57 Communauté virtuelle Fejlaoui dans son étude reprend la définition donnée par Jones en 1995113 pour parler de communauté virtuelle. Les caractéristiques de cette communauté sont : - Un lieu virtuel commun – Dans le cas de notre étude, la plateforme Facebook - Un minimum de communicateurs – les « fans » actifs - Un minimum stable de membres permanents – les « fans » qui commentent régulièrement - Un niveau minimum d’interactivité – ici dans la fonction « commentaires » des articles publiés Bagozzi (2000)114 rajoute que cette communauté est basée sur le texte, ce qui s’applique particulièrement pour notre analyse. Dans le cadre de notre étude, nous n’avons pas une mais plusieurs communautés virtuelles. Chaque page dispose de sa propre communauté virtuelle, avec ses propres membres permanents qui commentent régulièrement, et pour les pages non-officielles, souvent une petite communauté formée autour du modérateur / créateur de la page. Ce qui est particulièrement intéressant pour ces pages non officielles, c’est le fait que cette petite communauté virtuelle qui se crée n’est souvent pas issue d’un réseau réel. C’est une communauté créée autour d’un sujet et non autour d’une amitié. Ce sont donc des communautés qui créent des liens à travers des trous structuraux, comme le pointe Marlow115, un sociologue travaillant chez Facebook. Les liens qui relient les membres de cette communauté entre eux sont des liens faibles (Granovetter 1973)116, mais qui permettent le lien entre de nombreux clusters/cliques (regroupements de personnes se connaissant presque toutes entre elles), ces communautés lient le réseau. 113 Jones S.G., Understanding community in the information age. Cyber-society: computer mediated, communication and community, Thousands oaks, CA, 1995 114 Dholakia U., Bagozzi R. P. et Klein L. R., « A Social Influence Model of Consumer Participation in Network and Small Group-Based Virtual Communities », International Journal of Research in Marketing, n°21, 2004, 241-263. 115 Cameron A. Marlow, Eric Sun, Itamar Rosenn, Thomas M. Lento, Gesundheit! Modeling Contagion through Facebook News Feed, Department of statistics, Stanford University, 2011 116 Granovetter Mark, Getting A Job: A Study of Contacts and Careers. Cambridge, Mass: Harvard University. 1973 58 Les e-leaders d’opinion Fejlaoui transpose la notion de leader d’opinion théorisée par Lazarsfeld et Katz en 1955 au monde du net. Rappelons dans un premier temps que ces deux derniers définissent un leader d’opinion comme « une personne qui à travers des contacts quotidiens avec son entourage influence de manière régulière l’opinion et la décision des gens dans quelques domaines particuliers »117. Appliqué aux communautés virtuelles, la définition que donne Fejlaoui du eleadership est la suivante : « Un e-leader d’opinion est un membre d’une communauté virtuelle (de consommation), considéré comme une source d’opinion experte, capable de fournir des messages riches en informations. Doté d’une aisance rédactionnelle, il sait argumenter ses propos. Poli et courtois, il témoigne de son attachement à la communauté »118. Cette définition se veut propre aux communautés de consommation, mais elle peut s’appliquer en de nombreux aspects aux communautés d’intérêt politique. Cependant nous voulons revenir sur certains aspects de la définition qui ne s’appliquent pas aux communautés que nous avons étudiées. Tout d’abord il faut rappeler un élément non négligeable, qui n’entre pas dans la définition de Fejlaoui, trop générique, c’est le fait que les modérateurs, c'est-à-dire principalement les personnes qui créent la page, sont bien souvent les plus actifs et peuvent être en eux-mêmes considérés comme des e-leaders d’opinions, car ce sont eux qui amènent leur « expertise » en publiant actualités, vidéos ou liens susceptibles d’intéresser la communauté. Autre fait important, c’est lui en tant que créateur, qui fait le choix « d’aimer » une autre page et ainsi d’indiquer à la communauté quelles sont les pages dignes d’intérêt. Nous sommes par contre au regret de devoir supprimer les dernières caractéristiques énumérées par Fejlaoui. En effet, sur les communautés virtuelles qu’il nous a été donné de voir, politesse et courtoisie ne sont pas des éléments décisifs. Cette différence est due à plusieurs facteurs. Tout d’abord il s’agit de communautés à vocation politique, par essence polémiques, et d’autant plus dans le cas de communautés virtuelles d’extrême droite, dans lesquelles s’infiltrent souvent des détracteurs. Aussi les affrontements par écrit sont souvent violents verbalement. Cependant, c’est aussi une des caractéristiques du medium : internet est 117 Katz E. et Lazarsfeld P.F., Personal Influence, the part played by people in the flow of Mass communication, Glencore,1955, Free Press 118 Fejlaoui Youness, Les leviers d’influence des leaders d’opinion au sein des communautés virtuelles de consommation : approches netnographique et psychométrique, Thèse doctorat, Toulouse 1, 2011 59 un média où la violence s’exprime bien plus facilement que sur n’importe quel autre support119, et donc d’autant plus dans le domaine des idéologies. Toutefois il est vrai que les modérateurs et les membres réguliers de la communauté ont un vrai attachement à la communauté, un respect entre personnes de même opinion et à ce niveau là une grande courtoisie entre eux. Il nous parait important d’apporter également un autre élément. Si l’ont tend souvent à penser que peu de leaders d’opinion influencent un grand nombre de personnes, des études de Watts et Dodds (2007)120 tendent à montrer une nouvelle facette à cette théorie. Ces deux chercheurs ont développé « les hypothèses des influenceurs ». Ils ont utilisé une série de simulations sur ordinateurs sur le processus de l’influence interpersonnelle. Dans la grande majorité des conditions, les cascades d’influence sont générées non pas par les influenceurs, mais par une masse critique de personnes facilement influençables. Toutefois, leurs résultats n’excluent pas la possibilité que les influenceurs aient également un rôle important dans ce processus d’influence. Cette théorie trouve toute son importance sur les réseaux sociaux où l’atteinte d’une masse importante est toujours un but recherché. Les masses par leur nombre pourraient avoir plus d’influence que les leaders d’opinion. Section 3 Méthodologie : Sondage et netnographie Nous avons voulu cartographier le réseau informel autour des sites officiels du FN pour déterminer d’une part son importance, mais aussi la proximité qu’il pouvait avoir avec le parti en lui-même. Pour cela nous avons réalisé une étude netnographique, comme celle réalisée par Maria Mercanti-Guérin dans son étude « Facebook, un nouvel outil de campagne : Analyse des réseaux sociaux et marketing politique ». C’est également une des méthodes employées par Youness Fejlaoui. Cependant la seule étude du réseau ne suffisait pas. En effet, il est intéressant de voir l’importance d’un réseau et les influences qui peuvent s’exercer, mais il convenait avant tout de savoir dans quelle proportion ce réseau concernait les jeunes en général, et de déterminer si ceux-ci allaient effectivement sur des pages politiques sur Facebook. Aussi, nous avons effectué un sondage sur des jeunes de 18 à 24 ans pour connaitre 119 Matuszak C., Le forum comme lieu de production d’un discours unitaire et mobilisateur : un nouveau terrain pour la confrontation idéologique chez les mouvements politiques marginaux, 9eme congrès de l’association française de science politique, atelier 8, Toulouse 120 Watts D. et Dodds P., « Influentials, Networks and Public Opinion Formation », Journal of Consumer Research, n°34(4), 2007 p. 441-58. 60 leurs habitudes sur le sujet. L’apport de témoignages de jeunes sympathisants du Front National aurait été d’un grand apport, cependant malgré plusieurs tentatives de prise de contact avec la section locale du FNJ, nous n’avons pu obtenir de rendez-vous. Sondage Conscients du peu d’importance que pouvait revêtir les intérêts politiques dans la vie des 18-24 ans sans pour autant en avoir une démonstration empirique, nous avons mis en place un sondage qui puisse nous permettre de situer au mieux les habitudes des jeunes sur Facebook en matière d’intérêt politique. Ce sondage a reçu 109 réponses. Nous sommes conscients que c’est trop peu pour pouvoir qualifier de vérité générale les chiffres qui en sont sortis, d’autant plus que ce sondage ayant été publié sur des réseaux sociaux personnels, la nature des réponse dépend fortement de l’entourage de ces réseaux, bien qu’un effort ait été fait pour diversifier les sources. Toutefois 109 réponses est un chiffre suffisamment conséquent pour en tirer quelques conclusions et s’appuyer dessus pour le reste de notre étude. Les questions qui ont été posées sont les suivantes : 1. Quelle est votre fréquence d'utilisation de Facebook? 2. Utilisez-vous les pages fan? Si oui, de combien de pages fan environ êtes vous fan? 3. Êtes-vous déjà allé-e sur une page officielle de parti politique? Exemple: la page du Front de gauche, le Mouvement des Jeunesses Socialistes ou encore la page officielle de Nicolas Sarkozy) 4. Êtes-vous déjà allé-e sur des pages d'ONG ou d'associations sur Facebook ? Exemple: Greenpeace, Les restos du coeur, Amnesty International ou encore le club de Tambourin du pays Lauragais) 5. Êtes-vous déjà allé-e sur des pages non officielles, n'émanant pas d'un parti ou d'une association, engagées sur une question politique, un débat d'actualité? Exemple: Ma voix contre le réchauffement climatique, Non au voile à l'école, Je participe au pot de départ de Nicolas Sarkozy...) 6. Deviendriez vous plus facilement fan d'une page officielle (exemple: Page officielle d'Olivier Besancenot ou du Modem) ou d'une page non officielle sur un thème précis (exemple: A bas le capitalisme, ou Luttons contre le sexisme)? 7. Comment, la plupart du temps, en venez-vous à devenir fan d'une page sur Facebook? Hiérarchisez ces propositions 61 8. Vous êtes-vous déjà rendu sur des pages nationalistes sur Facebook? Si oui, quelle est votre opinion? Exemple: Fier d'être français, La France tu l'aimes ou tu la quittes etc. 9. De quel parti pourriez-vous être fan sur Facebook? 10. Etes-vous un homme ou une femme L’ensemble des résultats de ce sondage est publié en annexe. Netnographie Nous avons dans un deuxième temps voulu faire une analyse netnographique du réseau autour des pages officielles du Front National afin de déterminer leur proximité avec les pages nationalistes et identitaires qui peuvent s’avérer être un véritable vivier en termes de voix pour le parti. Afin de cartographier le réseau, nous avons utilisé la méthode du générateur de noms 121 , utilisée notamment par Michel Grossetti dans son étude sur le réseau Airbus122. Pour cela nous avons tracé le réseau en fonction des pages qui déclaraient « aimer » une autre page, chaque page nous menant à de nouvelles pages. Il était initialement décidé de tracer les limites du réseau en s’arrêtant aux groupes qui ne parleraient plus du Front National au travers d’un des cinq premiers éléments publiés de la page. Cependant le réseau s’est révélé être bien plus étendu que prévu et le logiciel utilisé ne nous permettait de cartographier qu’un réseau de moins de 100 nœuds. Aussi aux périphéries, le réseau pourrait être bien plus large mais nous n’avons pu le cartographier. Nous avons utilisé le logiciel UCINET 6123 pour cartographier le réseau, en réalisant d’abord une matrice, présentée en annexe qui permettra au logiciel d’en faire une représentation graphique, laquelle facilitera le fait de voir quels sont les nœuds importants dans le réseau. Cette matrice, présentée en annexe, est le fruit de notre recherche et recense toutes les pages dont nous nous sommes servis pour cartographier le réseau. 121 Cette méthode est utilisée lorsqu’aucune information préalable sur le réseau a été fournie. Elle consiste à partir d’un nœud et de demander à cette personne les acteurs du réseau avec qui elle est en relation. Il s’agit ensuite de poser la même question à chaque acteur cité. 122 Michel Grossetti, Jean-Marc Zuliani et Régis Guillaume, « La spécialisation cognitive. Les systèmes locaux de compétence en Midi-Pyrénées », Annales de la Recherche Urbaine, n°101, 2006, p.23-31 123 Borgatti, S.P., Everett, M.G. and Freeman, L.C. 2002. Ucinet for Windows: Software for Social Network Analysis. Harvard, MA: Analytic Technologies. 62 La démarche consiste à se renseigner sur la nature des pages qui sont reliées au FN par le biais des « j’aime », leur importance, et vérifier notre hypothèse de départ qui est que le FN peut s’appuyer sur de nombreux groupes nationalistes et identitaires. Dans un deuxième temps il s’agit de se renseigner sur la nature des échanges sur ces pages : quels sont les éléments publiés, quelle est la nature des propos tenus, sent-on une affiliation partisane sur ces pages ? Ce sont les questions que nous nous sommes posées. Section 4 Analyse des résultats : un réseau nationaliste étendu, appui informel au Front National Sondage A travers le sondage que nous avons réalisé, nous voulions connaitre les habitudes des jeunes de 18 à 24 ans inscrits sur Facebook en ce qui concerne leur relation avec les pages fans. En effet, nous faisons un mémoire sur la puissance que peut avoir le Front National sur cette plateforme, seulement il est nécessaire de savoir si la population étudiée se rend effectivement sur des pages de nature politique. Et les résultats ne plaident pas en faveur d’une grande utilisation des pages fans et encore moins des pages à vocation politique. Tout d’abord on remarque que la grande majorité du panel étudié n’est abonné qu’à peu de pages, 25% n’est abonné à aucune page, et 45% à moins de 20 pages, cela relativise d’emblée l’importance qui peut être accordé au système des pages j’aime. Mais plus que cela, les questions portant sur l’intérêt que pouvaient revêtir des pages de partis politiques, d’ONG ou simplement des pages thématiques à vocation d’action publique, montrent clairement qu’il y a peu d’intérêt de leur part d’aller voir sur ces pages. En témoignent les chiffres : 58% ne sont jamais allés sur une page officielle d’un parti politique, et 53% ne sont jamais allés sur une page engagée sur une question politique ou un débat d’actualité. C’est donc à chaque fois plus de la moitié qui se désintéresse de la politique sur cette plateforme (malgré un panel sans doute plus diplômé que l’ensemble d’un panel qui serait représentatif). Les théories de Rosanvallon124 sur un plus grand engagement des jeunes sur des structures associatives ou des 124 Rosanvallon Pierre, La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Seuil, Paris 2006 63 organisations non gouvernementales se démontrent un peu, puisqu’ils sont seulement 43% à n’avoir jamais visité une page de ces structures. On remarque également la grande réticence à afficher ses opinions politiques sur Facebook, puisque 54% des personnes interrogées disent ne pas afficher leurs opinions sur Facebook. Cependant, il faut pointer le fait que le panel étudié ne correspond pas à la mouvance d’extrême droite que nous analysons ici. En effet, très peu sont déjà allés sur des sites nationalistes, 14% , dont la plupart y sont allés par curiosité et non par affiliation idéologique, et seulement 4% des participants pourraient être fans de pages issues de la mouvance nationaliste. Analyse netnographique Nous sommes partis des pages fans non-officielles du Front National, et plus particulièrement celles soutenant la candidature de Marine Le Pen pour construire le réseau construit en marge des canaux officiels du parti. Si l’on schématise le réseau obtenu, on obtient ce réseau concentrique : Le réseau Facebook autour des pages officielles du FN (1) Les pages officielles (2) Les pages non-officielles soutenant le FN (3) Les pages reliées aux pages non officielles (4) Limites du réseau (pages sans lien avec le parti) Sur les pages suivantes est représenté graphiquement le réseau, grâce au logiciel UCINET 6, avec noms tout d’abord, puis sans, afin de voir plus clairement quels sont les nœuds majeurs du réseau. 64 La représentation graphique du réseau avec les noms des pages La représentation graphique du réseau sans les noms 65 Au centre (1 -Rouge) les pages officielles du parti qui forment une clique presque parfaite, c'est-à-dire que les pages officielles sont presque toutes reliées entre elles, les unes pointant vers les autres. Par contre, elles ne pointent pas vers le reste du réseau (à quelques exceptions près, provenant du personnel politique), elles observent une stricte discipline en se renvoyant les unes aux autres, une volonté évidente de ne pas créer de polémique en dirigeant vers d’autres pages, qui pourraient pourtant supporter le parti. Il est particulièrement important de noter par ailleurs que la tranche d’âge la plus présente sur les pages officielles, comme sur beaucoup de pages non officielles aussi, est celle des 18-24ans (ces indications sont consultables en cliquant sur le nombre de fans d’une page). Une preuve que les jeunes ont réussi à être plus touchés que les autres par la campagne menée sur cette plateforme. Le deuxième cercle (2 - jaune) est composé par toutes les pages pro-FN, dont le titre, la photo de couverture ou l’avatar représentent le parti, par le nom, l’image ou une quelconque référence. Le plus souvent le titre de la page fait explicitement référence au FN comme « Marine Le Pen présidente » ou « la jeunesse patriote soutient le rassemblement bleu Marine ». Ces sites pointent la majorité du temps vers les réseaux officiels, mais aussi vers ce que nous avons catégorisé comme le troisième cercle, des pages thématiques, souvent à tendance xénophobe ou bien nationaliste. Ce sont elles le lien direct entre les pages officielles et les groupes identitaires et nationalistes qu’on peut retrouver sur la plateforme. On peut se demander l’utilité pour quelqu’un de suivre une page non officielle supportant la candidature de Marine Le Pen. La première raison est le côté communautaire, la page officielle de la candidate possède plus de 100 000 fans, la page thématique en possèdera souvent 1000 ou 2000, 16 000 pour la plus grosse page (« Marine Le Pen, la page soutien »), ce qui crée une communauté virtuelle plus petite, plus intime où les mêmes commentateurs se retrouvent et peuvent discuter plus librement que lorsque une centaine de personnes ou plus commentent, comme sur les pages officielles. Ces pages créent donc un certain débat entre partisans et leur permet de s’exprimer en créant des communautés virtuelles. Mais également, les sujets publiés et débattus ne sont pas les mêmes que sur les pages officielles. Si l’opération de normalisation se fait sentir sur les pages officielles où la majorité des éléments publiés concernent l’activité de contre pouvoir du parti, comme nous l’avons vu plus haut, sur les pages non-officielles, la parole est beaucoup plus libérée, et la majorité des éléments publiés concernent les problèmes liés à l’insécurité et à l’immigration. Voici les 50 derniers sujets publiés sur la page « Marine Le Pen, la page soutien » : 66 Thèmes abordés Nombre de Pourcentages publications Publications de détracteurs 15 30% Dénonciation de l’islam ou des musulmans 13 26% Critique d’autres partis ou du gouvernement 5 10% Patriotisme 4 8% Opposition à l’immigration 4 8% Front National 3 6% Opposition au racisme anti-blanc 2 4% Autres (soutien aux nationalistes d’Europe, 4 8% incitation à la haine etc.) On voit clairement que plus que l’activité parlementaire des députés FN, les sujets qui intéressent les membres de cette communauté sont la dénonciation de l’islam avant tout, mais aussi de l’immigration ou encore le patriotisme. Ce ne sont donc pas les mêmes sujets qui sont discutés, et la parole se fait particulièrement libre, les propos xénophobes n’étant pas rares sur la page, de même que les insultes envers les détracteurs, qui eux sont très présents sur la page, lesquels n’hésitent pas à insulter la candidate du FN. Ci-contre un exemple de la violence des propos tenus. Au niveau du troisième cercle (3- bleu), donc les pages pointées par les pages nonofficielles du FN, toutes ne sont pas pro-FN et ne font pas référence à ce parti. Seulement beaucoup le font sans pour autant le mentionner dans le titre. Majoritairement, le contenu est le même que pour les pages non officielles, beaucoup de publications contre l’islam, l’insécurité et l’immigration, avec des différences selon le titre de la page, mais limitées cependant. Ce troisième cercle est composé de beaucoup de groupes aux noms ouvertement xénophobes (« C’est choquant de voir autant de français soutenir les racailles » ou « Boycott de toutes les marques françaises halal») mais aussi de beaucoup de groupes nationalistes avec 67 emphase sur le patriotisme (« Fiers d’être français », « Bleu Blanc Rouge »). On retrouve aussi l’affiliation à certaines mouvances d’extrême droite dont Bloc identitaire, le S.I.E.L ou encore les Nationalistes Autonomes. C’est ce cercle qui est le plus intéressant à étudier. En effet, à travers les pages « aimées » on peut tracer un réseau de pensée de ces communautés virtuelles, et ainsi connaitre les grandes lignes de pensée de cette communauté. Mais dans le cadre de notre étude, ce qui nous intéresse est de savoir si les personnes se retrouvant sur ces pages (en grande partie issus de notre tranche d’âge, les 18-24ans), trouvent un intérêt à soutenir Marine Le Pen. Et la réponse n’est pas nette. En effet, beaucoup de ces pages vont faire une référence à la candidate ou au parti, mais pas de façon régulière. Par exemple sur la page « Forcer les gauchistes et autres collabos à aller vivre dans le 93 », qui est un nœud central dans le réseau, vers lequel beaucoup d’autres pages renvoient, il renvoit lui-même vers les pages officielles, et cite le parti à de nombreuses reprises, tout comme l’autre nœud majeur « Bleu blanc rouge, fier d’être français ». Mais par exemple une page comme « Marre de se faire traiter de facho quand on aime la France », vers lequel pointent de nombreuses autres pages, un élément important dans le réseau, lui ne fait que peu d’allusion au FN directement. Cependant on peut voir à travers certains contenus qui sont publiés sur ces groupes de troisième zone qu’ils ont été conçus par le parti, comme l’image de droite ci-dessous, celle de gauche étant l’image originale : On voit donc qu’il y a bien viralité à travers le matériel créé par le FN, mais cela lui est-il profitable lorsque, comme ici, son nom n’apparait même plus sur l’image ? 68 Car c’est bien cela la question, car plus on s’éloigne de la clique centrale, plus les références au parti ou à Marine Le Pen se font moins présentes, bien qu’elles soient encore visibles. Alors, le FN voit-il son influence représentée sur des personnes membres des communautés virtuelles aux thèmes proches des rhétoriques du parti ? Pour nous, la réponse semble être oui pour deux raisons. D’une part du fait de la forme du réseau. Bien que nous n’ayons pas pris pour point de départ les pages officielles du parti, nous avons reconstitué un réseau dont le centre est sans nul doute possible les pages officielles, qui sont reliées par des groupes du deuxième et du troisième cercle (le quatrième cercle (4) représentant les limites du réseau). Il aurait été intéressant de prendre pour point d’entrée les groupes nationalistes, pour voir si la distance avec les pages officielles du FN aurait été forte et quelle forme aurait eu le réseau. Il y a beaucoup à parier que beaucoup de ces groupes auraient pointé vers les pages officielles du parti. Pour résumer, certains nœuds importants lient les réseaux officiels aux pages thématiques, grâce à ces nœuds, il est facile pour l’internaute de naviguer vers les sites officiels. D’autre part, au fil de notre observation non participante, nous avons pu nous rendre compte que le FN et Marine Le Pen avaient réussi à s’imposer dans l’imaginaire collectif de ces communautés virtuelles comme les hérauts du patriotisme français. En cela il a complètement écrasé les autres partis nationalistes, puisque celle qui représente la résistance patriotique face à l’islam et à l’immigration sur les groupes identitaires ou de dénonciation nationalistes, c’est Marine Le Pen, comme en témoigne cette image, publiée sur la page « je mange du porc et je t’emmerde ». Sur cette image on voit trois symboles forts : le drapeau français qui représente le patriotisme, un cochon qui représente la France non musulmane, et Marine Le Pen qui synthétise ces deux symboles, se faisant la porte-parole de cette France là. On pourrait y voir un manque de respect de la présidente du FN, mais il n’en est rien, sous l’empreinte de l’humour, qui est une composante fondamentale de la culture net, cette image montre à quel point le FN a gagné la lutte populaire face à ses opposants de la mouvance nationaliste en se montrant comme le parti qui représente ces valeurs symboliquement. D’autre part, avec la diffusion des images, leur viralité, ils arrivent à créer un cadre de pensée, ce sont notamment les références omniprésentes à l’UMPS sur de très nombreuses pages de notre étude, un terme 69 qui a été créé et diffusé par le Front National. Aussi, ils arrivent à diffuser certains de leurs cadres de pensée via ces pages qui reprennent termes et images, un cadre dans lequel pourront se reconnaitre les jeunes qui feront l’effort de se rendre jusqu’aux pages officielles par le jeu du réseau, ou plus simplement qui voteront FN aux prochaines élections, retrouvant un discours qu’ils ont déjà entendu sans se renseigner directement sur les pages officielles, ou sur les sites. On peut toutefois se demander si en termes d’image ces groupes ne sont pas néfastes pour le FN. Et la réponse est qu’ils pourraient l’être si les pages officielles étaient reliées à ces pages ouvertement xénophobes, seulement la discipline de parti fait qu’elles ne le sont pas, aussi on ne peut pas reprocher aux pages officielles d’être liées à ces pages xénophobes et parfois violentes. Ainsi c’est un réseau d’idées qui est en place, et un réseau dont le FN fait partie intégrante. Un réseau qui permet au contenu viral mis en place par le FN d’être diffusé selon sa stratégie de communication numérique. 70 Conclusion Pour conclure, nous nous devons de répondre à la question qui a été posée tout au long de ce mémoire, comment le Front National parvient-il à se positionner comme le parti numéro un sur la plateforme Facebook ? Et à cette question nous nous devons de rectifier le sens que peuvent prendre les mots parfois, car oui, le Front National, en tant que parti devance ses concurrents sur le réseau social, mais ceux-ci sont au moins aussi puissants en termes de poids symbolique, puisque les pages fan de leurs candidats ou présidents de parti sont bien plus importantes que celle de Marine Le Pen. Aussi, en se plaçant derrière ses deux principaux rivaux, l’ordre électoral qui a été celui de 2012 est respecté. Cependant, on ne peut nier que le Front National a fait un effort considérable pour se tailler une place de choix sur internet, et notamment sur les réseaux sociaux, avec une communication numérique innovante, percutante et surtout efficace, mettant l’accent sur la viralité des contenus. Car c’est cela qu’offre le web 2.0, un partage accru entre les internautes, un flux d’informations plus dense qui permet notamment aux contre-pouvoirs de s’exprimer et de faire partager leurs idéologies et leurs critiques. Et c’est ce que nous avons vu en cartographiant le réseau des pages non-officielles du Front National, les contenus voyagent, se transforment, mais véhiculent un schéma de pensée qui se diffuse à travers un large réseau. C’est cela la force du Front National aujourd’hui. 71 Annexes Annexe 1 : Résultats du sondage, Les habitudes politiques des jeunes sur la plateforme Facebook Annexe 2 : Liste de toutes les pages composant le réseau autour des pages officielles du FN Annexe 3 : Extrait de la matrice (par sa nature, elle est difficilement transposable au format papier, elle est néanmoins disponible sur demande au format excel) Annexe 4 : Représentation graphique du réseau avec nom des pages Annexe 5 : Représentation graphique du réseau sans noms des pages 72 Annexe 1 : Résultats du sondage Les habitudes politiques des jeunes sur la plateforme Facebook 73 Annexe 1 : Résultats du sondage Les habitudes politiques des jeunes sur la plateforme Facebook 74 Annexe 1 : Résultats du sondage Les habitudes politiques des jeunes sur la plateforme Facebook 75 Annexe 1 : Résultats du sondage Les habitudes politiques des jeunes sur la plateforme Facebook 76 Annexe 2 : Liste des pages cartographiées sur le réseau autour des pages officielles du Front National 1 million de personnes pour que la France quitte l'union européenne Demande d'annulation de l'élection présidentielle 2012 100000 personnes contre le FN En Avant pour une vague Bleue Marine 1jour, 1 image bleue Marine Et après c'est nous qui sommes racistes?? 2012 = Marine Le Pen Fdesouche anti parti socialiste FN infos Avant j'étais de gauche, mais ça c'était avant ;-) (Front National) Forcer les gauchistes et autres collabos à aller vivre dans le 93 Bleu Blanc Rouge France Bonapartiste Bleu blanc rouge fier d'être français Front national de la jeunesse Bloc identitaire Front national officiel Boicottez toute viande tant qu'on ne sait pas s'il est halal ou casher Histoire de France Honneur au skateur qui a pété la gueule à la racaille Boycott de toutes les marques françaises halal Idées nation C'est choquant de voire autant de français soutenir les racailles Institut pour la justice Je combats le système UMPS Comité de soutien à la candidature de Marine Le Pen en 2012 Comment faire gagner marine Le Pen Je ne vois pas où est le problème avec l'affiche du FN!! Contre la christianophobie sur internet Je suis Français et fier de l'être Contre le Halal et les abbattages rituels en France La France en marche la France forte entre en résistance (non à la gauche) Contre l'emprise du gouvernement français sur le peuple de France La gauche ma tuer Contre les cons qui sifflent la marseillaise et crachent sur la France La jeunesse patriote soutient le rassemblement bleu marine Décortiquons l'actualité L'actu patriote 77 Annexe 2 : Liste des pages cartographiées sur le réseau autour des pages officielles du Front National Marine Le Pen: Commandante de bord pour 2012 Le citoyen engagé Le front national (la voix du peuple) Le parti de la France Marre de se faire traiter de facho quand on aime la France Le PS est-il un danger pour la France? Ohhh que oui! Mouvement des patriotes résistants Nationalistes autonomes France Le vrai François Hollande Non au racisme anti-blanc Les jeunes avec François Hollande Non au système UMPS-Verts Les jeunes avec marine Non, la France n'est pas à genoux! Les mousquetaires de France avec Marine Objectif 51% L'UMP, PS, Verts que du pipot… alors votez FN Parti communiste gironde L'Union des citoyens patriotes Parti Conservateur Marine Le Pen - FN : "Unis nous gagnerons" Parti Socialiste Patriotes de France Marine Le Pen (3) Personnel politique du FN Marine Le Pen (4) Point de rassemblement FN Marine Le Pen Marine Le Pen (1) Pour ceux qui en ont marre que le racisme anti-blanc ne soit pas reconnu Marine Le Pen Comité de soutien Pour tout ceux qui sont pour la peine de mort pour les pédophiles!!! Marine Le Pen France président Marine Le Pen la page officielle Marine Le Pen La page officielle (fausse) Racailles, casseurs, wesh, un synonyme: déchet social Marine le Pen la vague bleu Marine 2012 Rassemblement bleu marine Marine Le Pen objectif 2017 Rassemblement du peuple Français (RPF) Marine Le Pen Présidente Marine Le Pen, la page soutien Rejeter l'islam ce n'est pas du racisme, l'islam n'a jamais été une race! Marine le Pen, sondages et actualités Résistance républicaine 78 Annexe 2 : Liste des pages cartographiées sur le réseau autour des pages officielles du Front National Rétablir la peine de mort pour les violeurs et les pédophiles en France Révolte patriotique - Les fils de la liberté Ruralité 2012 Sections locales du FN et FNJ Si tu es fière d'être français clique "devenir fan" SIEL Stop aux mensonges de la gauche Touche pas à ma France Tous contre les socialistes Tous derrière Marine Le Pen Tout plaquer et aller ouvrir une charcuterie au Maghreb Tout sauf Dominique Strauss Kahn UMP Une autre jeunesse Vive le Front National 79 Annexe 3 : Extrait de la matrice 80 Annexe 4 : La représentation graphique du réseau avec les noms des pages 81 Annexe 5 : La représentation graphique du réseau sans les noms des pages 82 Bibliographie Alfred O. Hirsman, Bonheur privé, action publique, Paris, Fayard, 1983 Arzaheimer Kai, « Contextual Factors and the extreme right vote in western Europe 19902000 » , American journal of political science, vol 53 n°2 p259-275 Barbony Thierry et Treille Eric, « L’engagement 2.0 » Les nouveaux liens militants au sein de l’e-parti socialiste, Revue française de science politique, 2010 /6 Vol.60 Boumaza Magali, Le Front National et les jeunes de 1972 à nos jours, Thèse doctorat Strasbourg 3, 2002 Cardon Dominique, « Le design de la visibilité, Un essai de cartographie du Web 2.0 », Réseaux, n°152, 2008 Coutant Alexandre et Stenger Thomas, « Processus identitaire et ordre de l’interaction sur les réseaux socionumériques », Les Enjeux de l’information et de la communication, 2010/1 Volume 2010 Dagnaud Monique, Génération Y. 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Les chiffres ................................................................... 46 86 Partie 3 Analyse netnographique : Le Front National sur Facebook, noyau officiel, rayonnement officieux……...……………………………………………………………….49 Chapitre 1 Le réseau officiel : Canal de diffusion top down, interactivité limitée mais présente …………………………………………………………………………………………………………………..49 Section 1 Contenu et interactivité des pages officielles ................................................. 49 Section 2 Les acteurs de la page Facebook .................................................................... 53 Section 3 La publication, acte de création d’une communauté virtuelle ........................ 54 Chapitre 2 Le réseau élargi : Parole libérée et appui à la diffusion des cadres de pensée du parti …………………………………………………………………………………………………………………..55 Section 1 Hypothèse avancée : de l’importance des pages non-officielles .................... 56 Section 2 Communauté virtuelle et e-leader d’opinion : définition des notions ............ 57 Section 3 Méthodologie : Sondage et netnographie ....................................................... 60 Section 4 Analyse des résultats : un réseau nationaliste étendu, appui informel au Front National ……………………………………..……………………………………………………………………………63 Conclusion………………………………………………………………………………………….………………………………71 Annexes…………………………………………………………………………………………………..………………………….72 Bibliographie…………………………………………………………………………..……………………………………….…83 87 A travers ce mémoire, nous avons voulu questionner ce qui pouvait inciter les jeunes à voter Front National aujourd’hui, à travers le prisme de la communication numérique. Nous avons donc étudié la stratégie de communication du parti sur le web 2.0, en se penchant plus particulièrement sur la plateforme Facebook. Une analyse qui révèle des stratagèmes de viralité, dont l’influence se fait sentir à travers un large réseau que nous avons cartographié. Mots clés : Front National ; Réseaux sociaux ; Jeunes ; Netnographie ; Facebook ; Viralité 88