IEP de Toulouse Le Front National, Facebook et les jeunes : Une

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IEP de Toulouse Le Front National, Facebook et les jeunes : Une
IEP de Toulouse
Le Front National, Facebook et les jeunes :
Une approche de la stratégie de communication numérique du FN
Mémoire de recherche présenté par Melle Morgane Hébert
Directrice de mémoire : Isabelle Lacoue-Labarthe
Date : 2012
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IEP de Toulouse
Le Front National, Facebook et les jeunes :
Une approche de la stratégie de communication numérique du FN
Mémoire de recherche présenté par Melle Morgane Hébert
Directrice de mémoire : Isabelle Lacoue-Labarthe
Date : 2012
3
Je remercie Isabelle Lacoue-Labarthe d’avoir accepté d’être ma directrice de mémoire,
et Laureen, Marie, Noémie et les Paulines pour leurs conseils avisés.
4
Avertissement :
L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires
de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur(e).
5
Liste des abréviations
CEVIPOF : Centre de Recherches Politiques de Sciences Po
CNCDH : Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme
EELV : Europe Ecologie Les Verts
FG : Front de Gauche
FN : Front National
FNJ : Front National de la Jeunesse
MJS : Mouvement des Jeunes Socialistes
MoDem : Mouvement démocrate
ONG : Organisation Non Gouvernementale
PCF : Parti Communiste Français
PS : Parti Socialiste
SIEL : Souveraineté Indépendance Et Libertés
UMP : Union pour un Mouvement Populaire
6
Sommaire
Partie 1
Analyse Contextuelle : Un environnement de crises, appui pour le
développement du Front National auprès des jeunes ......................................................... 17
Chapitre 1
La montée de l’extrême droite en Europe....................................................... 17
Chapitre 2
Contexte de crise économique et stratégie du Front National ........................ 21
Chapitre 3
Contexte de crise de la représentation politique et stratégie du Front National
………………………………………………………………………………………………………………….25
Partie 2
Analyse stratégique : La communication numérique, outil de transmission
idéologique auprès des jeunes ............................................................................................... 31
Chapitre 1
Limites de la puissance du média internet ...................................................... 31
Chapitre 2
La normalisation de l’image du FN : Génération Marine Le Pen .................. 33
Chapitre 3
Un secrétariat à la communication numérique ............................................... 34
Chapitre 4
La mise en place sur le terrain numérique ...................................................... 37
Chapitre 5
Diabolisation des médias et son contraire ...................................................... 42
Chapitre 6
La viralité, un but communicationnel ............................................................. 43
Chapitre 7
Est-ce une réussite ? Les chiffres ................................................................... 46
Partie 3
Analyse netnographique : Le Front National sur Facebook, noyau officiel,
rayonnement officieux…………………………………………………...………………….49
Chapitre 1
Le réseau officiel : Canal de diffusion top down, interactivité limitée mais
présente
…………………………………………………………………………………………………………………..49
Chapitre 2
Le réseau élargi : Parole libérée et appui à la diffusion des cadres de pensée
du parti
…………………………………………………………………………………………………………………..55
7
Introduction
Mai 2011, un an avant les élections présidentielles en France, les partis commencent à
faire état de leurs forces, à les revendiquer, les mettre en avant. Alors que le Parti Socialiste se
prépare pour les premières élections primaires ouvertes de son histoire, le Front National a
choisi son leader, celle qui portera le combat devant les urnes Marine Le Pen. A cette date, le
Front National fait étalage de sa force sur les réseaux sociaux, et revendique fièrement son
titre de premier parti sur Facebook, le premier réseau social numérique français, et mondial.
Un an plus tard, à trois semaines de l’élection, un sondage qui fera polémique1 déclare que le
Front National est le parti préféré des jeunes. Lien de causalité ? Nous avons voulu étudier le
rapport que le Front National entretenait avec les réseaux sociaux numériques, et par
conséquent, parce qu’ils en sont les premiers utilisateurs, avec les jeunes électeurs.
Contextualisation et définition des termes
Notre enquête a été réalisée dans une période particulièrement faste pour l’étude des
partis politiques, puisqu’il s’agit d’une part d’une période de campagne pour les élections
présidentielles, et ensuite d’une période postélectorale qui permet ainsi de disposer de
résultats sur les stratégies mises en places, à savoir les stratégies pour que le parti gagne un
maximum de voix à l’élection présidentielle ainsi qu’à l’élection législative qui a suivi. C’est
également une période riche car elle voit la mise en place du système Marine Le Pen, qui
remporte les élections primaires organisées au sein du parti du Front national, face à Bruno
Gollnish.
Le Front National
Le Front National sera ici au centre de notre étude, puisqu’il s’agira de comprendre sa
stratégie envers les jeunes générations et d’étudier sa communication numérique. Parti phare
de l’extrême droite française, fondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen, c’est un parti qui place la
nation au centre de ses intérêts et des débats qu’il suscite. Loin d’être reconnu comme
l’emblème de l’extrême droite parmi celle-ci, il est cependant le parti le plus important de
1
Etude de l'institut CSA fondée sur un cumul de trois vagues successives d'intentions de vote réalisées du 12 au
28mars pour le groupe Le Monde, et publiée le 4 avril 2012
8
cette mouvance, se prêtant au jeu républicain. Il faut donc préciser que toute une partie de la
droite nationaliste ne se retrouve pas dans ce mouvement qui a choisi de se plier au jeu des
élections démocratiques, notamment les groupes nationaux révolutionnaires ou encore
royalistes, qui se situent aussi à droite de l’échiquier politique, et peuvent partager nombre
d’opinions communes2.
Il est cependant le parti le plus fort de l’extrême droite, les autres partis (comme
Debout le République, le Mouvement National Républicain ou le Mouvement pour la France)
ayant eu plus de mal à s’intégrer et à faire une démonstration de force dans le jeu politique
français. Il reste marginal en nombre de voix jusqu’aux élections présidentielles de 2002 où il
arrive pour la première fois de son histoire au second tour de l’élection présidentielle. C’est
un électrochoc, une révélation pour les français, et depuis lors, bien qu’il ne possède que peu
de poids à l’assemblée nationale (aucun député en 2002 et 2007, deux députés depuis 2012),
c’est une des forces majeures du pays politiquement parlant, puisqu’il atteint 10,44% à
l’élection présidentielle de 2007 et 18,3% à celle de 2012.
Depuis janvier 2011, c’est Marine Le Pen, la fille de Jean-Marie Le Pen, fondateur du
parti, qui en est la présidente. C’est un renouveau, une nouvelle image du parti qui se dessine.
Présente activement au sein du FN depuis la campagne présidentielle de 2002, elle a mis tout
en place pour lisser l’image sulfureuse du parti, et y a grandement réussi, puisqu’en 2012,
52% des personnes interrogées lors d’une étude sur le Front National menée par Birgita
Orfali3 en 2012 estiment qu’elle est plus crédible que son père. C’est donc ce nouveau Front
National que nous souhaitons découvrir, celui normalisé de Marine Le Pen, celui qui inquiète
sérieusement en nombre de voix les deux grands partis, Parti Socialiste et Union pour un
Mouvement Populaire.
Réseaux sociaux et communication numérique
Les autres grands qualificatifs que nous utiliserons dans ce mémoire sont « réseaux
sociaux numériques » et « communication numérique ». Par réseaux sociaux nous entendons,
selon la définition proposée par L. Garton (1997)4, « un ensemble d’individus, organisations
ou entités entretenant des relations sociales fondées sur l’amitié, le travail collaboratif,
2
Venner Fiammetta, Extrême France : Les mouvements frontistes, nationaux-radicaux, royalistes, catholiques
traditionalistes et provie, Grasset, Paris, 2006
3
Orfali Birgitta, L’Adhésion à l’extrême droite, L’Harmattan « Logiques Sociales », Paris, 2012, p30
4
Garton L., Haythornthwaite C. et Wellman B., « Studying online on social networks », Journal of computer
mediated communications, n°3
9
l’échange d’informations etc. ». Appliqué au numérique, ces réseaux sont visibles sur des
plateformes telles Linkedin, Facebook ou Flicker, et sont capables de rendre compte de ces
liens dans l’espace qu’offre l’internet.
La communication numérique concerne toutes les communications faites sur internet,
que ce soit via ces réseaux sociaux, via un site web, un blog, ou encore via une application
pour téléphones mobiles. Le contenu peut être aussi varié que du texte, des images, des vidéos
ou encore des jeux, il est à l’image de ce qu’est le net, un champ de possibles gigantesque. La
communication numérique est devenue un passage obligé de toute communication politique.
Avoir un site internet, être présent sur des réseaux sociaux permet de se faire voir, mais aussi
permet au citoyen de pouvoir se renseigner.
En 2008, l’élection présidentielle américaine s’est jouée en grande partie sur le net,
avec l’apparition d’outsiders inconnus du grand public comme Howard Dean, capables
d’amasser plus de fonds que le candidat républicain qui sera finalement désigné, John
McCain. Mais aussi avec le poids tout nouveau qu’ont pu représenter les votes sur Facebook5.
En effet, à l’occasion de la primaire du parti démocrate, Barak Obama a recueilli près de trois
fois plus de fans sur sa page Facebook qu’Hilary Clinton, un indicateur de puissance qui
aujourd’hui fait partie de la vie politique.
En France, une vraie bataille sur internet était annoncée pour l’élection de 2007, mais
on peut dire que la première campagne où internet a vraiment eu du poids a été celle de 2012,
ne serait-ce que parce que les personnages et les partis politiques ont apprivoisé et se sont
servi massivement de Twitter, le réseau de micro-blogging qui permet de poster une phrase ou
un lien de moins de 145 caractères6. Ainsi, bien qu’internet reste toujours derrière le média
télévisuel dans la hiérarchie des moyens de renseignement des français, il est bel et bien entré
dans la vie de ces derniers7, ce qui est un élément à ne pas négliger.
Mais les réseaux sociaux numériques, ce sont aussi un moyen de toucher une
population jeune. En effet, sur Facebook, le premier réseau social numérique français, les 1824 ans représentent en 2012 25% des utilisateurs, et les 25-34 ans 26%, soit à eux deux plus
de 50%8 des membres français du réseau social. Avec 955 millions d’inscrits au monde et 26
5
Vedel Thierry et Cann Yves-Marie, « Internet, une communication électorale de rupture ? » dans P. Perrineau
dir., Le vote de rupture, Les Presses de Sciences Po, Paris, 2008, p53
6
Vuetaz Audrey «Twitter influence t’il la campagne de 2012 ? » Journalisme .info
7
Baromètre politique français et Panel électoral français, 2006-2007, Cevipof-ministère de l’Intérieur
8
Rapport Nielsen Online – Juillet 2012
10
millions d’inscrits en France, c’est le réseau social numérique par excellence, et celui sur
lequel va se pencher notre étude. D’autant plus que les partis ne s’y sont pas trompés et y ont
une présence accrue, et tout particulièrement le Front National avec ses 89 106 fans (au 7 août
2012), soit bien plus que les 57 040 fans du Parti Socialiste (idem), pourtant parti pour lequel
les jeunes ont le plus voté à l’élection présidentielle de 20129.
Les jeunes
Nous considérerons comme « jeunes » la tranche d’âge 18-24ans, par souci de
précision scientifique. En effet, nombre de nos sources proviennent du CEVIPOF10, pour
lequel les 18-24ans représentent une catégorie d’âge pour la majorité des études. C’est aussi
une tranche d’âge que nous avons retrouvé dans de nombreux articles scientifiques, et sur
Facebook.
C’est une catégorie de la population particulièrement intéressante à étudier en science
politique car elle représente l’âge du premier vote, c’est une population neuve qui a la
possibilité de s’exprimer, avec de nouvelles revendications ou de nouvelles priorités. C’est
également une population qui n’a pas forcément conscience de l’histoire politique un peu
ancienne, les manuels d’histoire n’abordant que rarement les 20 dernières années, un facteur
qui peut prendre toute son importance dans le cas du Front National de Marine Le Pen.
Mais surtout c’est une génération qui a été dès l’adolescence pour la fin du panel,
avant pour les autres, confrontée à l’infini qu’offre l’internet, et c’est pour cette tranche d’âge
leur premier moyen d’information politique11, avant la télévision. De plus ils sont une grande
majorité à être présents sur Facebook, la plateforme qui servira à notre étude.
Intérêt du sujet
L’étude des stratégies de communication numérique du Front National présente toute
une série d’intérêts.
Tout d’abord nous sommes actuellement dans un contexte de bouleversement des
équilibres dans le domaine des médias. Ce qui était vrai hier ne l’est plus obligatoirement
aujourd’hui. En témoigne l’ouvrage La politique en France et en Europe, sous la direction de
9
Anne Muxel, « Le soutient déterminant des jeunes à François Hollande », Le Figaro, 9 mai 2012
CEVIPOF : Centre de Recherches Politiques de Sciences Po
11
Enquête postélectorale, 2007, CEVIPOF-Ministère de l’Intérieur
10
11
Pascal Perrineau et Luc Rouban12. Paru pourtant en 2007, le chapitre sur les médias ne
recense pas les pratiques sur internet, alors qu’Arnaud Mercier qui écrit ce chapitre pointe
pourtant qu’internet a dépassé en 2006 le support papier comme moyen d’information chez
les européens. Le champ d’étude de la politique sur internet en est à ses débuts, et le support
évoluant tellement rapidement, les études sont très vite dépassées, ce qui fait tout l’intérêt de
ce domaine de recherche.
D’autre part depuis 2002, le Front National est une force politique majeure en France,
une force qui inquiète, qui intrigue, mais surtout une force dans laquelle se sont retrouvés près
de 18% des français aux dernières élections. Ce qui marque également, c’est que de nature
traditionnaliste, le Front national est particulièrement présent sur le domaine du numérique, et
réussit à première vue mieux que ses concurrents pourtant plus progressistes. Mais aussi et
bien sûr, c’est le parti numéro un en France sur Facebook. La plateforme regroupant un grand
nombre de jeunes, cela intrigue, puisque depuis les débuts de la Ve république, à l’exception
de l’élection de Jacques Chirac en 1995, les jeunes ont toujours voté en majorité à gauche13.
Aussi avant l’élection on pouvait se demander si cet équilibre allait se retrouver bouleversé, et
si oui, pourquoi.
Ce qui est intéressant ici, c’est d’essayer de comprendre les ressorts d’un parti qui
essaye d’attirer une nouvelle frange de votants, à travers des outils adaptés. Mais aussi de
comprendre le fonctionnement du domaine politique sur un réseau social.
En outre, le Front National est en cours de mutation avec l’arrivée de Marine Le Pen
en tant que présidente du parti. Un changement qui passe par une communication offensive, à
première vue très efficace. Une communication qui vise à gommer l’image polémique
qu’avait donnée son père au Front National, notamment en tenant des propos racistes ou
révisionnistes. La communication prend un nouvel essor dans ce Front National là, et cela
parait pertinent de l’analyser avec comme point d’entrée les jeunes et la communication
numérique, car un réel effort à été fait à ce point de vue, dans l’optique de la campagne
présidentielle de 2012.
12
13
P. Perrineau et L. Rouban dir., La Politique en France et en Europe, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007
Muxel Anne, « Les jeunes sont-ils plus à gauche ? », Avoir 20ans en politique, Seuil, Paris, 2010 p145
12
Problématique
Le Front National est comme nous l’avons vu le premier parti sur Facebook, bien qu’il
ne soit pas le premier parti politique français en nombre de voix. Nous nous sommes donc
attachés à tenter de résoudre ce paradoxe, en étudiant d’une part la stratégie mise en place par
le FN de Marine Le Pen envers la communication numérique et la communication visant les
jeunes.
Et d’autre part nous avons tenté de comprendre les ressorts internes qui peuvent
pousser un jeune à devenir fan d’une page politique sur Facebook, à travers le contexte
général, mais aussi le jeu du réseau qui se fait sur cette plateforme, par le biais de pages qui
pointent vers d’autres pages.
Ainsi nous tentons de comprendre d’une part la stratégie émise et d’autre part les
mécanismes d’adhésion qui sont à l’œuvre, par le biais d’un sondage et de l’analyse des
réseaux sociaux.
Ce qui est questionné principalement ici, c’est la notion d’appartenance et d’identité
que peut revêtir Facebook. Nous avons fait l’hypothèse que les pages nationalistes fournissent
un vivier pour le Front National sur Facebook. Par leur dimension identitaire, plus marquée
que la majorité des mouvances politiques, ils se fondent bien dans le paysage du réseau social
numérique, dont la description de soi passe souvent par ce que l’on « aime ».
Etat des connaissances
De très nombreuses études ont été menées sur le Front National et ses électeurs, dont
les spécialistes sont parmi les plus reconnus de la sociologie politique, à savoir Nonna Mayer
et Pascal Perrineau14. Ils ne sont cependant pas les seuls sur lesquels je m’appuierai au cours
de ce mémoire. L’enquête de Birgita Orfali, L’Adhésion au Front National15, a été un
précieux document de travail. Cependant du fait de l’arrivée récente au pouvoir de Marine Le
Pen, en 2011, peu d’ouvrages sont capables de dire quel est l’impact de ce nouveau
management. Ce qui fait tout l’intérêt de la recherche actuelle.
14
Nonna Mayer est la présidente de l’Association Française de Science Politique et Pascal Perrineau le directeur
du CEVIPOF, entre autres distinctions.
15
Orfali Birgitta, L’Adhésion à l’extrême droite, L’Harmattan « Logiques Sociales », Paris, 2012
13
Concernant les jeunes et leurs engagements politiques, les écrits de la sociologue Anne
Muxel16 du CEVIPOF, m’ont été particulièrement utiles. Ceux de Magali Boumaza, avec sa
thèse Le Front National et les jeunes de 1972 à nos jours17 m’ont permis une première
approche des motivations des jeunes à se porter militant du FN, toutefois sa période d’étude
se situe avant la démocratisation d’internet, c’est donc une génération différente qui est
étudiée. Les écrits de Monique Dagnaud18sur les jeunes et les réseaux sociaux chez la
génération Y19 m’ont aussi apporté beaucoup d’éléments, que j’ai transposés au domaine
politique.
Pour ce qui est des réseaux sociaux numériques, j’ai essentiellement puisé dans des articles
scientifiques parus sur les revues spécialisées sur les réseaux sociaux, le marketing mais aussi
la science politique. Du fait de la rapide évolution dans ce domaine, les ouvrages imprimés
sont rapidement dépassés. Deux études sur le parti socialiste dans le domaine du numérique
m’ont aiguillée sur la méthode à adopter ainsi que sur les résultats à attendre. Il s’agit d’un
article de Thierry Barboni et Eric Treille20, ainsi que d’un article de Maria Mercanti-Guérin21.
Toutefois je n’ai trouvé aucune documentation se rapportant directement à mon sujet d’étude,
à savoir le FN sur les réseaux sociaux.
Méthodologie
La première partie de mon travail correspond à l’étude d’une stratégie de parti
politique. Il apparait donc logique que je choisisse comme cadre conceptuel la sociologie des
partis politiques, en suivant l’exemple d’Alexandre Dézé22 qui rappelle qu’un parti est d’une
part une « entreprise » politique (Offerlé 2010)23 réunissant des gens « intéressés » par
l’obtention de « profits », les profits électoraux, et donc ici la conquête du pouvoir. Mais aussi
16
Muxel Anne, Avoir 20ans en politique, Seuil, Paris, 2010
Boumaza Magali, Le Front National et les jeunes de 1972 à nos jours, Thèse doctorat Strasbourg 3, 2002
18
Dagnaud Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion, Paris, Les
Presses de Sciences Po, 2011
19
La Géneration Y désigne les individus nés entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990. On les
appelle aussi les digital natives, car c’est la première génération à avoir connu jeune l’usage d’internet.
20
Barbony Thierry et Treille Eric, « L’engagement 2.0 » Les nouveaux liens militants au sein de l’e-parti
socialiste, Revue française de science politique, 2010 /6 Vol.60
21
Mercanti-Guérin Maria, « Facebook, un nouvel outil de campagne : Analyse des réseaux sociaux et marketing
politique » , La revue des sciences de gestion, Direction et Gestion, n°242, Mars-Avril 2010
22
Dézé Alexandre, Le Front National à la conquête du pouvoir ?, Armand Colin « Elements de réponse », Paris,
2012
23
Offerlé M., Les partis politiques, Paris, PUF, 7eme édition, 2010
17
14
une «institution de sens » (Hastings 2001)24, c'est-à-dire une instance productrice d’idéologie.
Ce cadre permettra la mise en perspective de la stratégie de FN sur le plan idéologique et ainsi
que sur le terrain de la lutte face à d’autres partis.
Néanmoins j’emprunterai beaucoup au marketing politique. Car plus que tout c’est de
cela qu’il s’agit, l’entreprise visant à obtenir un maximum d’électeurs pour accéder au
pouvoir. L’étude du marketing politique permet de mettre à jour certains ressorts et leur
efficacité.
Dans un deuxième temps, nous utiliserons l’analyse des réseaux sociaux (ARS),
toujours dans une perspective sociologique, en effectuant une analyse netnographique. Pour
Robert Kozinets c’est « Une nouvelle méthode de recherche qualitative qui adapte la méthode
ethnographique à l’étude des cultures et des communautés qui émergent grâce aux
communications automatisées »25.Un domaine qui emprunte beaucoup à la sociologie
politique et aux sciences de l’informatique et de la communication. Elle sera relayée par un
sondage réalisé sur une centaine de jeunes entre 18 et 24 ans. Cette analyse permettra d’une
part d’analyser les thèmes abordés sur les pages Facebook, d’observer les interactions qui s’y
déroulent, mais aussi de cartographier le réseau non officiel faisant référence au Front
National.
J. Füller et al. (2008)26 identifient cinq étapes structurant la méthodologie de la
netnographie :
•
Etape 1 : Détermination des objectifs de la recherche
•
Etape 2 : Identification et sélection des communautés
•
Etape 3 : Observation et collecte de données
•
Etape 4 : Analyse des données et interprétation des résultats
•
Etape 5 : Transfert des résultats en solution
Nous avons suivi cette méthodologie lors de notre analyse netnographique sur Facebook
des groupes gravitant autour des pages officielles du parti.
24
Hastings M. « Partis politiques et administration de sens » dans Andolfatto D., Greffet F., Olivier L. dir., Les
partis politiques : quelles perspectives ?, Paris, L’harmattan, 2001
25
Robert Kozinets, Netnography : Doing research online, Sage publications Ltd, Toronto, 2010
26
Füller J., Jawecki G. et Münhlbacher H. « Innovation creation by online basketball communities », Journal of
business research, n°60, 2007
15
Afin de nous apporter d’autres éléments, nous aurions aimé recueillir des témoignages de
jeunes adhérents du Front National. Cependant, malgré plusieurs tentatives de prise de contact
avec la section locale du Front National de la Jeunesse (FNJ), il n’a pu être possible de
rencontrer des militants.
Annonce de la logique de réflexion et aperçu des résultats
Nous avons voulu dans un premier temps analyser les raisons qui pouvaient pousser
un jeune à se déclarer « fan » du Front National sur Facebook. Pour cela nous avons analysé
les ressorts externes, à savoir un contexte de montée des extrêmes-droites en Europe, et un
contexte de crise économique doublé d’une crise démocratique ; mais aussi les ressorts
internes du Front National, à savoir la mise en place d’une stratégie de la part du parti pour
séduire les jeunes (et les moins jeunes), en s’appuyant sur un contexte qui leur est favorable.
Dans un deuxième temps nous nous sommes penchés plus en profondeur sur la stratégie
numérique du Front National. Les jeunes générations étant les plus nombreuses sur ce média
qu’est internet, c’est une stratégie qui les vise directement. Nous souhaitons mesurer les
efforts qui ont été faits au niveau communicationnel pour sensibiliser au discours du FN les
jeunes électeurs, notamment en misant beaucoup sur la viralité des contenus. Une stratégie qui
a fait ses preuves, comme nous le verrons dans le deuxième chapitre de cette seconde partie
qui analyse de façon netnographique le réseau autour des pages officielles du parti. Cette
dernière partie nous montre que d’une part l’influence des partis politiques sur Facebook est
limitée, le sondage nous montrant que peu de jeunes souhaitent dévoiler leurs préférences
politiques sur la plateforme, mais que cependant le Front National voit son image relayée dans
un vaste réseau de pages thématiques. Un réseau qui fortifie le réseau officiel et permet la
diffusion d’un cadre de pensée via du matériel développé par le parti. Des résultats à double
tranchant donc.
16
Partie 1
Analyse Contextuelle : Un environnement de crises, appui
pour le développement du Front National auprès des jeunes
Avec ses 18,3 % en termes de voix aux élections présidentielles de 2012 (chiffre TNS
Sofres), le Front National a repris sa place de troisième parti français, qu’il avait perdue aux
élections de 2007 où il n’avait fait que 10,44% des voix. Une telle reconquête ne peut se faire
sans compter sur une partie de la population souvent délaissée par les partis, la jeunesse. C’est
donc une partie de cette stratégie que nous essaierons de décrypter à travers ce chapitre,
comment le Front National a tenté de séduire les jeunes, sur quel contexte il s’est appuyé.
Leur présence sur les réseaux sociaux relève de cette stratégie, mais nous le verrons dans la
seconde partie, pour l’instant nous souhaitons révéler les ressorts de l’idéologie du parti qui
permettent aux jeunes de s’y identifier.
C’est une crise d’une grande ampleur qui touche actuellement l’Europe, crise
économique tout d’abord, touchant d’abord les plus exposés, les populations les plus
vulnérables, mais aussi une crise démocratique et une perte de confiance dans les institutions.
Aussi, avec un tel contexte, le continent voit refleurir sur son territoire mécanismes
protectionnistes et retour des nationalismes, le contexte idéal pour voir s’épanouir l’un des
plus gros partis nationalistes européens, Le Front National27.
Chapitre 1 La montée de l’extrême droite en Europe
La percée du Front National n’est en rien un phénomène isolé en Europe, c’est un
mouvement général de renouveau du national populisme auquel on assiste. Aussi nous
verrons dans un premier temps en quoi il s’agit d’un phénomène à l’échelle du continent, puis
dans un second temps nous verrons plus en détail le cas français.
Section 1
Un retour en puissance du national-populisme en Europe
Italie, Hongrie, Roumanie, Pologne, Suisse, France et bien sûr le dernier venu la
Grèce. Tous ces pays connaissent en leur sein une flambée des partis d’extrême droite28. C’est
27
Birgitta Orfali, L’Adhésion à l’extrême droite, L’Harmattan « Logiques Sociales », Paris, 2012, p.23
Pascal Perrineau, « L’extrême droite en Europe », dans P. Perrineau et L. Rouban dir., La Politique en France
et en Europe, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007, p. 392
28
17
donc un phénomène européen auquel on assiste, le retour du « national-populisme » dans la
vie politique selon les termes de Pierre-André Taguieff29.Cette formule pourrait être définie
comme un mouvement nationaliste, idéologiquement centré sur la défense de l’identité
nationale et fonctionnant sur un mode populiste où un leader charismatique multiplie les
appels au peuple supposé « sain » et « vertueux ». Que ce soit le FPÖ en Autriche, le Vlaams
Blok en Belgique, Alleanza Nationale en Italie ou encore l’Aube Dorée en Grèce, tous ces
partis peuvent se retrouver dans la définition donnée par Taguieff du national-populisme, mais
surtout ils partagent en commun le fait d’être des partis traditionnellement outsiders du jeu
politique qui ont gagné ces dernières années un poids considérable, les faisant passer du statut
d’underdog à celui de représentant de premier plan. Une force avec laquelle les partis
traditionnellement au pouvoir doivent composer, par le jeu des compositions de
gouvernement comme cela a été le cas en Belgique où il est formé proportionnellement, ou
encore en prenant en compte qu’il s’agit d’une réserve de voix non négligeable et intégrant
certains de ses thèmes de prédilections comme l’immigration, dans son programme, comme
l’a fait Nicolas Sarkozy en France.
La carte présentée à la page suivante, extraite d’un dossier spécial du Monde
Diplomatique30, représente les scores des partis d’extrême droite aux dernières élections
législatives. Cependant, pour le cas de France, la couleur n’est pas représentative de la
puissance de l’extrême-droite puisqu’aux élections législatives, cette mouvance réalise
toujours de bien moins bons scores que pour les éléctions présidentielles. Néanmoins aux
dernières législatives, le Front national a obtenu 13,6% des voix, ce qui place la France dans
la catégorie suivante, celle des 10 à 15%.
29
30
Taguieff Pierre André, Le nouveau national populisme, CNRS Editions, Paris, 2012
Mondes émergents, l’Atlas du Monde diplomatique, 2012
18
La réussite de ces partis peut s’expliquer par plusieurs raisons, pointées déjà en 2001
par Nonna Mayer31. Tout d’abord la chute de l’URSS a laissé derrière elle des partis
communistes européens qui n’ont pas tardé à se faire de moins en moins nombreux en termes
de voix, laissant toute une population sans repères et sans idéologie pour faire face au
capitalisme et à la mondialisation, d’où le repli identitaire et national. Pendant longtemps les
partis d’extrême droite luttaient d’ailleurs contre les partis communistes, à leur chute, une
reconstruction idéologique a eu lieu permettant d’intégrer les déçus du communisme. Ainsi ils
ont mis l’accent sur l’identité, la nation et la vision d’un Etat fort, en France, « l’ouvrieroLepenisme », tel que décrit par Nonna Mayer32, qui reprend beaucoup à l’organisation du
Parti Communiste Français, y compris dans ses thèmes. La crise est évidemment un élément
important de cette montée en puissance du national-populisme, un phénomène qui est
régulièrement observé en temps de crise économique, le protectionnisme et son pendant
idéologique, le nationalisme, sont renforcés. Et la situation vécue actuellement n’est pas sans
rappeler les heures les plus noires de l’Histoire européenne, lorsqu’à la suite de la crise de
1929, les partis nationalistes ont gagné en puissance, en Allemagne, en Italie, en Espagne,
mais aussi en France avec les ligues.
31
Mayer Nonna, Ces français qui votent Le Pen, Flammarion, Paris, 2002, p29
Pascal Perrineau parle lui de « Gaucho-Lepenisme », termes qui semble moins bien adapté, puisqu’en terme
d’identité, les électeurs du FNsont peu à se reconnaitre à gauche.
32
19
Xénophobie et discours anti-système
Les partis nationaux populistes européens se recoupent dans deux grandes
composantes de leurs discours : la xénophobie d’une part, avec le recours aux critiques contre
l’immigration, et leurs propos anti-système de dénonciation des élites et des institutions
d’autre part33. Cependant il faut rappeler que tous ces partis européens n’ont pas
nécessairement les mêmes valeurs et les mêmes buts, s’ils se retrouvent dans les grandes
lignes que nous venons de citer, ils peuvent être opposés entre eux. Ainsi, Jean-Marie Le Pen
a toujours refusé que son parti soit associé dans l’imaginaire collectif aux ligues34 et se défend
de toute référence au fascisme, au contraire, le Parti de l’Aube Dorée, en Grèce est un parti
ouvertement néo-nazi.
Les électeurs : une population majoritairement peu diplômée
Si nous nous intéressons plus particulièrement à la population qui vote pour ces partis,
on remarque clairement qu’en Europe, grâce à une enquête réalisée en 200435 que 84% des
personnes qui votent à l’extrême droite sont des personnes sans diplôme ou avec un diplôme
inférieur au secondaire. C’est donc cette population qui constitue un vivier pour ces partis.
Anne Muxel36 pointe d’ailleurs le fait que même chez les jeunes, cette répartition des
équilibres est valable. En effet, lors d’une enquête faite par le CEVIPOF sur l’électorat en
2007, elle découvre que la jeunesse non diplômée vote quatre fois plus que la jeunesse
diplômée à l’extrême droite.
Section 2
Vers une légitimation de l’extrême droite
Au cours de ses cinq années de mandat, nul président de la Ve république n’aura
autant parlé de thèmes chers à l’extrême droite que le président Sarkozy. Débat sur l’identité
nationale, stigmatisation de l’islam, lutte contre l’immigration ont été des maitres mots de son
mandat. Des mots, et des thèmes qui appartiennent au registre du national populisme, comme
le souligne Birgita Orfali dans L’adhésion à l’extrême droite. Le rapport de la CNCDH de
33
Perrineau Pascal, « L’extrême droite en Europe », dans P. Perrineau et L. Rouban dir., La Politique en France
et en Europe, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007 p396
34
Mayer Nonna, Ces français qui votent Le Pen, Flammarion, Paris, 2002, p28
35
Enquête ESS 2004
36
Muxel Anne, Avoir 20ans en politique, Seuil, Paris, 2010, p214
20
l’année 2010 le précise d’ailleurs : « L’année 2010 a été marquée en France par la succession
de débats, de prises de parole politiques, de polémiques qui ont pour point commun
d’interroger la place de l’étranger, du différent dans la société française actuelle », ce qui
conduit comme souvent dans les crises économiques à prendre l’étranger comme bouc
émissaire. Mais plus que ça, une enquête menée à l’échelle européenne par Kai Arzaheimer37
démontre que plus les formations en lice accordent de l’importance à l’immigration, plus elles
favorisent la montée en puissance des partis d’extrême droite. Ainsi M. Sarkozy depuis le
discours de Grenoble n’a eu de cesse de renforcer ce pouvoir en stigmatisant toujours plus les
étrangers, comme le pointe Nonna Mayer dans la préface du livre d’Alexandre Dézé, Le Front
National : A la conquête du pouvoir ?.
Marine Le Pen, la normalisation du grand parti d’extrême droite
Egalement en termes de légitimation, l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti a
beaucoup joué. Avec une image plus lisse, pas de dérapages verbaux sur les « détails de
l’histoire » comme son père, son élection parait plus plausible que celle de Jean-Marie Le Pen
auprès du grand public. En effet, Alexandre Dézé 38 parle du « relooking » que Marine a opéré
depuis 2002 sur le FN, en essayant de le « normaliser ». En témoigne un reportage diffusé
pendant la campagne sur la chaine parlementaire où une jeune fille explique que Marine Le
Pen n’est pas raciste, qu’il s’agit simplement d’un « cliché» « à cause de son père »39.
L’opération de normalisation semble ainsi avoir eu au moins quelques réussites chez les
jeunes.
Chapitre 2 Contexte de crise économique et stratégie du Front National
Avec la crise, le Front National a gagné en puissance, et surtout a su adapter son discours
pour séduire les populations les plus touchées. Nous analyserons dans un premier temps les
ressorts de l’attraction pour l’extrême droite en temps de crise, puis dans un second temps
nous nous pencherons sur la stratégie du FN pour réaliser cette attraction.
37
Kai Arzaheimer, « Contextual Factors and the extreme right vote in western Europe 1990-2000” , American
journal of political science, vol 53 n°2 p259-275
38
Dézé Alexandre, Le Front National à la conquête du pouvoir ?, Armand Colin « Elements de réponse », Paris,
2012, p133
39
« Mon village à l’heure de la présidentielle » diffusé sur la chaine LCP
21
Section 1 Contextualisation : La fragilisation de certaines populations, dont les
jeunes
Crise économique et « perdants de la mondialisation »
Nous l’avons vu, les crises économiques permettent souvent la résurgence des
mouvements nationaux-populistes. C’est évidemment le cas avec l’aggravation de la crise
économique qui atteint les pays occidentaux depuis 2007. Dans de nombreux pays d’Europe
les scores du chômage ont explosé, faisant craindre aux populations la perte de leur emploi.
Dans ce contexte, où la crise s’est propagée du fait de la mondialisation de l’économie, les
partis les plus à droite de l’échiquier mettent en avant le fait qu’il faille remettre des barrières
entre les pays, diriger l’économie vers le protectionnisme et effectuer un repli national. Un
discours qui semble approprié en ces temps troublés et qui parle à une partie de la population
tout particulièrement, ceux que Nonna Mayer nomme « les perdants de la mondialisation »40.
Les perdants de la mondialisation ce sont les catégories sociales les plus fragiles, les ouvriers,
les sans diplômes, les personnes au chômage, tous ceux qui sont dépendants de l’économie
mondiale sans avoir un pouvoir dessus, ceux qui ne voient que le côté négatif de ce
mouvement, à savoir délocalisations et libéralisation sauvage.
Les jeunes, une population fragile en temps de crise
Or parmi les populations les plus fragiles, on peut également classer les jeunes, de 18 à
30 ans. Car c’est une frange de la population qui est plus facilement touchée par le chômage
que les autres catégories. Et les données européennes sont alarmantes, notamment en Espagne
et en Grèce où le taux de chômage chez les jeunes atteint 52,1%41, et en France 22,7%. Avec
des taux pareils, il est difficile pour un jeune européen d’envisager l’avenir avec sérénité, et
cette jeunesse peut être tentée par les partis d’extrême droite qui pointent clairement le
coupable de ce chômage, l’immigration.
D’autre part, un autre phénomène touche les jeunes en France et en Europe, il s’agit du
déclassement social42. Une dégradation qui affecte toutes les catégories sociales. En effet, les
trajectoires ascendantes parmi les milieux les plus défavorisés se font de plus en plus rares,
alors que les parmi les jeunes issus des classes plus favorisées, un sur trois ne réussit pas à
reproduire la position sociale de son père, et ce malgré des études de second ou de troisième
40
Mayer Nonna, Ces français qui votent Le Pen, Flammarion, Paris, 2002, p28
Chiffres Eurostat juin 2012
42
Camille Peugny, Le Déclassement, Paris, Grasset, coll. « Mondes vécus », 2009 , p56
41
22
cycle. C’est donc une situation particulièrement rude pour la jeunesse, qui peut alors être
tentée de vouloir faire changer les choses.
Retour sur l’Histoire
Enfin, sur la crise économique on peut faire un parallèle inquiétant avec la crise de
1929 qui avait vu la montée des partis radicaux de droite et des émanations de cette tendance
politique. C’est Pascal Perrineau qui en parle le mieux malgré lui dans l’article rédigé sur
l’extrême droite en Europe pour l’ouvrage collectif La politique en Europe. En effet, il pointe
la montée en puissance de la xénophobie, et le repli national. Cependant, il se refuse à faire un
parallèle avec cette période, arguant qu’une crise économique d’une telle ampleur n’a pas lieu
en Europe, et citant en exemple la faiblesse de l’extrême droite grecque. Des paradigmes qui
ont tous les deux bien changé depuis 2007.
Section 2 Une idéologie adaptée : Vers le redressement de la France et la protection
des français
Le Front National a su tirer parti des crises économiques au fil du temps. Parce qu’il
désigne des ennemis clairs qu’il faut combattre, l’immigration et les élites au pouvoir, il est
une puissance protestataire qui a su attirer à elle une partie des classes les plus défavorisées.
C’est ainsi que depuis le début des années 1990, qui ont vu l’hémorragie du PCF, le FN est un
des partis qui regroupe le plus d’ouvriers, d’employés et de petits artisans en son sein. C’est
une stratégie que Nonna Mayer nomme « l’ouvriero-Lepenisme » et qui a fait ses preuves,
puisqu’en 2001, 47% des personnes ouvrières ayant un père et un conjoint ouvrier votaient
pour le FN43.
Aujourd’hui, le tryptique « chômage, immigration, insécurité » fait toujours recette
pour le FN, et la crise est une des composantes majeures de leurs discours. Quand on sait que
les jeunes sont les premiers touchés par cette crise, ce discours est particulièrement adapté.
Chômage et pouvoir d’achat
Si l’on compare objectivement tous les clips de campagne des candidats à la
présidentielle 2012 et que l’on cherche à savoir qui est le candidat du pouvoir d’achat, la
réponse saute aux yeux, il s’agit de Marine Le Pen. En effet, alors que tous parlent de valeurs,
43
Mayer Nonna, Ces français qui votent Le Pen, Flammarion, Paris, 2002, p36
23
emploient des grands mots idéologiques, y compris les candidats à
l’extrême gauche de l’échiquier, seule Marine Le Pen parle
seulement de problèmes directs : l’augmentation du prix du gaz ou
des biens de consommation44. Elle frappe au cœur de ce qui
concerne les français, la chute de leur niveau de vie. Ci-dessus est
une affiche téléchargeable sur le site du Front National reprenant
cette rhétorique.
Immigration
Nous l’avons vu, les grandes dépressions voient souvent l’arrivée d’une vague de
xénophobie. Cette crise n’échappe pas à la règle, et le FN, parti pionnier en France en la
matière, n’hésite pas à faire le rapprochement entre chômage et immigration. A une époque
où les emplois se font rares du fait de la crise, c’est un discours qui trouve un certain écho et
qu’ils ne se cachent pas d’avoir.
Décadence
Ce qui fait la cohérence de l’extrême droite française, c’est une notion qui rassemble
idéologiquement, une impression qui pousse les citoyens à s’engager : la décadence de la
France45. Décadence autant matérielle qu’idéologique, elle touche pour les militants
d’extrême droite notre pays de façon évidente, et voter pour Marine Le Pen est une façon de
« redresser la France », un terme qui revient régulièrement au fil de ses discours, et dont le
deuxième clip de campagne porte le nom. Redresser la France, c’est la faire revenir à un Etat
fort, capable de protéger ceux qui ont été oubliés par la politique européenne, les ruraux et les
classes défavorisées. Pour les jeunes générations, l’image de cet Eldorado perdu peut trouver
une caisse de résonnance. En effet, les jeunes de moins de 30 ans n’ont toujours connu que la
crise, et un discours vantant le « redressement » de l’économie et des valeurs morales peut
paraitre attractif.
44
45
Clip de campagne : www.frontnational.com/videos/ameliorer-le-pouvoir-dachat-des-francais/
Orfali Birgitta, L’Adhésion à l’extrême droite, L’Harmattan « Logiques Sociales », Paris, 2012, p58
24
Chapitre 3 Contexte de crise de la représentation politique et stratégie du Front
National
Une crise de la représentation politique est un problème majeur pour une démocratie,
cependant tous les partis n’en souffrent pas de la même façon, les partis dits « anti-systèmes »
en sont renforcés, comme c’est le cas pour le Front National. Après avoir énoncé les grands
points de cette crise nous verrons en quoi le FN bénéficie de cette dynamique.
Section 1
Contextualisation : Une perte de confiance envers les institutions
démocratiques
De l’avis de nombreux observateurs, les démocraties occidentales sont en train de
passer par une crise de leur système et une remise en question de leur fonctionnement.
Premier facteur, l’absentéisme électoral, qui est un symbole de la perte d’intérêt pour le
politique, ou de la perte de confiance dans les institutions. En France, pour les élections
européennes, le pourcentage d’abstention est monté à 57,2% près de deux tiers des électeurs
ne se sont pas déplacés. Il est vrai que pour les élections de type présidentiel, les taux de
participation sont plus élevés. Mais toujours est-il qu’une partie de la population ne se sent
pas concernée par le jeu politique, souvent les personnes les moins diplômées, qui ne se
reconnaissent pas dans ce système réservé aux « gens d’en haut » (Perrineau 2007)46. On
assiste à un repli sur la sphère privée, déjà pointé par Albert Hirshman en 198347 dans son
livre Bonheur privé, action publique. Selon lui les sociétés démocratiques connaissent des
phases cycliques de fort engagement dans l’action publique et d’autres de repli sur la sphère
privée. Nous serions dans une phase de désillusion de l’action publique.
Méfiance envers les institutions et les élites au pouvoir
Mais outre un fort abstentionnisme en France, on remarque aussi une crise de
légitimité des partis au pouvoir comme le montrent les chiffres48 : 45% des français ne font
pas confiance aux hommes politiques et 57% n’ont qu’une faible satisfaction du
fonctionnement de la démocratie. Un manque de confiance donc généralisé, qui fait le beau
jeu des partis qui se présentent comme les attaquants de la « sclérose du système » tel que le
Front national en France. Plus que cela, cette même enquête montre que chez les électeurs
46
Perrineau Pascal, « La crise de la représentation politique», dans P. Perrineau et L. Rouban dir., La Politique
en France et en Europe, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007, p16
47
Alfred O. Hirsman, Bonheur privé, action publique, Fayard, Paris, 1983
48
Enquête ESS 2004
25
d’extrême droite français, ils sont 80% à être faiblement satisfaits du fonctionnement de la
démocratie. Pippa Norris
49
parle de « cynisme croissant », en effet, alors que le système
démocratique progresse dans le monde, la confiance en ce système décroit. En France, en
2011, 72% des français pensent que les élus et dirigeants français sont plutôt corrompus50, un
des signes que ce « cynisme croissant » est bien réel et se fait sentir dans notre pays.
Un « cynisme croissant » particulièrement présent chez les jeunes
Du côté des jeunes, puisque c’est notre sujet d’étude avant tout, ce cynisme est
particulièrement prégnant et renforcé par des émissions telles que Les guignols de l’info ou Le
petit journal qui mettent en avant le spectacle électoral et ses faiblesses de façon
humoristique. En effet, plus d’un jeune sur deux suit régulièrement Les guignols de l’info51,
57% des 15-30ans, et 77% des personnes les regardant trouvent que les vicissitudes des
personnages ne sont pas exagérées. Pour Anne Muxel52, regarder ce genre d’émission est un
signe du temps, mais aussi signe d’une génération pour laquelle la critique est jugée salutaire,
une génération qui entretient la défiance à l’égard des organisations à caractère politique.
D’un autre côté on observe une augmentation parmi la population de ce que Nonna
Mayer appelle des « Ni ni »53. Ce sont des électeurs qui refusent le clivage traditionnel gauche
droite et ne se reconnaissent pas dans ce système bipartisan, où seulement le Parti Socialiste et
l’Union pour un Mouvement Populaire sont considérés comme grands partis. Parmi les
personnes votant pour le Front National, on retrouve de nombreux ninistes, qui refusent ce jeu
électoral à deux choix. Or les électeurs du FN ne sont pas les seuls, et les jeunes sont
nombreux à ne pas se retrouver dans ce schéma classique. En témoigne le large vote des
jeunes en direction de François Bayrou en 2007, avec 28% du vote des jeunes54, celui qui
proposait une troisième voix se place très bien. Une preuve que les jeunes sont sensibles à un
discours de troisième voix, ni à gauche ni à droite, qui peut être celui du FN aussi.
49
Pippa Norris, Critical Citizen, Global support for Democratic Governance, Oxford, Oxford University Press,
1999
50
Sondage TNS-Sofres pour La matinale de Canal + en face à face, 23-26 septembre 2011, échantillon national
de 1000 personnes repésentatif de la population de 18 ans et plus.
51
Olivier Donnat dir., Les pratiques culturelles des français à l’ère du numérique. Eléments de synthèse 19972008, Ministère de la Culture et de la Communication, coll. « Culture études », octobre 2009
52
Muxel Anne, Avoir 20ans en politique, Seuil, Paris, 2010, p86
53
Mayer Nonna, Ces français qui votent Le Pen, Flammarion, Paris, 2002
54
Panel électoral français 2007, CEVIPOF
26
Montée de l’impolitique et refus de la hiérarchie
Cependant toutes ces observations de recul et de méfiance vis-à-vis du politique sont à
mettre en perspective. Pierre Rosanvallon55 rappelle le fait que plus qu’une dépolitisation des
jeunes, nous assistons à une montée de l’impolitique puisque les jeunes s’engagent vers
d’autres chemins, comme les ONG, il s’agit d’un militantisme moral. Anne Muxel56 le pointe
et rappelle qu’en France 75% des gens seraient prêts à aller manifester pour une cause qu’ils
souhaitent défendre, un chiffre qui rappelle que l’intérêt politique est bien là.
Enfin, dernier point sur la crise démocratique, Pascal Perrineau57 à propos des jeunes
exprime le fait qu’ils désertent les partis par refus de l’autorité verticale, ce pourquoi ils
préfèrent des organisations moins hiérarchiques comme certaines ONG. En cela, les stratégies
web des partis peuvent jouer un rôle déterminant, car le web a la possibilité de gommer les
hiérarchies et de faciliter la parole. C’est l’expérience qui a été tentée avec la Coopol du Parti
Socialiste58.
Section 2
La crise démocratique, un atout dans le camp des partis anti-système
Le web 2.0. Renouveau démocratique ?
En ces temps de crise démocratique, beaucoup ont imaginé qu’internet émergerait
comme un nouveau pouvoir, un pouvoir efficace qui permettrait aux citoyens de s’exprimer
librement et de remettre en doute ce qui a été dit par les plus hautes instances. La fin de
plusieurs générations de communication top down59, puisqu’avec le net 2.0, le citoyen peut
enfin s’exprimer par un média. Cette façon de s’exprimer, la génération Y, à savoir les jeunes
de 18 à 30 ans aujourd’hui, y est habituée, en maitrise les codes et n’envisage pas qu’il puisse
en être autrement60. Internet apparait pour eux comme un contre-pouvoir, permettant de
dénoncer et de contrôler ce qui se passe en démocratie. Sans aller jusqu’à parler de Wikileaks
55
Rosanvallon Pierre, La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Seuil, Paris 2006
IPSOS, 13-14 mars 2009
57
Perrineau Pascal, « La crise de la représentation politique», dans P. Perrineau et L. Rouban dir., La Politique
en France et en Europe, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007, p27
58
Barbony Thierry et Treille Eric, « L’engagement 2.0 » Les nouveaux liens militants au sein de l’e-parti
socialiste, Revue française de science politique, 2010 /6 Vol.60
59
La communication dite top down ne permet pas une interactivité directe, un émetteur envoie un message, reçu
par les récepteurs. C’est le modèle des médias de masse.
60
Dagnaud Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion, Paris, Les
Presses de Sciences Po, 2011
56
27
qui révéla au monde nombre de dossiers secrets américains, on peut penser aux journaux tels
Rue 89 dont les commentaires sur les articles sont souvent aussi riches que les articles en
termes de critique et d’apports. Or, ce rôle de contre-pouvoir dans le jeu politique actuel, ce
sont les extrêmes qui se l’approprient, à l’extrême gauche comme à l’extrême droite, ils
dénoncent la connivence des élites, et le FN en tant que troisième parti de France en a fait une
thématique récurrente de son discours. Aussi, il n’est pas étonnant de voir que le FN tente de
s’appuyer sur les réseaux du net dans son rôle de contre-pouvoir, car le web 2.0 est par
essence un contre-pouvoir, un lieu où les opinions divergentes peuvent s’appuyer.
Critique du rôle des médias par le FN
Cette volonté de s’établir sur internet et sur les réseaux sociaux est en outre totalement
en accord avec une stratégie de communication qui depuis de longues années invoque la
« diabolisation » du FN par les grands médias61. En effet, régulièrement, les dirigeants du FN
affirment qu’ils reçoivent une différence de traitement dans les médias traditionnels, soit
télévision, journaux et radio. Ils n’hésitent pas à clamer la connivence entre les partis au
pouvoir, « l’UMPS » comme ils les nomment, et les journalistes (donner exemple). C’est une
sorte de martyrisation, qui incite les partisans à se renseigner de préférence sur les réseaux
officiels du FN. En cela internet a changé la donne, car il devient beaucoup plus facile
qu’auparavant de se renseigner sur le parti, ses buts et ses projets sans pour autant avoir à
franchir le cap de se présenter physiquement au parti. En effet, Barboni et Treille62 ont
constaté pour le Parti Socialiste que lorsque le parti avait lancé son adhésion à 20€ sur
internet, il avait récolté de nombreux militants, cependant moins de la moitié d’entre eux se
sont présentés au siège local pour valider l’inscription. Une preuve de la difficulté de passer le
cap entre partisan et militant.
« L’UMPS », creusement de la tendance « ni-niste »
Les études sur la crise démocratique ont montré un désintéressement de la politique
parmi toutes les générations, et principalement les plus jeunes, et une méfiance grandissante
envers les partis au pouvoir. Le FN creuse cette tendance « ni-niste » en dénonçant haut et fort
la connivence des partis majoritaires, à savoir l’UMP et le PS. C’est une partie majeure de
leur discours, la dénonciation de ce qu’ils nomment « L’UMPS », deux partis qui appliquent
61
Dézé Alexandre, Le Front National à la conquête du pouvoir ?, Armand Colin « Elements de réponse », Paris,
2012
62
Barbony Thierry et Treille Eric, « L’engagement 2.0 » Les nouveaux liens militants au sein de l’e-parti
socialiste, Revue française de science politique, 2010 /6 Vol.60
28
selon eux les mêmes politiques. Quand on sait que les
jeunes sont sensibles à cette théorie, notamment parce
qu’ils ont été nombreux à voter Bayrou (28% en 2007), ou
parce qu’ils regardent d’un œil méfiant les élites au
pouvoir, cette recette peut faire succès. Ce n’est d’ailleurs
pas un hasard si de nombreuses photos estampillées
« UMPS » proviennent de la page Facebook « Les jeunes
avec Marine », ce que nous verrons plus précisément dans
la deuxième partie. L’image est extraite du site web des
Jeunes avec Marine.
Absence de représentation, le signe d’une démocratie malade
Un autre aspect synonyme pour le FN et pour de nombreux observateurs de la crise
démocratique est la quasi non représentation de ce parti dans les instances de gouvernement,
et plus précisément à l’assemblée. En effet, en 2002, alors que le parti arrive au second tour
des élections présidentielles, il n’obtient aucun siège à l’assemblée. Pour de nombreux
commentateurs, et pour le FN en tout premier lieu, c’est bien le signe que la démocratie est
malade, que ses institutions sont dépassées et qu’il faudrait du changement pour qu’elles
soient vraiment démocratiques. Aujourd’hui le FN dispose de deux députés, mais c’est peu
par rapport à son score aux élections présidentielles. Ce dysfonctionnement des institutions va
dans le sens du Front national, qui trouve une fois de plus un argument de martyrisation.
Valorisation du militantisme
Concernant cette crise démocratique toujours, on observe un effet inverse pour le
Front National. Déjà, Magali Boumaza le mentionnait dans sa thèse sur les jeunes et le FN63,
adhérer au parti est exclusif. Un témoignage d’un jeune homme ayant adhéré indique être
rentré au FN et avoir trouvé comme une deuxième famille, alors que la sienne refusait de le
voir. Si Birgita Orfali64 précise que la majorité du temps la famille approuve les idées du FN,
elle soutient elle aussi que ce parti a une grande capacité intégratrice en son sein. Alors que le
militantisme est en crise, l’extrême droite le valorise particulièrement, en permettant à ses
militants de composer avec un monde où sa propre identité sociale est valorisée. « Etre
membre du FN c’est pouvoir redessiner la cartographie politique, sociale et culturelle de la
63
64
Magali Boumaza, Le Front National et les jeunes de 1972 à nos jours, Thèse doctorat Strasbourg 3, 2002
Orfali Birgitta, L’Adhésion à l’extrême droite, L’Harmattan « Logiques Sociales », Paris, 2012, p106
29
France de façon à trouver un équilibre personnel et social. » Etre militant apporte donc une
sécurité et une sensation de communauté qui rassure, redonne confiance, notamment du fait
de l’exclusion sociale partielle de ceux qui assument être militants au FN. Ainsi, c’est l’un des
rares partis où le militantisme est le plus valorisé.
La séduction de jeunes travailleurs, une opération réussie
Enfin, il faut préciser dans les chiffres que le Front National a déjà réussi à séduire les
jeunes lors de l’élection de 2007, et plus particulièrement les jeunes travailleurs. En effet, ils
ont été 22% des jeunes travailleurs à voter pour Jean-Marie Le Pen à cette élection, alors que
le score total pour le candidat n’a été que de 10,44% pour l’ensemble des votes exprimés. Ils
ont donc réussi à séduire une part non négligeable de cette population jeune, bien qu’ils ne
séduisent pas les étudiants, qui ont été moins de 3% à voter pour lui. Aussi le FN avait tout
intérêt à adopter une stratégie qui leur soit adaptée.
30
Partie 2
Analyse stratégique : La communication numérique, outil
de transmission idéologique auprès des jeunes
Le contexte actuel est donc, comme nous venons de le voir particulièrement favorable au
Front National, et ses stratèges mettent en avant une idéologie qui peut séduire les jeunes
générations. Aussi après avoir expliqué les raisons idéologiques et contextuelles qui pouvaient
pousser les jeunes à se tourner vers le Front national, nous allons tenter de décrypter la mise
en place concrète de la stratégie communication du parti envers cette génération, et plus
particulièrement sa stratégie sur les réseaux sociaux, puisque nous souhaitons comprendre
comment le FN a pu devenir le premier parti politique français sur Facebook.
Nous verrons donc dans un premier temps le déploiement de la stratégie communication
sur les réseaux sociaux, et dans la dernière partie nous nous interrogerons sur les facteurs
externes qui peuvent expliquer cette place de numéro un, à savoir les nombreux groupes
nationalistes et identitaires qui peuvent servir de soutien à la campagne, et aux idées du parti,
à travers une analyse netnographique.
Chapitre 1 Limites de la puissance du média internet
Avant d’aller plus loin dans l’explication de la stratégie internet, et plus spécialement sur
les réseaux sociaux, du FN, il est important de rappeler quelques chiffres qui remettent en
perspective l’importance de ce média. En effet, en 2007, 83% des électeurs préfèrent
s’informer par la télévision que par internet, ce premier étant le média principal en France.
D’autre part, parmi ceux qui citent le net comme moyen d’information, 56% ont moins de
35ans65. Ces deux chiffres nous montrent bien à quel point la stratégie internet ne peut toucher
qu’une petite partie de l’électorat, dont les jeunes sont la priorité.
En outre, il faut rappeler que ce que Pascal Perrineau appelle « la démocratie
électronique » ne doit pas être vue comme un substitut aux médias démocratiques
traditionnels, mais plutôt comme un moyen de revitalisation de cette démocratie66. Nous ne
65
Enquête postélectorale, 2007, CEVIPOF-Ministère de l’Intérieur
Perrineau Pascal, « La crise de la représentation politique», dans P. Perrineau et L. Rouban dir., La Politique
en France et en Europe, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007, p33
66
31
parlons pas d’un moyen surpuissant qui viendrait se substituer aux institutions existantes et
aux stratégies militantes, mais plutôt d’un moyen utilisé par les partis pour tenter de
redynamiser leur système militant. L’enquête de Barboni et Treille
67
sur le e-Parti Socialiste
le confirme d’ailleurs, bien que les stratégies menées sur internet ne soient pas un échec, elles
ne bouleversent en rien la hiérarchie militante.
La France est également un des pays les plus atypiques sur le plan de l’information en
politique, qu’il convient de le rappeler. En effet, l’enquête menée par le CEVIPOF sur les
médias en Europe68 fait clairement apparaitre un phénomène étonnant. Les français font parti
des peuples les plus politisés en Europe, en revanche ils se classent parmi les derniers en
matière de recherche d’informations politiques dans les médias, ils sont parmi ceux qui
regardent le moins les émissions politiques à la télévision, à la radio ou dans les journaux. Un
phénomène qui n’est pas sans rappeler les premières études sur les choix de l’électeur menées
par Lazarsfeld69 en 1944, les médias ne permettent pas à l’électeur de changer d’avis dans la
majeure partie des cas, car les choix politiques sont le plus fréquemment influencés par le
milieu familial.
Ainsi, la stratégie internet ne peut expliquer qu’une infime partie des résultats
électoraux, mais c’est un passage obligé, que tous les partis mettent en place, et à laquelle ils
ne peuvent échapper. Un moment du jeu électoral qu’il est intéressant d’analyser pour
déterminer si un parti peut grâce à un nouveau média prendre de l’avance sur un autre.
De plus, sur internet plus que sur tout autre média, la recherche d’information dépend
de ce que la personne cherche, ce n’est pas un média de masse où le message sera diffusé de
toute façon, sur internet le message ne sera diffusé qu’à la personne qui a voulu se renseigner
sur ce message, c’est un média sélectif70. C’est en cela qu’il est un média d’activation71.
Dans cette partie nous allons donc tenter de mettre en lumière la stratégie web 2.0 du FN.
67
Barbony Thierry et Treille Eric, « L’engagement 2.0 » Les nouveaux liens militants au sein de l’e-parti
socialiste, Revue française de science politique, 2010 /6 Vol.60
68
Enquête ESS 2004 publiée dans Mercier Arnaud, « Médias et recherche d’information politique », dans P.
Perrineau et L. Rouban dir., La Politique en France et en Europe, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007, p281
69
Lazarsfeld Paul, The people’s choice, 1944
70
Muxel Anne, Avoir 20ans en politique, Seuil, Paris, 2010, p85
71
Schier Steven E., “Aiming a riffle and missing millions: Campaign polling in contemporary politics”
Communication présentée à la Conference on polling and campaigns, Hubert Humphrey Institute, University of
Minnesota, 27 février 2007
32
Chapitre 2 La normalisation de l’image du FN : Génération Marine Le Pen
S’il était l’image même du leader charismatique et la première raison pour les militants
d’adhérer au Front72, Jean-Marie Le Pen n’était pas un personnage consensuel, et ses
multiples dérapages négationnistes ou ouvertement racistes ne pouvaient pas faire de son parti
un parti comme les autres. Même si en 2002 un important « relooking » avait eu lieu, le
posant sur son affiche comme un homme calme, la vraie phase de « normalisation »73 du parti
commence lorsque Marine Le Pen se fait de plus en plus présente sur les plateaux de
télévision, de radio et dans la presse, à partir de 2002. Beaucoup disent qu’elle est son atout
communication alors. Aujourd’hui c’est elle qui est à la tête du parti et la « normalisation » du
FN est une composante non négligeable de ses stratégies de communication. Alexandre Dézé
s’avance même à dire qu’ayant souffert de la « diabolisation » du parti dans sa jeunesse, elle a
à cœur d’en faire un parti dans la normalité, qui ne soit plus stigmatisé74.
Sa réussite est en cours, déjà 52% des personnes interrogées par Birgita Orfali dans le
cadre de son enquête trouvent Marine Le Pen plus crédible que son père75. Ses clips de
campagne sont un bel exemple de cette normalisation. En effet, alors que celui de Nicolas
Sarkozy accuse directement l’immigration, celui de Marine Le Pen ne la mentionne même
pas, il y a beaucoup de non-dits, ce qui permet d’avoir l’image d’un parti qui n’est pas radical.
Or ces non-dits peuvent tromper une partie de la jeunesse, celle qui ne possède pas une culture
politique approfondie, celle qui n’a pas connu les dérapages médiatiques de Jean-Marie Le
Pen. Cette jeunesse là peut entendre un autre discours de la part du FN, celui qui insiste sur le
côté social, la protection des français. En effet, le parcours de la jeune Vénussia Myrtil peut
en être un exemple76. Ancienne militante au NPA, cette jeune fille de 21 ans, métisse, adhère
au FN et se présente dans la circonscription des Yvelines pour les élections cantonales de
2011. Elle soutient ouvertement le droit à l’avortement, les droits gays et lesbiens, s’attire les
foudres d’une partie du FN, et se fait même agresser physiquement par des militants
d’extrême droite lors d’une manifestation. Elle affirme haut et fort ne pas comprendre ce qui
72
Jean-Marie Le Pen disposait de la « légitimité charismatique » (Weber) Mayer Nonna, Ces français qui votent
Le Pen, Flammarion, Paris, 2002, p36
73
Dézé Alexandre, Le Front National à la conquête du pouvoir ?, Armand Colin « Elements de réponse », Paris,
2012, p133
74
idem
75
Orfali Birgitta, L’Adhésion à l’extrême droite, L’Harmattan « Logiques Sociales », Paris, 2012, p31
76
Fourest Caroline et Venner Fiammetta, Marine Le Pen, Grasset, Paris, 2011
33
fait l’originalité de sa situation77. Cet exemple, montre la réussite d’une politique de
normalisation, mais aussi de la stratégie « gaucho-lepeniste »78 du FN, qui, elle, date de
presque deux décennies. Car ce que Vénussia Myrtil a vu en premier à travers le FN, c’est son
côté social, sa volonté d’instaurer un Etat fort, et bien sûr son patriotisme.
D’autre part, un réel effort de « nettoyage » a été fait au sein du FN depuis l’arrivée de
Marine Le Pen à la tête du parti. Il faut que l’image du parti soit le plus irréprochable
possible, ce qui a entrainé l’éviction de plusieurs candidats aux législatives, notamment
Alexandre Gabriac (conseiller régional Rhônes Alpes et membre du bureau politique du FN),
dont ont circulé des photos où ils faisaient des signes ouvertement nazis. Cela ne veut pas dire
que les radicaux ne soient plus acceptés au FN, Steeve Briois79 en est un bon contre-exemple,
mais leur image doit être intacte. La brochure officielle du parti, L’image du Front National
du mois d’avril 2011 l’exprime clairement : à l’occasion du défilé du 1er mai, il faut « Refuser
toute inscription de personnes habillées en tenues folkloriques (treillis-rangers ou autres
skinheads) ». Ainsi les groupes à réputation violente ou sulfureuse sont exclus de la visibilité
du parti. Il s’agit de gommer l’image violente du FN, en coupant les liens (visibles) avec les
groupes d’extrême droite réputés violents, néo-nazis, skinheads etc.
Le nouveau FN se veut donc un parti comme les autres, avec une réputation qui se
veut irréprochable et qui coupe de façon visible les liens avec certaines factions d’extrême
droite. Une stratégie d’image destinée à séduire le grand public.
Chapitre 3 Un secrétariat à la communication numérique
Avant d’évoquer la création du secrétariat à la communication numérique, rappelons
que l’équipe communicante du FN est particulièrement jeune. En effet, tous font parti de la
nouvelle équipe mise en place par Marine Le Pen. Une équipe jeune, avec à sa tête Florian
Philippot, qui sait manier les nouvelles technologies et innovations de la communication.
En vue des élections de 2012, a été créé un secrétariat à la communication numérique
au sein du Front National. La création et l’existence même de ce secrétariat prouve à quel
77
Sophie de Ravinel et Pïerre Baudis « Vénussia Myrtil, Transfuge du NPA au FN », Le Figaro du 28 Février
2011
78
Nous employons ici le terme de « gaucho-lepenisme » (Perrineau) plutôt qu’« ouvriero-lepenisme » (Mayer)
car il convient mieux à ce cas de figure. L’emphase est mise sur le côté social.
79
Steeve Briois est le secrétaire national du Front National
34
point le Front National s’intéresse aux nouveaux médias. C’est David Rachline, un des jeunes
promus avec l’élection de Marine Le Pen à la tête du FN qui est en charge de ce secrétariat,
avec Julien Sanchez. Agé de 25ans il est conseiller de la région PACA et un des tout premiers
« Gars de la Marine », cette équipe de jeunes qui soutenaient Marine Le Pen pendant la
campagne interne. Il a été également le président du Front National des Jeunes, et est connu
pour avoir purgé les FNJ des éléments les plus perturbateurs, ses détracteurs vont jusqu’à
parler de « purges rachliniennes »80. Autant dire qu’il joue un rôle important dans la
normalisation du parti et les stratégies de communication.
Le fait que ce soit l’ancien président des FNJ qui soit responsable de ce secrétariat,
créé pour lui, nous permet de penser qu’il répond à un besoin ressenti en tant que président du
FNJ, une analyse d’un manque dans les stratégies communication du FN. On peut considérer
que le secrétariat à la communication numérique travaille en étroite relation avec le FNJ,
maintenant sous la présidence de Julien Rochedy.
Ce secrétariat voit le jour pour les élections de 2012, et c’est toute une stratégie sur le
web qu’il faut mettre en place. En effet, en 2007, alors que le parti socialiste, le Modem, les
Verts ou l’UMP avaient beaucoup investi dans ce domaine, de 6 à 9% de leur budget de
campagne, le FN n’avait investi que 0,3% dans les stratégies web81. Tout était donc à faire
pour les élections de 2012. Le FN a pris conscience qu’internet était devenu un média à ne pas
négliger, surtout que dans un esprit de conquête, les jeunes générations, les plus utilisatrices
de ce type de média, sont à séduire.
Si les autres partis ne s’y sont pas trompés en 2007, il est évident que les relations
entretenues entre les électeurs et les partis politiques sont en train de changer avec le web 2.0.
L’enquête de Barboni et Treille sur le « e-parti socialiste »82 nous montre que nous sommes
en plein changement de paradigme. En effet, alors qu’autrefois, et cela reste vrai pour le
moment, le parti était composé d’adhérent-militants, on évolue aujourd’hui vers le concept
d’adhérent-électeur. Le plus bel exemple est les primaires citoyennes organisées par le parti
socialiste en septembre 2011 pour élire le candidat à la présidentielle. Tous les sympathisants
du Parti Socialiste étaient appelés à venir voter, et non plus, les seuls militants comme
auparavant. Nous assistons à une relative ouverture des partis, qui tentent, notamment à
80
Fourest Caroline et Venner Fiammetta, Marine Le Pen, Grasset, Paris, 2011
Comptes de campagne des candidats remis au conseil constitutionnel
82
Barbony Thierry et Treille Eric, « L’engagement 2.0 » Les nouveaux liens militants au sein de l’e-parti
socialiste, Revue française de science politique, 2010 /6 Vol.60
81
35
travers internet et la révolution du web 2.0 (qui amène l’interactivité), de fédérer au delà des
milieux militants. Et c’est justement ce que le FN parvient à faire sur les réseaux sociaux,
notamment grâce à la dimension identitaire fondamentale qui constitue une partie de l’image
du FN, comme nous le verrons plus tard.
Cependant, même si le FN, tout comme le parti socialiste essaie de fédérer au-delà de
sa base militante, il faut relativiser son ouverture en comparaison de celle du Parti Socialiste.
En effet, au FN, aucun effort n’a été fait pour ouvrir le parti aux internautes, notamment via
des forums, des communautés, ou encore une adhésion à tarif réduit comme cela a été fait
pour le Parti Socialiste. C’est donc une ouverture de façade, qui permet simplement aux
sympathisants de clamer leur appartenance identitaire.
La question est aussi de savoir si les autres partis se évoluent mieux dans cet univers
interactif qu’est le web 2.0. Etrangement, la majorité des études concernant ce domaine sont
relatives au parti socialiste, d’où deux hypothèses, soit le parti socialiste est le parti le plus
intéressant en la matière, soit il est le plus accessible. Il est très probable que le Parti
Socialiste soit bien plus ouvert à ce niveau là que par exemple l’UMP sous Nicolas Sarkozy.
Cependant il semble étrange qu’aucune étude n’ait été menée sur celui qui a investi 7% de son
budget en stratégies web en 2007 et qui a su convaincre 28% des jeunes : François Bayrou
(MoDem). Ces derniers chiffres semblent indiquer la réussite de son entreprise, cependant il
serait hasardeux de dire qu’en investissant massivement dans les technologies web, il a gagné
le cœur de l’électorat jeune. Ainsi, pour en revenir à l’analyse, le parti socialiste semble le
parti le plus avancé en ce qui concerne le parti web 2.0. Déjà avec la Segosphère en 2007, il
avait devancé ses concurrents sur le plan de l’innovation en créant une plateforme reliant à
des blogs de partisans ou à des forums où les sympathisants pouvaient s’exprimer. Il a
continué fort en créant la Coopol, un forum social, bâti sur le même modèle que Facebook,
permettant de débattre et de communiquer pour ceux qui souhaitaient s’y inscrire. Le PS est
donc l’élément de référence en matière de web 2.0, cependant il dispose de beaucoup plus de
moyens en termes de ressources humaines et de budget que le Front National. Pour comparer
avec l’autre grand parti contestataire face au FN, le Front de Gauche, ce dernier est loin
derrière en ce qui concerne toutes les technologies interactives : peu de contenus
téléchargeables, une page Facebook avec huit fois moins de fans que le FN, et aucun forum de
discussion. Un adversaire qui n’a pas accordé sa priorité à ce medium.
36
Chapitre 4 La mise en place sur le terrain numérique
Il semble logique, avant d’en venir aux applications concrètes de la politique de
communication 2.0 du FN d’énoncer clairement ce qui caractérise une politique 2.0. Cet effort
de méthodisation a été fait par Maria Mercanti-Guérin dans son article Facebook, un nouvel
outil de campagne : analyse des réseaux sociaux et marketing politique, paru dans la revue
des sciences de gestion, direction et gestion83.
La politique 2.0 se caractérise par :
-
Une présentation du candidat plus authentique et plus accessible
-
Une plate-forme d’idées, de réactions, un observatoire de l’opinion
-
Un catalyseur de l’engouement pour le candidat
-
Une remise en cause des structures d’autorité et de hiérarchie (groupes spontanés,
décentralisation, auto-organisation)
-
Une réintégration de certaines couches sociales (jeunes) dans le débat démocratique
-
Un nouvel outil de marketing relationnel et de récolte de fonds
-
Un palliatif au déclin des structures associatives, traditionnel relais local des politiques
-
Un support pour les actions locales et l’évènementiel
Nous allons donc nous servir de cette grille d’évaluation tout au cours de notre analyse
pour déterminer l’avancée du FN en matière de politique 2.0.
Tout d’abord, en ce qui concerne la mise en place des politiques de communication
web des partis, Thierry Vedel et Yves-Marie Cann84 remarquent que toutes les
communications numériques sont bâties sur un même modèle : le modèle de l’occupation du
territoire numérique. Selon eux cette occupation du territoire numérique s’est fait selon peu ou
prou le même schéma pour tous les partis (même si les petits partis disposaient de moins
d’infrastructures et donc d’un territoire couvert moins grand). Ce schéma se composait tout
d’abord d’un site « amiral », le site du parti, ou alors un site dédié à la campagne en ellemême, et ce site est entouré d’une « galaxie de sites » parmi lesquels on peut retrouver
plusieurs catégories : les sites annexes à vocation thématique, officiels, pour les électeurs
désirant soutenir le candidat (les supporters de Nicolas Sarkozy, la Ségosphère pour Ségolène
83
Mercanti-Guérin Maria, « Facebook, un nouvel outil de campagne : Analyse des réseaux sociaux et marketing
politique », La revue des sciences de gestion, Direction et Gestion, n°242, Mars-Avril 2010, p 20
84
Vedel Thierry et Cann Yves-Marie, « Internet, une communication électorale de rupture ? » dans P. Perrineau
dir., Le vote de rupture, Les Presses de Sciences Po, Paris, 2008, p56
37
Royal etc.) ; les sites ou blogs de soutien, des comités locaux ; les sites ou blogs indépendants
produits par des particuliers mais soutenant un candidat.
On retrouve cette structure en 2012 pour le FN. En voici quelques exemples.
Site Amiral
www.marineLe Pen2012.fr
Sites annexes thématiques
http://jeunesavecmarine.fr/
http://toilebleumarine.fr/
www.ruralite2012.fr
http://www.projetmarine2012.fr/
Sites de soutiens locaux
http://www.fn78-1.fr/
http://www.fnj-midi-pyrenees.fr
etc.
Sites ou blogs d’indépendants
http://www.partisansmarine.com
http://programmefront-national.overblog.com/
http://frontdespatriotes.blogspot.fr
etc.
Cependant, la particularité du FN réside dans sa grande implication sur les réseaux
sociaux. En effet, que ce soit sur le site amiral ou sur le site du parti, la physionomie du site
est faite de telle sorte que les réseaux sociaux soient mis en avant. Sur le site du FN, une
colonne est même tout spécialement dédiée aux réseaux sociaux. Plus que cela, dans le listing
des personnes clés du parti, à côté de chaque nom se trouve une petite icone qui permet de se
connecter directement au réseau social de la personne concernée. Cette facilité d’accès a été
pensée pour pouvoir relier le plus grand nombre aux réseaux sociaux de la candidate ou de ses
vassaux. Si l’on compare avec les sites des autres partis, du point de vie de l’accessibilité,
c’est celui par lequel on arrive les plus facilement sur les réseaux sociaux.
38
Ici sur la page d’accueil du site de campagne pour 2012 :
Ici sur le site du FN :
On remarque clairement dans cette deuxième capture d’écran à quel point les réseaux
sociaux sont présents sur le site : tout d’abord en permanence à côté du logo du parti sur la
partie supérieure droite de la fenêtre, mais aussi en bas, avec un feed85 en direct, notamment
de Twitter, permettant de voir les dernières actualités sur les réseaux sociaux des membres du
parti en temps réel. Au centre de la fenêtre, les différentes entités et personnages du parti avec
85
Un feed est l’alimentation d’un site par des sources provenant d’autres sites. Ici ce sont les publications des
comptes twitters qui viennent nourrir la page d’accueil du site du Front National de façon automatique. Cette
technique permet une grande fraicheur des informations publiées, et donne l’impression au visiteur que la page
est régulièrement actualisée.
39
leur présence sur les réseaux sociaux. Ici par exemple on voit que « Les Jeunes avec Marine »
sont présents sur Twitter et Facebook, Marine Le Pen sur Twitter, Facebook, Youtube et
Flickr et Jean-Marie Le Pen seulement sur Facebook. Il suffit ensuite simplement de cliquer
pour se retrouver sur le Facebook ou la chaine Youtube de Marine Le Pen ou de Steeve Briois
par exemple.
Il est également intéressant de se pencher sur les supports et l’utilisation qui en est faite :
-
Facebook et Google+ principalement utilisés pour les réseaux sociaux interpersonnels
et les pages fan.
-
Youtube et Dailymotion qui permettent au FN de contrôler les vidéos qu’ils font
circuler, en les mettant directement en ligne, et pouvant aussi effectuer un
« trackage »86 de ces vidéos : par combien de personnes sont-elles regardées, où sontelles publiées, il s’agit d’une analyse de la viralité de ces vidéos. De plus elles
fournissent ainsi un contenu officiel, la parole du parti, qui sécurise les militants. Ces
deux chaines représentent sans doute une des grandes puissances du FN, en raison de
l’utilisation qui en est faite. En effet, partout sur ses sites, le Front national poste des
vidéos, chargées sur l’une des deux plateformes, les sites en sont envahis ce qui
facilite deux choses, tout d’abord la viralité mais aussi la lisibilité. En tout premier lieu
donc la viralité : une vidéo de moins de 3 minutes se partage bien plus facilement
qu’un article ou un argumentaire. Aussi toutes ces vidéos peuvent être transmises sur
les autres réseaux sociaux, à savoir Twitter, Facebook ou Google +. Cette façon de
communiquer est particulièrement bien adaptée aux jeunes, dont 28% regardent des
contenus politiques sur vidéo, contre 19% de l’ensemble des usagers87. De plus les
vidéos reprennent un schéma classique, celui de la télévision, qui est le média le plus
utilisé pour se renseigner lors des élections, il reprend beaucoup de codes similaires, à
commencer par l’image et le discours. C’est donc un outil adapté, d’autant plus dans le
cas du FN dont l’électorat repose en partie sur des personnes non diplômées, plus
réticentes à l’utilisation du support écrit.
86
Le « trackage » permet d’obtenir des statistiques sur la propagation d’un contenu : combien de personnes l’ont
visionné / partagé, quelle est la répartition géographique etc.
87
Vedel Thierry et Cann Yves-Marie, « Internet, une communication électorale de rupture ? » dans P. Perrineau
dir., Le vote de rupture, Les Presses de Sciences Po, Paris, 2008
40
-
Twitter, qui permet une relation permanente avec l’électeur, en quelque sorte
d’occuper le terrain médiatique et de lui faire connaitre chiffres clés et dernières
nouvelles préoccupantes pour le FN88. Julien Longhi89, linguiste à l’université de
Cergy Pontoise, s’est penché sur la virtuosité du FN sur Twitter. Son analyse est sans
équivoque : si Marine Le Pen réussit mieux que les autres sur ce média, c’est qu’elle
n’envoie pas un message sur Twitter, elle parle le langage Twitter, avec une parfaite
maitrise des hashtags (#). Plus que jamais à l’heure du numérique « le message c’est le
médium »90 et Marine Le Pen sait maitriser le langage Twitter91.
-
Flicker, un outil pour le partage des photos, le plus souvent des photos de meetings,
destinés d’une part à montrer la grandeur du parti, mais aussi à fédérer une
communauté. On retrouve par exemple la sortie en canoë effectuée par un groupe FNJ
ou les photos du réveillon de Noël au parti. Le compte Flicker est lui donc plutôt
destiné à ceux directement impliqués dans la vie du parti, cependant il offre une
illusion de proximité pour les sympathisants qui s’y rendraient.
-
Une application pour smartphones a aussi été créée pour la campagne, ce qui est une
preuve de l’implication technologique de l’équipe communicante du FN. D’autant plus
qu’hormis le parti socialiste, aucun autre parti n’a créé d’application permettant
d’avoir du feed permanent que ce soit à travers des vidéos, des argumentaires, ou alors
la retransmission de tweets majeurs.
Enfin, pour en revenir aux stratégies de la politique 2.0, une grande importance est
donnée à la participation des militants, et des sympathisants, (grâce à la nouvelle porosité
des frontières partisanes permise par le Web 2.0) sur les réseaux sociaux. En témoigne
cette invitation à occuper l’espace sur internet, envoyé à tous les fans de la page officielle
du Front National au mois de juillet 2011 :
88
Nous ne nous pencherons pas ici sur cet aspect, mais les comptes Twitter des cadres du partis ont tendance à
annoncer ou retwitter de nombreux faits-divers mettant l’accent sur l’insécurité, ou ayant pour thème l’islam et
les problèmes qu’il peut causer.
89
Longhi Julien, « Twitter, l'océan virtuel du mouvement bleu Marine pour clôturer et totaliser le web », Le
Huffington Post, 14 Aout 2012
90
Mac Luhan Marshall, Pour comprendre les médias, 1964
91
Il est intéressant de noter que cet article a été retweeté par David Rachline, le secrétaire à la communication
numérique.
41
Cette missive, envoyée par le tout jeune secrétariat à la communication numérique montre
à quel point le FN accorde une importance toute neuve à la communication sur le net, et qu’il
compte bien avoir recours aux masses sympathisantes pour faire valoir son image de marque.
En cela 2012 est vraiment une campagne sur le net 2.0., elle fait appel à de potentiels
électeurs qui ne sont pas militants au parti, elle rapproche ainsi les deux univers. De plus,
c’est vraiment une stratégie d’occupation des médias numériques qui est exprimée ici,
puisqu’il s’agit d’aller contrer les détracteurs sur des médias en ligne comme Agora vox ou
LePost, cités ici. Pour le FN, il était bien clair qu’une partie de la campagne se jouerait sur les
réseaux sociaux.
Chapitre 5 Diabolisation des médias et son contraire
Nous l’avons vu, le Front National a mis l’accent sur les réseaux sociaux, pour séduire
les jeunes d’une part, mais aussi parce qu’internet et ses fonctionnalités correspondent bien à
une partie importante de leur discours : la méfiance envers les médias traditionnels. En effet,
les références y sont nombreuses. Dans les discours de Marine Le Pen, le parti subirait une
« diabolisation » dans les médias traditionnels : différence de traitement, refus de certaines
42
émissions de les recevoir, coalition entre journalistes et élites dirigeantes (le fameux UMPS),
tout serait fait pour empêcher le FN de s’exprimer. Nous ne nous pencherons pas sur la
question de savoir la part du vrai et du faux dans ce discours, ce qui nous intéresse c’est la
présence en elle-même du discours. Le FN enjoint ses sympathisants à ne pas croire ce qui se
dit dans les médias, que ce soit par rapport au parti lui-même, ou par rapport aux actualités.
Aussi, les réseaux sociaux deviennent un excellent moyen de communiquer sans avoir recours
à « ces médias qui mentent », puisque les vidéos sont diffusées par le parti, ce qui apporte une
authenticité et un présupposé de vérité pour les sympathisants. Internet devient le média le
plus accessible pour le FN, celui sur lequel il a le plus de possibilités de s’exprimer, sans
entrave de journalistes politiques ou de difficulté de diffusion.
Cependant il faut noter que cette rhétorique a ses limites. Si le FN accuse les médias
traditionnels de mentir (radio, télévision, presse), la grande majorité du contenu qui est diffusé
par les canaux officiels du parti (via le site, les comptes Facebook ou les comptes Twitter)
proviennent de ces même médias traditionnels ! Il s’agit le plus souvent d’interviews des
cadres dirigeants du parti, de leur passage à telle ou telle émission de télévision ou de radio.
Là réside toute l’ambiguïté de ce discours. Le web se nourrit encore beaucoup des médias
traditionnels, il n’en est pas encore émancipé. Cela peut être analysé comme étant, malgré
leurs discours, un gage de fiabilité, de vitalité du parti, une façon de montrer que le parti reste
très présent dans la vie politique française, à travers les médias, qui sont pourtant décriés.
Chapitre 6 La viralité, un but communicationnel
Aujourd’hui, le marketing viral est omniprésent dans nos vies. Les grandes marques
ont toutes tentées de faire le buzz92 avec une courte vidéo qui pourrait faire le tour du net et
permettrait à cette marque de gagner des points de sympathie auprès du public. Le marketing
politique s’est inspiré des théories commerciales, et la viralité est également devenu un but
pour les partis. Un parti pris qui peut s’avérer risqué, car le buzz est toujours à double
tranchant, mais qui en politique, justement par peur du côté négatif de la viralité est souvent
92
Le buzz consiste à créer un engouement pour un contenu sur le net, le contenu se partageant entre internautes,
sans l’intervention du créateur, de manière exponentielle. Il est la réussite d’une campagne de bouche à oreille
sur internet.
43
effectué timidement. On se souvient de l’avalanche de critiques à la parution du lip dub de
l’UMP, l’image même d’une tentative de marketing viral qui a marché à son détriment93.
Le marketing viral peut se définir comme le lancement d’une campagne à travers un
support (vidéo, jeu concours, badge à afficher…) qui vise à se répandre de personne à
personne avec un but exponentiel. Le plus souvent ces campagnes sont des clips vidéo
humoristiques, car l’une des caractéristiques du net et des réseaux sociaux est la large
diffusion de tout ce qui a trait à l’humour94.
Ainsi, le FN a particulièrement mis l’emphase sur cet aspect de la communication,
comme nous l’avons vu un peu plus haut, en proposant beaucoup de contenu téléchargeable,
préparé pour la rediffusion sur son site, principalement des vidéos. La page d’accueil propose
d’ailleurs sur une large partie de l’écran toutes les nouvelles vidéos sur le site du Front
National. Mais la préparation pour la viralité ne s’arrête pas là, que ce soit sur le site du FN ou
sur celui des Jeunes avec Marine, se trouve une rubrique dédiée proposant de télécharger des
images, des tracts, des affiches, des argumentaires, des pétitions : tout pour que le
sympathisants puissent se servir de ces images. D’ailleurs, concernant les Jeunes avec Marine,
le concept de la viralité humoristique est très bien compris : ce qui fait rire se partage mieux,
aussi ils n’hésitent pas à créer des affiches qui se diffuseront facilement sur le net du fait de
leur coefficient humoristique. En voici un exemple :
Une image parodiant François Bayrou, publiée sur la
page Facebook des Jeunes avec Marine.
93
En décembre 2009, les Jeunes Pop ont diffusé une vidéo musicale sur laquelle apparaissent de nombreuses
personnalités de l’UMP. En quelques jours elle avait été largement diffusée et détournée. Les médias ont
contribué largement à la critique.
Dorian Chotard, « Lip dub de l’UMP, beaucoup de bruit pour rien ? », Le Monde du 11 décembre 2009
94
Dagnaud Monique, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion, Paris, Les
Presses de Sciences Po, 2011, p80
44
La campagne du « Carton rouge à Sarkozy »
Cette image est une capture d’écran du site du Front National. Au début de l’année 2012,
le FN a lancé un vaste plan de marketing viral en vue des élections du mois d’Avril. Ce plan
appelé « Opération carton rouge à Sarkozy » visait à passer par les réseaux sociaux pour
montrer la force du FN. En terme concrets, le FN demandait à ses sympathisants de participer
à l’opération de plusieurs manières pour montrer leur affiliation au parti. Il s’agissait sur
Twitter de répertorier toutes les manœuvres jugées mauvaises de la politique de Nicolas
Sarkozy au cours de son mandat et d’y apposer le hashtag #sarkozycartonrouge. Cette
méthode permettait d’une part aux sympathisants de se reconnaitre entre eux, mais surtout de
lister un grand nombre de personnes mécontentes de la
politique de Nicolas Sarkozy (et qui soutiennent le FN), en
un mot de faire preuve de sa force. Sur Facebook
l’opération consistait à réunir un grand nombre de
personnes qui changeraient pour un temps leur photo de
profil pour y mettre la photo « carton rouge à Sarkozy »
représentant une main mettant un carton rouge dans une
urne. C’est là aussi une démonstration de puissance qu’a
tenté de mettre en place le FN. Et c’est une expérience qui a eu un certain succès, d’autant
plus que cette campagne a été lancée à l’occasion de la déclaration de candidature à la
présidentielle de Nicolas Sarkozy. Un moyen de faire voir son opération puisque les
recherches concernant Nicolas Sarkozy ont sans doute été nombreuses sur Google ce jour là.
45
Un gage de son succès est le fait que pour l’essentiel des pages officielles du parti sur la
plateforme Facebook, la semaine avec la plus grande fréquentation a été justement la semaine
du 12 février, semaine de lancement de la campagne95.
Chapitre 7 Est-ce une réussite ? Les chiffres
Nous avons voulu vérifier empiriquement la puissance du FN sur les deux premiers
réseaux sociaux. Voici une comparaison au 16 Août 2012.
Nombre de followers
Page
FN
PS
UMP
FG**
MoDem
Page Facebook officielle
89 514
57 258
47 627
14 926
5 205
Page Facebook du Président
103 756
327 624
773 805* 135 286
31 603
Page Facebook des jeunes du parti
18 478
11 814
11 717
1949
_
Compte Twitter du parti
11 552
41 581
41 129
10 614
8 271
Compte Twitter du président
92 155
439 498
287 223* 87 961
120 815
Compte Twitter des jeunes du parti
885
_
12 131
_
_
* Nous avons choisi de parler de Nicolas Sarkozy
** Les résultats sont faussés car le Front de Gauche est composé du Parti Communiste Français et du Parti de Gauche, qui recueillent aussi
des followers et divisent les chiffres.
Les résultats ne sont pas évidents, s’il est vrai que le FN est de loin le premier parti sur
Facebook, ainsi que le premier parti pour les jeunes du parti, l’UMP et le PS sont très bien
placés sur Twitter, et surtout la page fan de leur président (ou candidat pour l’UMP) est bien
plus importante que celle du FN. Néanmoins il faut noter que les chiffres de Twitter et les
chiffres de Facebook n’ont pas la même valeur. En effet, sur Facebook on est «fan», on
déclare « aimer » la personne qu’on suit, alors que sur Twitter on ne suit pas seulement les
personnes qu’on aime, on suit ce qui nous intéresse. Ainsi les deux résultats montrant le FN
arriver en premier sont très positifs pour le parti. Néanmoins, à travers ces chiffres on
remarque que les français ont pris le pli de la personnalisation du jeu politique : les
personnages politiques sont bien plus suivis que leurs partis. Aussi c’est ce chiffre qui nous
apparait le plus important, et dans cette catégorie là, Marine Le Pen est loin derrière Nicolas
95
Cette information est visible en cliquant sur le nombre de fans d’une page. On accède alors à certaines
statistiques de la page.
46
Sarkozy ou François Hollande, même s’il faut nuancer car elle n’est présidente de son parti
que depuis un an et demi.
Twittoscope
Plus d’un an avant, et pendant tout le temps de la campagne la TNS-Sofres96 a mis en
place un « Twittoscope », un observatoire de l’activité relative aux élections sur Twitter. Son
but était de faire le bilan mois par mois de la popularité des personnages politiques, en
mesurant le nombre de tweets parlant d’eux et les catégorisant entre « tweets de rejet» ,
« tweets de critiques », « tweets d’information » et « tweets positifs ».
Voici les résultats de la dernière vague, au 16 avril 2012, assortis d’un récapitulatif de
la popularité de Marine Le Pen.
On remarque en regardant l’évolution de Marine Le Pen qu’au tout début de l’étude,
elle se situe au deuxième rang des personnalités les plus tweettées, sans doute du fait de son
élection à la tête du parti, avant de rétrograder, puis de revenir souvent dans le top 5 à mesure
que l’élection approche. Mais plus qu’une question de volume, il est intéressant de regarder
de quoi parlent les tweets.
96
Institut de sondage
47
Pour cette dernière vague, on remarque que la valence (les tweets hostiles) de Marine
Le Pen est assez élevée, elle est celle dans ce top 10 qui recueille le plus de tweets de rejets,
toutefois les tweets de critique sont moins nombreux que ceux destinés à Nadine Morano,
Nicolas Sarkozy ou Dominique Strauss Kahn. Côté tweets positifs, elle en enregistre plus que
Nicolas Sarkozy, et François Hollande, mais moins que d’autres candidats situés derrière elle
en présence sur la plateforme de micro-blogging comme Bayrou ou Eva Joly. Au final,
Marine Le Pen recueille plus de tweets négatifs que positifs.
Seulement il faut rappeler devant ces résultats, un facteur essentiel sur internet. En effet,
bien plus qu’avec tous les autres médias, qui sont pourtant sélectifs, les internautes vont
chercher sur le web des informations qui les intéressent97. Ce qui veut dire que le FN ne peut
pas toucher des jeunes qui se désintéressent de la politique ou de leur cause. A l’inverse des
médias de masse, internet est un média sélectif qui ne peut qu’activer un plus grand sentiment
d’appartenance chez le citoyen qui se renseigne, il ne peut forcer le citoyen à se renseigner,
c’est un média d’activation.
97
Muxel Anne, Avoir 20ans en politique, Seuil, Paris, 2010, p85
48
Partie 3
Analyse netnographique : Le Front National sur Facebook,
noyau officiel, rayonnement officieux
Ce chapitre va nous permettre de rentrer plus en profondeur dans l’analyse de la stratégie
du FN sur les médias numériques en réduisant notre champ d’analyse à la seule plateforme
Facebook. Dans un premier temps nous étudierons ce qu’il se dit sur les pages officielles du
parti, la façon de communiquer qui est utilisée, alors que dans un deuxième temps, nous
passerons réellement à l’étape de recherche en réalisant une étude netnographique des pages
non-officielles soutenant le FN afin de déterminer l’importance qu’elles ont dans la réussite
du parti sur le réseau social créé par Marc Zuckerberg.
Chapitre 1 Le réseau officiel : Canal de diffusion top down, interactivité
limitée mais présente
Nous avons étudié le contenu des pages officielles du Front National pour en faire
ressortir les grandes lignes. Mêmes si elles n’ont pas toutes exactement le même contenu,
elles se ressemblent grandement dans leur construction. Devant le grand nombre de pages
officielles, FN locaux, FNJ locaux et hommes politiques locaux ou nationaux, nous avons
choisi de faire une sélection qui soit représentative. Aussi, les constatations que nous avons
faites sont nées de l’étude des pages officielles suivantes : le Front National, Marine Le Pen,
Les Jeunes avec Marine, Le FNJ du Midi-Pyrénées, David Rachline et Steeve Briois.
Section 1
Contenu et interactivité des pages officielles
La première étape consiste à se demander ce qui est dit sur la page Facebook, quelle
est la nature du contenu ? Comment la page est-elle articulée ? Y a-t-il un contrôle des
publications ? Y a-t-il interactivité ?
Il faut noter en tout premier lieu que le groupe Facebook du FN, loin d’exploiter toutes
les ressources de la démocratie numérique, se contente d’une utilisation basique, suivant le
49
modèle de la télévision en diffusant une information selon le modèle top down. En effet, sur la
page, le community manager98 publie les sujets afin de transmettre une information à
l’ensemble des fans de la page. Une fois le sujet publié ceux-ci commentent entre eux, mais le
community manager n’intervient à aucun moment : pas de réponse aux questions, pas
d’informations supplémentaires, il n’y a pas d’interactivité entre la source officielle et les
commentateurs. S’ils ont été supprimés, sur les pages du parti, avec la nouvelle maquette
Timeline99 de Facebook, il y a pourtant eu des forums qui auraient pu permettre l’interactivité
entre le parti et les sympathisants (ou détracteurs d’ailleurs), mais même à l’époque, ces
débats se faisaient entre utilisateurs de la page, sans intervention officielle.
Aussi les pages sont avant tout à but informationnel, sans nouveau contenu, elles
renvoient vers des contenus existants, et dans la majeure partie des cas elles renvoient au site
du FN, au blog d’un élu lorsqu’il s’agit de sa page. Cette simple retransmission d’information
est un grand classique de la communication politique sur le net, qui n’apprivoise pas encore
toute l’étendue des possibilités qui s’offrent sur ce média, comme le pointent Thierry Vedel et
Yves-Marie Cann100. Le fait que les renvois soient systématiquement vers le site du FN
participe d’une double volonté. Volonté de contrôle tout d’abord, puisque même lorsqu’il
s’agit de parler d’un fait divers ou d’un article paru sur le FN, le lien direct vers l’article de
presse n’est que rarement donné, il faut passer par le site du FN, qui, lui, donne une vision et
explication du fait divers ou de l’article, sans non plus effectuer de renvoi vers les sources afin
que l’internaute puisse éventuellement se renseigner par lui-même. C’est donc un cercle très
fermé qu’on observe puisqu’en cliquant sur un lien, l’internaute ne pourra que trouver les
argumentaires du parti. Mais cette façon de fonctionner, en renvoyant toujours au site, permet
également à l’internaute, selon un schéma marketing classique, de se retrouver facilement sur
le site du parti et ainsi d’en découvrir le contenu par effet de curiosité. Il permet de le faire
vivre, d’autant plus que le site dispose de davantage de contenu et de fonctionnalités que la
page Facebook. Ainsi, si l’on peut déplorer le manque d’interactivité, il faut toutefois préciser
98
Le community manager est la personne qui gère la communication sur les réseaux sociaux.
La maquette Timeline de Facebook est la nouvelle organisation de la plateforme, mise en place depuis fin
2011 et en cours de généralisation. Il devient plus facile de remonter dans le temps grâce à un petit calendrier qui
permet de retrouver les publications d’une date précise. Concernant les pages fan, les publications des
utilisateurs sont relayées dans un cadre sur le côté droit de l’écran. Elles sont donc moins visibles que le contenu
publié par le community manager de la page.
100
Vedel Thierry et Cann Yves-Marie, « Internet, une communication électorale de rupture ? » dans P. Perrineau
dir., Le vote de rupture, Les Presses de Sciences Po, Paris, 2008, p60
99
50
que selon les conclusions de l’étude menée par Maria Mercanti-Guérin101, une page ne peut
pas être bien positionnée à la fois sur le côté informationnel et sur le côté interactif. Non que
ce soit impossible dans la pratique, mais les statistiques montrent clairement que les pages ne
sont jamais bien positionnées sur les deux critères. Ici elles sont bien positionnées sur le rôle
informatif.
Toutefois, il faut concéder que si le parti ne diffuse qu’une information top down, il
n’y a pas de sélection dans les commentaires. Commentaires négatifs et positifs s’expriment,
souvent nombreux, sans « nettoyage » de la part du community manager. C’est un signe que
le FN malgré la volonté de contrôle dévoilée au paragraphe dernier, a compris le
fonctionnement du web 2.0. : il ne sert à rien d’essayer de faire taire les critiques, cela a un
effet contre-productif, et c’est contre la culture du net. C’est à travers ces commentaires que
l’on assiste au débat, et c’est là que réside l’intérêt de la page, il permet un débat entre les
partisans sur un sujet choisi par le FN, mais aussi un débat avec les détracteurs qui sont très
présents, et particulièrement sur la page du parti et celle de Marine Le Pen. Sur l’image, on
peut voir, que certains articles ont suscité
plus de mille commentaires. Et s’il y a
autant de commentaires, c’est sans doute
dû au fait qu’il y ait de nombreux
détracteurs
du
FN
sur
les
pages
officielles. Ces détracteurs participent
grandement au débat puisqu’ils critiquent
soit la politique globale du FN, soit
l’article qui est publié, cela entraîne des
réactions de la part des sympathisants auxquels répondent les détracteurs. Cependant plus
qu’un vrai débat, on assiste souvent à ce que Dumoulin appelle « des monologues
interactifs »102, chacun restant campé sur ses positions, sans réelle avancée ou échange.
Nous avons recensé sur un mois tous les sujets postés sur la page officielle du Front
National, pour savoir quels sont les grands thèmes majeurs, ce qui se dégage de la page.
L’analyse porte du 15 juillet au 15 août 2012, et recense 65 publications.
101
Mercanti-Guérin Maria, « Facebook, un nouvel outil de campagne : Analyse des réseaux sociaux et marketing
politique », La revue des sciences de gestion, Direction et Gestion, n°242, Mars-Avril 2010, p26
102
Dumoulin M., Les forums électroniques : délibératifs et démocratiques?, Québec, Monnière et Wollank
éditeurs, 2002, p141-157
51
Thèmes abordés
Nombres
d’éléments Pourcentage
publiés
Critique des autres partis ou du gouvernement
22
34%
Intervention des députés ou interviews de 14
21%
responsables du parti
Immigration
8
12%
Soutien aux employés et artisans
4
6%
Dysfonctionnements de l’Union Européenne
4
6%
Etat / Institutions
3
5%
Politique étrangère
3
5%
Islam
2
3%
Liens vers d’autres pages officielles
2
3%
Autres (radars, pouvoir d’achat…)
3
5%
Ce qui ressort de cette analyse c’est bien évidemment la fonction fondamentale du FN, son
rôle en tant que parti politique et en tant que contre pouvoir. En effet la grande majorité des
publications font référence à une critique des autres partis et du gouvernement, avec 34% des
publications, son rôle premier est donc de critiquer les actions du gouvernement (et des autres
forces politiques) afin d’affirmer son point de vue, et d’avancer des arguments contraires à
ceux qui ont été avancés, mettant en avant la décadence de la France causée par les autres
hommes politiques. Avec 21% de retransmission de l’activité parlementaire des députés ou
d’intervention des hommes politiques dans les médias, et 34% de critique des autres partis,
l’activité principale de la page Facebook du Front National consiste principalement à
retransmettre les actions politiques du parti. Le reste des publications est consacré à ses
thèmes forts : critique de l’immigration, de l’Union Européenne, mais aussi soutien aux
employés et artisans victimes de la mondialisation économique. Il est intéressant de noter que
plus que ses thèmes de prédilections, la page du FN parle de l’activité en elle-même du FN,
une façon de montrer qu’il est actif.
Enfin, toujours sur la question du contenu, on remarque toutefois quelques différences
sur le contenu selon les profils. Si les profils de Marine Le Pen et du FN se ressemblent
beaucoup, ceux de Steeve Briois et David Rachline sont plus personnels, parce qu’ils ont
certes un écho moins grand (moins de 2000 fans), mais les articles sont accompagnés d’un
52
titre et on peut penser qu’ils s’occupent eux-mêmes de leur page fan. Cependant ils appliquent
toujours la même technique de renvoi systématique à la page du FN ou à leur blog d’élu local.
La page des Jeunes avec Marine est elle aussi plus personnalisée, avec des titres, plus de
photos et un élément viral de toute importance, comme nous l’avions noté dans le premier
chapitre, l’emploi d’images ou de vidéos satiriques avec un fort potentiel de viralité.
Section 2
Les acteurs de la page Facebook
En tout premier lieu on peut noter le fait que le nombre de fans qui commentent est
très faible comparé au nombre de fans global. Ce sont en fait toujours les mêmes personnes
qui commentent les articles, que ce soit sympathisants ou détracteurs. Souvent une personne
de ce cercle restreint est épaulée par des personnes qui vont ajouter un commentaire
occasionnellement, mais on assiste bien à la création d’une communauté, qui connait les
arguments des autres, leurs positions, car ce sont les mêmes qui participent au débat sur les
publications. Cependant, si l’on dit les mêmes, cela ne veut pas dire qu’ils ne changent pas, au
bout d’un certain temps, les personnes qui débattent sont remplacées, elles se lassent d’un
débat peu constructif et laissent la place à de nouveaux commentateurs.
La question est de savoir qui ils sont, et nous avons peu d’éléments pour y répondre.
Du côté des partisans, on peut penser que même les moins diplômés sont bien intégrés au
débat et participent activement, au vu du faible niveau d’orthographe. Cela représente un
point fort pour la démocratie, ces personnes là souffrant souvent de « cens caché »103, c'est-àdire s’autocensurant de participer au débat politique, ne se sentant pas concernées ou pas
assez compétentes. Du côté des détracteurs, deux profils se dégagent, d’un côté l’antifasciste
aux longs discours tentant de faire entendre l’absurdité selon lui de la position du FN, de
l’autre les détracteurs au discours plus simple, plus violent et n’appelant pas de débat. Il est
intéressant de noter qu’on retrouve peu de détracteurs dans les pages socialistes, alors qu’ils
jouent un rôle primordial sur les pages d’extrême droite en général.
103
Gaxie Daniel, « Le Cens Caché », Réseaux n°22/vol.5, 1987
53
Section 3
La publication, acte de création d’une communauté virtuelle
Ecrire sur une page politique, c’est exprimer clairement sa position sur l’échiquier
politique dans une arène publique104, où son nom (ou son pseudonyme, sachant que sur
Facebook, même avec un pseudonyme il est facile de retrouver l’identité de quelqu’un en
fonction de ses amis) est dévoilé et que la page est accessible à plusieurs dizaines de milliers
de gens. C’est donc un acte fort, pourtant lorsqu’il est fait, peu de gens en prennent
conscience.
Commenter un statut du Front National en tant que partisan, permet progressivement
l’entrée dans le cercle d’appartenance au FN, presque inconsciemment. Plusieurs ressorts à
cela. Tout d’abord il faut rappeler que l’identité sur les réseaux sociaux est négociée, si elle ne
correspond pas toujours à la vie réelle, elle ne peut être complètement déconnectée de la
personne réelle, sans quoi la réaction sociale ne se fait pas attendre : c’est notamment l’image
du petit garçon chétif qui exhibera une image de gros dur, son cercle social, par ses réactions
lui indiquera qu’une telle position n’est pas tenable105. L’espace social numérique, est un
espace où l’on peut négocier son image, tout en étant déconnecté d’une éventuelle réaction
physique, c’est un espace de test qui convient particulièrement bien à l’affirmation
d’appartenances politiques controversées par une partie de la société, comme celle au FN.
Birgita Orfali le dit dans son ouvrage106, souvent les membres du FN ne disent pas leur
appartenance au travail, par peur d’une réaction négative. Sur les réseaux sociaux, on peut
dévoiler un peu de son opinion, notamment en commentant ou en aimant une image, et
attendre de voir quelle est la réaction sociale.
Cependant, le fait d’aimer ou de commenter un sujet engagé politiquement a plutôt un
effet d’engagement (Kiesler et Sakumura 1966)107 que le contraire, surtout dans le cas de
l’appréciation de valeurs controversées comme celles du FN. En effet, nous l’avons vu, le FN
fonctionne sur une dynamique très inclusive avec ses militants et très valorisante, parce que le
rejet est plus fort à l’extérieur du cercle, les liens d’appartenance et de communauté se font
d’autant plus fort. C’est dans cette dynamique qu’a lieu l’effet d’engagement, une fois le
104
Habermas, l’Espace Public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société
bourgeoise (1962)
105
Coutant Alexandre et Stenger Thomas, « Processus identitaire et ordre de l’interaction sur les réseaux
socionumériques », Les Enjeux de l’information et de la communication, 2010/1 Volume 2010
106
Orfali Birgitta, L’Adhésion à l’extrême droite, L’Harmattan « Logiques Sociales », Paris, 2012, p56
107
Kiesler et Sakumura, « A test of a model for commitment », Journal of Personality and Social Psychology, 3,
1966, p349-353
54
premier pas franchi, on se sent intégré dans la
communauté. Le commentaire de l’image ci-contre
exprime clairement notre propos : la jeune femme
commente et affiche donc son identité partisane, alors que
son amie s’inquiète, ou ironise, de cette affirmation
partisane aux yeux de tous.
Enfin, parce qu’il est le parti avec le plus de
détracteurs sur sa page, le FN forme sans doute plus que
les autres une communauté virtuelle qui se débat contre
des enemis bien présents. Cela forge ce sentiment
d’appartenance à la communauté Front national, le fait de
« se
batttre »
avec
des
mots
contres
« des
enemis communs» renforce le sentiment de faire parti
d’un même tout.
Quant à ceux qui vont sur la page sans commenter, l’abondance des commentaires
ainsi que le grand nombre de fans a pour effet de rassurer l’éventuel partisan, de savoir qu’il
n’est pas seul à partager certaines convictions propres au FN. C’est l’effet majeur de
Facebook, selon le même modèle que les élections ou les sondages, il recense un état des
forces des partis en présence.
Chapitre 2 Le réseau élargi : Parole libérée et appui à la diffusion des cadres de
pensée du parti
Dans cette partie nous allons tenter de répondre à une hypothèse que nous avons formulé
concernant la puissance du FN sur Facebook, que celui-ci entretiendrait de manière informelle
un lien étroit avec des groupes identitaires, patriotes ou xénophobes sur la plateforme. Aussi
nous définirons dans une première partie cette hypothèse et les raisons qui nous ont poussés à
la formuler, avant de décrire la méthode de recherche employée pour dessiner le réseau autour
des pages officielles et enfin d’analyser les résultats dans un dernier temps.
55
Section 1
Hypothèse avancée : de l’importance des pages non-officielles
Avant d’approfondir sur l’hypothèse de recherche que nous avons formulée, il
convient de rappeler que la communication politique moderne est conçue comme un
processus sélectif d’activation108. Loin de s’appuyer sur les médias de masse pour convaincre
ses électeurs (bien que le jeu politique soit fait de tel sorte qu’il soit impossible de ne pas
passer à travers eux), elle cherche à cibler les leaders d’opinions avant tout, les personnes qui
seront susceptibles d’avoir une influence sur leur entourage dans certains domaines donnés.
C’est en cela qu’elle est un processus d’activation, elle cherche d’une part à cibler des
personnes qui ont des prédispositions à entendre et se reconnaitre dans un certain discours,
puis à s’appuyer sur ces personnes qui pourront répandre le discours autour d’eux, avec la
labellisation qu’entraîne la parole d’un proche.
Hypothèse
Nous sommes partis du fait que le Front National était le premier parti sur Facebook,
et nous avons voulu découvrir pourquoi. Dans une première partie nous avons exploré les
ressorts idéologiques et contextuels qui pouvaient pousser les jeunes à se déclarer « fan » du
parti sur Facebook, puis nous avons analysé la stratégie émise par le parti lui-même.
Maintenant nous allons analyser concrètement ce qui se passe sur le principal réseau social
français. L’hypothèse est la suivante : le Front National, plus que tout autre grand parti
français porte une large partie de son discours sur la notion identitaire, la fierté d’être français
et le refus de laisser la France sombrer, avec un discours personnifiant le pays. Or cette
rhétorique identitaire est particulièrement adaptée au réseau Facebook, puisque sur la
plateforme, la notion d’identité est omniprésente, il s’agit de dévoiler qui l’on est par ce que
l’on « aime »109, par ce que l’on partage. Les groupes auxquels on appartient, les pages que
l’on aime, permettent aux autres de dévoiler son identité numérique. Ainsi on voit fleurir sur
la plateforme nombre de groupes mettant en avant la fierté d’être français, des groupes
défendant l’identité française, souvent de façon xénophobe. Et ces groupes, proches de la
pensée d’extrême droite dans les thèmes abordés peuvent s’avérer être un véritable vivier pour
le principal parti de cette mouvance, le Front National. D’autant plus que depuis 2002, les
108
Schier Steven E., “Aiming a riffle and missing millions: Campaign polling in contemporary politics”
Communication présentée à la Conference on polling and campaigns, Hubert Humphrey Institute, University of
Minnesota, 27 février 2007
109
Georges Fanny, Représentation de soi et identité numérique » Une approche sémiotique et quantitative de
l’emprise culturelle du web 2.0, Réseaux, 2009/2 n°154
56
études menées par Birgita Orfali110 montrent que l’identité sociale en tant que partisan du FN
n’est plus autant cachée, elle s’affirme et devient même valorisée.
Une première observation nous amène à penser que ces groupes patriotes et
identitaires sont plus ou moins reliés entre eux grâce au système des « j’aime ». Or s’ils
étaient reliés au Front National ils pourraient représenter une réserve de personnes sensibles
aux mêmes valeurs et donc susceptibles d’aimer leurs pages et à plus large échelle, de voter
pour le parti aux élections. Il faut cependant prendre une précaution, nous ne sommes pas en
train d’avancer l’hypothèse que le Front National utiliserait de manière délibérée les groupes
identitaires. Nous voulons dresser un constat qui serait selon notre hypothèse que les groupes
identitaires, parce qu’ils sont nombreux, permettent par le jeu des liens « j’aime » d’amener
toute une population à se rendre sur une des pages du FN.
Ces groupes peuvent être considérés comme des réserves de voix en raison du principe
d’homophilie. Déjà pointé par Lazarsfeld111 en 1954, puis réaffirmé par Lamy en 1993, les
réseaux, qu’ils soient réels ou numériques sont battis principalement sur le principe
d’homophilie : les gens qui composent le réseau ont souvent les mêmes caractéristiques
sociales, et des opinions politiques proches. Le principe d’homophilie est une des bases du
marketing, et aussi du marketing politique. En touchant les leaders d’opinions d’un groupe, il
y a de fortes chances de toucher une population qui lui ressemble. Sur Facebook, le principe
est d’autant plus vrai que les groupes d’intérêt regroupent justement des personnes qui
partagent un intérêt ou une opinion commune.
Section 2
Communauté virtuelle et e-leader d’opinion : définition des notions
Lors de notre analyse, nous nous sommes beaucoup appuyés sur des notions théorisées
ou approfondies par Youness Fejlaoui dans sa thèse sur les communautés virtuelles de
consommation112. Ces notions sont celles d’« e-leader d’opinion » et de « communauté
virtuelle ». Son étude se consacre essentiellement sur la même plateforme que nous pour cette
étude, Facebook. Nous avons appliqué ces notions du marketing au marketing politique.
110
Orfali Birgitta, L’Adhésion à l’extrême droite, L’Harmattan « Logiques Sociales », Paris, 2012, p40
Lazarsfeld P. et Merton R. « Friendship as social process : a substantive and methodological analysis » dans
Kendall P. dir. The varied sociology of Paul Lazarsfeld, New York, Columbia University Press, 1954, p298-348
112
Fejlaoui Youness, Les leviers d’influence des leaders d’opinion au sein des communautés virtuelles de
consommation : approches netnographique et psychométrique, Thèse doctorat, Toulouse 1, 2011
111
57
Communauté virtuelle
Fejlaoui dans son étude reprend la définition donnée par Jones en 1995113 pour parler de
communauté virtuelle. Les caractéristiques de cette communauté sont :
-
Un lieu virtuel commun – Dans le cas de notre étude, la plateforme Facebook
-
Un minimum de communicateurs – les « fans » actifs
-
Un minimum stable de membres permanents – les « fans » qui commentent
régulièrement
-
Un niveau minimum d’interactivité – ici dans la fonction « commentaires » des
articles publiés
Bagozzi (2000)114 rajoute que cette communauté est basée sur le texte, ce qui s’applique
particulièrement pour notre analyse.
Dans le cadre de notre étude, nous n’avons pas une mais plusieurs communautés
virtuelles. Chaque page dispose de sa propre communauté virtuelle, avec ses propres membres
permanents qui commentent régulièrement, et pour les pages non-officielles, souvent une
petite communauté formée autour du modérateur / créateur de la page.
Ce qui est particulièrement intéressant pour ces pages non officielles, c’est le fait que cette
petite communauté virtuelle qui se crée n’est souvent pas issue d’un réseau réel. C’est une
communauté créée autour d’un sujet et non autour d’une amitié. Ce sont donc des
communautés qui créent des liens à travers des trous structuraux, comme le pointe Marlow115,
un sociologue travaillant chez Facebook. Les liens qui relient les membres de cette
communauté entre eux sont des liens faibles (Granovetter 1973)116, mais qui permettent le lien
entre de nombreux clusters/cliques (regroupements de personnes se connaissant presque
toutes entre elles), ces communautés lient le réseau.
113
Jones S.G., Understanding community in the information age. Cyber-society: computer mediated,
communication and community, Thousands oaks, CA, 1995
114
Dholakia U., Bagozzi R. P. et Klein L. R., « A Social Influence Model of Consumer Participation in Network
and Small Group-Based Virtual Communities », International Journal of Research in Marketing, n°21, 2004,
241-263.
115
Cameron A. Marlow, Eric Sun, Itamar Rosenn, Thomas M. Lento, Gesundheit! Modeling Contagion through
Facebook News Feed, Department of statistics, Stanford University, 2011
116
Granovetter Mark, Getting A Job: A Study of Contacts and Careers. Cambridge, Mass: Harvard University.
1973
58
Les e-leaders d’opinion
Fejlaoui transpose la notion de leader d’opinion théorisée par Lazarsfeld et Katz en
1955 au monde du net. Rappelons dans un premier temps que ces deux derniers définissent un
leader d’opinion comme « une personne qui à travers des contacts quotidiens avec son
entourage influence de manière régulière l’opinion et la décision des gens dans quelques
domaines particuliers »117.
Appliqué aux communautés virtuelles, la définition que donne Fejlaoui du eleadership est la suivante :
« Un e-leader d’opinion est un membre d’une communauté virtuelle (de
consommation), considéré comme une source d’opinion experte, capable de fournir des
messages riches en informations. Doté d’une aisance rédactionnelle, il sait argumenter ses
propos. Poli et courtois, il témoigne de son attachement à la communauté »118.
Cette définition se veut propre aux communautés de consommation, mais elle peut
s’appliquer en de nombreux aspects aux communautés d’intérêt politique. Cependant nous
voulons revenir sur certains aspects de la définition qui ne s’appliquent pas aux communautés
que nous avons étudiées. Tout d’abord il faut rappeler un élément non négligeable, qui n’entre
pas dans la définition de Fejlaoui, trop générique, c’est le fait que les modérateurs, c'est-à-dire
principalement les personnes qui créent la page, sont bien souvent les plus actifs et peuvent
être en eux-mêmes considérés comme des e-leaders d’opinions, car ce sont eux qui amènent
leur « expertise » en publiant actualités, vidéos ou liens susceptibles d’intéresser la
communauté. Autre fait important, c’est lui en tant que créateur, qui fait le choix « d’aimer »
une autre page et ainsi d’indiquer à la communauté quelles sont les pages dignes d’intérêt.
Nous sommes par contre au regret de devoir supprimer les dernières caractéristiques
énumérées par Fejlaoui. En effet, sur les communautés virtuelles qu’il nous a été donné de
voir, politesse et courtoisie ne sont pas des éléments décisifs. Cette différence est due à
plusieurs facteurs. Tout d’abord il s’agit de communautés à vocation politique, par essence
polémiques, et d’autant plus dans le cas de communautés virtuelles d’extrême droite, dans
lesquelles s’infiltrent souvent des détracteurs. Aussi les affrontements par écrit sont souvent
violents verbalement. Cependant, c’est aussi une des caractéristiques du medium : internet est
117
Katz E. et Lazarsfeld P.F., Personal Influence, the part played by people in the flow of Mass communication,
Glencore,1955, Free Press
118
Fejlaoui Youness, Les leviers d’influence des leaders d’opinion au sein des communautés virtuelles de
consommation : approches netnographique et psychométrique, Thèse doctorat, Toulouse 1, 2011
59
un média où la violence s’exprime bien plus facilement que sur n’importe quel autre
support119, et donc d’autant plus dans le domaine des idéologies. Toutefois il est vrai que les
modérateurs et les membres réguliers de la communauté ont un vrai attachement à la
communauté, un respect entre personnes de même opinion et à ce niveau là une grande
courtoisie entre eux.
Il nous parait important d’apporter également un autre élément. Si l’ont tend souvent à
penser que peu de leaders d’opinion influencent un grand nombre de personnes, des études de
Watts et Dodds (2007)120 tendent à montrer une nouvelle facette à cette théorie. Ces deux
chercheurs ont développé « les hypothèses des influenceurs ». Ils ont utilisé une série de
simulations sur ordinateurs sur le processus de l’influence interpersonnelle. Dans la grande
majorité des conditions, les cascades d’influence sont générées non pas par les influenceurs,
mais par une masse critique de personnes facilement influençables. Toutefois, leurs résultats
n’excluent pas la possibilité que les influenceurs aient également un rôle important dans ce
processus d’influence. Cette théorie trouve toute son importance sur les réseaux sociaux où
l’atteinte d’une masse importante est toujours un but recherché. Les masses par leur nombre
pourraient avoir plus d’influence que les leaders d’opinion.
Section 3
Méthodologie : Sondage et netnographie
Nous avons voulu cartographier le réseau informel autour des sites officiels du FN
pour déterminer d’une part son importance, mais aussi la proximité qu’il pouvait avoir avec le
parti en lui-même. Pour cela nous avons réalisé une étude netnographique, comme celle
réalisée par Maria Mercanti-Guérin dans son étude « Facebook, un nouvel outil de campagne :
Analyse des réseaux sociaux et marketing politique ». C’est également une des méthodes
employées par Youness Fejlaoui. Cependant la seule étude du réseau ne suffisait pas. En effet,
il est intéressant de voir l’importance d’un réseau et les influences qui peuvent s’exercer, mais
il convenait avant tout de savoir dans quelle proportion ce réseau concernait les jeunes en
général, et de déterminer si ceux-ci allaient effectivement sur des pages politiques sur
Facebook. Aussi, nous avons effectué un sondage sur des jeunes de 18 à 24 ans pour connaitre
119
Matuszak C., Le forum comme lieu de production d’un discours unitaire et mobilisateur : un nouveau terrain
pour la confrontation idéologique chez les mouvements politiques marginaux, 9eme congrès de l’association
française de science politique, atelier 8, Toulouse
120
Watts D. et Dodds P., « Influentials, Networks and Public Opinion Formation », Journal of Consumer
Research, n°34(4), 2007 p. 441-58.
60
leurs habitudes sur le sujet. L’apport de témoignages de jeunes sympathisants du Front
National aurait été d’un grand apport, cependant malgré plusieurs tentatives de prise de
contact avec la section locale du FNJ, nous n’avons pu obtenir de rendez-vous.
Sondage
Conscients du peu d’importance que pouvait revêtir les intérêts politiques dans la vie
des 18-24 ans sans pour autant en avoir une démonstration empirique, nous avons mis en
place un sondage qui puisse nous permettre de situer au mieux les habitudes des jeunes sur
Facebook en matière d’intérêt politique. Ce sondage a reçu 109 réponses. Nous sommes
conscients que c’est trop peu pour pouvoir qualifier de vérité générale les chiffres qui en sont
sortis, d’autant plus que ce sondage ayant été publié sur des réseaux sociaux personnels, la
nature des réponse dépend fortement de l’entourage de ces réseaux, bien qu’un effort ait été
fait pour diversifier les sources. Toutefois 109 réponses est un chiffre suffisamment
conséquent pour en tirer quelques conclusions et s’appuyer dessus pour le reste de notre
étude.
Les questions qui ont été posées sont les suivantes :
1. Quelle est votre fréquence d'utilisation de Facebook?
2. Utilisez-vous les pages fan? Si oui, de combien de pages fan environ êtes vous fan?
3. Êtes-vous déjà allé-e sur une page officielle de parti politique? Exemple: la page du
Front de gauche, le Mouvement des Jeunesses Socialistes ou encore la page officielle
de Nicolas Sarkozy)
4. Êtes-vous déjà allé-e sur des pages d'ONG ou d'associations sur Facebook ? Exemple:
Greenpeace, Les restos du coeur, Amnesty International ou encore le club de
Tambourin du pays Lauragais)
5. Êtes-vous déjà allé-e sur des pages non officielles, n'émanant pas d'un parti ou d'une
association, engagées sur une question politique, un débat d'actualité? Exemple: Ma
voix contre le réchauffement climatique, Non au voile à l'école, Je participe au pot de
départ de Nicolas Sarkozy...)
6. Deviendriez vous plus facilement fan d'une page officielle (exemple: Page officielle
d'Olivier Besancenot ou du Modem) ou d'une page non officielle sur un thème précis
(exemple: A bas le capitalisme, ou Luttons contre le sexisme)?
7. Comment, la plupart du temps, en venez-vous à devenir fan d'une page sur Facebook?
Hiérarchisez ces propositions
61
8. Vous êtes-vous déjà rendu sur des pages nationalistes sur Facebook? Si oui, quelle est
votre opinion? Exemple: Fier d'être français, La France tu l'aimes ou tu la quittes etc.
9. De quel parti pourriez-vous être fan sur Facebook?
10. Etes-vous un homme ou une femme
L’ensemble des résultats de ce sondage est publié en annexe.
Netnographie
Nous avons dans un deuxième temps voulu faire une analyse netnographique du
réseau autour des pages officielles du Front National afin de déterminer leur proximité avec
les pages nationalistes et identitaires qui peuvent s’avérer être un véritable vivier en termes de
voix pour le parti.
Afin de cartographier le réseau, nous avons utilisé la méthode du générateur de
noms
121
, utilisée notamment par Michel Grossetti dans son étude sur le réseau Airbus122. Pour
cela nous avons tracé le réseau en fonction des pages qui déclaraient « aimer » une autre page,
chaque page nous menant à de nouvelles pages. Il était initialement décidé de tracer les
limites du réseau en s’arrêtant aux groupes qui ne parleraient plus du Front National au travers
d’un des cinq premiers éléments publiés de la page. Cependant le réseau s’est révélé être bien
plus étendu que prévu et le logiciel utilisé ne nous permettait de cartographier qu’un réseau de
moins de 100 nœuds. Aussi aux périphéries, le réseau pourrait être bien plus large mais nous
n’avons pu le cartographier.
Nous avons utilisé le logiciel UCINET 6123 pour cartographier le réseau, en réalisant
d’abord une matrice, présentée en annexe qui permettra au logiciel d’en faire une
représentation graphique, laquelle facilitera le fait de voir quels sont les nœuds importants
dans le réseau. Cette matrice, présentée en annexe, est le fruit de notre recherche et recense
toutes les pages dont nous nous sommes servis pour cartographier le réseau.
121
Cette méthode est utilisée lorsqu’aucune information préalable sur le réseau a été fournie. Elle consiste à
partir d’un nœud et de demander à cette personne les acteurs du réseau avec qui elle est en relation. Il s’agit
ensuite de poser la même question à chaque acteur cité.
122
Michel Grossetti, Jean-Marc Zuliani et Régis Guillaume, « La spécialisation cognitive. Les systèmes locaux
de compétence en Midi-Pyrénées », Annales de la Recherche Urbaine, n°101, 2006, p.23-31
123
Borgatti, S.P., Everett, M.G. and Freeman, L.C. 2002. Ucinet for Windows: Software for Social Network
Analysis. Harvard, MA: Analytic Technologies.
62
La démarche consiste à se renseigner sur la nature des pages qui sont reliées au FN par
le biais des « j’aime », leur importance, et vérifier notre hypothèse de départ qui est que le FN
peut s’appuyer sur de nombreux groupes nationalistes et identitaires.
Dans un deuxième temps il s’agit de se renseigner sur la nature des échanges sur ces
pages : quels sont les éléments publiés, quelle est la nature des propos tenus, sent-on une
affiliation partisane sur ces pages ? Ce sont les questions que nous nous sommes posées.
Section 4
Analyse des résultats : un réseau nationaliste étendu, appui informel au
Front National
Sondage
A travers le sondage que nous avons réalisé, nous voulions connaitre les habitudes des
jeunes de 18 à 24 ans inscrits sur Facebook en ce qui concerne leur relation avec les pages
fans. En effet, nous faisons un mémoire sur la puissance que peut avoir le Front National sur
cette plateforme, seulement
il est nécessaire de savoir si la population étudiée se rend
effectivement sur des pages de nature politique.
Et les résultats ne plaident pas en faveur d’une grande utilisation des pages fans et
encore moins des pages à vocation politique.
Tout d’abord on remarque que la grande majorité du panel étudié n’est abonné qu’à
peu de pages, 25% n’est abonné à aucune page, et 45% à moins de 20 pages, cela relativise
d’emblée l’importance qui peut être accordé au système des pages j’aime. Mais plus que cela,
les questions portant sur l’intérêt que pouvaient revêtir des pages de partis politiques, d’ONG
ou simplement des pages thématiques à vocation d’action publique, montrent clairement qu’il
y a peu d’intérêt de leur part d’aller voir sur ces pages. En témoignent les chiffres : 58% ne
sont jamais allés sur une page officielle d’un parti politique, et 53% ne sont jamais allés sur
une page engagée sur une question politique ou un débat d’actualité. C’est donc à chaque fois
plus de la moitié qui se désintéresse de la politique sur cette plateforme (malgré un panel sans
doute plus diplômé que l’ensemble d’un panel qui serait représentatif). Les théories de
Rosanvallon124 sur un plus grand engagement des jeunes sur des structures associatives ou des
124
Rosanvallon Pierre, La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Seuil, Paris 2006
63
organisations non gouvernementales se démontrent un peu, puisqu’ils sont seulement 43% à
n’avoir jamais visité une page de ces structures. On remarque également la grande réticence à
afficher ses opinions politiques sur Facebook, puisque 54% des personnes interrogées disent
ne pas afficher leurs opinions sur Facebook.
Cependant, il faut pointer le fait que le panel étudié ne correspond pas à la mouvance
d’extrême droite que nous analysons ici. En effet, très peu sont déjà allés sur des sites
nationalistes, 14% , dont la plupart y sont allés par curiosité et non par affiliation idéologique,
et seulement 4% des participants pourraient être fans de pages issues de la mouvance
nationaliste.
Analyse netnographique
Nous sommes partis des pages fans non-officielles du Front National, et plus
particulièrement celles soutenant la candidature de Marine Le Pen pour construire le réseau
construit en marge des canaux officiels du parti. Si l’on schématise le réseau obtenu, on
obtient ce réseau concentrique :
Le réseau Facebook autour des pages officielles du FN
(1) Les pages officielles
(2) Les pages non-officielles soutenant le FN
(3) Les pages reliées aux pages non officielles
(4) Limites du réseau (pages sans lien avec le parti)
Sur les pages suivantes est représenté graphiquement le réseau, grâce au logiciel
UCINET 6, avec noms tout d’abord, puis sans, afin de voir plus clairement quels sont les
nœuds majeurs du réseau.
64
La représentation graphique du réseau avec les noms des pages
La représentation graphique du réseau sans les noms
65
Au centre (1 -Rouge) les pages officielles du parti qui forment une clique presque
parfaite, c'est-à-dire que les pages officielles sont presque toutes reliées entre elles, les unes
pointant vers les autres. Par contre, elles ne pointent pas vers le reste du réseau (à quelques
exceptions près, provenant du personnel politique), elles observent une stricte discipline en se
renvoyant les unes aux autres, une volonté évidente de ne pas créer de polémique en dirigeant
vers d’autres pages, qui pourraient pourtant supporter le parti. Il est particulièrement
important de noter par ailleurs que la tranche d’âge la plus présente sur les pages officielles,
comme sur beaucoup de pages non officielles aussi, est celle des 18-24ans (ces indications
sont consultables en cliquant sur le nombre de fans d’une page). Une preuve que les jeunes
ont réussi à être plus touchés que les autres par la campagne menée sur cette plateforme.
Le deuxième cercle (2 - jaune) est composé par toutes les pages pro-FN, dont le titre,
la photo de couverture ou l’avatar représentent le parti, par le nom, l’image ou une
quelconque référence. Le plus souvent le titre de la page fait explicitement référence au FN
comme « Marine Le Pen présidente » ou « la jeunesse patriote soutient le rassemblement bleu
Marine ». Ces sites pointent la majorité du temps vers les réseaux officiels, mais aussi vers ce
que nous avons catégorisé comme le troisième cercle, des pages thématiques, souvent à
tendance xénophobe ou bien nationaliste. Ce sont elles le lien direct entre les pages officielles
et les groupes identitaires et nationalistes qu’on peut retrouver sur la plateforme. On peut se
demander l’utilité pour quelqu’un de suivre une page non officielle supportant la candidature
de Marine Le Pen. La première raison est le côté communautaire, la page officielle de la
candidate possède plus de 100 000 fans, la page thématique en possèdera souvent 1000 ou
2000, 16 000 pour la plus grosse page (« Marine Le Pen, la page soutien »), ce qui crée une
communauté virtuelle plus petite, plus intime où les mêmes commentateurs se retrouvent et
peuvent discuter plus librement que lorsque une centaine de personnes ou plus commentent,
comme sur les pages officielles. Ces pages créent donc un certain débat entre partisans et leur
permet de s’exprimer en créant des communautés virtuelles. Mais également, les sujets
publiés et débattus ne sont pas les mêmes que sur les pages officielles. Si l’opération de
normalisation se fait sentir sur les pages officielles où la majorité des éléments publiés
concernent l’activité de contre pouvoir du parti, comme nous l’avons vu plus haut, sur les
pages non-officielles, la parole est beaucoup plus libérée, et la majorité des éléments publiés
concernent les problèmes liés à l’insécurité et à l’immigration. Voici les 50 derniers sujets
publiés sur la page « Marine Le Pen, la page soutien » :
66
Thèmes abordés
Nombre
de Pourcentages
publications
Publications de détracteurs
15
30%
Dénonciation de l’islam ou des musulmans
13
26%
Critique d’autres partis ou du gouvernement
5
10%
Patriotisme
4
8%
Opposition à l’immigration
4
8%
Front National
3
6%
Opposition au racisme anti-blanc
2
4%
Autres (soutien aux nationalistes d’Europe, 4
8%
incitation à la haine etc.)
On voit clairement que plus que l’activité parlementaire des députés FN, les sujets qui
intéressent les membres de cette communauté sont la dénonciation de l’islam avant tout, mais
aussi
de
l’immigration
ou
encore
le
patriotisme. Ce ne sont donc pas les mêmes
sujets qui sont discutés, et la parole se fait
particulièrement libre, les propos xénophobes
n’étant pas rares sur la page, de même que les
insultes envers les détracteurs, qui eux sont très
présents sur la page, lesquels n’hésitent pas à
insulter la candidate du FN. Ci-contre un
exemple de la violence des propos tenus.
Au niveau du troisième cercle (3- bleu), donc les pages pointées par les pages nonofficielles du FN, toutes ne sont pas pro-FN et ne font pas référence à ce parti. Seulement
beaucoup le font sans pour autant le mentionner dans le titre. Majoritairement, le contenu est
le même que pour les pages non officielles, beaucoup de publications contre l’islam,
l’insécurité et l’immigration, avec des différences selon le titre de la page, mais limitées
cependant. Ce troisième cercle est composé de beaucoup de groupes aux noms ouvertement
xénophobes (« C’est choquant de voir autant de français soutenir les racailles » ou « Boycott
de toutes les marques françaises halal») mais aussi de beaucoup de groupes nationalistes avec
67
emphase sur le patriotisme (« Fiers d’être français », « Bleu Blanc Rouge »). On retrouve
aussi l’affiliation à certaines mouvances d’extrême droite dont Bloc identitaire, le S.I.E.L ou
encore les Nationalistes Autonomes. C’est ce cercle qui est le plus intéressant à étudier. En
effet, à travers les pages « aimées » on peut tracer un réseau de pensée de ces communautés
virtuelles, et ainsi connaitre les grandes lignes de pensée de cette communauté. Mais dans le
cadre de notre étude, ce qui nous intéresse est de savoir si les personnes se retrouvant sur ces
pages (en grande partie issus de notre tranche d’âge, les 18-24ans), trouvent un intérêt à
soutenir Marine Le Pen. Et la réponse n’est pas nette. En effet, beaucoup de ces pages vont
faire une référence à la candidate ou au parti, mais pas de façon régulière. Par exemple sur la
page « Forcer les gauchistes et autres collabos à aller vivre dans le 93 », qui est un nœud
central dans le réseau, vers lequel beaucoup d’autres pages renvoient, il renvoit lui-même vers
les pages officielles, et cite le parti à de nombreuses reprises, tout comme l’autre nœud majeur
« Bleu blanc rouge, fier d’être français ». Mais par exemple une page comme « Marre de se
faire traiter de facho quand on aime la France », vers lequel pointent de nombreuses autres
pages, un élément important dans le réseau, lui ne fait que peu d’allusion au FN directement.
Cependant on peut voir à travers certains contenus qui sont publiés sur ces groupes de
troisième zone qu’ils ont été conçus par le parti, comme l’image de droite ci-dessous, celle de
gauche étant l’image originale :
On voit donc qu’il y a bien viralité à travers le matériel créé par le FN, mais cela lui
est-il profitable lorsque, comme ici, son nom n’apparait même plus sur l’image ?
68
Car c’est bien cela la question, car plus on s’éloigne de la clique centrale, plus les
références au parti ou à Marine Le Pen se font moins présentes, bien qu’elles soient encore
visibles. Alors, le FN voit-il son influence représentée sur des personnes membres des
communautés virtuelles aux thèmes proches des rhétoriques du parti ?
Pour nous, la réponse semble être oui pour deux raisons. D’une part du fait de la forme
du réseau. Bien que nous n’ayons pas pris pour point de départ les pages officielles du parti,
nous avons reconstitué un réseau dont le centre est sans nul doute possible les pages
officielles, qui sont reliées par des groupes du deuxième et du troisième cercle (le quatrième
cercle (4) représentant les limites du réseau). Il aurait été intéressant de prendre pour point
d’entrée les groupes nationalistes, pour voir si la distance avec les pages officielles du FN
aurait été forte et quelle forme aurait eu le réseau. Il y a beaucoup à parier que beaucoup de
ces groupes auraient pointé vers les pages officielles du parti. Pour résumer, certains nœuds
importants lient les réseaux officiels aux pages thématiques, grâce à ces nœuds, il est facile
pour l’internaute de naviguer vers les sites officiels. D’autre part, au fil de notre observation
non participante, nous avons pu nous rendre
compte que le FN et Marine Le Pen avaient
réussi
à
s’imposer
dans
l’imaginaire
collectif de ces communautés virtuelles
comme les hérauts du patriotisme français.
En cela il a complètement écrasé les autres
partis
nationalistes,
puisque
celle
qui
représente la résistance patriotique face à
l’islam et à l’immigration sur les groupes identitaires ou de dénonciation nationalistes, c’est
Marine Le Pen, comme en témoigne cette image, publiée sur la page « je mange du porc et je
t’emmerde ». Sur cette image on voit trois symboles forts : le drapeau français qui représente
le patriotisme, un cochon qui représente la France non musulmane, et Marine Le Pen qui
synthétise ces deux symboles, se faisant la porte-parole de cette France là. On pourrait y voir
un manque de respect de la présidente du FN, mais il n’en est rien, sous l’empreinte de
l’humour, qui est une composante fondamentale de la culture net, cette image montre à quel
point le FN a gagné la lutte populaire face à ses opposants de la mouvance nationaliste en se
montrant comme le parti qui représente ces valeurs symboliquement. D’autre part, avec la
diffusion des images, leur viralité, ils arrivent à créer un cadre de pensée, ce sont notamment
les références omniprésentes à l’UMPS sur de très nombreuses pages de notre étude, un terme
69
qui a été créé et diffusé par le Front National. Aussi, ils arrivent à diffuser certains de leurs
cadres de pensée via ces pages qui reprennent termes et images, un cadre dans lequel pourront
se reconnaitre les jeunes qui feront l’effort de se rendre jusqu’aux pages officielles par le jeu
du réseau, ou plus simplement qui voteront FN aux prochaines élections, retrouvant un
discours qu’ils ont déjà entendu sans se renseigner directement sur les pages officielles, ou sur
les sites.
On peut toutefois se demander si en termes d’image ces groupes ne sont pas néfastes
pour le FN. Et la réponse est qu’ils pourraient l’être si les pages officielles étaient reliées à ces
pages ouvertement xénophobes, seulement la discipline de parti fait qu’elles ne le sont pas,
aussi on ne peut pas reprocher aux pages officielles d’être liées à ces pages xénophobes et
parfois violentes.
Ainsi c’est un réseau d’idées qui est en place, et un réseau dont le FN fait partie
intégrante. Un réseau qui permet au contenu viral mis en place par le FN d’être diffusé selon
sa stratégie de communication numérique.
70
Conclusion
Pour conclure, nous nous devons de répondre à la question qui a été posée tout au long
de ce mémoire, comment le Front National parvient-il à se positionner comme le parti numéro
un sur la plateforme Facebook ?
Et à cette question nous nous devons de rectifier le sens que peuvent prendre les mots
parfois, car oui, le Front National, en tant que parti devance ses concurrents sur le réseau
social, mais ceux-ci sont au moins aussi puissants en termes de poids symbolique, puisque les
pages fan de leurs candidats ou présidents de parti sont bien plus importantes que celle de
Marine Le Pen. Aussi, en se plaçant derrière ses deux principaux rivaux, l’ordre électoral qui
a été celui de 2012 est respecté.
Cependant, on ne peut nier que le Front National a fait un effort considérable pour se
tailler une place de choix sur internet, et notamment sur les réseaux sociaux, avec une
communication numérique innovante, percutante et surtout efficace, mettant l’accent sur la
viralité des contenus. Car c’est cela qu’offre le web 2.0, un partage accru entre les internautes,
un flux d’informations plus dense qui permet notamment aux contre-pouvoirs de s’exprimer
et de faire partager leurs idéologies et leurs critiques.
Et c’est ce que nous avons vu en cartographiant le réseau des pages non-officielles du
Front National, les contenus voyagent, se transforment, mais véhiculent un schéma de pensée
qui se diffuse à travers un large réseau. C’est cela la force du Front National aujourd’hui.
71
Annexes
Annexe 1 :
Résultats du sondage, Les habitudes politiques des jeunes sur la plateforme
Facebook
Annexe 2 :
Liste de toutes les pages composant le réseau autour des pages officielles du
FN
Annexe 3 :
Extrait de la matrice (par sa nature, elle est difficilement transposable au
format papier, elle est néanmoins disponible sur demande au format excel)
Annexe 4 :
Représentation graphique du réseau avec nom des pages
Annexe 5 :
Représentation graphique du réseau sans noms des pages
72
Annexe 1 : Résultats du sondage
Les habitudes politiques des jeunes sur la plateforme Facebook
73
Annexe 1 : Résultats du sondage
Les habitudes politiques des jeunes sur la plateforme Facebook
74
Annexe 1 : Résultats du sondage
Les habitudes politiques des jeunes sur la plateforme Facebook
75
Annexe 1 : Résultats du sondage
Les habitudes politiques des jeunes sur la plateforme Facebook
76
Annexe 2 : Liste des pages cartographiées sur le réseau autour des
pages officielles du Front National
1 million de personnes pour que la France
quitte l'union européenne
Demande d'annulation de l'élection
présidentielle 2012
100000 personnes contre le FN
En Avant pour une vague Bleue Marine
1jour, 1 image bleue Marine
Et après c'est nous qui sommes racistes??
2012 = Marine Le Pen
Fdesouche
anti parti socialiste
FN infos
Avant j'étais de gauche, mais ça c'était
avant ;-) (Front National)
Forcer les gauchistes et autres collabos à
aller vivre dans le 93
Bleu Blanc Rouge
France Bonapartiste
Bleu blanc rouge fier d'être français
Front national de la jeunesse
Bloc identitaire
Front national officiel
Boicottez toute viande tant qu'on ne sait
pas s'il est halal ou casher
Histoire de France
Honneur au skateur qui a pété la gueule à
la racaille
Boycott de toutes les marques françaises
halal
Idées nation
C'est choquant de voire autant de français
soutenir les racailles
Institut pour la justice
Je combats le système UMPS
Comité de soutien à la candidature de
Marine Le Pen en 2012
Comment faire gagner marine Le Pen
Je ne vois pas où est le problème avec
l'affiche du FN!!
Contre la christianophobie sur internet
Je suis Français et fier de l'être
Contre le Halal et les abbattages rituels en
France
La France en marche
la France forte entre en résistance (non à la
gauche)
Contre l'emprise du gouvernement français
sur le peuple de France
La gauche ma tuer
Contre les cons qui sifflent la marseillaise
et crachent sur la France
La jeunesse patriote soutient le
rassemblement bleu marine
Décortiquons l'actualité
L'actu patriote
77
Annexe 2 : Liste des pages cartographiées sur le réseau autour des
pages officielles du Front National
Marine Le Pen: Commandante de bord
pour 2012
Le citoyen engagé
Le front national (la voix du peuple)
Le parti de la France
Marre de se faire traiter de facho quand on
aime la France
Le PS est-il un danger pour la France?
Ohhh que oui!
Mouvement des patriotes résistants
Nationalistes autonomes France
Le vrai François Hollande
Non au racisme anti-blanc
Les jeunes avec François Hollande
Non au système UMPS-Verts
Les jeunes avec marine
Non, la France n'est pas à genoux!
Les mousquetaires de France avec Marine
Objectif 51%
L'UMP, PS, Verts que du pipot… alors
votez FN
Parti communiste gironde
L'Union des citoyens patriotes
Parti Conservateur
Marine Le Pen - FN : "Unis nous
gagnerons"
Parti Socialiste
Patriotes de France
Marine Le Pen (3)
Personnel politique du FN
Marine Le Pen (4)
Point de rassemblement FN Marine Le Pen
Marine Le Pen (1)
Pour ceux qui en ont marre que le racisme
anti-blanc ne soit pas reconnu
Marine Le Pen Comité de soutien
Pour tout ceux qui sont pour la peine de
mort pour les pédophiles!!!
Marine Le Pen France président
Marine Le Pen la page officielle
Marine Le Pen La page officielle (fausse)
Racailles, casseurs, wesh, un synonyme:
déchet social
Marine le Pen la vague bleu Marine 2012
Rassemblement bleu marine
Marine Le Pen objectif 2017
Rassemblement du peuple Français (RPF)
Marine Le Pen Présidente
Marine Le Pen, la page soutien
Rejeter l'islam ce n'est pas du racisme,
l'islam n'a jamais été une race!
Marine le Pen, sondages et actualités
Résistance républicaine
78
Annexe 2 : Liste des pages cartographiées sur le réseau autour des
pages officielles du Front National
Rétablir la peine de mort pour les violeurs
et les pédophiles en France
Révolte patriotique - Les fils de la liberté
Ruralité 2012
Sections locales du FN et FNJ
Si tu es fière d'être français clique "devenir
fan"
SIEL
Stop aux mensonges de la gauche
Touche pas à ma France
Tous contre les socialistes
Tous derrière Marine Le Pen
Tout plaquer et aller ouvrir une charcuterie
au Maghreb
Tout sauf Dominique Strauss Kahn
UMP
Une autre jeunesse
Vive le Front National
79
Annexe 3 : Extrait de la matrice
80
Annexe 4 : La représentation graphique du réseau avec les noms
des pages
81
Annexe 5 : La représentation graphique du réseau sans les noms
des pages
82
Bibliographie
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Arzaheimer Kai, « Contextual Factors and the extreme right vote in western Europe 19902000 » , American journal of political science, vol 53 n°2 p259-275
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l’e-parti socialiste, Revue française de science politique, 2010 /6 Vol.60
Boumaza Magali, Le Front National et les jeunes de 1972 à nos jours, Thèse doctorat
Strasbourg 3, 2002
Cardon Dominique, « Le design de la visibilité, Un essai de cartographie du Web 2.0 »,
Réseaux, n°152, 2008
Coutant Alexandre et Stenger Thomas, « Processus identitaire et ordre de l’interaction sur les
réseaux socionumériques », Les Enjeux de l’information et de la communication, 2010/1
Volume 2010
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Table des Matières
Introduction……………………………………………………………………………………….…………………………….…8
Partie 1
Analyse Contextuelle : Un environnement de crises, appui pour le
développement du Front National auprès des jeunes ......................................................... 17
Chapitre 1
La montée de l’extrême droite en Europe....................................................... 17
Section 1 Un retour en puissance du national-populisme en Europe ............................. 17
Section 2 Vers une légitimation de l’extrême droite ...................................................... 20
Chapitre 2
Contexte de crise économique et stratégie du Front National ........................ 21
Section 1 Contextualisation : La fragilisation de certaines populations, dont les jeunes22
Section 2 Une idéologie adaptée : Vers le redressement de la France et la protection des
français………………………………………………………………………………………………………………………..23
Chapitre 3
Contexte de crise de la représentation politique et stratégie du Front National
………………………………………………………………………………………………………………….25
Section 1 Contextualisation : Une perte de confiance envers les institutions
démocratiques ................................................................................................................... 25
Section 2 La crise démocratique, un atout dans le camp des partis anti-système .......... 27
Partie 2
Analyse stratégique : La communication numérique, outil de transmission
idéologique auprès des jeunes ............................................................................................... 31
Chapitre 1
Limites de la puissance du média internet ...................................................... 31
Chapitre 2
La normalisation de l’image du FN : Génération Marine Le Pen .................. 33
Chapitre 3
Un secrétariat à la communication numérique ............................................... 34
Chapitre 4
La mise en place sur le terrain numérique ...................................................... 37
Chapitre 5
Diabolisation des médias et son contraire ...................................................... 42
Chapitre 6
La viralité, un but communicationnel ............................................................. 43
Chapitre 7
Est-ce une réussite ? Les chiffres ................................................................... 46
86
Partie 3
Analyse netnographique : Le Front National sur Facebook, noyau officiel,
rayonnement officieux……...……………………………………………………………….49
Chapitre 1
Le réseau officiel : Canal de diffusion top down, interactivité limitée mais
présente
…………………………………………………………………………………………………………………..49
Section 1 Contenu et interactivité des pages officielles ................................................. 49
Section 2 Les acteurs de la page Facebook .................................................................... 53
Section 3 La publication, acte de création d’une communauté virtuelle ........................ 54
Chapitre 2
Le réseau élargi : Parole libérée et appui à la diffusion des cadres de pensée
du parti
…………………………………………………………………………………………………………………..55
Section 1 Hypothèse avancée : de l’importance des pages non-officielles .................... 56
Section 2 Communauté virtuelle et e-leader d’opinion : définition des notions ............ 57
Section 3 Méthodologie : Sondage et netnographie ....................................................... 60
Section 4 Analyse des résultats : un réseau nationaliste étendu, appui informel au Front
National
……………………………………..……………………………………………………………………………63
Conclusion………………………………………………………………………………………….………………………………71
Annexes…………………………………………………………………………………………………..………………………….72
Bibliographie…………………………………………………………………………..……………………………………….…83
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A travers ce mémoire, nous avons voulu questionner ce qui pouvait inciter les jeunes à voter
Front National aujourd’hui, à travers le prisme de la communication numérique. Nous avons
donc étudié la stratégie de communication du parti sur le web 2.0, en se penchant plus
particulièrement sur la plateforme Facebook. Une analyse qui révèle des stratagèmes de
viralité, dont l’influence se fait sentir à travers un large réseau que nous avons cartographié.
Mots clés : Front National ; Réseaux sociaux ; Jeunes ; Netnographie ; Facebook ; Viralité
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