La symbolique de l`arbre

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La symbolique de l`arbre
DOSSIER LES ESPACES NATURELS / Définition
La symbolique de l’arbre
En Orient, le pin
évoquait
l’immortalité.
En Grèce, il était
consacré à Attis,
dieu de la végétation,
amant de Cybèle,
déesse de la fertilité.
© F. BEQUETTE
AG
TÉMOIGN
E
arbre "cosmique" figure dans
la plupart des traditions populaires et magico-religieuses.
Au troisième jour de la création du
monde, la Bible rapporte les paroles
de Dieu : « Que la terre produise de la
verdure, de l’herbe portant de la
semence, des arbres fruitiers donnant
du fruit selon leur espèce et ayant en
eux leur semence sur la terre. »
Lorsque le monde fut achevé, Dieu
planta le jardin d’Eden et y plaça
l’arbre "de la connaissance du bien et
du mal", auquel l’homme ne devait
pas goûter sous peine de devenir
l’égal de Dieu. On connaît la suite.
Curieusement, alors même que cette
première rencontre a eu des conséquences dramatiques, l’arbre est
symbole de fertilité car sa sève est
comparée au lait. Il est associé aux
L’
pouvoirs féminins de la création dans
la plupart des traditions. Freud, au
contraire, voit dans l’arbre un symbole phallique et assimile la sève au
sperme, mais n’est-ce pas chez lui une
idée fixe ? Les Drâvidiens du sud de
l’Inde ont coutume de marier d’abord
la jeune fille à un manguier parce que
les mauvais esprits craignent les
arbres, surtout fruitiers. Et le futur
époux doit aussi célébrer ses noces
avec un arbre qu’il doit étreindre pour
lui emprunter sa virilité. Ainsi, figurant un exemple du yin et du yang chinois, l’arbre est à la fois phallus et
matrice, androgyne, signe de totalité,
qui réconcilie les opposés.
L’arbre fondateur de mondes
Selon la mythologie scandinave,
Askr, le premier homme, est tiré du
frêne et Embla, sa femme, de l’orme.
Lorsque ceux-ci deviennent ancêtres
"généalogiques", ils symbolisent la
filiation, représentée souvent par
l’arbre de Jessé, père de David et
grand-père de Salomon. Chez les
Africains de l’ouest, l’arbre apparaît
comme l’axe à partir duquel s’ordonnent les mondes. Pour les Pygmées:
Arebati, Dieu, fend l’arbre et la première eau se répand sur la terre, avec
le premier couple humain, puis c’est
au tour des espèces végétales. Chez
les Zulu du Kalahari, l’Arbre de vie
appelé aussi Roseau des nations, a un
rôle protecteur. De ses branches surgissent des bourgeons qui tombent à
terre et deviennent, à leur tour, des
Démonifuge
et abri pour les rois
En Chine, le
Bouddha atteint
l’illumination
sous "l’arbre de
vie", un figuier.
Selon l’ancienne
cosmologie, le
mûrier creux sert
de refuge aux dix
soleils et de palais
aux rois. En Inde,
le bois est le
meilleur des démonifuges. Selon
la tradition, il sert
non seulement de
cuirasse magique,
mais aussi de protection contre les
mauvais sorts. Il En Nouvelle-Calédonie,
les troncs d’arbres
n’est pas étonnant
sculptés
protègent
qu’aujourd’hui
les propriétés.
la tentation de
"toucher du bois" demeure aussi
forte : nous portons tous en nous
un enfant magique qui ne dort que
France Bequette
d’un œil !
La place de l’arbre en Indonésie
laire Dulac a passé trois ans en Indonésie, à Sumatra.
Fascinée par la place de l’arbre dans la vie des paysans de
l’île, elle termine un doctorat sur les techniques
de cultures qui préservent la forêt. Elle raconte
que, même auprès de la maison la plus pauvre
et jusqu’au cœur des villes, il y a au moins un arbre
fruitier. Dans la région où elle a vécu, l’arbre remplit quatre
fonctions. Il est d’abord une ressource, intimement liée à la
vie de famille, qui en utilise selon les espèces, fruits, graines,
feuilles, écorces ou résine. L’arbre est également
identitaire : le paysan se qualifie
lui-même de orang,
En Indonésie,
les fleurs flamboyantes
"homme", et y ajoute le
de l’hibiscus marquent
nom de l’arbre dont il
les limites de propriété
emprunte l’identité.
des parcelles.
C
12
arbres. Les Mayas distinguent le
monde supérieur, l’infra-monde et
entre les deux, la terre. Ces trois
mondes sont reliés par un arbre gigantesque appelé l’arbre du Monde, d’allure cruciforme. Cela a facilité la
tâche des missionnaires, qui se sont
empressés de remplacer les arbres
sacrés des villages par des croix.
Ma Planète n°23 • NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1998
L’arbre permet en outre l’appropriation de la terre : ceux qui
reboisent se voient attribuer une parcelle supplémentaire.
Il marque enfin les limites territoriales : l’hibiscus, par exemple,
remplit d’autant mieux ce rôle que ses fleurs et ses feuilles,
jaune-orangé selon les saisons, se voient de loin !
Les interactions entre les représentations symboliques, les usages
et les pratiques sociales sont fréquentes. L’aréquier serait ainsi
issu de la transformation en palmier d’un jeune homme victime
d’un chagrin d’amour. Lors de toute demande en mariage,
l’homme doit ainsi présenter un fruit d’aréquier aux parents de sa
future épouse, qui comprennent aussitôt l’objet de sa visite ! Les
incendies qui ont récemment dévasté l’Indonésie sont d’autant
plus dramatiques pour les populations que la forêt est le lieu
d’habitation des ancêtres défunts dont l’arbre conserve l’esprit.
S’il part en fumée, il laisse le paysan doublement orphelin. F.B.
© M. GUNTHER - FNH
© N. TOSI - FNH
L’arbre est un lien entre l’empire des ténèbres où il plonge ses racines,
le monde vers lequel il tend ses branches et le ciel où s’élance sa cime.