BRONTË : table
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Laissonsnous aller, mettons-nous dans une position réceptive analogue à celle de sainte Thérèse D‟Ávila. Pour votre gouverne, sainte Thérèse D‟Ávila est une religieuse espagnole, qui naquit le 28 mars 1515, et mourut le 4 octobre 1582. Elle réforma l‟ordre du Carmel. Par ses écrits mystiques (Vie, Le Chemin de la perfection, Les Demeures ou le château intérieur) elle est l‟un des plus grands écrivains espagnols. Ces écrits nous révèlent des états extraordinaires, des visions apocalyptiques et des états de transe auxquels la sainte accédait. Je me demande si Almodovar ne pourrait pas être le premier réactualiste du mysticisme espagnol, – après Salvador Dali bien évidemment. Bref, dressons notre tête raphaëlique éclatée, suspendons notre jugement et mettons-nous à l‟écoute de l‟Autre qui parle en nous. Il faut se brancher sur des ondes stellaires pour avoir la chance de se mêler à cette boue, – de s‟y barbouiller. Franchement, c‟est de la folie pure, mais de la vraie folie, non pas celle des médicastres. Des flux de tableaux de couleurs jaillissent de tous les coins. C‟est la fête, tout est permis. Venez et laissez-vous parcourir l‟échine de séismes neuro-galactiques. Béni soit celui qui sera invité à Bref, ce qui m‟anime en cet instant, ce sont les allusions faites : – Au poète espagnol Frederico García Lorca aux derniers moments du film, à travers l‟une de ses pièces de théâtre les plus célèbres intitulée Noces de sang. Permettez-moi ici d‟ouvrir une parenthèse. L‟intrigue est d‟une simplicité théologale, c‟est une affaire d‟honneur, une histoire d‟amour non résolue, et une histoire de vengeance. Mais le personnage central de la pièce n‟est ni l‟amant, ni l‟amante, – mais la mère. En effet, le fragment prélevé sur la pièce correspond au message central communiqué par le poète, et je me demande s‟il n‟y a pas en-dessous une allusion à la fameuse Pietà de Michel-Ange. Bien sûr que d‟autres représentations de la mère souffrante existent dans d‟autres productions créatives, mais c‟est le génie de Michel-Ange qui a élevé celle-ci au statut d‟archétype. – À Betty Davis et au film célèbre intitulé A Street car named desire (Un Tramway nommé désir) d‟Élia Kazan, 1951. Ces allusions semblent nous renseigner sur les liens de parentés de notre cinéaste, de ses affiliations, de ses appartenances aux différentes générations et traditions. N‟est-ce pas le déploiement d‟un arbre généalogique et culturel, ou une carte d‟identité ! Un autre élément sur les affinités entre Almodovar et le poète Andalou : je songe à la couleur rouge-sang qui domine la pièce dont nous venons de parler où, dans les coins les plus reculés de l‟espace, on sent l‟odeur du sang qui oint les fronts et les corps. De même, dans tout le film d‟Almodovar, et même dans tous ses films, le rouge colore l‟ambiance et confère de la fraîcheur. N‟allons pas dire mainte142 nant que le rouge est un signe d‟agressivité, de cruauté, ou encore d‟autres idées reçues comme le choc au rouge, etc. Mais le beau ici est que le rouge arrive toujours ici au bon moment et au bon endroit. N‟exagérons pas avec le rouge, toute la gamme est là pour ériger des tableaux en abyme. Remarque confidentielle : Almodovar m‟a initié à l‟amour des couleurs (et plus spécialement au rouge) après tant d‟années de divorce. Nina. Pour votre gouverne, le mot Huma désigne en espagnol l‟acte de fumer, et Huma fume depuis qu‟elle existe. – Une mère qui a raté sa maternité tel est le cas de la mère de Rosa. Est-il possible qu‟une personne supposée être une mère s‟excuse auprès de sa fille enceinte, une heure et demie avant son accouchement, de ne pas pouvoir être près d‟elle, car elle doit s‟occuper de son mari dément ! – Une mère qui est en fait un père, tel est le cas de Lola qui a refusé son rôle de père pour être plus à l‟aise dans un autre. Dans le film, Lola reste une énigme jusqu‟à la mort de Rosa où il vient pour se trouver en face de deux paternités à assumer. Alors que lui, le pauvre, il a déjà choisi d‟être de l‟autre côté, dans le clan des femmes. – Une mère soignante, tel est le cas de Manuella envers Rosa. Il fallait que Rosa la none procure à Manuella du travail mais par un tour de magie ou d‟un destin, les rôles se renversent. Adultérons le ton et parlons sérieusement. Avec Almodovar, les modes d‟accès au cœur des Énigmes de la vie sont innombrables. Comme son titre l‟indique, l‟énigme de la mère est au centre du film. La mère avec ses différentes facettes incrustées en différents personnages. Les formes diverses de la maternité, les diverses façons dont quelqu‟un pourrait les vivre et les différents états de la maternité. Enumérons : – Une mère en deuil. Tel est le cas de Manuella qui court derrière le cœur de son fils transplanté dans un autre corps. Pour rafraîchir les mémoires, Manuella est une actrice dans un programme télévisé pour la promotion de la transplantation des organes, à son tour elle va subir le destin d‟être une mère qui va offrir le cœur de son enfant mort à une personne qui habite à une centaine de kilomètres loin d‟elle. Comment dormira-t-elle et le cœur de son fils continue à battre là bas au fond d‟un corps qui n‟est pas le sien ! en fait, elle retrouve la personne et après cette rencontre elle se calme. – Une mère souffrante illustrée par Manuella et Rosa, toutes les deux en quête d‟une salvation ou d‟un épanouissement quelconque, la première qui va à la recherche de Lola, le père de son fils, après la mort de celui-ci (un acte bizarre), puis la deuxième qui est, en fait, une none, et qui tombe malade d‟avoir contracté le virus HIV après un rapport sexuel avec Lola (le travesti) et qui ne pourra pas voir le bébé qui vaincra la mort. Quel paradoxe, une none contaminée par le sida à la suite d‟un rapport sexuel avec un travesti ! Il est clair qu‟Almodovar ne carbure qu‟à l‟explosif, il aime le contraste des extrêmes. – Une mère heureuse de retrouver son enfant, tel le cas de Huma, en perpétuel jeu de cache-cache avec Ceci dit, on en peut déduire que le sentiment d‟être une mère n‟appartient à aucune personne spécifique, à aucune catégorie de gens. J‟irai même jusqu‟à dire qu‟un jeu existe entre ces différentes personnes où chacune, à tour de rôle, joue à la mère. Vous vous souvenez peut-être de ce jeu que nous avons tous joué : « Passe, passe, passera, à chacun, à son tour ». On s‟étonne de la manière dont une communauté de femmes, au temps où les difficultés pressent, se crée de nulle part, et à condition que personne ne connaisse l‟autre. Ce qui les soude, c‟est l‟amour, mais pas n‟importe lequel, un amour ésotérique entre femmes. Huma nous en livre le secret. Les étrangers nous sont beaucoup plus proches que nos proches. C‟est l‟amour des étrangers qui leur reste. Devant cet énoncé, nous ne pouvons que baisser la tête en signe d‟assentiment à une parole sacrée. Je crois que nous touchons ici à une idée très importante et très caractéristique pour les femmes. Il arrive parfois que des jeunes filles formulent devant nous leur méfiance envers d‟autres filles, et affichent leur préférence pour les garçons. Il arrive qu‟elles insistent sur la prétendue méchanceté de celles-là et la gentillesse de ceux-ci. Attention ! soyons incrédules, ce n‟est que mensonge et poudre aux 143 yeux. S‟il y a des êtres qui s‟aiment de manière morbide dans cet univers, ce sont bien les femmes entre elles. mère n‟a de cesse qu‟après lui avoir fourgué du négatif dans sa tête par toute sorte de discours. Sans le vouloir, elle incite le fils, après qu‟elle l‟a bien imbibé de négatif, à prendre le même chemin généalogique. Autre procédé, celui de la mère trop protectrice. Elle aime trop sa progéniture au point de l‟étouffer. D‟un côté, elle pleure son destin néfaste, de l‟autre, elle s‟en fabrique un pire de ses propres mains. Il est inévitable d‟avoir à l‟esprit la première femme : Pandore. C‟est la vengeance de Zeus contre les Hommes, modelée par Héphaïstos et animée par Aphrodite et ses chienneries. Ce que nous avons devant nous, n‟est qu‟une de ses chienneries. Je me résume en disant qu‟il ne faut pas oublier l‟autre côté de la souffrance d‟une mère. Attention ! Il faut écarter l‟idée d‟un film qui s‟abreuve à des idées proféministes. Je ne crois pas qu‟Almodovar veuille nous donner des larmes aux yeux, loin de là, l‟affaire est plus grave et tire beaucoup plus à conséquence. Une constatation intuitive s‟oppose au flux idéique : les thèmes abordés par Almodovar tendent à se cliver en thèmes-cartables et thèmes-extra. Les premiers ne changent pas, les autres sont occasionnels. Les exemples sont faciles. Pour les premiers, nous pouvons citer le travestissement, l‟homosexualité, la prostitution, la transplantation d‟organes, le lesbianisme. Et pour l‟autre catégorie, il y a le thème de la mort, de la maternité, du théâtre, etc. Prenons le théâtre par exemple, la « notion » en est bien définie. Pour Almodovar, le théâtre et la vie quotidienne se chevauchent. Ou, si vous voulez, la vie est une scène de théâtre où chacun joue des rôles différents et en emprunte quelques autres. Drôle d‟accident : jouer le rôle d‟une mère qui a perdu son fils, dont les organes vont être transplantés ; et être vraiment la mère qui a perdu ce fils. Quelle est la différence entre jouer un rôle et le vivre ? Je ne sais quoi dire sur ce sujet, mais il me semble que le message passe très bien. Ajoutons une chose. La souffrance est reine dans ce film. Mais ne vous y trompez pas, tous les sentiments sont ici passés au mixeur, ils sont devenus des êtres mixtes. On passe de l‟un à l‟autre comme si de rien n‟était. On ne reconnaît plus la jouissance de la souffrance, la peur du courage, la tristesse de la joie. – Faute de supprimer un quelconque chaos. Après tout, qu‟est ce qu‟une mère ? Revenons en arrière, à rebours, vers le titre : « Tout sur ma mère ». Est-ce que vraiment Almodovar voulait tout nous dire sur sa mère ? Je ne le crois pas. Il nous a peutêtre raconté des tas de choses sur les manières d‟être une mère, mais rien, absolument rien sur sa propre mère. De toute façon, on ne peut rien dire de sa mère, elle nous échappe comme le sacré et la sexualité. Je veux dire qu‟elle est de l‟autre côté. Qui osera – nouveau Tyrésias – traverser ? Les homosexuels ? Les travestis ? Allons donc ! tout le monde sait qu‟ils bluffent. J‟aimerai rebondir sur le sujet de la mère, en signalant le fait d‟avoir oublié le côté fatal chez la mère. Je crois que tout le monde le sait : « la mère tue ». Oui, elle est meurtrière. C‟est plus fort qu‟elle. Dans la pièce Noces de Sang, la mère apparaît comme si elle était la grande malheureuse, toute la fatalité du monde lui tombant sur la tête. Son époux et ses deux fils sont tués dans des affaires de rivalité, et, dans toute la pièce, elle crie vengeance. Je ne sais pas comment le dire, mais elle porte dans son discours une malédiction. Ce type de passion exacerbée est très courant sous nos climats tempérés. En effet, le fils est naturellement tranquille, insouciant des affaires de vengeance. Il est bien dans sa peau. Mais la Almodovar aussi ! JoB Nota-Bene : je me suis adressé tout au long de l‟article à ceux qui ont vu le film, ainsi que d‟autres réalisations d‟Almodovar. Aux autres je m‟empresse de présenter des excuses. 144