La promesse de l`aube - Collège Antonin Perbosc

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La promesse de l`aube - Collège Antonin Perbosc
La promesse de l’aube
CORRIGÉS
de Romain Gary
Fiche pédagogique
FICHE 1
L’enfant et l’adulte : distance et proximité
de l’auteur, du narrateur et du personnage
I. Au fil de la lecture : repérer les étapes du récit
1) Les lieux principaux. Le récit montre le narrateur très
proche du moment de l’écriture sur la plage de Big Sur
en Californie. Les États-Unis semblent avoir une importance
pour l’écrivain adulte, puisqu’on apprend au chapitre 3
qu’il a été Consul Général de France à Los Angeles.
Romain Gary arrive en France, à Nice, où la mère et
l’adolescent s’installent, au moment de ses quatorze ans
environ. Avant d’y arriver, on voit le personnage et sa mère
habiter à Wilno en Pologne (« “de passage“, ainsi que ma
mère aimait à le souligner, en attendant d’aller nous fixer en
France », chapitre 6, p. 47). D’une manière plus floue, les
premières années de la vie du personnage sont évoquées au
chapitre 5, et ont dû se passer en Russie : sa mère aurait alors
été actrice, une actrice reconnue. Le chapitre 37 (p. 338)
semble renvoyer cette période à un fantasme, un rêve : rien
n’atteste la réalité de ce moment, qui est en plus présenté
comme très lointain par le narrateur.
La dernière partie de l’œuvre montre que le personnage
voyage beaucoup au moment de la guerre, où il est engagé
comme aviateur. Entrant dans la Résistance après la défaite
de la France, il sert dans les troupes de la France Libre, entre
l’Angleterre et l’Afrique. Il revient en France pour découvrir
que sa mère est morte, et que les lettres envoyées étaient un
stratagème mis au point par elle pour continuer à le soutenir
dans l’effort guerrier, après sa disparition.
L’importance des femmes. L’amour et le rapport aux femmes
constituent un axe important de La promesse de l’aube. Si
aucune femme n’a l’importance de la mère du personnage,
Nina, certaines ont tout de même une place dans le récit :
Mariette, la jeune bonne qui l’initie aux choses de l’amour,
Valentine, qui est son premier amour à Wilno (il a alors une
huitaine d’années), mais aussi, d’une manière plus effacée,
Adèle, la jeune charcutière au chapitre 24, ou Brigitte au
chapitre 26, et la jeune Louison au moment où il se trouve
à Bangui (chapitre 39).
Fidèle au programme énoncé par sa mère, le personnage
collectionne les succès féminins. Il se présente comme un
grand amoureux, et non pas comme un séducteur compulsif :
il explique ainsi ne pas pouvoir évoquer précisément sa liaison
avec une jeune Hongroise, Olga (fin du chapitre 29), parce
qu’il ressent encore trop fortement la douleur que lui a
causée la séparation, très éloignée pourtant du moment
de l’écriture, puisqu’elle s’est passée au début de la guerre.
Projets et événements fondateurs. Plusieurs événements
semblent cruciaux dans l’évolution du personnage :
on songe d’abord aux phases de l’apprentissage, ponctuées
notamment par les tentatives artistiques du jeune
personnage, et les cours que lui fait donner sa mère. Romain
Gary finit par choisir l’écriture, et on suit ensuite les étapes
qui vont l’amener à devenir écrivain. Ensuite, tout ce qui
touche à l’initiation sentimentale et sexuelle a une très
grande importance dans le récit. Enfin, on voit se réaliser
le projet de réussite en France : l’intégration, malgré les
difficultés et les embûches, par exemple le fait qu’on
commence par lui refuser une promotion militaire à cause
de sa naturalisation récente (chapitre 28), se fait grâce à
l’engagement dans la Résistance, où son courage lui vaut
d’obtenir les plus hautes distinctions, notamment la Croix
de la Libération, à la suite de l’accident avec le pilote Arnaud
Langer, dont il sort miraculeusement indemne (chapitre 41),
distinction qui lui sera remise par le général de Gaulle en
personne (p. 371).
2) Bien que l’organisation du récit ne suive pas strictement
l’ordre chronologique, on peut dire que les trois parties
correspondent à trois moments essentiels : c’est l’enfance
à Wilno qui domine dans la première partie. La seconde
commence avec l’arrivée du personnage en France, à Nice
plus précisément, aux alentours de sa quatorzième année.
Enfin, la troisième partie est consacrée à la guerre et au
parcours du jeune homme, qui s’engage dans la Résistance,
jusqu'à la Libération.
II. Première approche : biographie et autobiographie
1) Le mot biographie désigne le fait d’écrire une vie, de
la raconter, et le genre littéraire constitué par ce type de récit.
Il est composé de deux éléments de sens, qui viennent du
grec : bio- désigne en grec les modes de vie, graphie, l’écriture.
Il s’agit donc bien d’écrire la vie de quelqu'un lorsqu’on rédige
une biographie.
Le préfixe auto- (de lui même) ajoute l’idée que la biographie est
écrite par celui qui a vécu les événements racontés. On retrouve
le préfixe auto- dans un très grand nombre de mots :
automobile (qui se meut de soi-même), autographe (écrit par
l’auteur lui-même), autodidacte (qui apprend par lui-même, sans
maître), autocrate (qui ne tient son pouvoir que de lui-même).
2) L’autobiographie est un récit à la première personne,
où un écrivain raconte sa propre existence. Il y a une identité
particulière entre les trois instances du récit : l’auteur qui écrit,
le narrateur qui raconte, et le personnage qui vit les
événements racontés. Le lecteur doit croire à la réalité de ce
qui lui est raconté : il se crée un pacte de confiance, ce que le
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Suite
critique Philippe Lejeune appelle le « pacte autobiographique ».
Pourtant, l’autobiographe peut parfois jouer avec ses souvenirs,
ou les compléter lorsqu’ils ne sont pas assez précis : on ne peut
pas exiger une vérité totale, parce qu’elle n’est pas forcément
atteignable, mais il faut admettre que s’écrire soi-même, c’est
aussi donner une image partielle, incomplète, en partie
imaginaire de ce qu’on a été.
3) L’écriture biographique implique une volonté de s’en tenir
aux faits avérés, comme le fait l’historien lorsqu’il évoque le
passé. Au contraire, l’écriture autobiographique fait que le récit
n’est jamais neutre. Il est en effet porté par l’émotion de
l’auteur et du narrateur : émotion de revivre des événements
personnels passés, ou de comprendre ce qui échappait au
personnage au moment des faits, par exemple.
L’émotion occupe une place cruciale dans La promesse de
l’aube : elle paraît même parfois être plus importante pour
Romain Gary que la vérité des faits. Ainsi, lorsqu’il évoque la
figure de son père au début du chapitre 14 (« Il n’est vraiment
entré dans ma vie qu’après sa mort et d’une façon que je
n’oublierai jamais » p. 103), et sa mort dans les camps avec
sa deuxième famille, il décrit d’abord ce qu’il a ressenti au
moment où on lui a donné des détails plus précis sur sa mort.
L’autobiographe ne peut s’en tenir au fait, parce que le fait le
concerne, et donc l’implique et l’émeut. C’est cette émotion
vive qu’il s’agit alors de communiquer au lecteur, plus que la
simple information.
III. Distinguer auteur, narrateur et personnage
dans le recit
1) Il y a trois marques de la première personne dans cette
phrase : les deux pronoms personnels sujets (je crois, j’eus),
et l’adjectif possessif ma dans « ma vocation ». Le présent
du verbe croire indique que la première personne renvoie
au présent de l’écriture, c’est-à-dire à celui qui est en train
de raconter l’histoire, le narrateur. Au contraire, le passé
simple du verbe avoir implique que le « je » désigne le jeune
garçon de treize ans. Le « pressentiment de ma vocation »
renvoie bien à ce jeune homme, qui n’est pas encore devenu
conteur et écrivain, à la différence du narrateur et de l’auteur.
On doit donc différencier les instances narratives.
2) Le premier « je » qui apparaît est celui du narrateur
expérimenté, qui se sent coupé du temps des expériences
qu’il va raconter, allongé seul sur une plage de Californie
(« C’est fini » ; « À quarante-quatre ans, j’en suis encore
à rêver de quelque tendresse essentielle »). L’évocation
de la scène du taxi amenant Nina désireuse de voir son fils
sur la base de Salon-de-Provence, où il est sergent instructeur
(« J’étais alors sergent instructeur à l’École de l’Air ») met
en scène le personnage juste avant le début de la guerre
(l’épisode est repris au chapitre 29, p. 253) : il a alors environ
vingt-cinq ans.
C’est l’âge du personnage qui permet de distinguer les
différents « je » : à la fin du chapitre 1er, c’est le jeune enfant
qui devient le personnage (« la promesse que je m’étais faite, à
l’aube de ma vie » ; « J’étais un enfant lorsque » p.14-15), puis
l’adolescent à treize ans, l’enfant à sept ans à Wilno (« j’avais
à peine sept ans, lorsqu’un violon d’occasion fut acquis dans
un magasin de Wilno » p. 23). On va progressivement suivre
cet enfant dans son développement, mais d’autres je
surgissent tout de même : le je du Gary Consul Général de
France à Los Angeles (p. 25), plus jeune de quelques années
que l’auteur-narrateur allongé sur la plage de Big Sur, l’enfant
à dix ans (p. 27), le jeune aviateur qui entend l’appel du
général de Gaulle (18 juin 1940) à la fin du chapitre 3.
La personnalité s’écrit donc dans les oscillations entre
différentes époques, qui correspondent à des degrés distincts
de maturité. Le début de l’œuvre montre que le déroulement
purement chronologique du récit est moins important que
ce qui fait l’unité d’une personnalité et l’association libre
de l’imagination, au-delà d’une représentation linéaire
du passage du temps. Se crée ainsi une complexité vivante
de la personne de l’auteur, qui se retrouve lui-même à des
époques différentes de sa vie, au terme du parcours vécu,
dans le fonctionnement dynamique du souvenir.
3) Romain Gary donne des informations sur lui qui sont
aisément vérifiables : elles renvoient à ce que tout le monde
peut savoir sur son personnage public. Le lecteur reconnaît
donc Romain Gary, écrivain célèbre, et ne peut douter qu’il
parle bien de lui-même. À la fin de la citation, la posture
d’humilité fait référence au jugement qu’on peut porter
sur son œuvre.
4) Deux choses peuvent nous faire parfois douter de la
réalité des événements racontés dans La promesse de l’aube.
D’une part, ils paraissent parfois trop précis pour ne pas avoir
été complétés par le narrateur au moment de l’écriture.
Notre mémoire n’est pas toujours précise au point de se
souvenir des paroles qui ont été tenues de longues années
auparavant. D’autre part, certaines parties du récit paraissent
trop belles pour être vraies, c'est-à-dire qu’elles obéissent
davantage à une volonté de créateur, qui a le souci
d’organiser les choses en fonction d’un effet à produire,
qu’au désir de simplement témoigner sur ce qui s’est passé.
Dans les deux cas, se signale ainsi la volonté de recréation
narrative.
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FICHE 2
Des scènes marquantes :
l’écriture du souvenir et de l’émotion
I. Mettre en scène le souvenir
1) Le texte effectue parfois des retours en arrière (analepses)
ou au contraire des annonces d’événements postérieurs à la
ligne principale du récit (prolepses). L’une des analepses les
plus troublantes est celle qui est donnée à la fin de l’œuvre :
« J’ai les cheveux grisonnants, à présent, mais ils me cachent
mal, et je n’ai pas vraiment vieilli, bien que je doive approcher
maintenant de mes huit ans » (p. 378). Le brusque retour dans
le passé opère une fusion imaginaire de deux époques, celles
de l’homme entre deux âges et de l’enfant qu’il a été. Plus
simplement, on observe qu’au chapitre 5, le narrateur revient
en arrière par rapport à ce qu’il raconte (une aventure avec
Mariette et sa mère à Nice), pour évoquer sa petite enfance
en Russie, perdue dans les limbes du souvenir très lointain.
L’évocation de son poste de Consul Général de France (p. 25),
ou celle de la manière dont il a entendu l’appel du 18 juin
1940 sont des prolepses : elles annoncent des choses qui
ne se produiront que bien plus tard par rapport au moment
du récit où nous nous trouvons.
L’alternance d’analepses et de prolepses est révélatrice de
la manière dont l’autobiographe ne cesse de se projeter
à des époques diverses, et donc d’un fonctionnement du
souvenir qui suit davantage la pente d’une certaine rêverie
que celle de la logique.
2) Le passage qui encercle le récit principal est habité
par une grande mélancolie, que rend perceptible l’incipit
paradoxal : « C’est fini ». Le narrateur âgé semble
s’abandonner au trouble causé par la réminiscence. La pause
réflexive sur la plage de Big Sur prend ainsi l’aspect d’un
bilan, mais aussi d’une sorte de testament qu’il laisserait
aux vivants : en ce sens, on peut y voir une certaine tristesse.
Pourtant, il faut remarquer que le ton un peu désabusé est
contrecarré à la toute fin : certes, l’écrivain « a vécu », mais
il lui reste encore l’énergie de se projeter dans le futur, encore
inconnu, encore à construire : « Je ferme les yeux, je souris
et j’écoute… Il me reste encore de ces curiosités ». On peut
y voir les signes ténus que le bilan peut être dépassé par
un nouvel élan, porté par l’espoir d’un accord avec la nature.
3) On sent à toutes les étapes du récit que l’enfance est
absolument déterminante pour comprendre le destin du
personnage. D’un côté, Romain Gary entend rendre
hommage à sa mère, dont les rêves lui ont donné le courage
et la force de s’accomplir. D’un autre côté, il veut montrer
qu’on ne peut totalement se remettre d’une enfance comme
la sienne, ce qu’il rappelle à de nombreuses reprises au cours
de son texte, comme par exemple à la fin du chapitre 4 :
« Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une
promesse qu’elle ne tient jamais. On est obligé ensuite
de manger froid jusqu'à la fin de ses jours » (p. 36).
Le souvenir semble s’imposer de lui-même au fil du récit :
l’auteur n’insiste pas sur la difficulté qu’il aurait à se souvenir.
Bien au contraire, il semble porté, transporté par son récit.
Même les épisodes qui pourraient être pénibles (la douleur
qu’il ressent au moment de ses huit ans, au point d’envisager
de se laisser ensevelir sous des monceaux de bois, chapitre 6),
ne semblent pas lui causer une amertume trop vive (p. 53).
« Le monde offrait encore des possibilités et des amitiés qu’il
n’était pas possible de négliger ». Le souvenir épouse ainsi
le plus souvent l’optimisme de l’enfant porté par son désir
de vivre et de découvrir, de conquérir le monde pour pouvoir
l’ofrir à sa mère. Le narrateur expérimenté intervient souvent
pour commenter les épisodes racontés, mais c’est toujours
sur un mode plus énergique que désespéré, du moins jusque
dans les dernières pages du livre, et en exceptant les passages
plus sombres de Big Sur.
4) Si l’enfant ne sait pas pourquoi sa mère aime tant se
perdre dans ses yeux, l’adolescent laisse entendre qu’il s’en
doute : Romain est l’image, le souvenir vivant d’un grand
amour disparu, le seul de cette mère qui s’est entièrement
consacrée à son fils. Il s’agit de ce qu’on appelle un « jardin
secret », un rêve ou un souvenir que chacun cultive pour
son seul plaisir…
À la fin du chapitre 29, le narrateur avoue son impossibilité
de raconter l’amour qu’il a ressenti pour une jeune hongroise,
Ilona. Au-delà de la question de la pudeur, certains souvenirs
sont trop douloureux pour qu’on s’y abandonne ou qu’on
puisse les raconter.
5) L’adolescent est vu au cours de cette scène comme un
peu hébété, dans une sorte de rêverie. Il ne semble pas très
perturbé par la colère de sa mère, qui, il est vrai, ne se
retourne que contre la jeune Mariette… Deux éléments
permettent au souvenir plus ancien de se développer : d’une
part, « le don de l’invective » de Nina, d’autre part, le juron
russe (kourva) qu’elle utilise au cours de la scène. L’évocation
de la petite enfance en Russie est ainsi placée sous le signe
du théâtre, qui aurait été la première activité de Nina.
On remarque que dans ce passage d’une époque à l’autre,
le lecteur est laissé dans une relative indétermination :
s’agit-il de la rêverie de l’adolescent qui se rappelle la Russie ?
Ou du narrateur âgé, qui profite de l’occasion d’un
enchaînement narratif complexe, pour développer un
nouveau récit de souvenir ?
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FICHE 2
Suite
Le souvenir est fragile, car il ressurgit parfois sans qu’on y
prenne garde, et il peut être fugitif. Surtout, il est incomplet,
parce qu’il peut se perdre dans des époques très éloignées.
Certains éléments sont curieux dans ce passage : pourquoi
le narrateur avoue-t-il ne jamais être « parvenu à élucider »
la question de savoir si sa mère a été une grande artiste
dramatique, et prétend-il pourtant se revoir dans une loge de
théâtre à Moscou ? Il faut attendre la conversation imaginaire
du chapitre 37 pour comprendre que l’hommage qu’il veut
rendre à sa mère passe aussi par la possibilité d’enjoliver
une réalité parfois décevante.
6) Les interprétations possibles du titre du livre peuvent aider
à comprendre cette déclaration. L’expression « la promesse de
l’aube » peut en effet s’interpréter d’au moins deux manières.
D’une part, c’est la promesse de l’amour maternel, promesse
d’un amour infini, qui ne peut être tenue car la mère est
amenée à disparaître et qu’aucune femme ne pourra jamais la
remplacer. D’autre part, c’est la promesse faite par l’enfant et
le jeune homme d’accomplir les rêves que sa mère construisait
pour eux : « Je n’ai pas démérité, j’ai tenu ma promesse et je
continue. J’ai servi la France de tout mon cœur, puisque c’est
tout ce qui me reste de ma mère, à part une petite photo
d’identité » (p. 380). Enfin, c’est aussi sans doute la
reconnaissance du don de Nina, qui a vu et su stimuler toutes
les promesses que portait le très jeune enfant… Dans tous les
cas, la promesse engage projets et ambitions, et expose aux
désillusions possibles : on ne cesse de se référer au moment
où elle s’est faite, à l’enfance, désignée métaphoriquement
par l’aube, et on reste donc prisonnier du souvenir.
II. Lecture analytique : Scènes fondatrices,
l’expérience de l’injustice sociale et de la honte
1) Une révélation fortuite et une prise de conscience
a) Le jeune homme surprend sa mère en train de manger
les restes de son repas : il comprend immédiatement
qu’elle s’est sacrifiée en lui laissant manger le seul morceau
de viande qu’elle pouvait acheter.
b) Il y a quatre adverbes dans le deuxième paragraphe :
soigneusement, ensuite, avidement, et soudain. Les deux
adverbes compléments circonstanciels de manière
(soigneusement, avidement) ne sont pas faciles à supprimer,
car ils portent des indications importantes : les gestes
décrits permettent la prise de conscience immédiate
du personnage, rendue dans son évidence brutale par
l’emploi de l’adverbe soudain.
c) « C’est ma première pensée d’adulte dont je me
souvienne » : la perception d’accéder à quelque chose qui lui
a été jusqu'alors dissimulé permet de comprendre que le
monde n’est pas nécessairement ce qu’il paraît être. La scène
est bien cruciale pour l’évolution du jeune homme qui devient
un adulte, capable de distance et de discernement.
2) Un sacrifice pathétique : exigence d’une revanche,
construction d’une mission
a. L’adolescent « pétrifié » est profondément touché par sa
découverte : il est désespéré au point de pleurer, de s’enfuir,
de songer au suicide. Il ressent profondément la honte de ne
pas encore pouvoir venir en aide à sa mère, de ne pas pouvoir
assurer totalement son bonheur.
b) La leçon est double : d’une part le monde est injuste, et il
faut le redresser ; d’autre part, les adultes dissimulent souvent
la vérité aux enfants, et il faut se méfier des apparences.
Devenir adulte, selon le jeune homme, c’est arriver à voir
ce qu’on cherchait maladroitement à nous dissimuler.
c) « Une farouche résolution de redresser le monde et de le
déposer un jour aux pieds de ma mère, heureux, juste, digne
d’elle, enfin, me mordit au cœur d’une brûlure dont mon sang
charria le feu jusqu'à la fin ».
Le niveau de langue utilisé est très soutenu. Le jeune homme
se rêve en héros. Le niveau de langue permet de faire ressentir
la solennité et l’intensité du moment pour lui, et des
résolutions qu’il amène.
d) « Un intolérable sentiment de privation, de dévirilisation,
presque d’infirmité, s’empara de moi ».
Il y a trois compléments du nom sentiment dans la phrase :
de privation, de dévirilisation et d’infirmité. L’énumération est
particulière car il y a une montée dans l’intensité : il s’agit
d’une gradation ascendante.
3) La reconstruction littéraire au service de l’émotion :
la mère et le fils
a) Shakespeare est un grand dramaturge anglais. Son nom est
intéressant car il évoque l’univers du théâtre. Les personnages
deviennent comme des héros d’une pièce de théâtre : ils vivent
à un très haut degré d’intensité.
b) « Me mordit au cœur », « aucune consolation »,
« intolérable sentiment » : chacune de ces expressions
montrent une intensité exceptionnelle d’émotion. La figure
qui permet de faire ressentir une grande intensité par une
exagération de l’expression s’appelle l’hyperbole.
c) — Ne pleure pas. Je te demande pardon. Tu es un homme,
maintenant. Je t’ai fait de la peine. — Laisse-moi, je te dis ! »
« Elle me dit de ne pas pleurer, qu’elle me demandait pardon.
Elle ajouta que j’étais un homme maintenant, qu’elle m’avait
fait de la peine. Je lui hurlais de me laisser ». La scène se
poursuit par un dialogue pour permettre aux personnages
de se réconcilier. Le dialogue montre aussi que le narrateur
adulte se souvient parfaitement de la scène.
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d) La scène a profondément marqué le personnage, au point que,
devenu adulte, il s’en souvient parfaitement. On peut se dire aussi
qu’il la revit, et que donc il profite de l’écriture pour la rendre plus
précise encore qu’elle n’est peut-être dans sa mémoire.
III. La confrontation
1) Les deux scènes sont vécues comme des humiliations par
le personnage. Il ressent une honte personnelle.
FICHE 3
2) À treize ans, le personnage ne supporte pas que sa mère
lui ait caché la vérité.
Lorsqu’il a huit ans, en revanche ce qu’il ne supporte pas c’est
qu’on ait pu mettre en cause la parole de sa mère et qu’on ait pu
se moquer d’elle. « Pour le meilleur et pour le pire, ce rire est
devenu moi » : d’une certaine manière, le narrateur est devenu
ce qu’il est en réaction à ces rires méchants. Il est devenu ce rire
qui l’a déterminé à réaliser les ambitions de sa mère pour lui.
Le récit d’une vocation d’écrivain
I. La vocation
1) Une vocation désigne un penchant impérieux, un appel
qu’un individu ressent pour une profession, une activité,
ou même un genre de vie. Le mot à une origine religieuse :
il désignait au départ le fait d’être appelé par Dieu, pour
se consacrer à son service. Le mot prédestination a lui aussi
une origine religieuse, mais il désigne le fait d’avoir un destin
particulier, fixé d’avance. Les mots inclination et penchant
insistent davantage sur l’idée d’un goût qui nous attire vers
quelque chose, alors que les mots aptitude et disposition
soulignent l’idée d’une capacité qui serait innée, mais resterait
à développer. Les mots mission et projet mettent eux en
exergue l’aspect volontaire de l’application qu’on met à suivre
une voie. La vocation peut être donc plus ou moins volontaire :
elle vise à développer des aptitudes initialement présentes,
mais peut aussi prendre la forme d’un destin.
2) De toutes les activités artistiques auxquelles Romain est
initié, la littérature semble la plus à même de lui correspondre.
Le narrateur insiste sur le manque de dispositions pour certains
arts : son expérience du violon est ainsi un fiasco, un de ses
professeurs de chant le qualifie d’ « enfant prodige », parce
qu’il n’avait jamais « rencontré, dans sa carrière, un gosse
aussi dépourvu d’oreille et de talent » (p. 98). Si les cours
qu’elle fait donner à son enfant sont déterminants dans ce
choix de l’écriture, les représentations que se fait Nina le sont
aussi (début du chapitre 13) : elle ne peut supporter par
exemple de penser que son fils pourrait être peintre, car elle
s’imagine aussitôt pour lui un destin aussi tragique que celui
de Van Gogh ou de Gauguin (p. 27). La littérature lui paraît
au contraire honorable et désirable : elle est ainsi très
impressionnée par les artistes français (p. 101 ; p. 107-108).
Elle l’envisage liée à la carrière diplomatique et politique :
il s’agit d’ailleurs dans les deux cas de parvenir à une
honorabilité et un pouvoir permis par la maîtrise du langage.
II. À la recherche d’un pseudonyme
1) Le mot pseudonyme est formé à partir du grec pseudos,
qui désigne au départ un mensonge, le plus souvent délibéré,
qui peut aller de la feinte à la fiction poétique, et du grec
onumos, le nom. Un pseudonyme désigne le fait de publier
des livres sous un nom d’emprunt.
Alexandre Natal connote à la fois l’héroïsme, et le sentiment
d’une valeur innée, naturelle, de naissance. Le pseudonyme,
très français, vise aussi à naturaliser celui qui n’est pas né
en France. Roland de Chantecler évoque le héros médiéval
(La Chanson de Roland) mais aussi le personnage
de Chantecler le coq (qui a donné son nom à une pièce
d’Edmond Rostand) dans le recueil satirique médiéval
Le Roman de Renart, la particule veut marquer une origine
aristocratique, alors que le nom propre témoignerait d’une
facilité pour l’art lyrique, mais évidemment ironique par
la référence au coq, animal représentant symboliquement
la France par ailleurs.
Romain Gary a utilisé plusieurs pseudonymes au cours
de sa carrière littéraire. La mystification Gary/Ajar
(cf. dossier p. 476), à la fin de sa vie, joue d’ailleurs sur les
pseudonymes : Gary évoque phonétiquement le verbe brûler
en russe, alors que Ajar est l’anagramme de jara, qui désigne
le feu, mais surtout la braise dans la même langue.
2) Il regrette de ne pas avoir pensé lui-même un nom
qui lui semble si magiquement signifier les origines mythiques
de la France, telles que se les représente par exemple Nina
dans son culte rendu à une France idéalisée.
3) Le pseudonyme marque la volonté de s’inventer pour
le jeune héros de La promesse de l’aube, de se trouver
un nom à la hauteur de ses ambitions et de ses aspirations.
Il marque aussi les premiers pas dans un univers littéraire,
tant les noms envisagés renvoient à des références d’écrivains
et d’œuvres.
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FICHE 3
Suite
III. L’imagination
1) Totoche est le dieu de la bêtise, Merzavka celui des vérités
absolues et Filoche celui de la petitesse, des préjugés, du mépris,
de la haine. Ce sont les divinités inventées par Nina, qui ont servi à
initier le jeune enfant aux périls du monde. Pourtant, ils ne cessent
d’inspirer l’adulte : « Nous sommes aujourd’hui de vieux ennemis
et c’est de ma lutte avec eux que je veux faire ici le récit ».
On comprend que la littérature est pour Romain l’inverse
de ce que représentent ces dieux, contre lesquels il faut
perpétuellement lutter. En creux, ils permettent ainsi de
comprendre le projet de l’écrivain, mais aussi de l’homme :
lutter contre la bêtise et tous les préjugés, et faire douter plutôt
que d’exhiber des vérités triomphantes, dangeureusement
dogmatiques.
2) « Raconter des histoires » : au sens propre, cela renvoie au
fait d’organiser et de mener un récit. Au sens figuré, cela prend
un sens dépréciatif, pour désigner le fait de mentir. Le narrateur
joue ici sur les deux sens : au chapitre 28, pour éviter à sa mère
la déception de savoir que son fils n’a pas eu la promotion
militaire qu’il méritait parce qu’il avait été naturalisé, il invente
une histoire romanesque de séduction amoureuse qui aurait
mal tourné. Le mensonge répare l’injustice, au moins en évitant
à sa mère d’en éprouver l’amertume cruelle.
3) La vocation désigne ici la destination, ce qui doit être le
but naturel du monde. Pour Romain Gary, la littérature permet
de corriger le monde lorsqu’il est trop décevant : pour l’enfant,
son action future réparera les injustices vécues par sa mère.
En dominant son sujet et le langage qu’il utilise, l’écrivain peut
arriver aux buts qu’il s’est fixés, et se détacher de ce que le
monde a de trop étroit ou amer. La littérature empêche ainsi de
se laisser déborder, par l’amertume ou la difficulté d’un sujet,
parce qu’elle organise l’expérience en lui donnant du sens.
4) Pour Romain Gary, il ne s’agit pas seulement de dire la
vérité lorsqu’on écrit une autobiographie. Parfois, l’esthétique
peut permettre de corriger le réel, de l’améliorer. Le livre qu’il
écrit est aussi une réparation : il vise à rendre hommage à sa
mère, en lui montrant, dans un geste posthume touchant,
qu’il a accompli ses rêves, mais aussi en la montrant telle
qu’elle aurait sans doute aimé être, si sa vie ne lui avait imposé
une condition sociale difficile.
IV. Les étapes vers la reconnaissance
1) La difficulté n’est sans doute pas de finir, mais bien
de commencer… l’incipit de La promesse de l’aube en garde
la trace. Par où commencer ? C’est la question que se pose
le jeune homme au moment où il voudrait réussir à devenir
un écrivain célèbre. Il se représente bien la fin qu’il poursuit
(au sens de projet), mais ne sait pas bien comment y arriver…
Or, c’est bien le chemin à suivre qui est important ! On
remarquera que la fin si émouvante de La promesse de l’aube
est une trouvaille de l’auteur : dans la réalité, Romain Gary
n’a pas ignoré que sa mère était morte à Nice (cf ; dossier,
p. 438)… mais faire une belle fin, n’est-ce pas aussi crucial
pour organiser le sens d’une œuvre ?
2) André Malraux (1901-1976) est un écrivain, intellectuel,
homme d’action et homme politique français. Il connut vite une
reconnaissance littéraire exceptionnelle, portée par des romans
comme La Condition humaine en 1933 ou L’Espoir en 1937.
Grand voyageur, passionné par le mouvement du monde,
engagé, il se rallie à la Résistance pendant la guerre, et devient
un des plus proches ministres du général de Gaulle (ministre
de la Culture de 1959 à 1969). Comme Romain Gary, André
Malraux est un écrivain qui s’est illustré en tant qu’ homme
d’action. Romain Gary le cite comme une espèce de modèle
inaccessible. La liste est longue des écrivains qui sont évoqués
dans La promesse de l’aube. Romain Gary montre que devenir
écrivain, c’est aussi être totalement habité par la littérature.
3) Romain Gary tourne en dérision le jugement
psychanalytique qui est porté sur sa première œuvre, Le vin des
morts : il lui reproche sa grandiloquence, qui viserait selon lui
à émettre des jugements définitifs, qui plus est sur sa personne
plus encore que sur son œuvre. Pour autant, il se déclare flatté
de l’attention portée par une psychanalyste, qui plus est célèbre
comme la princesse Marie Bonaparte : « Pour la première fois,
je sentis que j’étais devenu “quelqu'un“ » (p. 198). Il montre
ainsi ironiquement que le principal pour se faire connaître,
c’est de faire parler de soi.
L’épisode a sans doute eu son importance (Romain Gary a
toujours refusé que soit publié Le vin des morts), mais dans son
autobiographie, il sert surtout à montrer son extrême défiance
devant tout système explicatif, qui prétendrait donner des
vérités définitives, en réduisant finalement la complexité vivante
de l’individu.
4) Décrivez les conditions dans lesquelles Romain Gary dit
avoir écrit Éducation européenne.
La première partie du roman a été écrite à bord du navire
anglais l’Arundel Castle, qui emmène le personnage vers
l’Afrique (p. 338). Romain Gary le termine alors qu’il est affecté
à la base aérienne d’Hartford Bridge, toujours en pleine guerre.
Il écrit de nuit, dans le froid, pendant les courts moments
de répit que lui laissent les combats, alors qu’autour de lui ses
compagnons sont décimés.
— Quel sens prend le fait d’écrire dans des conditions horribles ?
« Il était difficile, dans ces conditions, de faire de la littérature.
Il est vrai que je n’en faisais pas : pour moi, tout cela faisait
partie d’un même combat, d’une même œuvre ». Ecrire, c’est
poursuivre le combat pour les valeurs, et s’efforcer de donner
du sens à un monde horrible.
6
La promesse de l’aube
CORRIGÉS
de Romain Gary
Fiche pédagogique
— Trouvez un résumé d’Education européenne. En quoi le livre
parle-t-il d’une certaine façon de son auteur ?
Le livre raconte l’histoire d’un jeune résistant polonais,
Janek Twardowski, près de Wilno. Ecrit en 1943, il colle
à l’actualité immédiate. Le jeune homme, confronté à la
difficulté de l’action, est dans la même situation que Romain
Gary. La perspective d’une fin victorieuse témoigne d’un
optimisme que la littérature permet sans aucun doute
FICHE 4
de trouver plus facilement que le contexte immédiat dans
lequel l’auteur écrit.
— « J’étais né ». Pourquoi la publication d’un premier roman
est-elle vécue comme une naissance ?
Le terme employé par Romain Gary est fort : c’est une manière
d’exprimer un véritable sentiment de plénitude. Être reconnu
comme écrivain engage de nouvelles perspectives de vie : tout
est ouvert, tout est neuf, tout est à construire et à découvrir.
L’enfance ou le temps de l’initiation
I. Le rôle de la mère : éduquer et initier
1) Éduquer, c’est donner à quelqu'un tous les soins et les
enseignements nécessaires au développement et à
l’épanouissement de sa personnalité. Initier, c’est faire accéder
à un savoir caché, ésotérique (c'est-à-dire qui n’est réservé
qu’à quelques-uns) : bien souvent, on est initié au cours de
cérémonies secrètes, et le mot est employé pour désigner
des pratiques religieuses et cultuelles qui utilisent l’idée
d’une révélation réservée à quelques privilégiés.
Nina éduque son jeune enfant, en lui donnant l’occasion de
découvrir de multiples activités, en convoquant de multiples
professeurs pour lui enseigner les rudiments de l’expression
artistique par exemple. Mais elle est aussi une intiatrice, dans
la mesure où elle le fait accéder à un monde caché au commun
des mortels : on songe bien sûr aux dieux inventés par elle
pour stimuler l’imaginaire, mais aussi pour expliquer les dangers
du monde à son jeune enfant. Cette révélation secrète ne serait
connue que de l’enfant et de la mère.
L’image d’une France idéalisée participe aussi de l’idée d’une
initiation : il s’agit bien de croire dans cette image, que rien
pourtant ne garantit. L’initiation renvoie ainsi à une pensée un
peu magique, qui s’impose comme un choix décidé, révélateur
de la volonté de faire correspondre le réel à ses rêves. « J’ai
toujours eu tendance à prendre à la lettre les belles histoires que
l’homme s’est racontées à lui-même dans ses moments inspirés,
et la France, à cet égard, n’a jamais manqué d’inspiration.
Le talent éclatant de ma mère lorsqu’il s’agissait d’avoir
confiance, de continuer à croire et à espérer, se réveillait soudain
en moi et s’élevait même à des sommets inattendus » (p. 269).
2) Nina éduque son fils en le forçant à viser le plus haut,
en nourrissant en lui et pour lui les aspirations les plus élevées.
Positivement, c’est lui marquer un amour absolu, et témoigner
une absolue confiance dans ses possibilités. Plus négativement,
c’est exiger toujours davantage, et condamner Romain a être
toujours insatisfait, à ne jamais se sentir à la hauteur.
Le récit montre les deux aspects de cette éducation, et ses effets
sur la personnalité du narrateur. Si Nina est la figure même
du sacrifice, elle est en effet aussi une mère terrible : la fin de
la première partie (pp. 141-143), juste avant le départ pour la
France, où elle gifle son fils, le montre sans fards, en même
temps qu’elle témoigne de la difficulté du sacrifice maternel.
3) Nina et le Général de Gaulle ont en commun une absolue
confiance en la France. Il pourrait paraître saugrenu de
comparer sa mère à un chef politique et militaire. Mais
c’est aussi montrer sa détermination, sa force, et l’admiration
qu’elle continue de susciter pour ces qualités.
II. Lecture analytique : l’initiation amoureuse
1) Principes d’une initiation amoureuse
a) Le verbe apparaître est important parce qu’il témoigne que
la première rencontre avec la jeune fille est un coup de foudre :
il la voit et en tombe aussitôt amoureux.
Le participe passé s’accorde avec le complément d’objet direct
placé devant l’auxiliaire avoir.
b) Le martyre est une suite d’épreuves et de supplices qu’on
fait subir à quelqu'un pour qu’il renonce à quelque chose,
à sa foi par exemple, dans un contexte religieux. Le mot peut
paraître exagéré pour une histoire d’enfants, il serait employé
hyperboliquement. Pourtant, lorsqu’on découvre la liste
d’objets que le jeune homme a été obligé d’avaler, et que
l’on sait que cela se termine mal (« faillit me coûter la vie »,
Romain Gary est envoyé à l’hôpital dans la suite du chapitre),
on se dit que les souffrances qu’il s’est infligées méritent
peut-être le terme de martyre.
c) Le jeune garçon ressent un trouble indescriptible : il est
« aspiré par une passion violente, totale ». On peut remarquer
que les effets du coup de foudre sont d’abord physiques :
« mes jambes devinrent molles », « mon cœur se mit à sauter »,
« ma vue se troubla ». Dans un second temps, le jeune
homme est décidé à séduire Valentine, et adopte une stratégie.
d) Valentine marque de l’indifférence à ceux qui veulent la
conquérir. Elle pousse les garçons qui la courtisent à rivaliser
entre eux, afin de pouvoir choisir le meilleur. Son exigence paraît
même excessive : elle révèle une nature légèrement tyrannique.
7
La promesse de l’aube
CORRIGÉS
de Romain Gary
Fiche pédagogique
2) Une mise à l’épreuve chevaleresque
a) La phrase est au discours direct. « Elle me dit que Janek
avait mangé pour elle toute sa collection de timbres-poste ».
b) Janek est le rival : pour le personnage masculin, il incarne
l’image même du défi à relever pour conquérir celle qu’il aime.
Le combat pour la dame aimée est comparable aux défis que
se lancent deux chevaliers.
c) On reconnaît une énumération. On la retrouve plus loin
dans le texte à partir de « un éventail chinois », jusqu'à la fin
du paragraphe. Le narrateur reprend l’énumération après
une courte pause, qui ménage un effet de suspens. Il montre
ainsi l’importance des épreuves surmontées par le
personnage.
d) Il s’agit d’un superlatif relatif. C’est une hyperbole, qui
montre d’une manière humoristique l’exploit tel qu’il est vécu
par le personnage, que le narrateur observe et commente
avec une distance émue, mais amusée.
3) Un regard amusé sur une expérience cruciale
a) Le premier paragraphe laisse une place très importante
à l’hyperbole : les termes paraissent exagérés pour donner
FICHE 5
l’impression d’une très grande intensité de l’émotion ressentie
par le personnage.
b) Le verbe cesser est ici au conditionnel présent. « Si j’avais une
voix » est une proposition subordonnée hypothétique ; « je ne
cesserais de chanter sa beauté et sa douceur » est la proposition
principale de la phrase. La phrase exprime ici l’irréel du présent.
c) « Ici, je dois ouvrir une parenthèse » jusqu’à « J’affirme que »,
puis le dernier paragraphe. Le narrateur intervient pour peser
de tout son poids et affirmer que l’histoire est vraie. Même s’il
s’amuse légèrement, on peut dire qu’il est donc solidaire du
jeune enfant qu’il a été, et il voit même une cohérence entre son
comportement amoureux et celui de l’adulte qu’il est devenu.
d) Le narrateur joue ici sur le sens propre et le sens figuré du
mot. Au sens propre, le personnage a avalé une somme absurde
d’objets incongrus ; au sens figuré, les femmes ont fait croire
n’importe quoi au narrateur lorsqu’il en était amoureux.
e) D’un côté, il s’agit bien d’une étape fondamentale dans
l’initiation du personnage, et cela est donc sérieux ; d’un autre
côté, le narrateur adulte nous invite à sourire avec lui de l’enfant
qu’il a été.
Force et formes de l’humour : tenir la distance
I. Qu’est-ce que l’humour ?
1) Le comique désigne ce qui a pour effet de provoquer le
rire, le sourire ou un sentiment de gaieté : c'est une tonalité
légère. Le mot est emprunté au lexique du théâtre. Ainsi, c’est
un comique qui relève du genre de la comédie, en opposition à
la tragédie. L'humour est une faculté qui nous rend capable de
discerner ce que le réel peut avoir de plaisant ou d'amusant.
Il implique une forme de détachement, un certain sens de
l'insolite et de la dérision, en ce sens, il s'oppose à l'esprit
sérieux et grave. L'ironie est un type particulier d'esprit, qui
s'apparente à la moquerie, qui se reconnaît à un discours
capable de suggérer autre chose que ce qui est explicitement
dit. La figure même de l'ironie est l'antiphrase, qui permet
de souligner, souvent par l'absurde, ce qu'une position
ou un discours peuvent avoir de ridicule.
2) Le réel est souvent brutal, décevant, gênant. L’humour
permet de prendre une distance, de ne pas se laisser
impressionner, de conserver son intégrité dans toutes les
situations. C’est ainsi que l’envisage Romain Gary tout au long
de son ouvrage : l‘humour et l’ironie permettent bien souvent
de ne pas trop se laisser impressionner par la catastrophe.
On constate que, dans la troisième partie de l’ouvrage,
l’humour se fait moins présent : le contexte historique décrit
s’impose dans toute sa noirceur, son opacité, malgré
l’optimisme de la jeunesse du personnage.
Dans le chapitre 31, qui revient sur le moment de la débâcle
française, le narrateur raconte comment il a cru qu’un général
s’apprêtait à se suicider devant l’ampleur du désastre pour
l’armée française défaite par la poussée allemande : « J’avoue
que je me sentis ému et profondément reconnaissant. Il me
semblait que, tant qu’il y aurait des généraux capables d’un tel
geste face à la défaite, tous les espoirs nous seraient permis »
(p. 281). Pourtant un peu plus tard, il se rend compte que
le haut gradé ne fait que son courrier : « Brusquement,
je compris que loin d’avoir quelque intention sublime et digne
d’un héros de tragédie grecque, le brave général faisait tout
simplement sa correspondance, utilisant le revolver comme
presse-papier » (p. 282). Le décalage relève de l’héroïcomique : ce que le personnage a pris comme une attitude
sublime, tragique, n’est en fait qu’un geste trivial et quotidien.
Le passage vise pourtant moins à faire sourire qu’il ne constitue
une charge contre l’armée française, accusée d’avoir renoncé
aux idéaux de l’histoire héroïque, ceux-là même que Romain
et sa mère portent aux nues. La scène vue ne désamorce que
partiellement l’horreur du moment : « Je fus profondément
dépité et découragé » (p. 282).
Plus loin, la scène opposant le jeune héros idéaliste à un soldat
ne cessant de manger des sandwichs, et se distrayant
silencieusement des tirades lyriquement patriotiques censées
le convaincre de rejoindre Londres, est plus franchement
8
La promesse de l’aube
CORRIGÉS
de Romain Gary
Fiche pédagogique
FICHE 5
Suite
comique : « Dans le genre bovin, il avait incontestablement
de la grandeur » (p. 290). Le chapitre 31, qui voit le
personnage échapper de peu à la mort, entendre pour la
dernière fois la voix de sa mère, et sombrer dans l’ivresse, fait
culminer l’impression d’une adversité radicale : pourtant, il est
emporté dans une énergie vitale, que la montée en puissance
de l’humour à la fin du chapitre se charge de réaliser dans
l’espace du récit.
3) Au début du chapitre 20, Romain Gary déclare que
l’humour a été pour lui un compagnon « fraternel » tout
au long de son parcours. Il en fait une arme, tournée contre
l’absurdité du monde et de notre condition. Il parle bien ici
en moraliste : l’humour évite de se prendre au sérieux, il
relativise les épreuves que nous traversons, les indignités que
notre nature imparfaite nous impose. On comprend dès lors
le caractère « libérateur » de ces « jeux », et la solennité
avec laquelle l’auteur déclare : « L’humour est une déclaration
de dignité, une affirmation de la supériorité de l’homme sur
ce qui lui arrive ». L’humour permettrait de faire rendre raison
aux forces obscures, à ces cohortes sanglantes menées
par Totoche, Merzavka et Filoche.
4) Dans La promesse de l'aube, le rire naît souvent du décalage
entre le personnage et le narrateur, ce dernier imprimant une
sorte de distance ironique qui permet de souligner plaisamment,
sans pour autant sombrer dans le sarcasme ou la moquerie
méchante, la maladresse ou la naïveté du jeune garçon qu'il a été.
Souvent aussi, les passages les plus drôles impliquent une sorte
de théâtralisation du récit : on voit se mettre en oeuvre des
exagérations (l'hyperbole est la figure de style qui domine alors),
les dialogues sont soignés et précis, les éléments de décor servent
à dramatiser l'événement. Le souvenir devient comme une petite
scène sur laquelle s'agitent les personnages.
Il faut noter que le comique n'empêche pas pour autant
de montrer la gravité de certains enjeux, ni n’occulte
l'amertume ou la honte ressenties par le personnage au
moment où certains faits se sont produits. La scène de la visite
de Nina au camp militaire de Salon-de-Provence, reprise deux
fois dans l’œuvre, est amusante pour le lecteur qui voit
s'y déployer les excès d'une mère abusive et infantilisante.
Pour autant, elle restitue bien la gêne ressentie par le
personnage, même si son âge à ce moment-là lui permet
de prendre une distance.
II. Le comique : exagération et prise de distance
1) Le ridicule : une situation humiliante
a) Le mot narquois est un adjectif qualificatif, dont la fonction
est ici d'être épithète du nom œil. Les spectateurs privilégiés
de la scène du club de tennis ont un œil moqueur : ils sont
prêts à railler le jeune homme, à se réjouir de sa maladresse
et de son ridicule.
b) « Si j'avais pu » : plus que parfait de l'indicatif; « eût été » :
plus que parfait du subjonctif. La phrase exprime l'irréel
du passé. La condition exprimée par la proposition
subordonnée hypothétique ne s'est pas réalisée dans le passé.
c) « Ma mère m’accueillit » : proposition principale de
la phrase.
« Lorsque l’entraîneur eut enfin pitié de moi » : proposition
subordonnée circonstancielle de temps, qui exprime la
simultanéité.
« Que je revins sur la pelouse » : proposition subordonnée
circonstancielle de temps (même valeur que la précédente),
coordonnée à la précédente, la conjonction que remplaçant
lorsque et prenant sa valeur.
« Comme si je n’avais pas démérité » : proposition
subordonnée circonstancielle de comparaison.
d) Le regard d’amour et de confiance de sa mère pousse
le personnage à relever le défi et à s’improviser joueur
de tennis. De plus, il se souvient du moment où sa mère
l’avait sévèrement réprimandé pour ne pas avoir défendu
sa réputation (fin de la première partie) : il ne peut reculer,
il est obligé d’être à la hauteur des rêves de sa mère.
2) Une scène de théâtre réjouissante
a) L’attitude de la mère est mélodramatique lorsqu’elle accuse
le président et le directeur du club de tennis.
Elle considère l’assemblée qui la regarde comme un public
(« ma mère promena sur l’assistance nombreuse et
intéressée un regard de triomphe »). L’ensemble du jeu des
regards dans cette scène en fait une sorte de représentation.
La description des gestes maladroits du personnage évoque
de plus la pantomime. Enfin, la répartition des paroles
en style direct au début et à la fin du texte, de la mère
d’abord, du roi ensuite, constitue comme une mise en valeur
des acteurs principaux.
b) Les phrases sont très majoritairement de type exclamatif
(trois phrases sur quatre). L’exclamative exprime ici
l’indignation de la mère du personnage, soigneusement mise
en scène, plus ou moins jouée, plus ou moins stratégique.
L’exclamative est une manière pour elle, en évoquant de plus
le fait d’avoir été spoliée par les révolutions russes, d’attirer
à la fois l’attention et la sympathie de son interlocuteur royal.
c) Discours indirect : « Elle s’écria qu’elle venait demander
justice à Sa Majesté, que son jeune fils, qui allait avoir
quatorze ans, avait des dispositions extraordinaires pour
le tennis, et que de mauvais Français l’empêchaient de venir
s’entraîner là. Elle ajouta que toute leur fortune avait été
confisquée par les bolcheviks et qu’ils ne pouvaient pas
payer la cotisation, qu’ils venaient demander aide et
protection à Sa Majesté. »
9
La promesse de l’aube
CORRIGÉS
de Romain Gary
Fiche pédagogique
FICHE 5
Suite
d) « Une sorte de » est un expression qui sert de
modalisateur : le narrateur prend une légère distance avec
l’image qu’il utilise, qu’il ne juge pas totalement adaptée.
L’image de « la danse de pantin désarticulé » est une
métaphore désignant les efforts maladroits de l’apprenti
tennisman. La métaphore restitue ici le ridicule comique du
personnage totalement dépassé par la situation.
3) La distance ironique et le sérieux : alliance
du sublime et du grotesque
a) Il est étonnant que le narrateur ne fasse que douter :
même de jeunes enfants savent que les contes sont inventés.
C’est un paradoxe, puisque le narrateur va ici, à des fins
humoristiques, contre une idée largement répandue
(les contes sont des fictions), en prétendant croire encore
à des contes d’enfant.
b) Le roi de Suède est ému par la relation de l’enfant
et de sa mère, et par le fait que celle-ci est prête à tout,
à défier même un public potentiellement hostile,
pour permettre à son fils de réussir. Il voit dans la scène
la grandeur de l’amour et de l’implication maternels.
c) Après son apostrophe au roi de Suède, la mère arbore
« un regard de triomphe » ; après la piteuse prestation de
son fils, elle « dévisage » l’assistance avec « une attention
soutenue », « comme à l’affût » : c’est un regard de
prédatrice qu’elle jette finalement, prête à « bondir » sur
le premier qui se moquerait. La mère est ici déterminée
à satisfaire l’objectif qu’elle s’est fixé (faire inscrire son fils
au club de tennis), et elle a la férocité d’une lionne pour
défendre son fils.
d) « J’ai toujours aimé la Suède depuis » : le pronom
personnel sujet Je désigne le narrateur expérimenté,
relié à l’épisode au delà du temps qui s’est passé. Au
contraire, le second je désigne plutôt le personnage du récit,
trop embarrassé par la scène d’humiliation pour revenir
au Parc Impérial.
III. L’humour comme rempart
1) La distance qu'impliquent l'ironie et l'humour, distance
à soi mais aussi distance aux événements tragiques du
monde, est sans aucun doute salutaire, le plus souvent.
Pourtant, on ne peut s'empêcher de penser que l'humour
est aussi le signe d'une attention à tout ce que le monde
comporte d'irrégularités, de dysfonctionnements.
En ce sens, il est certes une solution au désespoir, mais,
chez Romain Gary,
il en constitue une sorte d'envers solidaire : désespoir et
humour ont des éléments en commun, parce que l'humour
ne fait jamais totalement disparaître la difficulté d'être,
il montre aussi ce qui la fonde.
2) Romain Gary utilise le décalage temporel existant entre
le personnage de l'enfant ou du jeune homme qu'il a été,
et le narrateur expérimenté qu'il est devenu, pour faire
naître l'humour. Une des caractéristiques majeures du genre
autobiographique (la distinction des entités narratives,
personnage et narrateur, et auctoriales, mais aussi leur unité
au-delà du décalage temporel), est ainsi réinvestie à des fins
stylistiques : faire entendre la caractéristique propre d'une
voix, mais aussi d'une personnalité, qui refuse de se prendre
trop au sérieux, qui fait du détachement, de la distance
amusée, un mode de rapport au réel. L'ironie prend ainsi
une importance cruciale dans l'autoportrait que l’écrivain
se propose de présenter au public dans son autobiographie.
3) Nous rions le plus souvent de choses qui sont en
décalage par rapport au fonctionnement ordinaire du monde,
de ce qui est en infraction, de ce qui révèle une maladresse
ou témoigne d'une perception fausse. Il faut, pour que
cela attire notre attention, que cela soit spectaculaire,
impressionnant. La caricature est ainsi très révélatrice
du fonctionnement du comique.
L'autobiographie doit faire croire à son lecteur que ce qui est
raconté s'est réellement passé, que l'auteur l'a vécu.
En ce sens, exagération et outrance peuvent nuire à la
vraisemblance du récit. Cependant, il faut remarquer que
l'humour est avant tout une façon d'envisager les choses :
le lecteur peut identifier une tonalité, s'amuser de la manière
dont le narrateur présente les épisodes, sans pour autant
douter qu'ils se soient vraiment passés. Le comique ne nuit
pas en effet à la cohérence d'ensemble du récit. Au contraire
parfois : la répétition fréquente des scènes d'emportement
mélodramatique de Nina (avec Mariette, avec Romain,
à Wilno, au marché Buffa à Nice, à Salon-de-Provence...)
contribue tout à la fois à l'effet de drôlerie et à la
construction d'une véracité psychologique du personnage.
4) À propos de la note qui précède Les Clowns lyriques
a) Le lyrisme est une genre poétique qui privilégie l'expression
personnelle du sujet, dans un style plutôt élevé, avec une
hauteur de vue et de sentiment. Le clown, au contraire,
joue de la brusquerie, du décalage, de l'emportement
drôlatique : il est dans la disconvenance. L'expression
utilisée, par le décalage entre deux tonalités différentes,
voire opposées, est un oxymore.
Le jeune tennisman du Parc Impérial apparaît comme
une sorte de « clown lyrique » : il est grotesque dans ses
mouvements et son incapacité à pratiquer convenablement
le sport qu'il prétend pourtant maîtriser, mais il est touchant
et émouvant dans sa manière de ne pas reculer devant
l'adversité et de vouloir correspondre au désir de sa mère.
 10
La promesse de l’aube
CORRIGÉS
de Romain Gary
Fiche pédagogique
une gigue ridicule à la poursuite des balles insaisissables ».
Sa situation d’aviateur attendant de pouvoir servir en
entrant directement dans le combat, au lieu de faire des
sorties aériennes qui lui paraissent inutiles, établit un lien
entre le jeune enfant et le jeune homme impatient.
L’expression « clown affolé » est moins oxymorique que
celle de « clown lyrique » : elle insiste davantage sur l’idée
de maladresse et d’une expérience manquante, alors que
le lyrisme implique une volonté de dire un état d’âme.
L'humour sert bien à éprouver les valeurs véhiculées par
les personnages : à la fin de la scène, la détermination et le
dévouement de Nina font taire les moqueries, et le roi de
Suède, en étant touché, en tirant une leçon en faveur de
Nina et de Romain, montre que les valeurs qu'ils incarnent
ont résisté au ridicule de la scène, qui a peut-être même
contribué à les mettre en valeur. Leur authenticité résiste
donc bien à l'épreuve du ridicule.
b) Le narrateur parle alors de « clown affolé » qui « dansait
FICHE 6
De l’enfant au héros de la Résistance :
mythes et réalité
I. Faire une recherche historique
1) Les Allemands envahissent la France en mai 1940.
L’offensive commence le 10 mai, à travers la Belgique et les PaysBas. Contre toute attente, l’armée française se trouve absolument
incapable de résister à l’attaque : c’est la débâcle, et les Allemands
parviennent à Paris déclarée « ville ouverte » le 14 juin 1940. La
panique a gagné la France : des millions de réfugiés prennent le
chemin de l’exode, fuyant la progression des troupes allemandes.
Le chaos règne. Le commandement politique et militaire est
divisé sur la suite des événements. Le camp réclamant l’armistice
l’emporte : celui-ci est signé le 24 juin 1940, et le maréchal
Pétain, qui installe son gouvernement à Vichy, engage une
politique de collaboration active avec les Allemands, dans une
France divisée en deux zones, l’une occupée, et l’autre libre.
Le chapitre 31 confronte la vision du jeune soldat pris au cœur
de la tourmente avec la connaissance historique du narrateur,
bénéficiant du recul pour comprendre ce qui s’est alors passé.
Ainsi, il explique qu’il lui paraissait tout à fait impossible que le
maréchal Pétain, alors même qu’il déclarait vouloir continuer
à résister, était en fait un des chefs appelant à collaborer avec
l’ennemi : « J’étais foncièrement incapable d’imaginer qu’un
chef parvenu au premier rang de la plus vieille et de la plus
glorieuse armée du monde pût se révéler soudain un défaitiste,
un cœur mal trempé, ou même un intrigant prêt à faire passer
ses haines, rancunes et passions politiques avant le destin de la
nation » (p. 268). Le personnage attend toujours un
revirement de situation.
L’épisode constitue surtout un témoignage au cœur de
l’événement, mais forcément réduit à la perception individuelle
du jeune homme : « Le jour où la France est tombée j’étais
assis le dos contre le mur d’un hangar, en regardant tourner les
moulins du Den-55 qui devait nous emporter vers
l’Angleterre » (p. 273).
Ménageant un fort effet pathétique, c’est dans ce moment
chaotique que l’auteur situe le dernier contact téléphonique
avec sa mère (p. 279-280), qui lui permet d’échapper
miraculeusement à la mort : se précipitant pour prendre
l’appel, il voit s’écraser l’avion qui devait le mener à Londres.
Ce moment de grande intensité parvient à mêler dans le
spectaculaire tous les fils héroïques et tragiques d’une
existence singulière, emportée dans un mouvement
romanesque : le lien à la mère comme la garantie d’une
protection quasi-surnaturelle, l’engagement dans une histoire
chaotique, hasardeuse et dangereuse, le lien à un pays
d’adoption envisagé comme un héritage de l’enfance et des
rêves de la mère adorée. L’Histoire collective donne ainsi
l’occasion de poursuivre l’accomplissement d’un destin que
l’écriture doit se charger de montrer dans sa nécessité, en
dramatisant l’émotion et le suspens de l’instant.
2) Le général de Gaulle, alors secrétaire d’État à la
Défense, refuse la capitulation. Il se rend à Londres le 17 juin,
d’où il lancera son célèbre appel à la Résistance, à la radio
anglaise. Même si l’émission a été peu écoutée sur le
moment, l’influence du discours est très rapidement
déterminante, et profonde : il constitue la date de naissance
de la France Libre, incarnant une France qui continue le
combat aux côtés des Anglais contre l’Allemagne, et qui est
donc l’alternative au gouvernement de Vichy.
L’appel du 18 juin est évoqué trois fois dans l’œuvre à la fin du
chapitre 3 (p. 32), à propos des pseudonymes, au chapitre 13
(p. 99), et au chapitre 32 (p. 295). Deux fois, les paroles du
chef de la France Libre sont rapprochées de celles de Mina.
L’amour de la France, la conception héroïque de l’Histoire
(selon laquelle cette dernière s’écrirait par des individus
d’exception) se rattache totalement à la figure maternelle.
3) L’élève doit placer sur une carte le parcours du narrateur
au cours de la guerre.
4) Le débarquement dans le midi est une opération militaire
menée par les troupes Alliées, à partir du 15 Aout 1944.
Il s’agissait de délivrer le territoire français par le Sud, pour
créer un deuxième front après le débarquement en Normandie.
Nice se libère le 28 août 1944.
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La promesse de l’aube
CORRIGÉS
de Romain Gary
Fiche pédagogique
FICHE 6
Suite
Le récit de la liesse de la progression des troupes triomphantes
(pp. 376-377) est interrompu : Romain Gary met en scène une
arrivée du soldat héroïque à Nice, et la découverte que sa mère
est morte des années auparavant, en s’arrangeant pour lui
faire parvenir des courriers pendant toute la durée du conflit.
L’émotion est ainsi recentrée sur le fils et sa mère, sur l’idée
du sacrifice essentiel.
II. L’idéal comme projet : l’enfant et le héros
1) Pendant toute la guerre, le jeune militaire est porté par
l’idéal maternel, mais aussi par l’idée qu’il lutte contre les
divinités maléfiques issues des contes orientalistes de sa mère,
pour construire un monde meilleur.
Le jeune personnage qu’il a été apparaît étrange au narrateur
vieillissant (« Était-ce vraiment moi, ce garçon frémissant et
acharné, si naïvement fidèle à un conte de nourrice et tout
entier tendu vers quelque meilleure maîtrise de son destin ? »
(p. 309)). L’homme d’âge mûr comprend que les contes de sa
mère l’ont initié à l’art, et l’ont poussé à envisager sa propre
existence comme une création toujours recommencée.
Pourtant, allongé sur Big Sur, il doute de pouvoir jamais mener
à bien ce chef d’œuvre si longtemps espéré. Il finit même par
penser que la matière de l’existence, qu’on veut organiser en
œuvre, finit par davantage imprimer sa marque qu’elle ne se
laisse modeler. « Elle vous impose un peu plus une forme
tragique, grotesque, insignifiante ou saugrenue, jusqu'à ce
que vous vous trouviez, par exemple, étendu, les bras en croix,
au bord de l’Océan, dans une solitude que l’aboiement des
phoques et le cri des mouettes déchirent parfois » (p. 309).
2) L’énergie et la résolution de Nina ne cessent d’animer le
jeune homme : « Ma mère était outrée. Elle ne me laissait pas
une minute tranquille. Elle s’indignait, tempêtait, protestait.
Je n’arrivais pas à la calmer » (p. 295). Alors qu’ils sont séparés,
le personnage ne cesse de ressentir sa présence vivante à ses
côtés. Elle parle par sa voix au moment où, en pleine débâcle,
Romain cherche à rejoindre l’Angleterre (« Je crois vraiment
que c’était la voix de ma mère qui s’était emparée de la
mienne » p. 291). Nina s’incarne même dans une forme
fantômatique, mais qui semble réelle jusqu'au détail des
cigarettes fumées, avec laquelle le personnage a de longues
conversations à bord de l’Arundel Castle (pp. 337-341).
Elle le pousse alors à mener à bien l’écriture d’Éducation
européenne. Tous les projets de vie rêvée par la mère se
poursuivent ainsi au moment des combats.
3) Nina a continué à faire parvenir des lettres à son fils après
sa mort : elle les avait écrites par avance, et une amie suisse
devait se charger de les envoyer au fur et à mesure.
Le dénouement est émouvant car il est d’abord inattendu :
comme le personnage, le lecteur espérait sans doute des
retrouvailles, et d’ailleurs le narrateur a ménagé des effets de
suspens dans son récit : il ne précise pas que c’est la dernière
fois qu’ils se voient lors de leur entretien à l’hôpital en avril
1940 (fin du chapitre 30), même si tout tend à le faire
pressentir dans la scène d’adieu, et épouse le point de vue
du personnage lorsqu’il affirme « un perte terrible lorsqu’on
pense qu’il fallait y ajouter celle de la France et de ma mère,
que je n’allais plus, en toute probabilité, jamais revoir »
(p. 273), le narrateur sachant tout à fait à quoi s’en tenir.
Le lecteur, par une relecture, retrouve quelques éléments
annonçant le dénouement. Le récit a ménagé ses effets
en lui faisant deviner, ou redouter, l’issue fatale, notamment
lorsque est évoqué le flou progressif et troublant des lettres
de Mina (fin du chapitre 40 et p. 371).
Ensuite, le stratagème est la pièce ultime du dévouement
maternel, de cette affection éperdue que Nina n’a cessé
d’éprouver pour son fils : il témoigne du refus absolu de
l’abandonner, d’être séparé de lui, même par la mort.
Enfin, la découverte du stratagème laisse le récit au bord du
désespoir et permet la transition avec le narrateur âgé, allongé
sur la plage californienne. Le récit opère une ellipse sur la
détresse du jeune homme, mais la fait ressentir dans la scène
finale. C’est permettre à l’émotion de s’inscrire dans une
intensité prolongée.
III. L’idéal et la réalité
1) Un projet irréaliste
a) Cependant, certes, mais, puis, mais, finalement. Les
connecteurs logiques structurent et organisent le récit, en
suivant précisément le déroulement de la scène.
b) Le projet fomenté par la mère du narrateur, assassiner
une des personnes les plus protégées de l’époque, n’est
évidemment pas simple. La phrase dit le contraire de la réalité,
pour faire sourire.
c) discours direct : « J’ai tout prévu, y compris ton salut ultime,
car, à supposer que tu sois pris — mais je te connais assez
pour savoir que tu es capable de tuer Hitler sans te laisser
prendre — à supposer, toutefois, que tu sois pris, il est
parfaitement évident que les grandes puissances, la France,
l’Angleterre, l’Amérique, vont présenter un ultimatum
pour exiger ta libération ».
d) « Il n’était pas question de me dérober ». Le personnage sait
sans doute qu’il est inutile de vouloir échapper à un projet de
sa mère, surtout que celle-ci le lui présente comme
un devoir héroïque digne de lui.
2) La mère et le sacrifice héroïque
a) Elle est « écroulée dans un fauteuil », « ses lèvres firent
une grimace enfantine », « elle joignit les mains », « elle était
à genoux », « le visage ruisselant de larmes », « les yeux
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La promesse de l’aube
CORRIGÉS
de Romain Gary
Fiche pédagogique
FICHE 6
Suite
agrandis par la peur, le visage bouleversé, les mains jointes ».
Le personnage féminin, que le narrateur qualifie
affectueusement de « grande artiste dramatique », se vit
comme une héroïne de théâtre, entre la tragédie et le
mélodrame.
b) Incidemment veut dire de manière accessoire, secondaire.
On pourrait le remplacer par exemple par « par la même
occasion », qui restituerait la même idée d’une désinvolture
ironique.
c) L’emploi de l’adjectif possessif de deuxième personne est
curieux, dans la mesure où ce n’est pas le projet du jeune
homme, qui l’envisage même avec réticence car il a d’autres
choses en tête. La mère s’est convaincue que c’est son fils qui
veut accomplir l’acte héroïque, alors que c’est son rêve à elle.
d) Le texte est plutôt comique, car il repose sur de multiples
décalage : le jeune homme envisage sans passion un acte
dangereux, juste pour faire plaisir à sa mère. Cependant,
le texte est aussi sérieux, car le projet de la mère s’enracine
dans la conscience du mal que fait Hitler au monde.
3) La jeunesse et le désir : principe de la réalité
a) Assez, fort, d’autant plus que, plus. La comparaison montre
que le jeune héros est tiraillé entre son désir d’aller conquérir
de jolies jeunes filles à la plage et le sentiment de devoir obéir
à sa mère.
b) Le personnage n’a pas envie de se lancer dans le projet
aventureux imaginé par sa mère : il semble plus soucieux
de vivre paisiblement sa jeunesse, comme les plages
de la Méditerranée l’invitent à le faire.
c) « Qui précédèrent mon départ » : qui pronom relatif sujet
du verbe précédèrent, ayant pour antécédent les dernières
quarante-huit heures.
« Lequel eût risqué d’être fort mal interprété par ma mère » :
lequel pronom relatif sujet du verbe eût risqué, ayant pour
antécédent tout contretemps intestinal. Le verbe risquer
est conjugué au plus-que-parfait du subjonctif.
d) Conditionné désigne le fait d’être sous l’influence
d’une habitude : le narrateur a trop l’habitude du
comportement de sa mère pour s’en étonner. Le mot est mis
entre guillemets parce qu’il est mis à distance par le narrateur,
il appartient à un vocabulaire technique (psychologique) qui
ne lui est pas habituel.
IV. Les liens entre l’histoire personnelle et l’histoire
collective
1) M. Piekielny est un personnage émouvant. Il se signale en
effet par une véritable bonté, et ne cesse de faire des cadeaux
au jeune garçon de Wilno. Il est de plus le premier personnage
extérieur au couple formé par la mère et son fils à se mettre
à l’unisson de leurs rêves, en croyant au destin grandiose de
Romain. Surtout, celui qui est condamné à être une victime
de l’Histoire et de la violence des hommes (« Aujourd’hui,
la gentille souris de Wilno a depuis longtemps terminé sa
minuscule existence dans les fours crématoires des nazis,
en compagnie de quelques autres millions de juifs d’Europe »
p. 57), continue à vivre dans la mémoire de l’écrivain fidèle
à la promesse qu’il lui a faite.
Si Romain Gary présente sa trajectoire héroïque dans la guerre,
il a une pensée très vive pour ceux qui sont tombés, et pas
nécessairement au champ de bataille. Le début du chapitre 14
évoque la mort de son père, « mort de peur, sur le chemin du
supplice », avant d’entrer dans le camp d’extermination où
périt après lui toute sa famille. « L’homme qui était mort était
pour moi un étranger, mais ce jour-là, il devint mon père, à
tout jamais » (p. 104). Le texte montre ainsi que la douleur des
victimes de l’Histoire nous marque à tout jamais, nous relie à
elle : le sentiment vécu, exprimé dans la littérature, est le relais
nécessaire aux simples chiffres de l’historien.
2) Un tombeau est un poème écrit à la mémoire d’un grand
artiste, ou d’une personne importante. La promesse de l’aube
célèbre bien évidemment Nina, la mère, et n’hésite pas parfois
à l’embellir pour mieux réaliser son rêve dans son œuvre. Dans
la dernière partie, le livre rend aussi un hommage vibrant aux
jeunes soldats engagés dans le combat pour la Libération de
la France, dont beaucoup n’ont pas vu le pays libéré (p. 322).
3) Les listes de noms transforment le texte en monument :
elles témoignent que les sacrifiés ne sont pas des anonymes,
qu’ils sont encore de véritables personnes pour le narrateur.
L’hommage aux compagnons disparus est disséminé tout
au long de la troisième partie du livre. Il prend la forme
d’une plainte liée à l’absence : le narrateur se dit accompagné
sur la plage de Big Sur par tous les fantômes de ces jeunes
gens sacrifiés (p. 276).
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