"Essais" de Montaigne : un trésor bordelais

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Dossier
"Essais" de Montaigne : un trésor bordelais
Par Catherine darfay (textes) et quentin salinier (photos)
Le fameux Exemplaire de Bordeaux des " Essais " de Montaigne, qui n'a plus été montré au public depuis 25 ans, va
sortir de sa cachette pour une exposition à la bibliothèque de Bordeaux. Récit.
Un document unique
Les pages de l'Exemplaire de Bordeaux sont richement annotées de la main de l'auteur
Sous sa reliure de maroquin noir même pas d’époque, le trésor le plus précieux de la Bibliothèque de Bordeaux n’est pas un manuscrit. C’est beaucoup mieux : la dernière édition, imprimée
en 1588, des « Essais » de Montaigne, sur laquelle l’auteur lui-même a travaillé jusqu’à sa mort, en 1592. Retiré dans la tour-librairie de son château de Saint-Michel-de-Montaigne, en
Dordogne, l’ancien maire de Bordeaux s’est employé pendant quatre ans à corriger, améliorer, préciser le livre de sa vie. Soit un tiers d’« allongeails » écrits partout dans les marges, en
haut, en bas, sur les côtés, à l’image d’une pensée « à sauts et à gambade ».
Chef-d’œuvre, donc. Certes, il y a sans doute eu, à la même époque, un autre ouvrage hybride, mi-édition originale mi-manuscrit. C’est à partir de ce second exemplaire que Marie de Gournay,
la grande admiratrice de Montaigne, a réalisé l’édition posthume des « Essais » parue en 1595. Problème : ce trésor-là n’a jamais été retrouvé. Pas plus que les manuscrits originaux des
premiers « Essais ».
L’Exemplaire de Bordeaux, EB pour les intimes, reste le seul dont on soit certain qu’il ait été annoté de la main de Montaigne. Sauf que, pendant longtemps, personne n’en a rien su. La
veuve du philosophe avait confié l’ouvrage au couvent des Feuillants, à Bordeaux, où Montaigne fut enterré. Le relieur du coin y a eu le couteau un peu leste. Mais les marges rognées ne
manquaient à personne. Jusqu’à ce que l’érudit François de Neufchâteau s’aperçoive à la fin du XVIIIe siècle que l’exemplaire conservé au couvent comprenait de notables différences par
rapport à l’édition connue depuis 1595.
La dernière édition, imprimée en 1588, des " Essais " de Montaigne est un trésor. Les bibliothécaires la manipulent en gants blancs
Il faudra attendre la confiscation sous la Révolution, et l’attribution du volume à la Bibliothèque de Bordeaux pour en savoir plus. Et encore. En 1868, souhaitant marquer un grand coup, la
Ville de Bordeaux annonce une édition municipale des « Essais » à partir de l’Exemplaire de Bordeaux. Pas simple : il s’agissait pour les Bordelais de retranscrire à la main les annotations
de Montaigne, tout en se méfiant des tentatives similaires lancées par des Parisiens.
Ken Keffer, un universitaire du Centre College (Kentucky), raconte l’aventure par le menu dans « Montaigne for ever ». Et c’est désopilant. On y voit un premier bibliothécaire se faire harceler
par l’adjoint à la culture qui trouve que le travail n’avance pas assez vite, son successeur abandonner la tâche au milieu du gué, le successeur du successeur tenter sa chance bien qu’étant
aveugle, un émissaire parisien être reçu dans un cagibi sans chauffage en plein hiver particulièrement rigoureux…
Moyennant quoi le premier volume de l’édition bordelaise ne paraît qu’en 1906. Suivi de près, en 1913, par une édition parisienne qui porte la date de… 1906, histoire de dissimuler le retard !
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Un chef d'oeuvre invisible
Aujourd’hui, la plupart des éditions modernes des « Essais » s’appuient sur l’Exemplaire de Bordeaux. Mais plus personne ne l’a vu, ou presque, depuis vingt-cinq ans. À peine Mario Soares,
l’ancien président du Portugal, qui y tenait lors d’une visite à Bordeaux en 1994. Quelques spécialistes de Montaigne, aussi, pourvu que ce soit les bibliothécaires qui manipulent le trésor en
gants blancs. Le reste du temps, il dort à l’abri de sa chambre forte.
L’Exemplaire de Bordeaux s’est néanmoins offert un voyage au printemps qui le rend désormais accessible à tous, et gratuitement. Dans son centre spécialisé de Sablé-sur-Sarthe, la
Bibliothèque nationale de France, en partenariat avec la Ville de Bordeaux, a en effet opéré une numérisation page après page. Une première avec ce degré de précision qui permet de
mesurer, grâce aux différentes couleurs d’encre, l’incessant travail de Montaigne. Pour la première fois, on peut voir comment, à propos de son amitié avec La Boétie, il a d’abord écrit « parce
que c’était lui » puis, « parce que c’était moi ».
24/09/2016 19:09
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L'expo événement
À voir
À voir
Exposition « Montaigne superstar », du 20 septembre au 17 décembre, à la bibliothèque Mériadeck de Bordeaux (tram A, station Hôtel de police). Du mardi au vendredi de 13 à 19 heures et le
samedi de 13 à 18 heures. Accès libre.
Des rencontres avec des montaignistes, des lectures en musique ou théâtralisées, des cafés littéraires compléteront le programme, y compris dans les bibliothèques de quartier.
Montré au public pour la première fois depuis plus de vingt ans, l’Exemplaire de Bordeaux sera évidemment la pièce maîtresse de l’exposition « Montaigne superstar » organisée par la
Bibliothèque de Bordeaux du 20 septembre au 17 décembre. Il sera exposé sous vitre, ouvert à la page du fameux « parce que c’était lui, parce que c’était moi ». On pourra également
feuilleter sur tablette graphique la totalité du volume numérisé par la BNF. Plus quelques autres livres issus du très riche fonds spécialisé de la bibliothèque. Celle-ci collectionne les éditions
rares des « Essais » et les ouvrages issus de la librairie de Montaigne. Une mine.
Mais ce n’est pas tout. Annoncée par une affiche de Jul qui ose l’écrivain en Superman et par une page Facebook « Montaigne superstar », la manifestation entend désacraliser la figure de
l’écrivain dont la lecture en classe, et en français du XVIe, ne laisse pas que de bons souvenirs, alors que sa modernité – et sa liberté – est éblouissante. Il y aura même un jeu de société
créé pour l’occasion, des jeux de rôle, des ateliers de body-painting et un grand concours de selfies, du 20 septembre au 1er octobre. Tout ça est très légitime, scientifiquement parlant : à être
lui-même « la matière de son livre », Montaigne n’est-il pas le précurseur des selfies ?
C’est même l’écrivain lui-même qui conduira la visite en racontant, comme il le fait dans les « Essais », quelques épisodes de sa vie : la mort de La Boétie, son retrait du monde pour écrire les
« Essais », ses voyages, son élection comme maire de Bordeaux, ses soucis de santé… À chaque thème, un « spécialiste » apportera son regard, y compris Alain Juppé sur Montaigne comme
maire de Bordeaux, rôle dont il ne voulait surtout pas. Après tout, c’est à lui à que l’on doit : « Sur le plus beau trône du monde, on n’est jamais assis que sur son cul ».
Appel aux dons pour le cénotaphe
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Le cénotaphe représente un Montaigne gisant en armure avec un lion à ses pieds (photo Claude Petit)
Montaigne n’y dort pas pour de vrai. Ses restes, mélangés à d’autres, se trouvent probablement dans le sous-sol du musée d’Aquitaine, à l’emplacement de l’ancien couvent des Feuillants,
où il fut enterré en 1592. Mais le cénotaphe commandé par sa veuve un peu plus tard est bien connu.
Comme il a trôné longtemps dans le hall de l’ancienne faculté des lettres du cours Pasteur, des générations d’étudiants lui ont caressé les pieds en guise de porte-bonheur !
Le monument, qui représente un Montaigne gisant en armure avec un lion à ses pieds, est aujourd’hui en bonne place dans les collections du musée d’Aquitaine. Sauf qu’il est aujourd’hui
fragilisé et mérite une restauration. Le diagnostic en cours permettra de préciser le montant de l’opération. Pour boucler le budget, et parce qu’il s’agit de Montaigne, une campagne de
financement participatif débutera en octobre, en même temps que l’exposition à Mériadeck. C’est la plateforme Culture Time qui est chargée de récolter les fonds. 18 000 euros sont espérés.
cc
Réalisation
Texte
Catherine Darfay
Réalisation
Rédaction SudOuest.fr
Photos
Quentin Salinier
24/09/2016 19:09

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