11.01.06 Avis sur les modifications au projet de loi sur l…
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11.01.06 Avis sur les modifications au projet de loi sur l…
COMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L’HOMME Avis sur les modifications apportées par l’Assemblée nationale au projet de loi sur l’immigration, l’intégration et la nationalité (Adopté par l’assemblée plénière du 6 janvier 2011) 1. La CNCDH s’est déjà prononcée par un avis du 5 juillet 20101 sur le projet de loi sur l’immigration, l’intégration et la nationalité dont elle avait été saisie. Dans la mesure où ce projet a été substantiellement modifié lors de son examen par l’Assemblée nationale qui l’a adopté en première lecture le 12 octobre 2010, la CNCDH a estimé nécessaire de prendre en compte les amendements intervenus, qu’ils soient d’origine gouvernementale ou parlementaire, dans une vision d’ensemble de l’état du projet de loi. 2. Les modifications apportées à ce projet de loi confirment les critiques formulées par la CNCDH dans son précédent avis. La CNCDH réitère ainsi ses observations relatives à la banalisation de l’enfermement des étrangers, la réduction du rôle du juge judiciaire et le renforcement des pouvoirs de l’administration au mépris des droits des étrangers. Elle renouvelle ses recommandations concernant l’article L 622-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoyant un délit d’aide à l’entrée à la circulation et au séjour irréguliers – article dont l’application révèle l’existence d’ « un délit de solidarité » ainsi qu’il ressort de la note annexée au présent avis2. 3. La CNCDH rappelle en outre les termes de son avis sur l’élaboration des lois dans lequel elle regrettait que le rythme des réformes soit « largement dicté par les évènements et soumis aux pressions de l’opinion »3 agissant par effet d’annonce à l’exemple de la déchéance de nationalité ou des mariages dits « gris »4. La « prolifération de textes législatifs, relevant davantage de l’opportunité politique que du travail législatif réfléchi » a contribué à ce qu’un quantum de peine identique (sept ans) soit fixé pour les mariages gris et la traite des êtres humains5. 4. La CNCDH rappelle que les droits de l’homme doivent s’appliquer à tous et en toutes circonstances. Or, les évolutions du droit des étrangers tendent au contraire à pérenniser et à étendre des systèmes dérogatoires au droit commun, qui méconnaissent les droits de l’homme. Ainsi, le système en place dans l’Outre-Mer, particulièrement attentatoire aux libertés publiques, s’étend progressivement à la métropole. A titre d’exemple, la disposition du projet de loi reportant au cinquième jour de la rétention administrative l’intervention du juge judiciaire pour décider de sa prolongation s’applique déjà sur le territoire de Mayotte. De même, les régimes d’exception en place dans certaines collectivités d’Outre-Mer (absence de recours suspensif contre les mesures de reconduite à la frontière6, fouilles et destructions de véhicules7 notamment), sont maintenus et même étendus par le projet de loi à d’autres collectivités. 1 CNCDH, Avis sur le projet de loi relatif à l’immigration, l’intégration et la nationalité, 5 juillet 2010, disponible sur www.cncdh.fr. 2 CNCDH, Note sur les cas d’application du délit d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irrégulier, 6 janvier 2011. 3 CNCDH, Avis l’élaboration des lois, 15 avril 2010, disponible sur www.cncdh.fr. 4 Article 21 ter du projet de loi : Mariage contracté par l’étranger « contrairement à son époux, sans intention matrimoniale ». 5 Art.225-4-1 du Code pénal. Sur le sujet, voir Avis de la CNCDH sur la traite et l’exploitation des êtres humains en France, 18 décembre 2009. 6 Articles L514-1 et L514-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). 7 Articles L611-11 (article 79 du projet de loi) et L622-10 (article 80 du projet de loi) du CESEDA. Page 1 sur 5 5. La CNCDH constate que son précédent avis n’a pas été entendu et que le fossé se creuse entre la position de la CNCDH et les réformes en matière de droit des étrangers. Pas plus que dans son précédent avis, elle n’entend se livrer ici à une étude exhaustive du projet de loi. Toutefois elle estime nécessaire de faire part des observations que suscitent les modifications apportées au projet dont elle avait été initialement saisie, en raison des atteintes qu’elles portent aux droits et libertés. • Le placement en zone d’attente 6. La CNCDH a déjà relevé que le projet de loi initial banalisait la privation de liberté en en faisant un mode de gestion ordinaire de l’immigration. Elle avait rappelé à propos du placement des étrangers en zone d’attente que toute privation de liberté doit en particulier respecter le principe de légalité qui s’entend formellement et matériellement, c’est-à-dire requiert de la loi qu’elle soit accessible, précise et prévisible8. L’article 6 du projet de loi prévoit dans sa nouvelle rédaction que « lorsqu'il est manifeste qu'un groupe d'au moins dix étrangers vient d'arriver en France en dehors d'un point de passage frontalier en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d'au plus dix kilomètres, la zone d'attente s'étend du ou des lieux de découverte des intéressés jusqu'au point de passage frontalier le plus proche »9 . En dépit d’un effort de définition, force est d’observer que la disposition nouvelle, qui permet à l’autorité administrative d’instituer une zone d’attente à tout moment dans n’importe quel point du territoire dès lors que dix étrangers s’y trouvent à une distance inférieure à dix kilomètres, sans autre condition que celle tenant au caractère « manifeste » de leur arrivée en dehors d’un point de passage frontalier, ne satisfait pas à l’exigence de prévisibilité et banalise la privation de liberté en permettant la transformation potentielle en zone d’attente de toute portion du territoire national. En outre, la généralisation des lieux érigés en zones d’attente et l’imprévisibilité qui en découle s’opposent matériellement à l’exercice par les étrangers des droits qui leur sont en principe reconnus dans ces zones, ce dont le projet de loi prend d’ailleurs acte en prévoyant un différé tant de leur notification que de leur exercice10. Enfin, la CNCDH souligne que la possibilité de créer en tout point du territoire des zones d’attente ad hoc conduit à soumettre les étrangers placés dans ces zones qui demandent l’asile à la procédure prévue pour l’asile à la frontière, c'est-à-dire à les considérer hors du territoire et à subordonner alors « leur entrée » sur ce territoire à un examen préalable de leur demande d’asile11. • L’assignation à résidence sous surveillance électronique 7. Le projet de loi tel que modifié institue par ailleurs l’assignation à résidence sous surveillance électronique comme alternative au placement en rétention administrative des étrangers. La CNCDH note avec satisfaction que ce projet de loi cherche à prendre en compte le problème du placement de familles avec des enfants en rétention administrative. Elle remarque cependant qu’aux termes même de la directive « retour » dont ce projet de loi entend assurer la transposition, la rétention administrative ne doit être utilisée qu’en dernier recours. Or, le projet de loi pérennise au contraire le système en place, qui fait de la rétention le principe et de l’assignation à résidence une exception dont une des modalités peut être, pour les familles avec enfants, l’assignation à résidence sous surveillance électronique. A cet égard, la CNCDH rappelle que si le régime de l’assignation à résidence ressort traditionnellement de la compétence de l’autorité administrative, la technique de la surveillance électronique est aujourd’hui limitée aux seuls cas de contrôle judiciaire ou d’aménagement de peine, la surveillance électronique étant une modalité d’exécution d’une peine12 qui doit avoir été prononcée par une juridiction de jugement. Dans la mesure où un étranger qui fait l’objet d’une mesure d’éloignement n’a pas été jugé coupable d’une infraction pénale, il ne peut être considéré comme l’auteur d’une infraction. Dès lors son placement sous surveillance électronique sur simple décision administrative, qui conduit à le traiter comme l’auteur d’une infraction ne saurait qu’être écarté. 8 CNCDH, Avis sur le projet de loi relatif à l’immigration, l’intégration et la nationalité, 5 juillet 2010 Article 6 du projet de loi. 10 Articles 7 et 8 du projet de loi. 11 Avis sur le projet de loi sur l’immigration, l’intégration et la nationalité, § 7 et 8. 12 Décision du Conseil constitutionnel n°2005-527 DC du 8 décembre 2005 loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales « Considérant, en premier lieu, que la surveillance judiciaire est limitée à la durée des réductions de peine dont bénéficie le condamné ; qu'elle constitue ainsi une modalité d'exécution de la peine qui a été prononcée par la juridiction de jugement ». 9 Page 2 sur 5 • La limitation du droit au séjour des étrangers 8. En premier lieu, s’agissant du droit au séjour des étrangers résidant en France, souffrant d’une pathologie dont le défaut de traitement entraînerait des conséquences d’une extrême gravité13, le projet de loi propose de revenir sur la loi en vigueur depuis 199814. En effet, ce droit au séjour est conditionné au fait que l’étranger, gravement malade, vivant en France, « ne puisse effectivement bénéficier du traitement approprié dans son pays d’origine », effectivité qui doit s’apprécier, comme l’a rappelé le Conseil d’Etat15, au regard des conditions économiques et sociales dans lesquelles se trouverait l’intéressé s’il était renvoyé dans son pays d’origine. Or, l’amendement adopté par l’Assemblée nationale aurait pour effet de priver du droit au séjour un étranger gravement malade dès lors que le traitement est « disponible » dans son pays d’origine. Si en principe les traitements sont le plus souvent disponibles dans la plupart des pays du monde, leur accès reste toutefois souvent limité en pratique puisque l’étranger ne peut se les procurer effectivement tant pour des raisons économiques (insuffisance quantitative des traitements disponibles), sociales (coût élevé de ces traitements) ou géographiques (indisponibilité hors des zones de forte urbanisation). Dès lors, l’amendement adopté revient à restreindre la délivrance de titre de séjour pour raisons médicales et à exposer les étrangers gravement malades à des expulsions vers des pays où il est probable qu’ils ne pourront pas être effectivement pris en charge médicalement. La modification des dispositions de l’article L. 313-11 11° du CESEDA représente ainsi une menace importante pour les droits des étrangers malades, leur renvoi dans leur pays les exposant à des risques de traitements inhumains ou dégradants. 9. Le projet de loi réduit également le droit au séjour des ressortissants communautaires. En effet, alors qu’en l’état actuel du droit tous les ressortissants communautaires ont un droit au séjour inconditionnel pour une durée de moins de trois mois, le projet subordonne ce droit au séjour au fait qu’ils ne « soient pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale, notamment l’assurance maladie, l’aide sociale et les prestations publiques à caractère social ». Sans même évoquer le fait que, pour bénéficier de la plupart des prestations sociales, les étrangers doivent à de rares exceptions près résider en France depuis plus de trois mois (il en est ainsi pour l’Aide médicale d’Etat16 ou le revenu de solidarité active17), il importe de rappeler que l’Union européenne a proclamé à nouveau dans le traité de Lisbonne « son attachement aux valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’Etat de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme » et entend offrir « à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes »18. En outre la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres19 reconnaît aux citoyens de l'Union « le droit de séjourner sur le territoire d'un autre État membre pour une période allant jusqu'à trois mois ». Dès lors, la nouvelle disposition législative est contraire à cette disposition communautaire, fondement de la construction européenne et susceptible comme telle de donner lieu à condamnation de la France par la Cour de Justice de l’Union Européenne. 10. Le projet de loi supprime par ailleurs les possibilités de délivrance et de renouvellement des titres de séjour des conjoints de personnes entrées par la voie du regroupement familial, lorsqu’il y a rupture de la vie commune due à des violences conjugales20 en l’absence d’une ordonnance de protection du juge aux affaires familiales. Cette disposition contredit la volonté politique exprimée en 2010 tant à travers la déclaration faisant de la lutte contre les violences faites aux femmes une Grande Cause nationale que dans la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences conjugales21 laquelle témoigne de 13 Article L. 313-11 11° du CESEDA. Loi n°98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions. 15 Voir CE, Sect. 7 avril 2010, req. n°301640, Ministre de l’Intérieur c/ M. Jabnoun et CE, Sect. 7 avril 2010, req n°31662 Ministre de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire c/ Mme Bialy. 16 Article L251-1 du Code de l’action sociale et des familles 17 Article L262-6 du Code de l’action sociale et des familles 18 Article 1 et 2 du Traité sur l’Union Européenne du 7 février 1992. 19 Article 6 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004. 20 Article 16 bis nouveau du projet de loi qui dispose que « Le même code est ainsi modifié :1° Le quatrième alinéa de l'article L. 313-12 est supprimé ;2° L'avant-dernier alinéa de l'article L. 431-2 est supprimé (…) ». 21 Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. 14 Page 3 sur 5 réelles avancées en la matière. En effet la mesure de protection décidée par le JAF au vu de la situation d’urgence est accordée pour une durée de quatre mois, la protection offerte aux conjoint ayant rompu la vie conjugale du fait de violences conjugales subies est donc relative, fragile et précaire. Il est dès lors essentiel de conserver la possibilité de leur délivrer un titre de séjour et de le renouveler indépendamment du placement sous ordonnance de protection, ce dont avaient d’ailleurs convenus les députés et sénateurs de tous les partis politiques ayant pris part aux débats sur la loi de juillet 2010 • L’éloignement du territoire 11. Le projet de loi élargit par ailleurs les cas dans lesquels il est possible d’éloigner les étrangers du territoire. En premier lieu, il permet à l’autorité administrative d’obliger les ressortissants communautaires à quitter le territoire dès lors que leur séjour constitue un abus de droit. La CNCDH constate à cet égard que si l’article 32 de la directive 2004/38/CE prévoit que les droits qu’elle consacre peuvent être refusés en cas d’abus de droit ou de fraude, la directive ne définit pas cette notion. Pourtant, le projet de loi propose une définition extensive de l’abus de droit22 qui semble dépasser l’esprit même de la directive, et restreindre le droit au séjour des ressortissants communautaires tel que garanti par cette directive et par le traité de Lisbonne. Surtout, cette disposition risque de priver l’ensemble des ressortissants communautaires de la liberté de circulation qui leur a été conventionnellement reconnue. 12. En outre, le projet de loi modifié, visant maintenant tous les étrangers, et non plus les seuls ressortissants communautaires, qui sont présents sur le territoire depuis moins de trois mois, permet de reconduire à la frontière ceux dont la présence en France constitue une menace à l’ordre public23. Or, si la directive 2004/38/CE permet de restreindre la liberté de circulation pour prévenir des troubles à l’ordre public, la notion d’ordre public au sens communautaire24 qui est conçue de manière restreinte ne peut être confondue avec la notion beaucoup plus large d’ordre public, ainsi que l’illustre la liste des faits pouvant justifier une telle reconduite à la frontière. Il existe ainsi sur ce point un risque de condamnation de la France par la Cour de justice de l’Union européenne 13. Enfin, la CNCDH constate par ailleurs la contradiction de certaines politiques qui tantôt proclament leur attachement à l’universalité des droits de l’homme et à l’indivisibilité de la République, tantôt visent indirectement une communauté. Ainsi, si ce projet de loi ne traite pas spécifiquement des Roms, les modifications qui lui ont été apportées restreignant le séjour des ressortissants communautaires l’ont été à l’issue d’un été marqué par l’évacuation de campements illicites « en priorité ceux des Roms »25. Par ailleurs, la communication qui a été faite autour de certaines des dispositions de ce projet de loi, notamment celles susmentionnées relatives à l’éloignement pour menace à l’ordre public qui visent entre autres la commission de faits de mendicité agressive ou les cas d’occupation illégale d’un terrain public ou privé, est très stigmatisante. Face à cette dérive, la CNCDH appelle à une grande vigilance de la part des pouvoirs publics. 14. Enfin, à la suite de son précédent avis, dans lequel elle exprimait d’importantes réserves à l’égard de l’interdiction de retour, elle regrette que l’Assemblée nationale ait rendu quasi-automatique celle-ci soit lorsque l’étranger s’est maintenu sur le territoire après l’expiration du délai de départ volontaire, soit lorsque aucun délai de départ volontaire n’a été accordé26. 22 A cet égard, le projet de loi définit l’abus de droit comme notamment, « le fait de renouveler des séjours de moins de trois mois dans le but de se maintenir sur le territoire alors que les conditions requises pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois ne sont pas remplies. Constitue également un abus de droit le séjour en France dans le but essentiel de bénéficier du système d’assistance sociale, notamment l’assurance maladie, l’aide sociale et les prestations publiques à caractère social ».Or, dans l’Affaire Koller (22 décembre 2002, affaire C-118/09), la CJUE a relevé qu’« abuse du droit celui qui en est le titulaire quand il l'exerce de manière déraisonnable pour obtenir, au préjudice d'autrui, des avantages illicites et manifestement étrangers à l'objectif poursuivi par le législateur lorsque celui-ci confère au particulier une position subjective donnée ». 23 Article 49 du projet de loi. 24 Article 27-3 de la directive 2004/38/CE. 25 Circulaire du 5/08/2010 du Ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer et des collectivités territoriales relative à l’évacuation des campements illicites, remplacée depuis par une autre circulaire demandant aux préfets de « poursuivre » les évacuations « quels qu'en soient les occupants ». 26 Article 23 modifiant l’article L. 511-1 III § 3 et 4. Page 4 sur 5 • La déchéance de nationalité française 15. Enfin, le projet de loi a réduit les droits des personnes ayant acquis la nationalité française dans les dix dernières années en donnant compétence à l’administration pour déchoir de sa nationalité un Français dès lors qu’il a acquis cette nationalité depuis moins de dix ans et qu’il a été condamné pour un acte qualifié de crime prévu et réprimé par le 4° des articles 221-4 et 222-8 du Code pénal. A l’inverse de la Convention européenne sur la nationalité, seulement signée par la France mais ratifiée par vingt Etats membres du Conseil de l’Europe, qui ne permet la déchéance de la nationalité que pour un comportement portant un préjudice grave aux intérêts essentiels de l'Etat Partie, le droit français permettrait de déchoir de sa nationalité un Français pour certaines infractions, qui pour être criminelles, n’en sont pas moins des infractions de droit commun27. Cette extension du champ d’application de la déchéance qui ouvre la porte à sa banalisation est préoccupante à divers titres dont au plan symbolique. 16. La CNCDH relève en premier lieu que la nouvelle disposition instaure une différence de traitement entre les citoyens français selon leur origine, qui parait contraire au principe d’égalité consacré tant dans la Constitution de 1958 qui dispose en son article 1° que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » et « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine (…) que dans divers engagements internationaux, le Conseil constitutionnel ayant pour sa part explicitement reconnu que les Français sont dans la même situation au regard du droit de la nationalité28. En outre s’il a pu alors considérer qu’une différence de traitement entre les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance ne portait pas atteinte au principe d’égalité, c’est en prenant en compte l'objectif particulier de renforcement de la lutte contre le terrorisme poursuivi par le législateur29. Tel n’est pas l’objectif de la nouvelle mesure de déchéance qui pourra être prononcée pour de simples infractions de droit commun. L’extension de la déchéance de nationalité pour des crimes de droit commun peut paraître d’autant moins justifiée que son champ d’application est étendu à un nombre important de personnes et d’infractions30. 17. De plus, l’intégration est un processus qui doit s’inscrire dans la durée et impliquer tant les immigrés que la société d’accueil, ainsi que l’ont notamment rappelé le Haut Conseil à l’Intégration et le Conseil National pour l’Intégration des Populations Immigrées31. Or la disposition nouvelle maintient les personnes ayant acquis la nationalité française dans l’insécurité juridique, puisqu’elles ne peuvent se considérer comme pleinement françaises qu’à l’issue de l’expiration d’une période de dix ans. Une telle insécurité fragilise évidemment le sentiment d’appartenance à la nation française qui est pourtant une condition de leur intégration. Rappelant les recommandations formulées à l’occasion de son précédent avis, et au regard des observations qui précèdent, la CNCDH, constate qu’en l’état, les dispositions examinées ne permettent pas un respect effectif des droits de l’homme. Résultat du vote : 31 pour, 5 contre, 0 abstention 27 Le projet de loi revient sur le système antérieur à la loi n°98-170 du 16 mars 1998 relative à la nationalité qui permettait de déchoir de leur nationalité les personnes condamnées à cinq ans d’emprisonnement. 28 Conseil constitutionnel décision n°96-377 DC du 16 juillet 1996 § 23 : « Considérant qu'au regard du droit de la nationalité, les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation ». 29 Ibid. 30 Article 221-4 du Code pénal : « Le meurtre est puni de la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu'il est commis : 4° Sur un magistrat, un juré, un avocat, un officier public ou ministériel, un militaire de la gendarmerie nationale, un fonctionnaire de la police nationale, des douanes, de l'administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l'autorité publique, un sapeur-pompier professionnel ou volontaire, un gardien assermenté d'immeubles ou de groupes d'immeubles ou un agent exerçant pour le compte d'un bailleur des fonctions de gardiennage ou de surveillance des immeubles à usage d'habitation en application de l'article L. 127-1 du code de la construction et de l'habitation, dans l'exercice ou du fait de ses fonctions, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l'auteur ». 31 Avis de la CNCDH portant sur la ’’Relance de la politique d’intégration’’, 17 février 1997, disponible sur www.cncdh.fr Page 5 sur 5