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Introduction
Quel est le propre de l’homme ? Nous sommes des êtres vivants à la
recherche de la qualité qui fait notre spécificité. Descartes propose une
réponse à cette question en assurant qu’ « il est permis de prendre le
langage pour la vraie différence entre les hommes et les bêtes ». Les
animaux n’auraient donc pas le langage, alors que l’expérience nous montre
qu’ils communiquent entre eux et parfois avec nous. La thèse de Descartes
paraît invraisemblable. Il faut donc étudier ses arguments, tout en étant
conscient de l’importance de l’enjeu, puisque le langage est présenté
comme la seule preuve certaine de la présence de la pensée chez un être
vivant. Il s’ensuit que les animaux ne pensent pas et que ce point les distingue radicalement des être humains, même les plus « stupides » ou
« privés d’esprit. » L’enjeu du texte est donc d’établir une distinction de
nature entre les hommes et les bêtes au lieu d’une simple différence de
degré.
1. Idée principale et première critique
A. La thèse
La première phrase est longue et complexe. Il faut donc y repérer plusieurs
étapes afin de voir comment Descartes arrive à son argument principal.
Dans un premier temps Descartes expose l’idée à démontrer, à savoir que
« les bêtes sont dénuées de pensée ». Cela implique l’existence d’une distinction réelle entre le genre animal dans son ensemble et le genre humain.
Il faut établir que les hommes, quelles que soient leurs différences, ont en
commun une propriété qui les distingue radicalement de tous les animaux.
Or cette affirmation ne va pas de soi. Il est en effet tentant de s’appuyer sur
le fait que certains animaux ont des points communs avec nous pour
affirmer que la différence qui nous sépare d’eux n’est que de degré. Les
bêtes penseraient comme nous, mais d’une manière différente que nous ne
comprendrions pas. Descartes doit donc analyser de près le cas des animaux, afin de montrer qu’ils ne possèdent pas vraiment le langage et donc
qu’ils ne pensent pas.
B. Critique de l’argument de l’apprentissage
Descartes commence son argumentation par deux concessions à la thèse
qu’il combat. La première reconnaît la capacité de certains animaux à
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apprendre « beaucoup plus aisément que d’autres ». Il y a donc des différences à l’intérieur du genre des bêtes, et il est troublant de constater que
Descartes fait un parallèle avec le genre humain. Il est vrai que certains
hommes ont plus de facilité à retenir ce qu’on leur enseigne. Il y a donc
dans les deux cas des natures « plus parfaites que les autres. »
Or ce premier point doit nous étonner. La capacité d’apprendre est tenue pour
une marque d’intelligence. Comment est-il alors possible de refuser la pensée
aux animaux, du moins à ceux qui montrent cette disposition ? La réponse à
cette difficulté vient du sens à donner au verbe « apprendre ». Les chevaux et
les chiens ont certes des dispositions à retenir ce qu’on leur enseigne, mais
c’est, à proprement parler, du dressage, et non une transmission d’esprit à
esprit. Les tours qu’on leur fait faire montrent plutôt qu’ils ne pensent pas,
mais sont comme des machines qu’on peut orienter à diverses fins. Descartes
refuse d’appeler « pensée » une simple capacité à exécuter des ordres inculqués par la menace ou la promesse d’une récompense. Dirait-on qu’un
homme pense, s’il réagissait mécaniquement au son des paroles qu’il entend ?
2. Deuxième critique et définition du langage
A. Critique de l’argument de la communication
La deuxième concession concerne la communication entre les animaux et
nous. Descartes reconnaît qu’ils sont capables de nous « signifie[r] très
facilement leurs impulsions naturelles » et qu’ils disposent à cette fin de
deux moyens : la voix et les mouvements du corps. Ce point a été remarqué
depuis très longtemps et il constitue l’argument majeur de ceux qui, comme
Montaigne, soutiennent que les bêtes pensent. Tout semble indiquer en
effet que les animaux possèdent, comme nous, un langage, même si nous
ne les comprenons pas.
Descartes refuse cependant de voir dans ces manifestations la présence de
la pensée. Cela s’explique par le contenu de ce qui est communiqué. Le
texte parle des « impulsions naturelles » comme « la colère, la crainte, la
faim, ou autres états semblables ». C’est dire que les animaux ne forment
pas d’idées de ce qu’ils éprouvent. Ils expriment des émotions liées à leur
constitution corporelle, à leurs appétits. Le corps est l’instrument servant à
manifester des sentiments non réfléchis par un esprit. C’est pourquoi les
bêtes disposent de « la voix », mais non du langage. La voix désigne
l’expression non articulée d’une affection naturelle. Les animaux peuvent
effectivement crier, chanter, moduler des sons afin de s’avertir, de s’attirer
ou de signaler des besoins alimentaires. Ces opérations sont à distinguer
d’un dialogue où l’on échange des idées. Dire que les animaux parlent est
une expression commode, mais fausse.
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B. Le « véritable langage »
Ces considérations amènent Descartes à définir ce qu’il entend par un
« véritable langage ». La distinction du registre des émotions naturelles de
celui de la pensée est le point central de son argumentation. Ces deux
domaines sont réellement distincts, c’est-à-dire qu’ils peuvent être conçus
indépendamment l’un de l’autre. Descartes affirme donc que la pensée est
une faculté qui ne contient aucun élément corporel. Ce que nous apprenons
aux animaux et ce qu’ils nous expriment ne doit pas nous égarer. L’homme
aussi se sert de la voix et de son corps, mais la ressemblance extérieure
dissimule une différence essentielle. Ce qu’il dit ou manifeste par des gestes
est lié à des idées, à des représentations intellectuelles non dictées par la
nécessité de satisfaire des besoins corporels ou d’écarter un danger physique. Le langage est la capacité de former des signes abstraits, qui ne
ressemblent pas à ce qu’ils désignent, mais qui permettent de les évoquer
en leur absence. Le sens des signes est défini par d’autres signes et non
par les choses auxquelles ils renvoient. Cela est effectivement d’un autre
ordre qu’un cri dicté par une impulsion naturelle. Le langage est la marque
d’un esprit.
3. Le langage, signe extérieur de l’âme
A. Le langage ne s’explique pas physiquement
Un point reste encore à régler. L’absence de « véritable langage » chez les
animaux est parfois attribuée à une différence purement naturelle. Elle serait
due à l’absence d’organes propres à permettre l’émission de discours articulés. Cela permet de dire que les animaux pensent ou, en tout cas,
pourraient penser s’ils en avaient les moyens physiques. Descartes rejette
catégoriquement cette thèse, en faisant valoir que des hommes privés des
organes de la parole sont capables de nous faire entendre leurs pensées. Le
langage des sourds et des muets le prouve. Le fait que nous puissions dialoguer avec eux sur tous les sujets est la preuve indiscutable que la
conception et la communication des idées ne sont pas l’œuvre de « la
langue » et des « organes de la voix ». Il apparaît que l’esprit est capable
d’inventer d’autres façons de s’exprimer pour se faire comprendre lorsque
ceux-là ne fonctionnent pas.
B. L’humanisme cartésien
Il est possible, en définitive, de voir dans ce texte la manifestation d’un
humanisme. Les hommes, même « stupides ou privés d’esprit », restent toujours infiniment supérieurs à des animaux capables d’exécuter des
opérations inculquées par dressage. Descartes critique sans relâche les illusions induites par les ressemblances et les dissemblances sensibles. Il est
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en effet tentant de croire qu’un animal qui réagit à nos paroles, ou qui
effectue des tours qu’on lui a appris à faire, est plus proche de nous qu’un
homme fou ou hébété. C’était justement la thèse de Montaigne. Mais cette
croyance est erronée. Une pensée, même déréglée ou sommaire, demeure
une pensée, alors que la capacité à être dressé ou à crier sous l’emprise
d’un besoin n’indique pas, bien au contraire, la présence d’un esprit. Descartes nous invite donc à ne pas confondre la vie et le sentiment avec la
pensée. Se déplacer et ressentir des émotions dépendent de la constitution
du corps, mais nos idées relèvent de l’âme seule. La différence entre les
genres humain et animal est sur ce point radicale, c’est-à-dire
insurmontable.
Conclusion
Ce texte répond à une question difficile. Qu’est-ce qui permet de dire qu’un
être vivant pense ? Descartes nous a montré qu’il est facile de se laisser
prendre au piège des similitudes, en réfutant deux arguments fondés sur
des ressemblances. Sa conception du langage nous invite également à ne
pas le confondre avec la manifestation vocale d’une sensation. Le langage
est parole ou discours, qui sont des extériorisations de la pensée, et lui seul
nous garantit que nous n’avons pas affaire à une machine très perfectionnée. Il en ressort que nulle bête ne peut atteindre le niveau de l’homme.
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