doublage - Département d`histoire

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doublage - Département d`histoire
Qui Fait Quoi; décembre 2003; #228; Pages 20 - 26
| DOUBLAGE |
La voix du Québec
15/11/03 Crédit d’impôt, réduction des frais de visa,
obligations réglementaires, stratégie législative,
offres de services compétitives, lobby incessant,
depuis des années le Québec tente par tous les
moyens de consolider et d’augmenter la part des
productions audiovisuelles doublée ici. Tour de
piste d’une industrie qui veut se faire entendre.
Par Annabelle Tas
Dans les foyers québécois, les téléviseurs s’allument.
Sur quantité d’écrans, la même image apparaît. C’est
l’heure de regarder «Star Trek - La Patrouille du
cosmos» et d’entendre la voix d’Yvon Thiboutot
personnifiant le capitaine James T. Kirk. Ce flash-back dans l’intimité des salons du début des
années 1970 illustre un tournant dans l’histoire du doublage. «L’Homme de six millions», «La
Femme bionique», «Dr Welby», «Auto patrouille», c’est à cette époque que les émissions
américaines doublées dans la Belle Province commencent à envahir les ondes. Les Québécois
s’initient à l’art de la postsynchronisation et s’habituent à entendre la voix de leurs pairs: les Luc
Durand, Jean-Louis Millette, André Montmorency, Pascal Rolin, Diane Arcand, Claudine Châtel
et bien d’autres encore.
Les comédiens d’ici ont fait leur marque. Réalisé en 1997, le sondage Léger & Léger commandé
par l’Union des artistes (UDA) confirme qu’environ 80 % des francophones ont une nette
préférence pour les doublages réalisés au Québec. Et les exploitants des cinémas l’ont bien
compris. Lorsqu’ils ont reçu, il n’y a pas très longtemps, la version franchouillarde de
«Spiderman», leur réaction a été immédiate. Les personnages s’exprimeront autrement ou pas
du tout. L’échec fumant de «Dare Devil» aura prouvé à quel point ils ont eu raison.
Normand
Rodrigue, Audio
Postproduction
SPR
Cet incident récent révèle cependant un volet plus sombre du feuilleton du
doublage: la difficulté, pour l’industrie, de maintenir et d’augmenter le nombre de
productions télévisuelles et cinématographiques doublées au pays. Si la situation
dans le domaine du film a toujours été laborieuse, celle de la télévision s’est plutôt
dégradée durant les années 1980, le marché glissant graduellement vers la
France. Problématique complexe, la question du doublage n’est donc pas résolue.
Qu’en pensent les acteurs concernés?
Le président d’Audio Postproduction SPR (SPR), Normand Rodrigue, sort les
dernières statistiques sur l’impact du crédit d’impôt provincial, destiné à soutenir
les entreprises de doublage. «Les chiffres indiquent qu’il y a clairement eu une
augmentation du nombre de productions doublées au Québec. Et toutes ne
rentrent pas dans le calcul», expose la directrice du doublage de l’entreprise,
Hélène Lauzon. Durant l’année financière se terminant le 31 mars 2003, le
montant de l’aide fiscale contribue à doubler 318 projets cinématographiques et
télévisuels d’une valeur estimée à 20,6 M $. Soit 29 % de plus que l’année
précédente, selon l’Observatoire de la culture et des communications du Québec.
Hélène Lauzon,
Audio
Postproduction
SPR
Lecture froide, rapidement nuancée. «Il y a plus de contrats, mais les budgets descendent. Au
bout de la ligne, on travaille deux fois plus pour les mêmes revenus», explique Normand
Rodrigue. «La situation a déjà été meilleure, estime le président de l’Association des doubleurs
professionnels du Québec (ADPQ) et directeur de plateau chez Cinélume Productions, Joey
Galimi. Nous souhaitons que la totalité des films présentés en version française soit doublée au
Québec.»
Chez Technicolor, cette fois. «Je pense qu’en général, la situation est quand même très positive.
À peu près tous les majors font doubler des films au Québec, soutient la directrice du service de
doublage, Guylaine Chénier. Ils ne le font pas nécessairement pour toutes leurs productions. Et
certaines ne paraissent carrément pas en français sur nos écrans», précise-t-elle.
«Il y a des montées et des périodes tranquilles. L’année dernière, il y a eu un ralentissement.
Était-ce relié au 11 septembre 2001? Ce sont des variables de cette nature que nous allons
pouvoir analyser avec le temps», commente Chantal Pagé, directrice du doublage chez Vision
globale depuis à peine un an. L’entreprise de postproduction de l’image a fait appel à ses
services et, à plus forte raison, à son expertise, pour développer un service complémentaire de
doublage.
Les appels à l’aide lancés par l’industrie au cours des dernières années ont forcé Québec à
réagir. Le gouvernement annonce, le 17 décembre 1997, la création du crédit d’impôt de 15 %
sur les dépenses en main-d’œuvre des maisons de doublage. En janvier 2003, il réduit les frais
du visa et de l’attestation de certificat de dépôt pour les films doublés au Québec. Deux mois plus
tard, c’est au tour des règles de financement de la SODEC. Toute production québécoise
financée par l’organisme devra désormais être doublée au Québec, si une version française doit
y être présentée. Du côté fédéral, Téléfilm Canada accorde, depuis 1986, une avance de fonds
aux producteurs canadiens, pour le doublage d’un film ou d’une production télévisuelle par une
entreprise nationale.
Session de doublage de «Silverwing» dans le studio de SPR
Photo: Henry Jr Godding
Deux batailles, deux expertises
Cinéma et télévision représentent des créneaux distincts et des luttes différentes aux yeux des
entreprises de doublage et des personnes qu’elles embauchent. Du coup, les acteurs intéressés
par l’évolution du marché ont également développé des expertises distinctes. «Nous avons une
connaissance approfondie de la distribution des films au Québec, et l’ADPQ en a une meilleure
dans le domaine de la télévision», explique le directeur des communications de l’UDA, Michel
Laurence. En février dernier, les deux associations ont décidé d’unir leurs efforts. «Notre volonté
à travailler ensemble, souligne-t-il, va permettre aux deux joueurs de partager leur expertise.»
Actuellement, les membres de l’UDA suivent de très près la collaboration des géants américains
de la distribution. Et le constat, bien que préliminaire, ne les rassure guère. «La distribution de
films doublés au Québec est toujours menacée. Il faut constamment se battre pour maintenir un
certain niveau et, cette année, il faut se battre pour l’augmenter», affirme le président, Pierre
Curzi. Depuis 1961, l’expansion de cette frange de l’industrie du doublage se bute au décret
adopté par la France, interdisant la projection dans les salles de l’Hexagone de films doublés à
l’étranger (1). Pour desservir le marché québécois, les majors ont donc deux choix: payer deux
doublages ou utiliser celui de la France. Dans la balance, sept millions d’habitants ne font pas le
poids pour que tous les distributeurs américains voient un avantage commercial suffisant à
retenir la première solution.
Le doublage de films américains pour les salles de cinéma représente en moyenne 50 % des
contrats des studios québécois. D’où la nécessité de négocier sans relâche avec les voisins du
Sud et d’évaluer les effets des mesures visant à les appâter. La Commission du doublage de
l’UDA tente en ce moment de jauger l’impact du règlement modifiant les droits payables pour
l’obtention d’un visa et d’une attestation d’un certificat de dépôt. Car si le doublage est fait ici, les
frais de visa passent désormais de 20 $ à 10 $, et l’attestation coûte 0,30 $ au lieu de 0,40 $.
Autrement dit, lorsque les distributeurs commandent 100 000 étiquettes — la moyenne d’unités
VHS et DVD pour les films populaires — ils économisent 10 000 $. Avec 500 000 étiquettes, les
films à succès comme «Harry Potter» épargnent 50 000 $. Une somme intéressante quand on
considère que le coût moyen d’un doublage pour les productions projetées en salles varie de
60 000 à 90 000 $.
Les membres ont donc recensé combien de films américains présentés en salle ont été doublés
au Québec durant les huit premiers mois des années 2000 à 2003. Le résultat cette année? 53,
sur un total de 84 films projetés sur écran en version française. En 2002, le ratio était de 57 pour
80. «En ce moment, le nouveau règlement a un effet négatif de 8 %», constate Pierre Curzi,
ajoutant qu’aucune conclusion définitive ne peut être tirée avant le mois de décembre. Ces
chiffres justifient néanmoins d’intervenir illico auprès des majors récalcitrants. Si Dream Works
n’a pratiquement jamais fait doubler ses films au Québec, d’autres distributeurs ont un
comportement variable et réagissent positivement aux pressions exercées par le syndicat des
artistes. À l’heure actuelle, Fox et Warner sont dans sa ligne de mire, car l’un et l’autre utilisent
de plus en plus des doublages français depuis trois ans.
Comment les convaincre? Difficile à dire. D’abord, rien dans la Loi sur le cinéma ne les oblige à
faire un doublage au Québec. Par contre, le calendrier de distribution des Français ne
correspond pas à celui des Américains — les films des Yankees mettent encore jusqu’à six mois
avant d’atterrir sur les écrans français —, et la sortie simultanée des versions anglaise et
française au Québec est beaucoup plus avantageuse parce que la campagne publicitaire de la
première profite à la deuxième, domestic market pour cause.
D’un point de vue strictement financier, la décision dépendra donc de l’ampleur de la distribution
et du potentiel commercial du film chez le public francophone. Pour la directrice du doublage
chez Technicolor, Guylaine Chénier, le raisonnement se pose de la façon suivante: «Le film
générera-t-il des profits suffisants pour que les majors se dépêchent à le sortir en français au
Québec?» Oui, avance-t-elle, si le film est un block buster. La réponse est moins évidente
lorsque le film n’est ni un navet ni un hit. Le moment de sa sortie en France et la perception du
marché deviendront alors des facteurs décisifs de l’analyse faite par le distributeur américain.
Dans cette ambivalence, la loi québécoise joue contre les entreprises de doublage. En vertu de
l’article 83, la version originale d’un film peut être présentée en salle pendant 45 jours. Or, selon
distributeurs et studios de doublage, la durée de vie d’un film atteint rarement la limite fixée par le
législateur. Trois semaines, quatre tout au plus, et les gens ne se pressent plus au guichet. «Les
majors ont découvert qu’ils ont la possibilité de sortir leur film en anglais seulement et, s’il ne
marche pas très fort, de le retirer pour éviter d’avoir à faire un doublage au Québec», déplore le
président de l’ADPQ, Joey Galimi.
L’équation est encore plus complexe, parce que les motivations ne reposent pas uniquement sur
des impératifs financiers. Certains majors font systématiquement affaire avec les Français, peu
importe la rentabilité d’un double doublage. D’autres choisissent de doubler une bonne partie de
leur production dans le pays où elle sera visionnée. Et que dire, également, des distributeurs
québécois? Alliance Atlantis Vivafilm est la principale entreprise de distribution canadienne de
films américains. Pour le président de la division québécoise, Guy Gagnon, le doublage au
Québec est automatique lorsqu’il estime que le film plaira et qu’une copie en français n’est pas
encore disponible sur le marché. 65 % des films distribués par Alliance sont à l’affiche en version
originale et en français. Là-dessus, seulement 15 % ont été doublés en France.
Viggo Mortensen dans «Le Seigneur des anneaux». Sortie
planétaire oblige, Aragorn sera doublé en France.
Sortie planétaire
La menace d’un arrimage entre la sortie des films américains aux États-Unis et en Europe existe
depuis de nombreuses années. Elle inquiète, pas plus pas moins qu’avant. D’un studio à l’autre,
la différence en est une de ton. «Quand les Français vont se décider à faire du day and date —
commercialisation simultanée des versions française et anglaise d’un film grâce à une expertise
technique permettant de réaliser le doublage au rythme du montage — et à livrer la marchandise
en même temps que l’Amérique, c’est sûr qu’on va perdre une part du marché», avance le
président de SPR, Normand Rodrigue. Selon lui, la France aurait déjà commencé à changer de
cap. «C’est une possibilité, mais ce n’est pas encore demain la veille», affirme d’abord Guylaine
Chénier. Dans certains cas, comme celui du film «Némo», il y a encore six mois de décalage
entre la sortie en France et celle du Québec. Quelques rares productions sortent day and date.
Le délai varie, se raccourcit, mais cette tendance n’est pas généralisée.»
Et si cette menace se concrétisait. La balle serait dans le camp des distributeurs. Comment
réagiraient-ils? «Cela fait vingt ans que les Français fonctionnent de cette façon. Je ne vois pas
ce qui pourrait les pousser à changer du jour au lendemain, déclare d’entrée de jeu le président
d’Alliance, Guy Gagnon. Mais si cela arrivait, quand on sort plusieurs copies, les coûts d’un
doublage au Québec sont moins onéreux ou pratiquement identiques à l’achat de copies
doublées en France. Et même si c’est un peu plus cher, juste par conscience sociale, je ferais
faire un doublage au Québec!», renchérit-il. L’homme d’affaires ne s’avance pas, cependant, sur
le comportement qu’adopteront les majors. Brève, sa réponse n’a rien de rassurant. «Nous, nous
sommes au Québec et nous y sommes attachés, explique-t-il. Le major n’a aucune attache, alors
je ne sais pas ce qu’il va décider de faire.»
Vice-président marketing de Films Séville, Victor Régo doute que le marché du doublage des
films américains ne soit en péril. Loin de se fragiliser, selon lui, l’industrie québécoise commence
plutôt à se solidifier, grâce au regain de vitalité de son propre cinéma. «’’La Grande séduction’’ et
‘’Les Invasions barbares’’ ont fait des chiffres d’affaires immenses au box office. Plus les gens
s’habituent à entendre leur voix, et le doublage français sonne très français, plus cette différence
d’accents va détonner. Les Américains vont commencer à réaliser qu’ils perdront de l’argent s’ils
font doubler leurs films en France.»
Compétition féroce
L’attitude des majors ou l’éventuelle rapprochement des calendriers de distribution français et
américains ne provoque pas une réaction aussi vive chez les entreprises de doublage que
l’évocation des enjeux dans le secteur de la télévision. Sur ce sujet, le discours de la plupart des
maisons de doublage s’enflamme. Leur position est claire. Toutes semblent partager les mêmes
opinions et souhaiter les mêmes changements.
Génératrice d’environ 40 % des contrats, la télédiffusion correspond effectivement à un autre
chapitre dans le dossier du doublage. Le décret français n’a pas d’équivalent sur les ondes. Par
conséquent, les marchés du Québec, de la France et de la Belgique entrent en compétition. Et
elle est féroce. «C’est un secteur qui devient extrêmement compétitif. Il y a des chutes de prix
vertigineuses. Mais nous travaillons très fort pour les maintenir à un niveau assez élevé pour
continuer à réaliser des doublages au Québec et engager des gens ici», révèle Guylaine Chénier.
Unanimes, les entreprises de doublage rapportent qu’un nombre significatif de productions
canadiennes et américaines se retrouvent à la grille horaire des chaînes de télévision
québécoises, après avoir été doublées en France ou en Belgique. Cette année, les studios ont
mené leur petite enquête auprès de cinq chaînes spécialisées. Ils ont relevé 95 émissions
doublées et constaté que seulement neuf d’entre elles avaient été doublées au Québec. «Will &
Grace», «Law and Order», «Sex in the City», «Boston Public», «Six Feet Under» et «X-Files» ne
sont que quelques-unes des séries qui bifurquent des États-Unis à la France avant d’arriver chez
nous. Les émissions «Degrassi Junior High» et «Big Wolf on Campus» ont en commun d’être des
émissions made in Canada qui font faux bond à leur pays d’origine.
Dans le cas des émissions américaines, cette situation ne surprend guère. Lorsque des
diffuseurs français et québécois s’intéressent à l’une d’entre elles, son producteur peut choisir
l’endroit où il souhaite faire le doublage. Les droits de licence que peuvent alors verser ces deux
diffuseurs décideront bien souvent de l’attribution du contrat. Au plus fort la poche. «Le
producteur va opter pour le doublage le moins cher. Et les Français insistent beaucoup pour qu’il
soit réalisé chez eux. Ils sont solidaires autant que nous le sommes. Si les diffuseurs québécois
peuvent avoir un doublage fait à Montréal, ils sont bien plus contents», estime Chantal Pagé.
Chauvinisme de côté, pour le plus gros payeur, l’intérêt d’un doublage maison est aussi de
contrôler son déroulement.
À ce jeu-là, donc, les forces sont malheureusement inégales. Technicolor et SPR posent le
même diagnostic. «Le plus gros problème est la multiplication des chaînes spécialisées. Elles
n’ont pas assez d’argent pour acheter des émissions qui n’ont pas déjà été doublées parce que
les revenus publicitaires sont divisés entre un trop grand nombre de joueurs», estime Normand
Rodrigue. À Télé-Québec, l’argument budgétaire influence considérablement la prise de décision
lors de l’acquisition de productions étrangères, qu’il s’agisse d’un documentaire, d’un dessin
animé et encore plus d’une série fiction. «Les coûts du doublage d’une série dramatique sont trop
élevés par rapport aux licences que nous pouvons offrir. On doit donc attendre qu’elle soit
doublée en France et on vérifie la qualité du doublage, tout simplement», résume le responsable
de leur achat, Pierre Charbonneau. L’existence de relations d’affaires préétablies entre
distributeur, diffuseur et studio de doublage contribue aussi à favoriser certains joueurs au
détriment des autres. «Bien souvent, il ne faut pas s’en cacher, un distributeur a pris l’habitude de
transiger avec les mêmes interlocuteurs depuis 20 ans, alors pourquoi changerait-il?», note
Chantal Pagé.
Comment expliquer, par contre, que des émissions produites au Canada ne soient pas doublées
ici et que, de surcroît, certaines apparaissent sur nos écrans? Ce phénomène est
particulièrement intriguant puisque les producteurs canadiens peuvent obtenir un financement de
Téléfilm Canada pour réaliser un doublage. Or, celui-ci est conditionnel à l’attribution du contrat à
une entreprise nationale. Citant en exemple un contrat récent, Chantal Pagé affirme que, parfois,
des producteurs et des distributeurs de l’Ouest et des Maritimes ne sont pas au courant de cette
exigence.
D’autre part, certains diffuseurs français acceptent encore difficilement les doublages réalisés au
Québec. Studios de doublage et diffuseurs québécois évoquent tous cette difficulté, à des degrés
variables. «La série ‘’Edgemont’’ a été produite à Vancouver et vendue à France 2. Ils ont
accepté les cassettes une par une. Il fallait qu’il n’y ait aucune “chanson québécoise”, comme ils
le disent, et d’expressions québécoises. On a tout édulcoré. Ça nous a demandé un travail
épouvantable», confirme Guylaine Chénier. Résultat, certains producteurs canadiens craignent
de ne pas réussir à vendre la copie doublée au Québec. Selon Chantal Pagé, les réticences
françaises peuvent être renversées si le producteur a confiance en la qualité des doublages
effectués par le studio choisi. Et la chose devient beaucoup plus facile lorsque la maison de
doublage accepte de se prêter diligemment au rituel des approbations du diffuseur français.
Travailler au compte-gouttes, recevoir les critiques et procéder aux
corrections exigées.
Solution législative
Dans ce contexte, la guerre des prix livrée par la Belgique mène tous les
concurrents à bout. L’industrie québécoise ressent l’urgence d’intervenir
avant que cette stratégie commerciale ne divise ses propres membres. «Il
faut absolument trouver une solution sinon nous allons tous commencer à
s’arracher les contrats. Nous allons rentrer dans des guerres de prix qui
vont nous tuer à petit feu», prévient Guylaine Chénier. L’ADPQ et l’UDA
s’entendent sur un certain nombre de positions. Et d’abord, sur le fait que
les leviers provinciaux ne sont pas suffisants.
«Le Loup-garou du campus»,
une émission toute
Des démarches conjointes ont d’ailleurs été entreprises auprès du
canadienne, mais doublée en
gouvernement fédéral pour obtenir l’équivalent du crédit d’impôt
France.
provincial. Les deux associations veulent également s’assurer que toutes
les productions canadiennes, cinématographiques et télévisuelles, ne soient pas doublées à
l’étranger; que la grande majorité des émissions diffusées au Canada et des coproductions
franco-canadiennes d’émissions pour enfants le soient également.
Et l’intérêt pour l’adoption d’une loi similaire au décret français? «La seule revendication sur
laquelle nous n’avons peut-être pas de position commune est la loi», lance Pierre Curzi.
Prestataires de services, les maisons de doublage ne seront jamais les premières à monter au
front pour réclamer haut et fort l’intervention du législateur. «Mais dans le fond, je pense que,
secrètement, si nous pouvions l’obtenir, poursuit le président de l’Union, sourire en coin, ils en
seraient tous ravis.»
De fait, les avis sont partagés au sein de l’ADPQ. «C’est sûr que ce serait souhaitable»,
d’affirmer son président, Joey Galimi. «Oui ce serait souhaitable, affirme elle aussi la directrice du
doublage chez Technicolor, Guylaine Chénier. Mais nous avons de la difficulté à envisager
comment cette loi pourrait être mise en place.» Ouverte à cette alternative, elle questionne plutôt
la capacité et la volonté des clients de s’y soumettre. De la même façon, elle se demande si
l’industrie serait en mesure de répondre à l’affluence soudaine des demandes de doublage.
«Ça prendrait une loi très progressive, qui s’applique d’une manière très particulière, parce qu’il
faut bien les livrer les films!» soulève-t-elle.
Pour le patron de SPR, Normand Rodrigue, cette solution n’est pas réaliste. «Y a-t-il un
gouvernement prêt à exiger que 99 % des films soient doublés ici? Ils ne le feront pas. Nous
n’avons pas le poids pour le faire», croit-il. «Une loi, c’est toujours à double tranchant, car il se
pourrait qu’elle favorise certains éléments au détriment d’autres aspects auxquels nous n’avions
pas pensés», raisonne quant à elle la directrice du doublage, Chantal Pagé. «Il doit y avoir
d’autres moyens que nous n’avons pas encore véritablement explorés et que nous pourrions
mettre en place», suggère-t-elle.
L’avenir de l’industrie du doublage suscite beaucoup de questions, d’opinions et de réflexions. Ce
n’est donc pas exagéré de dire qu’il réserve encore aux Québécois de nombreux épisodes. À
suivre sur le petit et le grand écran.

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