Le paranormal en 6 leçons faciles

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Le paranormal en 6 leçons faciles
Le paranormal en 6 leçons faciles
Québec Science 2011-06-30
http://www.quebecscience.qc.ca/Le-paranormal-en-6-lecons-faciles
Madame Chantal Lacroix n’a pas inventé le paranormal. Ni la crédulité. Comme bien d’autres
avant elle, la productrice de l’invraisemblable émission du réseau TVA, Rencontres
paranormales, a compris la force d’attraction qu’exercent sur les gens les esprits, fantômes et
autres phénomènes prétendument liés à l’au-delà.
Bien sûr, il y a des trucs!
Pour mieux comprendre de quoi il retourne, nous avons convoqué quatre (grands) esprits qui
vous révèlent, en six leçons, les secrets de la réussite d’une expérience supposément
extralucide, extrasensorielle et de spiritisme absolu. Âmes sensibles et pas assez sceptiques
s’abstenir!
Vos conseillers:
Philosophe et psychologue, Jean-Michel Abrassart est l’auteur du livre La croyance au
paranormal (Éditions universitaires européennes, novembre 2010).
On peut consulter son blogue à:
http://scepticismescientifique.blogspot.com
Pierre Hamon s’est récemment initié à la pratique du «mentalisme», cette branche de la magie
qui se spécialise non pas dans les tours de cartes, mais dans les illusions de l’esprit:
clairvoyance, télépathie, lecture dans les pensées, etc. Sa bataille: convaincre ceux qui croient
mordicus
qu’il a de réels pouvoirs qu’il n’est qu’un homme comme les autres! Son site Web: www.hamonmagie.ca
Dany Plouffe est physicien. Il s’est fait récemment remarquer en dénonçant l’émission
Rencontres paranormales. Il est à l’origine de la campagne québécoise de sensibilisation à
l’esprit critique Cartes sur table (www.latable.ca) et auteur du blogue http://paraenquete.com
Joël Leblanc est formé en biologie et en paléontologie. Il est aujourd’hui éducateur scientifique
et journaliste. Il a à cœur de dénoncer les impostures scientifiques, comme le créationnisme.
Leçon 1
Choisissez vos invités
Si vous êtes un pseudo voyant, il faudra évidemment paraître crédible. Pour cela, il est
important de choisir des participants qui seront pendus à vos lèvres. Deux facteurs sont à
considérer: leur degré de crédulité ou d’incroyance face au paranormal et leur suggestibilité.
Souvenez-vous de la dernière fois que vous avez pensé à quelqu’un et que cette personne vous
a téléphoné au même moment. Avez-vous attribué cette expérience à la prémonition, à la
télépathie ou à une coïncidence? La réponse dépend de votre personnalité et donne une bonne
indication de votre propension à croire à l’improbable.
Le cadre d’une séance spirite se prête d’ailleurs étonnamment bien à l’étude expérimentale du
témoignage humain. Dans les années 1990, le psychologue Richard Wiseman, professeur à
l’université d’Hertfordshire au Royaume-Uni, a publié plusieurs articles scientifiques en utilisant
un protocole similaire à celui développé 125 ans plus tôt par la Society for Psychical Research
(SPR), fondée à Londres en 1882. Comme jadis, il a organisé de fausses séances dont le
«médium» était en réalité un illusionniste spécialisé dans ce que l’on nomme aujourd’hui le
mentalisme. Il demandait ensuite aux participants de décrire ce qu’ils avaient observé. Il a ainsi
pu démontrer que le degré de croyance influence non seulement la manière dont les individus
interprètent une situation, mais aussi comment ils la perçoivent, puis s’en souviennent. Il a mis
en évidence l’importance de la suggestibilité. Il suffit que le pseudo voyant suggère que quelque
chose se produit («Vous voyez cet objet bouger?») pour que certaines personnes, aisément
sujettes à la suggestion, rapportent par la suite que l’objet en question a bougé, alors qu’il était
resté parfaitement immobile durant toute la séance! J.-M.A.
Leçon 2
Créez une ambiance
Ce qui fait une bonne séance de spiritisme, c’est l’art de créer une atmosphère. Lumières
tamisées ou éclairage aux chandelles, lourds rideaux de velours noir, statuettes exotiques ou
bustes au regard sévère, encens… Laissez-vous aller à votre inspiration! N’hésitez pas à simuler
une panne de courant au début de la rencontre. Si vous voulez profiter des éléments
météorologiques (ou si vous consultez les bulletins télévisés!), une tempête, alors que le vent
souffle et que la pluie bat les fenêtres, peut faire grand effet. Les éclairs et le tonnerre sont
encore plus efficaces!
Laissez l’attente, le stress, la nervosité et la peur s’installer. N’en dites pas trop à l’avance, la
tension et le suspense de ne pas savoir ce qui va se passer est un principe de narrativité
cinématographique qui a rendu Alfred Hitchcock célèbre. Il ne se passe rien et le moindre
craquement de porte ou de fenêtre finit par devenir un signe surnaturel.
Vous pouvez aussi recourir à quelques autres trucs. Placez des verres ou des clés au
congélateur. Sortez-les peu avant la séance et demandez à vos invités de les toucher lorsque les
fantômes arrivent. Le froid aura un impact intéressant. Pour clore la séance en beauté, allumez
la télévision à une chaîne où l’écran affiche de «la neige» et haussez le volume. Branchez-la sur
une minuterie pour qu’elle s’allume à l’heure désirée. Effet saisissant assuré!
P.H.
Leçon 3
Détectez des fantômes
Les hommes ont longtemps été mystifiés par les propriétés des aimants. Aujourd’hui, on sait
que le magnétisme est l’une des quatre interactions élémentaires responsables de tous les
phénomènes physiques observés dans l’Univers. Les aimants possèdent un champ magnétique
dont les lignes convergent à deux pôles opposés; les pôles semblables se repoussant et les
contraires s’attirant. Mais même si le magnétisme est maintenant bien décrit par la physique, il
est encore largement associé au mystérieux et on lui attribue (faussement) bien des pouvoirs. Il
pourrait guérir, influencer notre destin par l’intermédiaire des étoiles ou de certaines pierres
précieuses. Pour faire sensation, n’hésitez pas à laisser croire à vos participants que les
fantômes produisent des champs magnétiques qui peuvent être détectés.
Commandez par Internet un appareil capable de mesurer les champs magnétiques qui oscillent
à basse fréquence. Aussi appelé gaussmètre, l’instrument sert normalement aux inspecteurs en
bâtiment pour repérer des anomalies dans les réseaux électriques. Il faut savoir qu’un courant
qui circule dans un fil produit naturellement un champ magnétique autour de ce fil. Si le courant
varie, le champ magnétique variera aussi. Comme le réseau électrique nord-américain est basé
sur un courant alternatif qui change de direction 60 fois par seconde (60 hertz), le champ
magnétique qu’il engendre oscille aussi à 60 hertz. C’est exactement cette composante du
champ magnétique que mesure un gaussmètre. Il suffit d’une ampoule allumée dans la maison
pour détecter des variations de champ magnétique près des fils où le courant circule.
Afin d’augmenter vos chances de détecter des «entités», placez votre instrument près d’objets
en fer. Ce métal interagit avec les champs magnétiques, ce qui peut modifier l’intensité
mesurée. Profitez aussi du fait que le réseau électrique peut avoir des instabilités lorsque, par
exemple, on éteint ou on allume un autre appareil. Vous avez sans doute déjà observé ce
phénomène avec d’anciens modèles de téléviseurs qui montraient subitement une anomalie à
l’écran lorsqu’un autre appareil s’allumait.
L’aqueduc peut aussi influencer vos mesures. Pour diminuer les risques d’électrocution, le
réseau électrique des maisons est habituellement relié aux tuyaux en cuivre. Enterré dans le sol,
ce grand réseau métallique assure une mise à la terre efficace. Puisque le système d’aqueduc
relie les bâtisses d’un quartier, le système électrique de vos voisins peut influencer vos mesures
du champ magnétique. D.P.
Leçon 4
Créez des manifestations physiques de fantômes
Lorsque le courant spiritualiste a pris naissance, au milieu du XIXe siècle, les médiums
accompagnaient souvent leurs présumées communications avec l’au-delà de manifestations
physiques. Celles-ci servaient à convaincre les gens de l’authenticité des pouvoirs surnaturels.
Des objets bougeaient, des messages apparaissaient sur des ardoises, des bruits étranges se
faisaient entendre. En Italie, vers 1870, Eusapia Palladino faisait «léviter» une table en glissant
subtilement, dans le noir, ses pieds sous les pattes et en plaçant ses mains sur la surface, pour
ainsi la soulever.
Vous aussi, vous pouvez donner l’impression à vos participants qu’une table est animée par une
entité de l’au-delà. Une fois assis, invitez les personnes à y placer les mains. Assurez-vous que
vos propres mains adhèrent bien à la table en y appliquant une pression et tirez-la ensuite vers
vous. Si elle n’est pas trop longue ou trop lourde, elle devrait basculer. Si les pattes glissent sur
le sol, appuyez-y les pieds pour les bloquer.
Pas besoin d’un doctorat en physique pour comprendre comment ce «phénomène» est
possible. Il s’agit d’une simple rotation autour d’un axe de pivot (A) qui traverse les extrémités
des pattes sur lesquelles la table bascule. Pour optimiser les effets, la force doit être appliquée
dans une direction perpendiculaire aux pattes (B), c’est-à-dire vers vous et non vers le bas!
Avec un peu de pratique, vous réussirez à ne pas avoir l’air de forcer. Seuls vos coudes se
rapprocheront de vous et sembleront suivre le mouvement de la table.
De nos jours, il est rare que des médiums accompagnent leurs séances de manifestations
physiques, de peur d’être démasqués. La présence des caméras, notamment, limite les
possibilités de trucage. D.P.
Leçon 5
Soyez techno!
Expliquez à vos invités que les appareils électroniques de prise d’images sont plus sensibles que
leurs yeux. Il est vrai qu’un appareil photo numérique peut voir des choses qui nous sont
invisibles, comme le rayonnement dans l’infrarouge proche.
Faites l’expérience: allumez n’importe quel appareil photo (un téléphone cellulaire peut faire
l’affaire) et pointez l’objectif sur l’avant d’une télécommande. En appuyant sur les touches de la
télécommande, vous émettez des rayons infrarouges que vos yeux ne peuvent pas voir mais
que l’appareil détecte et restitue en lumière blanche sur son petit écran ACL.
Pour sidérer vos convives, prenez des photos de la pièce que vous regarderez peu après. Il suffit
d’un objet assez lourd sur une télécommande pour qu’elle émette en continu. Sur la photo, un
point lumineux apparaîtra. Idéalement, prenez l’image dans la pièce obscurcie et faites
disparaître la télécommande entre la prise de photo et le visionnement. Pour un effet plus
effrayant, prenez la photo de la télécommande dans un miroir.
Même sans trucage poussé, une photo peut révéler des anomalies qu’il vous suffira
d’interpréter comme des évidences de visites paranormales. Les orbes, effets de lentilles bien
connus des photographes, sont des disques lumineux qui semblent flotter autour des objets.
Plus faciles à obtenir dans des conditions d’éclairage minimales avec l’utilisation du flash, ils
peuvent même laisser une traînée si vous faites bouger l’appareil pendant la pose. On jurerait
un esprit qui passe. Les particules en suspension dans un environnement poussiéreux peuvent
aussi refléter la lumière du flash, produisant un cercle flou et fantomatique si la saleté est hors
champ. Étirez aussi les temps d’exposition pour rendre encore plus difficile l’identification des
gens, et plus facile leur interprétation comme étant des esprits mouvants.
De simples photos prises dans des pièces sombres vous donneront toutes sortes d’images que
votre éloquence pourra transformer en fantômes. Avec un peu de flou et d’obscurité, un
interrupteur en arrière-plan ou un rideau suspendu prendront forme humaine. Vous n’aurez pas
besoin d’insister beaucoup pour qu’on vous croie, car la tendance à voir des visages où il n’y en
a pas est naturelle chez l’humain. Nous sommes anthropomorphistes. Nous nous reconnaissons
jusque dans les nuages, les grilled-cheese ou les cailloux de la planète Mars. On ne compte plus
les «têtes d’Indien» sur les caps rocheux d’Amérique du Nord.
Cette tendance porte même un nom: la paréidolie. C’est une construction de l’esprit qui vient
combler un manque d’information. Certaines théories de psychologie cognitive soutiennent que
cette propension à repérer des visages humains où il n’y en a pas serait un comportement
hérité d’un lointain passé. Quand nous étions de belles proies pour les animaux sauvages, le
moindre indice, comme une tache d’une couleur différente au milieu d’un bosquet, pouvait
nous renseigner sur la forme et la taille du prédateur qui s’y cachait. Même si le loup n’y était
pas, mieux valait se tromper que rester sur place et y passer. J.L.
Leçon 6
Apprenez les rudiments du ouija
Vous avez créé l’atmosphère et les premières manifestations ont déjà fortement impressionné
vos invités. Il est temps de passer au grand jeu et de sortir votre planche de ouija, nouvellement
achetée au magasin de jouets. Pour ceux qui l’ignorent, le ouija est un tableau portant des
lettres et des chiffres imprimés, sur lequel glisse une petite planchette «parlante», appelée la
«goutte» en raison de sa forme. C’est en déplaçant cette goutte au-dessus des lettres du
tableau que les «esprits» peuvent épeler les mots pour répondre à vos questions. Le tout ne
fonctionne que lorsque les participants posent les doigts sur la goutte. Patenté aux États-Unis
en 1890, le système a pris le nom de «ouija» en 1901 et a été racheté avec les brevets en 1961
par Parker Brothers, qui vend aujourd’hui la fameuse planche. En installant ladite planche et la
«goutte», rappelez qu’il faut être sérieux, disposé et positif, car la vendeuse vous a avisé que les
esprits n’étaient pas inclus dans la boîte. Vous aurez besoin de l’énergie de tous pour les faire
venir.
Quand tout le monde touche la goutte, sur un ton sérieux, lancez la fameuse question: «Ouija,
es-tu là?» C’est alors que le plaisir commence. Avec un peu de chance, vous n’aurez rien de plus
à faire que d’observer l’effet idéomoteur se manifester. Le mouvement de la goutte sera
provoqué (involontairement) par les participants.
L’effet idéomoteur a été décrit pour la première fois en 1852 par le naturaliste britannique
William Carpenter. On le classe parmi les comportements non conscients, au même titre que la
respiration et les réflexes. Il est donc possible pour quelqu’un de déplacer un objet de façon
involontaire, d’autant plus facilement si on le lui suggère. C’est l’inconscient à l’œuvre. Dans ses
recherches, Carpenter voulait démontrer que les phénomènes «magiques» avaient des
explications scientifiques, en examinant la place des influences non conscientes sur les
mouvements musculaires.
L’effet idéomoteur semble possible autant chez un individu que dans un groupe. Mais le groupe
augmente le niveau de difficulté: tout le monde doit répondre involontairement la même chose
à une même question. C’est pourquoi il vous faudra peut-être prendre le leadership de la goutte
et forcer un peu la main aux esprits pour obtenir des réponses aussi correctes que
déconcertantes à vos questions. Une petite préparation s’impose: sans en faire un «dîner de
cons», arrangez-vous auparavant avec un conjoint. Demandez nonchalamment le nom d’un
parent décédé et préparez vos questions. Idéalement, posez au défunt celles qui laissent place à
l’interprétation, puis créez vous-même le mouvement de la «goutte» vers les réponses désirées.
Ceux qui croient, et même ceux qui croient moins, auront une belle frousse. Vous serez seul à
savoir que c’est surtout l’imagination des participants qui a travaillé et que c’est peut-être d’elle
qu’il faut avoir le plus peur. P.H.
Un peu d’histoire
Partout dans le monde, le surnaturel fait courir les foules depuis bien longtemps. En 1870, au
Royaume-Uni, Florence Cook attirait des badauds par centaines en matérialisant, prétendaitelle, l’esprit des défunts. Au même moment, en Italie, Eusapia Palladino lévitait et faisait bouger
des tables sans les toucher. La vague du paranormal atteignait les États-Unis au début des
années 1900 quand un dénommé Edgar Cayce entrait en transe et prodiguait de savants
conseils médicaux lors de spectaculaires séances publiques. La Society for Psychical Research
(SPR) a étudié le travail de ces médiums. Elle est toujours à pied d’œuvre, signe que les
fantômes de la déraison hantent encore notre monde naïf. J.L.
Qu’est-ce que la suggestibilité?
Dites à votre interlocuteur que son bras le démange et qu’il a fortement envie de se gratter.
Répétez la consigne plusieurs fois, puis observez-le. S’il ressent une forte envie de se gratter,
c’est qu’il est facilement sujet à la suggestion. Les gens qui ont une personnalité encline à la
fantaisie seraient plus faciles à convaincre: ceux qui avaient un ami imaginaire, qui pensent se
souvenir d’événements de leur très petite enfance, qui confondent de temps en temps un
événement imaginé ou rêvé avec un événement qui s’est réellement produit sont des candidats
idéaux!
C’est que les processus de l’attention et de la conscience qui font partie intégrante du
fonctionnement du cerveau peuvent être mis en défaut. Ce sont ces failles que médiums et
magiciens utilisent pour créer leurs illusions. L’esprit humain peut se concentrer sur certains
détails et en négliger d’autres; c’est ce qu’on appelle l’attention. Ainsi, le cerveau active certains
neurones et en inhibe d’autres pour ne pas se laisser déconcentrer par des détails qu’il
considère peu importants. Dans le cas des suggestions, il semblerait que ce soit le siège de la
rationalité qui s’éteint, au profit de celui de l’imagination. J.-M.A.