roland morillot

Transcription

roland morillot
Cinq ans et sept mois de navigation sur le
ROLAND MORILLOT
Au mois d'octobre 1959, jeune Second-Maître je débarquai du sous-marin l' Africaine, pour
embarquer sur le Roland Morillot. Je quittai celui-ci en Mars 1966 (interruption de neuf
mois pour cause de BS) au grade de Premier-maître.
Ces quelques souvenirs présentés ici pour témoigner modestement de la vie à bord des sousmarins classiques, principalement du Roland Morillot qui fût dans la sous-marinade
presqu'un mythe mais fût aussi, très exigeant pour ses équipages.
La fumée L’odeur à l’intérieur d’un sous-marin n’a jamais égalé celle d’une roseraie, ou d'une
parfumerie mais la première sensation olfactive que l’on ressentait en pénétrant à l’intérieur
du sous-marin Roland Morillot, était une odeur de fumée.
Pas l’odeur agréable du bois de chêne se consumant dans l’âtre un soir d’automne, mais
celle qui pénètre dans votre voiture quand vous suivez un « trente tonnes » poussif dans les
sinuosités d’un col.
J’ai toujours admiré les réalisations des ingénieurs du génie maritime, capables de concevoir
des navires comme le « Charles de Gaulle » et bien d’autres. Je suis encore étonné que ces
navires étudiés dans les moindres détails - même si ces réalisations sont œuvres collectives puissent être l’émanation de petites boites crâniennes de si faibles dimensions.
Mais les ingénieurs qui avaient décidé de suralimenter les moteurs du Roland Morillot pour
gagner en vitesse (sans doute des adeptes du ski nautique) s’étaient lourdement trompés. En
effet, la contre pression, surtout pendant la navigation au « schnorchel » était entièrement
incompatible avec ce genre d’installation; de plus les soupapes ne digéraient pas
l’augmentation de température, et les mécaniciens passaient une grande partie de leur temps
à roder celles-ci.
Toujours est-il qu’il y avait de la fumée à bord, déposant, surtout dans le compartiment
diesel, une couche de suie de quelques millimètres d’épaisseur.
« - Quelques millimètres ! Quelques millimètres ! t’es sur ?
- Oui ! Je sais j’exagère, je n’ai pas mesuré l’épaisseur, mais quand même il y avait une
bonne couche de suie sur la coque ...! Je sais ce que je dis! Eh puis toi la conscience! Je ne
te demande pas de commentaire! »
Le quart aux « diesels » Par moment, surtout en navigation au schnorchel, la visibilité était telle (faute à la fumée)
que nous avions institué un code à la baladeuse pour communiquer d'une extrémité a l'autre
du compartiment. Je ne me souviens plus des modalités de ce code, mais le principe était par
exemple : - baladeuse activée de gauche à droite (vérifier le niveau des caisses a huile)
- baladeuse activée verticalement (faire les relevés )
- gestes effectués à vitesse lente ou vitesse rapide etc.etc.
Et nous pleurions! Et nous pleurions! Les larmes mélangées à la fumée nous maquillant les
yeux. Les mouchoirs jetables et le « Sopalin » n'existaient pas ou s'ils existaient, étaient
certainement trop chers pour notre bourse, aussi ma femme récupérait dans le linge usagé
tout ce qu'elle pouvait : serviettes, torchons, couches bébé, vêtements etc., qui, découpés en
petits carrés devenaient des mouchoirs jetables.
« Des couches bébé ? Berk! Evidemment pas les trucs qui encombrent les caddies du
supermarché, mais les couches qu'il fallait laver et sécher et que l'on ne jetait pas! Ah! ces
jeunes ...! »
Dans cette navigation au Schnorchel, en cas de perte d'immersion les diesels étouffaient,
calaient, et comme les fermetures d'échappement se manœuvraient manuellement, nous
n'avions pas toujours le temps de les fermer. En vertu du principe des vases communiquant,
la mer s'engouffrait dans les cylindres, nous obligeant à virer les moteurs à la main pour les
purger. Une eau noire, nauséabonde, sortait par les robinets de décompression, s'écoulait
dans la cale après arrosage du parquet, augmentant encore l'ambiance apocalyptique du
local.
« Toi la conscience, silence...! Je ne trouve pas d'autre mot ! »
L’inspection de l’amiral Catastrophe! Dans trois semaines, inspection de l’amiral ...!
En tant que responsable du compartiment « diesels » il m’incombe de prendre les
dispositions nécessaires pour que celui-ci soit, sinon brillant comme un sou neuf, au moins
présentable.
Eh bé...! J’en avalerais mes épaulettes...! Le parquet ça va! Les moteurs, ça va! Des
chiffons, du gasoil, de la lessive, de l’huile de coude et on s’en sort. Mais la coque! Avec
tous ces tuyaux et câbles électriques fixés dessus, et cette suie collée et coincée partout!
Lessiver? Impensable! Une seule solution, la peinture au pistolet, dans la couleur
réglementaire : vert clair ou blanc, je ne me souviens plus très bien.
« Tu vieillis! Tu vieillis! »
La décision est prise, définitive, irrévocable, la peinture au pistolet s'impose...!
Quelques jours plus tard le compartiment « diesel » est devenu un local merveilleux pour
nos vieilles machines qui n'en reviennent pas. Merci les gars! c'est chouette! Pourvu que la
condensation ne vienne pas saboter le travail et pourvu aussi que l'amiral ne remette pas son
inspection à plus tard.
Le jour J, pas de coulures sur la peinture; l'heure H, on vit l'amiral descendre les deux
marches d'accès aux « diesels », traverser le local, monter les deux marches d'accès aux
« électriques », redescendre celles-ci, retraverser le local et remonter les deux marches (nos
sièges de quart), discutant avec le commandant, sans jeter un regard sur notre coque
artistement décorée.
J'ai souvent pensé que cet ancien commandant de sous-marin - pendant la guerre - très
expérimenté, certainement prévenu de nos problèmes, n'avait pas voulu voir ce qu'il
supposait non regardable.
Quelques jours plus tard…d'abord des rus, puis des ruisseaux, puis des rivières, puis des
fleuves tracèrent leur lit dans la suie peinte, et quelques semaines plus tard la coque avait
retrouvé son aspect noir granité.
Démontage de la suralimentation La fumée, transportée par la ventilation s'infiltrait dans tous les compartiments et affectait
grandement le bon fonctionnement (entre autre) des appareils de détection la suie se
déposant sur les contacts. Un jour le Pacha excédé, dit : « on rentre! »
Dès le bateau accosté, des hommes furent désignés pour passer une visite à l'infirmerie du
Béarn, une seconde bordée devant suivre. Les hommes soufflèrent dans le ballon ; enfin
soufflèrent dans quelque chose et les résultats furent tels qu'il n'y eut pas de deuxième
bordée .
Quelques jours plus tard nous appareillions pour effectuer des essais, les « diesel » bardés
d'appareils de mesure (entre autre des tubes en U emplis de mercure pour mesurer les
pressions, contre-pressions, dépressions, impressions…) Le mercure giclait de partout,
roulant sur le parquet, se collant sur les alliances en or des mécaniciens, qui devaient dès
l'accostage se précipiter à l'atelier, poser les dites alliances sur une tôle, et chauffer celles-ci
au chalumeau pour se débarrasser de ce maudit métal qui faisait miam-miam avec nos
anneaux.
La navigation devait durer plusieurs jours mais les ingénieurs et pharmaciens, pleurant et
suffocant demandèrent grâce à la fin de la journée.
Je ne m'étendrais pas plus longuement sur cette période, qui fût assez pénible et c'est avec
un grand soulagement que nous apprîmes la décision de démonter la suralimentation.
Après l'accostage Les mécaniciens, c'est bien connu, sont toujours les derniers à prendre l'air après l'amarrage.
Dès que les diesels étaient stoppés, il fallait préparer ceux-ci pour l'appareillage suivant
(sauf en cas d'inactivité à la mer assez longue)
Différents travaux étaient nécessaires, dont le nettoyage et le tarage des injecteurs et pour
effectuer cette tache il fallait monter sur les diesels, très chauds, dans une atmosphère
brûlante, surtout après l'arrêt de la ventilation.
Mes deux quartier-maître (des types formidables, toujours de bonne humeur) grimpaient
donc sur le haut des machines, nus sous leurs combinaisons, pour démonter les injecteurs.
Un jour, l'un deux enfila une combinaison dont le fond était décousu sur vingt centimètres,
laissant s'échapper par l'ouverture des choses qu'on ne trouverait pas dans un équipage
féminin.
Le spectacle était grandiose jusqu'au moment où, dans un mouvement de déplacement ses
bijoux touchèrent un culbuteur encore bouillant, lui révélant pourquoi ses camarades lui
souriaient avec un air si moqueur.
Le circlips Nous avions souvent des difficultés pour nous fournir en pièces détachées, jusqu'à (il y a
prescription) pénétrer dans des parcs fermés de l'arsenal pour essayer de récupérer des
morceaux de sous-marins ex-allemands désarmés.
Les axes des culbuteurs étaient stoppés a leurs extrémités par des circlips qui cassaient assez
souvent; petite réparation quand on a la pièce ,mais gros problème quand elle fait faute.
Un soir de service au mouillage, déambulant dans la coursive …
« Oui je sais! On va encore dire que je n'avais rien d'autre à faire !oui eh bien je déambule
quand je veux! Et puis j'aime bien ce mot la ! »
Donc je disais que ... J'observai les fusils qui étaient fixés sur la cloison ,et constatai que
l'appareillage qui complétait ces fusils (lance grenades? Je ne me souviens plus) était fixé
par un circlips ressemblant à celui des culbuteurs des diesels.
Quelques mois plus tard, ce qui devait arriver arriva : c'était la panne et j'avais beau
farfouiller dans mes caisses de pièces de rechange, la pièce tant désirée faisait défaut.
« Non! Ce n'était pas le bazar dans mes pièces ,mais un circlips c'est petit ...! Ah et puis
zut! »
Donc, un fusil fut démonté, le diesel fut réparé et le patron du pont chargé des armes
protesta. Il signala (c'était son devoir) le larcin à l'officier en second .Quelques jours plus
tard le commandant, placé a coté de moi, à l'occasion d'une cérémonie des couleurs me
demanda comment m'était venue l'idée de dépanner un moteur avec un fusil. Pas très fier je
m'expliquai, mais à son air goguenard je devinai que l'événement avait du les amuser au
carré.
Les oreillons Nous naviguons vers Mers el kébir pour des exercices accompagnés par quelques navires de
surface. L'escale n'est pas terrible de notre point de vue, mais il faut y passer et nous avons
nos tenues de sortie à bord.
Depuis plusieurs jours j’ai des douleurs dans les oreilles et la mâchoire me gène pour
profiter grandement des bons plats concoctés par notre cuisto. (Si! C’était bon !)
J'en fais part à l'officier en second qui me dit :
« - mais vous êtes enflé !
- ah bon ! »
Consultation radiophonique, diagnostic : oreillons !
Le « Chevallier Paul » qui navigue dans les parages, envoie un dinggy propulsé par quatre
rameurs. J'endosse la tenue de sortie et la gabardine, je grimpe dans la baignoire, lance aux
rameurs mon sac contenant mes petites affaires (la mer est assez formée) et j'attend qu'une
vague monte mon destrier. Je saute et me retrouve le cul dans le fond de l'embarcation,
autrement dit le cul dans l'eau, bien content quand même d'avoir visé juste.
Une nuit passée sur le T47, aspirine, vin chaud, pas de visite. Hé! Pas fous! Et le matin
suivant re-cul dans l'eau (vous avez remarqué ? Cette expression aussi j'aime bien!) pour
embarquer sur une gabarre qui rentre à Brest. La fièvre, le mal de mer, ah quelle journée!
L'hélico c'est quand même une belle invention.
Je suis au service des contagieux, je me fais peur en me regardant dans une glace. Je me
sens vraiment mal, toux, fièvre, mal dans tout le corps. Enfin la porte de ma chambre
s'ouvre; un second-maître casquette réglementaire au possible sur la tête, pâle, l'air triste,
(Tiens j'y pense, la copie conforme du fossoyeur dans Luky Luck ) entre, pose quelques
questions, prend des notes, et c'est le coup de grâce quand il me demande :
« - Qui prévenir en cas de décès ? »
Le Maître d'hôtel des officiers Durant la dernière année d'embarquement, après beaucoup, beaucoup d'heures passées dans
le compartiment « diesels » je pris la charge de patron mécanicien avec comme corollaire le
quart au central. Pour les non initiés, le maître de central était chargé, (je suppose que c'est
toujours comme cela) de diriger les manœuvres de plongée, de reprise de surface, etc. Sous
les ordres du Pacha ou de l'officier de quart, il devait aussi faire un peu la police, pour éviter
que des hommes montent dans la baignoire (la passerelle ) sans autorisation, et ce n'était pas
toujours le plus facile.
Un jour, alors que nous étions en poste de veille, et que nous devions plonger d'un moment à
l'autre, le maître d'hôtel des officiers (un garçon pénible je dirais même si j'étais impoli, « un
emmerdeur! ») « Ah ben ça y ai j'lai dit »,surement enfant trop gâté et protégé, se faufila
dans mon dos, et commença l'escalade de l'échelle. Je le pris par la ceinture et tirai. Mais il
se débattait le bougre et, n'y tenant plus je lui administrai (je suppose) la première gifle de sa
vie.
La seconde suivant le « clac » retentissant - entendu dans la moitié du sous-marin - « oh ..le
quart suffit ! » Donc! Je disais « entendu dans le quart du sous-marin », je réalisai les
conséquences que ce geste allait engendrer. Quand j'aperçus l'officier en second se diriger
vers le central, je pris évidemment, les yeux fixés sur le manomètre d'immersion, un air tout
a fait détaché; mais je dois avouer que je n'en menais pas large.
L'officier s'approcha de moi, resta un moment immobile et silencieux avant de dire :
« - Alors Mitrécé, vous avez eu un problème avec nôtre maître d'hôtel?
- Ben (ouh lala! ouh lala !) oui capitaine ! »
Et après un silence :
« - Vous avez fait ce qu'on avait envie de faire depuis longtemps. »
Il tourna les talons. « tag tagadada tsoin tsoin...! » ah que la vie est belle parfois!
Mars 1966, le Roland Morillot qui vient de passer un semaine en mer pénètre dans la rade
de Toulon. Une vedette accoste, elle va m'amener à terre. Le sous-marin - cap vers le large disparaît dans la nuit.
Michel Mitrécé