Lai¨cite´, un point c`est tout

Transcription

Lai¨cite´, un point c`est tout
La Laïcité, un point c’est tout
…et ce n’est pas rien
…ni n’importe quoi.
Que dire de la laïcité qui n’ait déjà été dit par d’autres, bien plus compétents et autorisés
à en parler ? Et même que dire que je n’ai déjà dit ou écrit à l’occasion de conférences ou
séminaires depuis une bonne dizaine d’années ? (1) Sinon que, justement, il est inquiétant que
l’on soit encore contraint de rappeler avec force et solennité ce principe fondamental, qui, il y
a peu était considéré comme allant de soi, au même titre que la République ou la Nation. C’est
que ce type de concepts ne se décrète pas. Leur identité ne se résume pas à leur nomination,
pas plus que celle d’un individu ne se résume au nom donné par le père, mais c’est
l’aboutissement d’un long processus historique et idéologique, à la fois conscient et
inconscient, comme la personnalité d’un individu. Trop les nommer ou vouloir les définir ou
les redéfinir c’est leur retirer cette épaisseur complexe et opaque qui les assimile à des
mythes, constitutifs d’un lien social fort, comme nous l’ont bien montré les ethnologues.
Un “mythe de raison”
La laïcité est de cette nature. Quels que soient les combats qui furent menés en son nom,
elle était jusqu’à aujourd’hui, et depuis plus longtemps qu’il n’est souvent dit, inscrite dans
nos valeurs, nos réflexes collectifs, au point que, en dehors de soubresauts autour de l’école
libre, sans grand rapport avec la laïcité proprement dite, elle était devenue évidente, quasi
naturelle. Nul n’était besoin donc de la définir, évitant ainsi les débats byzantins et fratricides
pour déterminer ce qui se cachait sous ce mythe, qui avait fini par être accepté par tous
comme la référence suprême de notre manière d’être ensemble sans être semblables. Elle
avait conquis sa supériorité sur les références religieuses car, comme la Nation au sens
Français du terme (Renan), elle est de l’ordre de l’adhésion et non de l’appartenance, de la
communion de chacun avec les autres et non de la fusion de chacun dans ses semblables. En
conformité avec la modernité humaniste, qui rendit l’homme maître de son destin par l’usage
de la raison, dans une confrontation fraternelle permanente.
Pas si simple. La force d’un mythe, c’est de constituer un ciment social inaltérable et
indiscutable (on ne peut discuter ce qu’on n’explique pas), transformant l’adhésion en
adhérence. Mais, la force de la raison c’est justement de libérer (délier) l’individu par la
pratique du doute et la remise en cause de toute prétendue évidence. On peut donc facilement
concevoir la contradiction interne d’un mythe né de la raison, et donc sa fragilité.
------------------(1) Voir le texte et la vidéo de la conférence “Laïcité ou barbarie dans le blog :
http://jean-claude-coiffet.over-blog.com/.
-----------------Un mythe construit est affaire de conviction, et celle-ci est forte tant qu’elle est dans
l’adversité (combat contre l’Eglise catholique dans le cas français). Mais, quand l’adversaire
dépose les armes et finit par adhérer, la conviction s’affaiblit, le mythe devenu consensuel n’a
plus à être affirmé, il devient une évidence. Seulement, à la moindre contestation, il n’est pas
possible ici de se prévaloir, comme pour les autres mythes, de l’indélébilité de la tradition, ce
mythe de raison est sommé de se justifier, de se définir clairement. La conviction militante
s’abyme alors dans le débat d’idées où chacun réaffirme son adhésion à la laïcité mais en en
donnant une définition différente. Il est intéressant de constater que c’est dans le « camp
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laïque », adepte de la libre-pensée raisonnante que le débat est le plus tranché, voire le plus
violent.
Je ne vais surtout pas m’inscrire dans cette polémique, mais tenter de mettre de l’ordre
dans les concepts, pour que le débat ne soit pas un dialogue de sourds
Quelques mises au point
Tout d’abord, il faut tordre le cou à certains contresens : il n’y a pas d’individu laïque,
pas plus que de société laïque. Seul l’Etat peut être ainsi qualifié. La notion de laïcité n’a de
sens que s’il y a nette séparation entre la sphère sociale et la sphère politique. La sphère
sociale est soumise à la force centrifuge de différenciation identitaire des groupes et même
des individus (le “particulier”), source de désordre et de conflits autodestructeurs. La sphère
politique est une construction intellectuelle qui lutte contre cet éclatement et ce désordre pour
revenir à l’un (“l’universel”). A ce propos, il convient de bien préciser de quoi il est question.
On parle souvent d’espace privé (pour la sphère sociale) et d’espace public (pour la
sphère politique). Maladresse qui peut conduire à confondre sphère sociale et sphère
domestique voire intime où serait cantonnée l’action privée, mais vis-à-vis de laquelle l’action
politique ne devrait pas intervenir. Il n’en est rien. A titre d’exemple, la rue, les places etc,
sont des lieux publics où la société peut s’exprimer librement, dans le cadre des lois
(manifestations syndicales, politiques, religieuses…), et la loi s’applique dans la famille ou
l’entreprise qui sont des lieux privés.
Autrement dit, la Laïcité est une affaire d’Etat. Au-delà de cette formulation
humoristique, cela signifie qu’on ne saurait parler de laïcité sans la préexistence d’un Etat de
droit, d’une part, d’un Etat républicain, d’autre part, d’une République démocratique. Pour
résumer,il faut que la société considérée ne soit pas constituée uniquement d’individus mais
aussi de citoyens. Et si, en effet l’individu, ou des groupes d’individus, ne sont pas laïques, le
citoyen ou les groupements de citoyens doivent être laïques. C’est ainsi que la déclaration de
1789 est intitulé déclaration des droit de l’homme et du citoyen (ce qui n’est pas le cas de la
déclaration universelle de 48, bien qu’elle soit fortement inspirée par la 1° -Rédacteur René
Cassin avec comme plume Stéphane Hessel).
Une Histoire longue et heurtée
•Une longue période où la laïcité n’a pas de sens
Pour ne s’en tenir qu’à l’Histoire de nos sociétés occidentales, c’est dans le cadre de ce
que Renan appelait le “miracle grec”, que Vernant, à la suite de Louis Gernet, préférait
appeler les “Grecs sans miracle”, qu’apparaît ce qu’on peut appeler l’Etat de droit. Dans un
double mouvement : faire coexister pacifiquement les familles ou tribus et affirmer
l’autonomie de l’individu, et ce, sous le règne de la loi inspirée par la raison. Cependant à
Athènes comme à Rome, l’autonomie et même la suprématie du politique se concilient très
bien avec le sacré. Le sacré imprègne aussi bien la sphère sociale que la sphère politique, la
laïcisation de cette dernière ne se pose donc pas. Les religions dans le cadre du polythéisme
ne sont pas dans un rapport conflictuel entre elles, donc ne menacent pas la cohésion, et n’ont
pas, par définition, de caractère universel, donc ne peuvent pas se présenter comme des
concurrents du Pouvoir Politique. Nul besoin donc que celui-ci se laïcise.
Ce serait donc le monothéisme qui créerait un problème, que la laïcisation résoudrait.
Pas si simple. Le Judaïsme par exemple, sans souci de conversion extensive ni de prise du
pouvoir dans les Etats où il s’installe, ne pose pas réellement de problème au pouvoir
politique. Ainsi, l’Empire Romain le considère comme une religion parmi d’autres et les chefs
de la communauté juive collaborent avec les autorités romaines. Par la suite, les communautés
juives dispersées dans les différents Etats européens ne posent pas de problème particulier aux
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autorités politiques. Ce sont ces communautés qui auront des problèmes, mais bien davantage
avec la société civile qu’avec les pouvoirs politiques, sauf dans les régimes totalitaires et
théocratiques, où justement la sphère sociale et la sphère politique sont confondues.
Alors, ce serait le Christianisme qui poserait vraiment problème. Rien de moins sûr non
plus. A Rome, les Chrétiens sont d’abord persécutés parce que considérés comme impies
(sans religion). Puis dans un renversement, non pas paradoxal mais au contraire parfaitement
logique, lorsqu’un Empereur se convertit, cette exceptionnalité se transforme en exclusivité,
qui rejette toutes les autres religions, non dans une lutte compétitive qui conduirait au
monopole, mais parce que le Christianisme conteste quelque religion que ce soit. On peut
donc avancer que c’est parce ce n’est pas vraiment une religion et qu’il n’a pas de prétention
législative que des Empereurs le pervertissent en “religion d’Etat”. puis le christianisme
devient religion d’Etat.
Et quoi qu’il en soit les textes fondateurs du christianisme, en particulier les épîtres de
St Paul énoncent clairement que chrétien ne revendique aucune part du pouvoir politique :
“Ce n’est point par l’intermédiaire d’une loi qu’agit la promesse faite à Abraham ou à sa
descendance de recevoir le monde en héritage, mais par le moyen de la justice et de la foi”
(…) “A présent nous avons été dégagé de la loi, étant morts à ce qui nous tenait prisonnier,
de manière à servir dans la nouveauté de l’esprit et non plus dans la vétusté de la lettre” (St
Paul “Epître aux Romains”). Pour Jacques Ellul (“La perversion du Christianisme”), la pensée
chrétienne originelle est la première manifestation de l’idéologie anarchiste, qui rejette aussi
bien l’autorité de l’Eglise que de l’Etat.
•Christianisation du politique, politisation de l’Eglise chrétienne
Dans le grand désordre qui suit la chute de l’empire romain d’occident, la notion d’état
de droit et de citoyen disparaissent pour laisser la place au tribalisme Le Christianisme qui
survit à cet effondrement et peut se prévaloir de ses persécutions passées pour ne pas être
assimilé à l’Empire déchu, offre au contraire des valeurs universelles, un corpus juridique et
une organisation hiérarchisée. La christianisation des barbares, faite dans la spontanéité et la
précipitation souvent, ne traduit pas une adhésion à une pensée, qui nécessite au contraire un
long et difficile apprentissage, ce qui explique que le Christianisme se paganise fortement,
aggravant encore un peu plus sa perversion. Il s’agit donc bien davantage d’une romanisation
des barbares, qui réinventent une nouvelle sphère politique leur permettant, une fois stabilisés
territorialement, de coexister et de légitimer leur pouvoir. Il y a donc confusion de la sphère
religieuse et de la sphère politique, mais avec une seule tête cette fois : l’Eglise catholique.
Les principes et l’organisation de la féodalité, la division trifonctionnelle en Ordres, et même
les règles de légitimation monarchiques plus tard, sont déterminés par l’Eglise.
Mais de plus, cette sphère politico-religieuse absorbe aussi la sphère sociale : les règles
familiales, la structuration du temps, l’organisation du travail, l’éducation des enfants…sont
de son ressort. L’Eglise devient un pouvoir totalisant, voire totalitaire. La profonde fracture
sociale, en Ordres entre autres, est compensée par une exceptionnelle cohésion idéologique.
Cette polyvalence universelle de l’Eglise apparaît comme évidente et celle-ci ne pourra pas
concevoir qu’elle soit remise en cause. Elle le sera pourtant, mais en deux temps. D’abord, la
sphère politique, au sens étroit de l’exercice du pouvoir s’autonomisera par rapport à l’Eglise,
c’est le processus de sécularisation. Puis, lorsque ce pouvoir devient démocratique, où le
politique n’est plus seulement l’exercice du pouvoir mais l’élaboration de principes et règles
de la vie en société, il y aura autonomisation, par rapport aux religions cette fois, c’est le
processus de laïcisation.
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Une remarque pour montrer que je ne suis pas seulement en train d’épater la galerie
avec mes références historiques et théologiques, mais que l’actualité est un laboratoire vivant
qui permet d’expérimenter ce que je vais tenter de montrer ici. La forme tribale de la société
(la famille élargie, dont les maffias sont une des formes modernes) est la forme originelle,
naturelle, qui donc est toujours prête à ressurgir, si l’Etat et donc l’espace public s’affaiblit.
Or, sauf à vivre à distance (les tribus archaïques) ou en continuels conflits (ce que l’on
voit sans bien comprendre justement dans le monde arabo-musulman, en Afrique, mais aussi
dans de nombreux pays asiatiques, Il y a une tribu qui prend le pas sur les autres et s’impose
comme un ersatz d’Etat (Dictature policière et militaire). Cela ne peut tenir longtemps, à un
moment ou un autres, les autres tribus lui demanderont de dégager.
Pour durer et dépasser les rapports de forces, il faut une légitimité, autrement dit
prétendre tenir le droit de diriger s’une instance supérieure : Dieu.
Pour bien comprendre, il faut se référer à la trifonctionnalité (Dumézil,Duby…). La
bicéphalité peut trouver un accord : au Prince l’espace politique, au clergé l’espace social.
Reste que cet équilibre n’est jamais très stable, en particulier dans les religions qui, soit
historiquement (le Catholicisme) soit dans les textes sacrés, ont vocation à tout prendre en
charge. L’affaire se corse, évidemment, quand la religion n’est pas un clergé unique et
hiérarchisé et ou l’identité religieuse se mêle à l’identité tribale l’Etat de droit, la démocratie
et la laïcité, sont dénués de sens, ou sont recherchés ailleurs par l’exil.
• De la sécularisation à la laïcisation
-Conflits entre les rois et les papes
-Henry IV (Empereur d’Allemagne) contre le Pape Grégoire VII
(XI°siècle)
-Philippe Le Bel au XIII° Siècle contre le Pape BonifaceVIII
-HenriVIII -> Elisabeth 1° et l’anglicanisme
-Louis XIX “L’Etat c’est moi” et le Gallicanisme
Mais tout cela se déroule dans la sphère politique. La société reste soumise ou sous la
protection comme on veut du Clergé. Celui-ci devenant de moins en moins religieux et de
plus en plus corrompu.
Réactions : - La Réforme (nette séparation du Politique et du religieux, en particulier
pour les calvinistes)
- Les Lumières, mais elles restent dans le cadre de la bicéphalité : Le
philosophe (ou l’Honnête homme) remplaçant le clergé dans la sphère
politique : conseiller des Princes et principe du parlementarisme (réservé à
l’élite)
La rupture : la Révolution française et l’émergence du peuple.
La légitimité des Etats démocratiques sécularisé puis laïcisés.
Si la Révolution française marque une rupture plus radicale avec le système
aristocratique, les fondements de l’Etat laïc sont, à l’origine, de même nature que dans les
deux autres grands Etats qui inaugurent la démocratie moderne dans le monde : les Etats-Unis
et le Royaume-Uni. Quittons l’étude historique et faisons un peu de droit comparé.
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Etats-Unis :
La Déclaration d’indépendance
«Lorsque dans le cours des évènements humains il devient nécessaire pour un peuple de
dissoudre les liens politiques qui ont attaché à un autre et de prendre, parmi les
puissances de la terre, la place à laquelle les lois de la nature et du Dieu de la nature
lui donnent droit, le respect dû à l’opinion de l’humanité l’oblige à déclarer les causes
qui le détermine à se séparer.
(…)
Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes ; tous les hommes
naissent libres et égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ;
parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les
gouvernements sont établis par les hommes pour garantir ces droits, et leur juste
pouvoir émane du consentement des gouvernés»
Le rapport entre la sphère politique et la sphère sociale, le pouvoir et le peuple, n’est pas
une donnée de fait qui se traduirait par un rapport de force, mais est fondé sur une légitimité
transcendante. D’une part, le Pouvoir est légitimé dans son principe de Souveraineté par “les
lois de la nature et du Dieu de la nature”. Aucune référence ou soumission à une quelconque
religion, mais à une force supérieure à la simple volonté des hommes et il est poussé à être
ainsi par “l’opinion de l’humanité”, sorte d’abstraction universelle qui n’est pas assimilable à
l’opinion publique du moment. D’autre part le peuple est lui aussi légitimé par la même force
transcendante : “doué par le Créateur…” et détermine le bien fondé de l’action du
pouvoir :“Le juste pouvoir émane du consentement des gouvernés”
On a donc bien face à face la sphère politique et la sphère sociale d’égale légitimité à
collaborer au bien commun. Une fois rappelée cette légitimité transcendante originelle, la
société s’administre en toute liberté sans la moindre référence à une quelconque religion.
Cette liberté est rappelée et précisée dans le 1er amendement de l791
« Le Congrès ne pourra faire aucune loi concernant l’établissement d’une religion ou
interdisant son libre exercice, restreignant la liberté de la parole ou de la presse, ou
touchant au droit des citoyens de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions
au Gouvernement pour le redressement de leurs griefs. »
Amendement qui résume, en quelque sorte, les principes des Lois françaises de 1901 et
de 1905.
Angleterre :
En l’absence de Constitution écrite, il n’est pas possible de se référer à des textes pour
apprécier la nature laïque de la sphère politique. Cependant, la légitimité du pouvoir et son
rapport à la société obéissent aux mêmes principes fondamentaux que ceux vus pour les EtatsUnis. Référence à Dieu comme fondement mais aucune soumission à une religion
particulière, il gouverne selon des choix politiques et non religieux, sous l’impulsion et le
contrôle de la société. Celle-ci s’était vue reconnaître, bien avant qu’elle soit constituée de
citoyens, des droits et libertés, là aussi sous le couvert de Dieu. On a bien face à face le
Pouvoir et la Société, de légitimité égale, l’un dans sa souveraineté, l’autre dans ses droits. Il a
suffi de quelques lois ordinaires entre 1832 et 1884 (Réforme de Gladstone) sur le suffrage
universel pour que leurs rapports devinssent démocratiques.
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France
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789)
« Les représentants du peuple français, constitués en
Assemblée Nationale, considérant que
l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seuls causes des malheurs
publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration
solennelle, les Droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette déclaration,
constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs
droits et leurs devoirs ; afin que les actes du Pouvoir législatif et de ceux du Pouvoir
exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique,
en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des
principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au
bonheur de tous. –En conséquence, l’Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence
et sous les auspices de l’Etre Suprême, les droits suivant de l'Homme et du Citoyen. »
Mais, la « maladresse » » avec la Constitution civile du Clergé, mais surtout l’évolution
du Clergé Français qui devient ultramontain, réactionnaire et anti républicain et ensuite anti
social. La France se coupe en deux camps hostiles, si bien que les Constitutions et Chartes
suivantes, prudemment, ne définiront plus les fondements du système politique.
Paradoxalement, seule la Constitution de 1848 fait exception.
- La première phrase du préambule est :
“En présence de Dieu et au nom du Peuple français, l’Assemblée nationale
proclame.”
- L’article 7 de la Constitution
“Chacun professe librement sa religion, et reçoit de l’Etat, pour l’exercice de son
culte, une égale protection.”
On y retrouve donc la double légitimité divine et populaire, accompagnée du principe
de laïcité. Mais il s’agit d’un moment hors du temps et l’espace, symbolisé par la
personnalité de Louis Blanc entre autres, à la fois catholique pratiquant et socialiste. Cette
Constitution est à peine votée que réapparaît la cassure violente entre les deux Frances.
L’exception française : le combat laïque
Les deux blocs sont d’ailleurs particulièrement ambigus. D’un côté, la Bourgeoisie
d’affaire, naguère rationaliste et ”libertine“, alliée à l’Eglise, qui naguère condamnait
l’affairisme ; de l’autre côté la Bourgeoisie républicaine de tendance girondine, indifférente
aux réformes sociales et le mouvement ouvrier qui combat la classe bourgeoise sans
distinction.
C’est dans cette société fissurée, en l’absence de tout texte fondateur consensuel la Laïcité
devient un enjeu, une pensée militante, une réalité sociale, puis un principe fondamental, sans
que jamais elle ne soit clairement définie. Faisant pendant à la trinité de la devise
républicaine : Liberté Egalité Fraternité, la laïcité rejoint La République et la Nation dans les
mythes fondateurs de la citoyenneté.
Que l’école ait été le premier enjeu de la Laïcité doit être compris dans cette vision de la
construction du citoyen.
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Les lois scolaires de Jules Ferry : Loi du 30 octobre 1886 sur l'organisation de
l'enseignement primaire
Extraits du rapport présenté par Jean-Baptiste Ferrouillat
publié au Journal officiel du 7 mai 1886
« La loi du 28 mars 1882 a laïcisé les programmes. Le projet actuel impose la laïcité du
personnel enseignant. On peut dire que la première réforme appelait la seconde. Il n'est pas
rationnel de mettre des religieux à la tête d'une école où l'enseignement de la religion n'a plus
de place. - Comment, d'ailleurs, n'être pas frappé du grave inconvénient de conserver des
instituteurs qui ont deux supérieurs, dont l'un commande au nom de Dieu, et l'autre au nom
de l'Etat, et qui, en cas de conflit entre ces deux autorités, sont naturellement portés à se
soumettre à leur supérieur religieux plutôt qu'à leur supérieur civil ? - N'est-il pas même à la
fois illogique et imprudent, de la part de l'Etat, de confier la jeunesse française, pour lui
donner les notions des devoirs civiques et éveiller en elle l'amour de nos institutions, à des
maîtres qui obéissent à des chefs étrangers et qui se montrent, par principe, hostiles aux
institutions républicaines et aux idées de la société moderne ? »
La Loi de 1905 qui sert de référence juridique de la laïcité, elle ne fait que décrire
minutieusement les conditions matérielles de la séparation des Eglises et de l’Etat, et le mot
laïcité n’y figure pas.
La hache de guerre n’est pourtant pas vraiment enterrée.
Quant à la référence sacrée des fondements de la société, elle s’est déplacée vers la
République elle-même. Dans les autres Etats démocratiques, le mot République indique
seulement qu’il s’agit d’un régime non-monarchique. En France, la République n’est pas
seulement un type de régime institutionnel, mais un modèle de société et une valeur suprême
transcendante (la fameuse formule de De Gaulle : “Une certaine idée de la France”), pour
laquelle le citoyen est appelé à se sacrifier (“Un Français doit vivre pour elle, Pour elle un
Français doit mourir”). Elle est donc sacralisée, au sens le plus fort du terme. A quoi il faut
ajouter les rites républicains calqués sur ceux de l’Eglise Catholique et le “clergé“
républicains, les fameux hussards noirs de la République, formés dans les séminaires laïques
(les Ecoles “Normales”), dont la mission n’était pas seulement d’apprendre à lire et à compter
mais aussi d’apporter “la bonne parole” républicaine.
Si donc l’Eglise ne se résout pas à perdre son rôle politique, l’Etat Républicain s’arroge
un rôle social et éthique, voire religieux au sens large. Là est l’originalité de la laïcité
française : la sphère politique et la sphère sociale n’arrivent pas à des manifestations
d’intolérance totalitaire de part et d’autre. Être laïque dans ces conditions, c’est faire partie
d’une des deux Eglises où l’on se détermine avant tout négativement (anti-cléricalisme) et où
sont affirmées des valeurs qui ne peuvent se distinguer, pour l’essentiel, des valeurs de l’autre
Eglise qu’en abandonnant la référence à Dieu, d’où le fait qu’être laïque fut aussi le plus
souvent assimilé à être athée.
Il faut attendre la Libération pour que le terme de laïcité figure dans un texte
constitutionnel. Cependant, bien que le conflit ait persisté, en particulier sous la forme de la
guerre scolaire, sous la IIIème République, le principe de laïcité est tout de même reconnu
comme fondement de la sphère politique. Un texte, généralement oublié -et pas seulement
parce qu’il n’est pas entré en vigueur-, le confirme : le projet de Constitution de Pétain. Ce
texte est intéressant à double titre : d’abord parce qu’il confirme de manière un peu
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paradoxale une conception de la légitimité politique sans référence transcendante et d’autre
part parce que le principe de laïcité est conçu dans une vision communautariste de la société.
Une vision communautariste de la laïcité
Préambule :
« La Constitution délimite les devoirs et les droits respectifs de la puissance publique et
des citoyens en instituant un Etat dont l’autorité s’appuie sur l’adhésion de la Nation. »
Art 5 :
“L’Etat reconnaît les droits des communautés spirituelles, familiales, professionnelles
et territoriales au sein desquelles l’homme prend le sens de sa responsabilité sociale et trouve
appui pour la défense de ses libertés »
Le face à face de la sphère sociale et de la sphère politique, propre à un Etat de Droit,
est bien énoncé, mais il n’y a plus trace de la double légitimité –Dieu et Peuple-,
contrairement aux textes américains, britannique et Français jusqu’en 1848. La légitimité est
fondée sur un concept propre à la culture française : la Nation.
Alors qu’on pouvait s’attendre, compte tenu de la nature du régime et des forces
idéologiques qui le soutiennent, à une “restauration“ de la référence à Dieu et à la France,
dans le sens de l’ancien régime, c’est le concept révolutionnaire de Nation qui est utilisé et le
caractère laïque du pouvoir est affirmé sans ambiguïté. Cependant l’art 5 préfigure la
conception de la laïcité défendue par ceux qui aujourd’hui souhaiteraient “réactualiser” la Loi
de 1905.
Il va de soi que je ne prétends pas que ceux qui veulent passer de la laïcité universelle à
une laïcité “tolérante”, reconnaissant les différentes communautés religieuses, sont
pétainistes. Mais, en dehors de toute polémique politicienne, on voit là que le débat actuel
n’est pas nouveau, et que la volonté de modifier la définition de la laïcité dans un sens plus
communautaire n’est pas une “modernisation” qui tiendrait compte d’une situation nouvelle,
mais la résurgence d’une certaine conception de la laïcité qui existe depuis longtemps et qui
s’oppose à la conception républicaine.
Pour bien comprendre la différence, on peut comparer l’art5 de la Constitution de Pétain
et l’art7 de la Constitution de 1848 :
Art 7 de 1848 : “ Chacun professe librement sa religion…”
Art 5 de 1940 : “ L’Etat reconnaît les droits des communautés… ”
Dans un cas, c’est la reconnaissance de la liberté du citoyen, pleinement responsable,
envisagée en dehors de toute appartenance communautaire. Dans l’autre, ce sont les
communautés qui se voient garantir des libertés publiques, l’individu est nécessairement
inséré dans celles-ci et est représenté par elles :“(il y) trouve un appui pour la défense de ses
libertés”. Difficile de ne pas faire le rapprochement avec certains projets actuels et même une
certaine évolution de l’attitude des pouvoirs publics depuis quelques années.
Reconnaissance constitutionnelle de la Laïcité
Il s’en fallut de peu que la Laïcité ne figure pas non plus dans la Constitution
En avril : « La France est une République indivisible, démocratique et sociale. »
En octobre : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et
sociale. »
Il
y
a
bien
désormais
un
Préambule
définissant
les
principes
fondamentaux :réaffirmation de la Déclaration de 89 et proclamation des droits collectifs
sociaux et économiques.
Depuis la Libération, il semblait que cette fois que la paix était signée, largement en
faveur de la suprématie de la République, ou plutôt de l’Etat prenant de plus en plus en charge
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la société. Ironie du sort, au lieu de la formule française d’Etat social, c’est la formule
anglosaxonne qui prévalut : l’Etat providence !!!
Cependant, cette concurrence entre l’Eglise et l’Etat républicain pour occuper à la fois
la sphère politique et la sphère sociale a conduit au KO des deux. Le croyant catholique n’est
plus disposé à obéir aux injonctions morales de l’Eglise et le citoyen n’est plus prêt à se
sacrifier pour la République. Situation symbolisée, entre autres, par la désertion des églises et
des urnes, la crise des vocations et le refus de payer « l’impôt du sang”. Il y a sans doute là,
entre autres, une explication de la crise actuelle de la laïcité et du sentiment diffus de vouloir
redéfinir cette notion, au demeurant indispensable au fonctionnement de la Démocratie et de
l’Etat de Droit. Mais, comment en est-on arrivé là ? La montée en puissance de l’Islam,
religion monothéiste qui, comme l’Eglise catholique de naguère, revendique une vocation
totalisante -spirituelle, sociale et politique-, nous ramène bien évidemment à la période
d’avant la sécularisation. Mais justement, un Etat laïque à la légitimité assurée ne devrait pas
être ébranlé par un tel archaïsme. Aussi, les causes de la crise sont davantage à rechercher
dans le processus de fragilisation à la fois de l’Etat et de la société qui les rend impuissants
face à un phénomène qui aurait été étouffé dans l’œuf naguère.
Ce n’était pas la paix mais un armistice
Comme je l’évoquais au début si l’on reparle autant de laïcité et publions tant de textes
officiels à son sujet c’est qu’elle ne va plus de soi, qu’elle est menacée.
Je ne peux pas m’étendre trop sur les causes, mais il faut se rappeler q’il ne saurait y
avoir de laïcité sans citoyen, pas de citoyens sans Nation et pas de République sans Etat
souverain.
• Deux paradoxes, en apparence :
-L’Etat providence conduit à l’individualisme (1)
-L’individualisme conduit au communautarisme (2)
• Trois phénomènes destructeurs de la notion de citoyenneté
-La marchandisation généralisée fondée sur la compétition non sur la solidarité
-Une européanisation bafouillante qui sape les souverainetés politiques nationales et
libère les ethnismes
-La fracture horizontale entre une minorité d’hyper puissants financiers et une
population ramenée à des stocks de producteurs et de consommateurs gérés de manière
strictement et cyniquement comptable.
Quoi qu’il en soit :
Défiance vis-à-vis de la sphère politique et donc abandon des devoirs citoyens
Paupérisation, qui fait que le non citoyen ne peut plus se consoler comme
consommateur
• Une réalité qu’il serait lâche de ne pas aborder, mais comme on traverse un champ de mines.
Le développement d’une religion, ou plutôt de groupes de religieux ouvertement et
violemment opposés aussi bien à la République qu’à la Laïcité.
Pour éviter d’être traité de tous les noms d’oiseau je donnerai la parole, sur cette
menace, à une musulmane :
Dounia Bouzar, nom d'usage de Dominique Amina Bouzar,
(Anthropologue française née à Grenoble en 1964. Spécialiste de l'analyse du fait religieux,
elle a publié de nombreux articles et livres à caractère scientifique et des essais et tribunes
libres dans divers médias. Elle a siégé au Conseil Français du Culte Musulman de 2003 à
2005. En 2013, Jean-Marc Ayrault la nomme à l'Observatoire de la laïcité.)
9
«L e s
s i t e s
I n t e r n e t
m u s u l m a n s
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t e n u s
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A u t r e m e n t
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e t
s œ u r s
e n
r e l i g i o n ”
L’école, abusivement, ou plutôt stupidement considérée depuis des décennies comme
l’instrument de l’ascenseur social, lui-même essentiellement vu comme le moyen d’entrer par
le haut sur le marché du travail, n’est plus crédible et la formation de la jeunesse est redevenu
un enjeu où s’affronte religions, maffia (forme de clanisme), sous-culture médiatique et
charlatanisme sectaire.
Il n’était donc pas possible de ne pas réagir :
Rappeler que « L’École n’est pas un groupe social parmi d’autres, ni un
échantillonnage de groupes existants. C’est un service public, oui. Mais ce n’est ni l’E.D.F. ni
la R.A.T.P. Quand on rentre dans une classe, on ne rentre pas dans une rame de métro. On
rentre, comme un sujet de droit, doué de raison dans un espace de liberté soustrait aux
passions et aux intérêts, délibérément abstraits, où les origines et les différences doivent être
mises hors-jeu. Un espace où il n’y a plus de riches et de pauvres… Où l’élève est destiné à
s’élever au-dessus de tout ce qui le détermine et le contraint : familles, préjugés. C’est en se
fermant à tout cela qu’on s’ouvre à la liberté. Public, en République ça ne veut pas seulement
dire que l’État finance les bâtiments, paye les profs, fait les programmes. Ça veut dire un
espace commun à tous et à toutes, égale pour tous, institué pour tous. Non pas monopolistes
mais au contraire : où le pluralisme peut s’exprimer. » (Régis Debray) 1991
Rappeler en parallèle : « On n’entre pas en République côté cour ou par la porte de
service. On n’entre pas en son École la tête baissée ou les yeux voilés sur la devise essentielle
inscrite à son fronton » Jacky Dahomay Président de l’Association des prof de Philo de
Guadeloupe (membre du Haut Conseil à l’intégration.
Réaction officielle actuelle:
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La Charte de la Laïcité
Fallait-il un nouveau texte officiel pour réaffirmer les principes et les vertus de la
Laïcité à l’école ? Si je reviens à ce que je disais au début, peut-être pas. En trop en parler, et
surtout à vouloir trop la définir, elle risque de perdre de son statut de mythe fondateur et
universel et se mettre au même niveau que les religions ou les idéologies et donc entrer en
compétition. La seule justification serait le constat que ce principe fondamental serait menacé
au sein de l’Ecole et qu’il fût nécessaire de remettre les pendules à l’heure. Dans ce cas, il
aurait peut-être fallu préciser qui et quoi la menacent ? Quel est le statut juridique de ce
texte ? Une circulaire ?
Par ailleurs, j’ai été un peu étonné que l’auteur de “La tradition de l’esprit : l’itinéraire
de Merleau Ponty” présente un document qui porte le titre de Charte, en expliquant qu’il
s’agit d’un pacte et en le faisant précédé d’un surtitre : la République laïque.
Mais il est aussi l’auteur de Jaurès et la religion du socialisme, Une religion pour la
République ; la foi de Fernand Buisson.
Rien là qui philosophiquement ne puisse heurter, sauf ceux pour qui le mot religion
donne des boutons. Il n’y a pas d’engagement qui ne s’appuie sur une confiance, une croyance
une foi (la foi et le sacré ne sont pas assimilables à la religion). Il n’est peut-être pas très
adroit de présenter les principes fondamentaux des règles de vie à l’école, à des jeunes élèves
et même des enseignants pas nécessairement aussi à l’aise avec ces concepts qu’un docteur en
philo, un théologien ou un constitutionnaliste. Et, qu’entre autres, ils soient embarrassés pour
justifier que cette religion laïque doive s’imposer comme supérieure à d’autres religions ou
idéologies au sein de l’école.
La réponse se trouve justement dans le surtitre qui rappelle ce qui prévaut sur toute
idéologie ou religion : Les textes fondamentaux d’un Etat de droit en rappelant les premiers
principes dans la Nation française :
1)La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure
l’égalité devant la loi sans distinction d’origine de race ou de religion. Elle respecte toutes
les religions.
Pourquoi ne pas dire qu’il s’agit de l’art 1 de la Constitution et pourquoi ne pas le citer
en entier ? Y aurait-il un problème à évoquer le drapeau, l’Hymne national et la devise ?
[L’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge.
L’hymne national est la Marseillaise.
La devise de la République est : « Liberté, Egalité, Fraternité
Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. (§1 de la Constitution)]
3)La laïcité garantit la liberté de conscience à tous. Chacun est libre de croire ou ne
pas croire. Elle permet la libre expression de ses convictions, dans le respect de celles des
autres et dans les limites de l’ordre public.
Pourquoi ne pas rappeler l’art IV de la Déclaration de 89, plutôt plus clair et mieux
écrit, et en profiter pour faire commenter en classe l’ensemble de cette déclaration ?
[La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de
chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société de la jouissance de ces
mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. (art IV de la Déclaration de 89)]
4)La laïcité permet l’exercice de la citoyenneté conciliant la liberté de chacun avec
l’égalité et la fraternité de tous dans le souci de l’intérêt général.
Même remarque que pour l’art précédent
[Art10 de la Déclaration : Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur
manifestation ne trouble pas l’ordre public établit par la Loi.]
11
Le corps même de la Charte énonce des principes de bonne conduite en société qu’il est
sans doute urgent de voir revivre au sein des établissements scolaires et ailleurs. Il n’est pas
sûr qu’il soit tout à fait pertinent de les relier systématiquement à la laïcité, d’autant que l’art
3 est un peu flou et périlleux :
« Art 3 la laïcité permet l’exercice de la liberté d’expression des élèves dans les limites
du bon fonctionnement de l’école, comme du respect des valeurs républicaines et de
pluralisme des convictions »
Parler de liberté d’expression des élèves dans le climat actuel de nombreux
établissements est pour le moins maladroit, surtout si la limite est le bon fonctionnement de
l’école. Comment définir ce bon fonctionnement et qui en décidera et, surtout qui imposera
cette limite ? Là encore, il eut été plus judicieux d’évoquer l’art 11 de la Déclaration de 89,
plus explicite et moins périlleuse.
Art 11 : La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de
l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté
dans les cas déterminés par la Loi.
En accompagnement à cette « Charte » a été rendu public un rapport :
Rapport sur l’enseignement d’une morale laïque.
Un enseignement laïque de la morale
Je ne vais pas me lancer dans une analyse critique d’un texte long, complexe et qui me
semble parfois jongler avec des concepts qui ne relèvent pas de la même problématique. Et
puis, dire qu’il y a une morale laïque c’est sous-entendre qu’il pourrait y en avoir d’autres et
qu’il faut les confronter (!). De la même façon dire qu’il y a une manière laïque d’enseigner la
morale. Pour les gens de ma génération, cela allait de soi et n’avait donc pas à être énoncé. Il
n’est peut-être inopportun de le présenter ainsi aujourd’hui, où le relativisme culturel fleurit et
où des religions ne souhaitent qu’une chose c’est de ramener la laïcité à une religion comme
une autre et entrer donc en conflit.
Je ne doute pas que cela n’a pas échappé aux rédacteurs, du moins à certains, et que l’on
compte sur la qualité (j’allais dire l’habileté) des professeurs pour ne pas tomber dans ce
piège.
Je retiendrais un court passage, sur les 60 pages, parce que je pense que l’air de rien, et
peut-être involontairement, il précise le rôle de formation du citoyen de l’école (aujourd’hui
comme en 1886):
L’enseignement laïque de la morale, fondé sur les valeurs républicaines que les
enseignants ont le devoir de transmettre, est l’occasion de rappeler le cadre d’exercice de la
liberté.
Les bornes juridiques sont ici la condition d’une éthique laïque. Si la laïcité, en effet,
n’est pas seulement neutralité, mais aussi liberté, à tout instant, dans sa pratique,
l’enseignant est confronté à l’exigence éthique : transmettre sans imposer, sans faire violence
aux croyances des élèves et de leurs familles, avoir constamment à l’esprit le souci du
commun, de l’intérêt général afin de ne pas heurter les intérêts privés, faire taire ses propres
préjugés et ses propres croyances. Qu’elle s’inscrive dans le cadre d’une « laïcité
intériorisée», suivant l’idéal esquissé par Claude Nicolet, ou qu’elle emprunte les voies d’un
enseignement impartial ainsi qu’y engage Paul Ricœur, une éthique laïque enseignante
renvoie toujours au difficile exercice d’une liberté.
Par son objet même, un enseignement laïque de la morale requiert de revitaliser une
éthique laïque, condition d’une laïcité mieux intériorisée, mieux comprise et donc mieux mise
en pratique.
Si à cette éthique enseignante est associée une déontologie explicite, on a là les
conditions pour stimuler le sentiment d’appartenance à une communauté professionnelle et
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les moyens de faire en sorte que la morale ne soit pas seulement la morale à l’École, mais la
morale de l’École. »
Heureux qu’on ose enfin utiliser le mot de morale, tabou depuis des décennies, je suis
resté perplexe devant ce rapport souvent jargonneux et ambigu. Il semble qu’on ait
continuellement tenté de satisfaire des visions différentes et même opposées. Et puis, je me
suis souvenu que, il y a bien longtemps, j’eus des cours de morale en classe de Philo et qu’un
manuel nous était conseillé : celui d’André Bridoux. Je me suis précipité dans ma
bibliothèque et, il m’attendait là à côté des deux“Meynard”, celui de Psychologie et celui de
logique et philosophie des sciences.
Pour conclure, je vais céder la parole à ce vieux maître : André Bridoux donc
(philosophe et Inspecteur générale de l’instruction publique, auteur du manuel « La morale »
datant de 1945 ; important la date, c’est celle de la Libération où l’on croit que l’avenir sera
celui du progrès du savoir, de la solidarité et non de l’argent et de l’égoïsme.)
Nul chapitre sur morale et laïcité, ni d’ailleurs sur morale et religion, mais sa conclusion
est d’une exceptionnelle actualité, c’est-à-dire d’une permanente actualité, tant il est vrai que
les principes fondamentaux de la morale ne sont pas affaire de mode.
« Quels que soient les progrès, la vie économique nous mettra toujours en présence de différences sensibles entre
les hommes. Mais nous croyons que les différences peuvent être prodigieusement adoucies par l’infusion d’un
certain nombre d’idées qu’il n’est pas inutile de rappeler.
1° L’idée d’égalité. Avant tout que les hommes consentent à se mettre réciproquement à l’abri des cascades de
mépris qu’ils déversent les uns sur les autres. Qu’ils pensent et se sentent égaux à travers leurs professions et
leurs conditions différentes.
2° L’idée de simplicité, liée à la précédente. La pensée d’égalité porte naturellement à prendre le sentiment de
ce qui est nécessaire et de ce qu’il suffit pour soutenir une existence d’homme ; elle prescrit également de ne
jamais enfler de désirs au-delà de ce que le travail d’un homme peut assurer. (…Au cours des années qui ont
précédé la guerre, le principal obstacle au progrès moral était l’appétit de luxe, destructeur des pauvres aussi
bien que des riches. Par éduction, par persuasion, les enfants peuvent être amenés à comprendre que le bonheur
de ce monde est dans la simplicité.
3° L’idée de probité, dont la conscience professionnelle n’est qu’une expression et qui, seule, peut rendre la
solidarité effective et durable.
4° L’idée de solidarité qu’il faut renforcer de tous les moyens, car il n’en est pas de plus efficace pour apaiser
l’avarice. Si les hommes ont un tel appétit des biens de ce monde, c’est en partie par avidité, c’est aussi par
besoin de sécurité. Ils se sentent isolés, parmi des indifférents, et ne trouvent protection que dans la propriété.
Dès que la solidarité devient effective, l’avarice recule.
Devant ces idées si simples, on se sent un peu troublé en voyant avec certitude qu’un grain de bonne volonté
permettrait aux hommes de vivre heureux et en paix. Mais on trouve du réconfort à penser qu’il suffit de vouloir,
après tout, et que l’humanité peut toujours se dire, comme le sage Epictète : “C’est du bonheur si tu veux”.
--------------------------------------------------------Notes à propos des causes de la crise de la Laïcité (p 9)
(1)Depuis 1945, la puissance affirmée et incontestée de l’Etat et l’évolution de l’économie industrielle capitaliste
a conduit celui-ci à être, non plus seulement au-dessus, mais dans la société. Il ne fait plus seulement qu’édicter
les règles générales, mais il gère le social, voire le domestique ; régulateur économique et social, acteur direct
même. L’espace privé est de plus en plus confondu avec l’espace public. Loin de moi de regretter la régulation
économique et la protection sociale, mais on ne peut pas faire l’économie de l’examen du changement radical
que cela a entraîné dans les comportements individuels et collectifs.
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Paradoxalement, une telle collectivisation du social pousse à l’individualisme, puisque l’Etat dispense de
compter sur les corps intermédiaires traditionnels. Cet individualisme sera renforcé et perverti par la vague
libérale qui déferle à partir des années 70, en valorisant l’égoïsme compétitif.
L’Etat devenu lui-même interne à la société ne saura y résister et sera aussi submergé, perdant dans la
tempête ses attributs politiques essentiels, entre autres la souveraineté nationale.
La famille explose, les syndicats se vident, comme les églises, les partis perdent leurs militants puis leurs
électeurs, bref l’action collective est abandonnée au profit du consumérisme individuel. On peut suggérer, sans
trop forcer le trait, que l’exclusion, dont la cause première est bien sûr économique, est malgré tout le symptôme
de cette désolidarisation du social qui compte sur l’Etat pour prendre en charge le phénomène.
Pour reprendre l’image de Michel Schneider (“Big Mother”), l’Etat Providence, fondé sur la protection et
l’assistance, se présente sous la figure symbolique de la mère, en opposition à la figure symbolique du père, celui
qui dit la loi et réprime. Double conséquence : positive d’abord : l’intégration de tous dans une communauté de
plus en plus égalitaire, au moins pour les éléments fondamentaux des conditions de vie ; négative ensuite : la
déresponsabilité et l’insensible mais irrépressible mutation du sentiment de solidarité en comportement
d’assistance. La contribution solidaire laisse la place à l’attente de la distribution de la manne “providentielle”
dans une attitude de consommateur (demandeur) inconscient et égoïste. La crise était inévitable, qui fit le lit de la
thèse libérale qui souhaite désengager l’Etat de la sphère sociale, sans pour autant lui redonner l’autorité ; la
nouvelle loi supérieure étant désormais celle du marché. Nouvelle religion totalisante qui abandonne la société à
elle-même, sommée de suivre les “voies impénétrables” du Marché.
(2) L’individu de plus en plus isolé, se sent abandonné, fragilisé. Tout est dit et fait pour le rendre méfiant
vis-à-vis de toute autorité et même le convaincre de s’en “libérer”. L’Etat, et plus globalement le Politique, n’est
plus conçu pour beaucoup que comme une lourde machine distributive, un corps lointain de fonctionnaires et une
caste de politiciens professionnels. L’espace public qui implique la protection et la contribution est déserté au
profit d’un espace privé où s’affrontent les égoïsmes.
Les corps sociaux intermédiaires précédents ayant été abandonnés, on se regroupe vers de nouveaux (en
fait anciens) pour combattre l’isolement. Mais si les premiers (entre autres, Partis et syndicats) participaient à
l’élaboration de règles d’intérêt général dans un débat qui imposait l’usage de la raison, les seconds se veulent
identitaires (identités ethniques, sexuelles, générationnelles…) et donc fermés au débat collectif. La démocratie
et la laïcité perdent leur substance lorsque chacun ne parle pas en son nom comme citoyen mais en tant que
Basque, musulman, femme, jeune, homosexuel etc., et quand les objectifs ne sont plus l’amélioration de la
société globale, mais au contraire la reconnaissance de droits distincts…
Enfin, le vide laissé par les religions traditionnelles ou les idéologies, antidotes de l’angoisse existentielle,
est comblé par les sectes, les religions exotiques, les pratiques irrationnelles.
Le social laissé à lui-même, après avoir goûté les délices de l’individualisme, sous la protection d’un Etat
Providence, retrouve les réflexes à la fois communautaires et irrationnels, plus confortables et moins exigeants
en effet que la pratique laïque de la confrontation raisonnée et de la participation à l’intérêt général.
On pourrait développer à la fois d’autres signes et d’autres facteurs de fragilisation : la crise de la famille,
de l’Ecole, du lien social urbain, de la solidarité nationale, le dogme libéral, la mondialisation, une certaine
conception de l’Europe etc… Le tout se caractérise par une progressive décohésion sociale et l’oubli des
principes fondamentaux qui ont fondé les sociétés modernes. Aussi réactiver le sentiment laïque nécessite de
rappeler certains principes de base hors desquels il n’aurait plus de sens.
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