Libres réflexions sur la sexualité féminine

Transcription

Libres réflexions sur la sexualité féminine
1986
« L‟Hermaphrodite », repris à la suite de Sarrasine de
Balzac, Paris, GF-Flammarion, 1989, in-12, pp. 67-175.
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e-mail : [email protected]
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’Ashtaroût
Cahier hors-série n° 6 (décembre 2005) ~ Matriochkas & autres Lolitas / Mascarade, pp. 112-113
ISSN 1727-2009
Jean-Luc Vannier
Libres ( ?) réflexions sur la sexualité féminine
U
ne des différences fondamentales entre
l‟homme et la femme que la vie de tous les
jours permet de constater réside dans la nature, le
contenu et les représentations imaginaires de la
rencontre amoureuse. L‟homme tire une part essentielle de sa virilité d‟un processus d‟identification à son géniteur et d‟une sortie du schéma
œdipien. Il effectue, de surcroît, cette série de mutations dans un environnement social Ŕ le « dressage » évoqué par Françoise Héritier Ŕ qui lui est
largement favorable. La position féminine semble
plus complexe. Et pour cause. Freud nous rappelle
que contrairement au garçon, la fille poursuit son
développement psychosexuel en entrant, en quelque sorte, dans le complexe d‟Œdipe.
Mais cette explication resterait bien incomplète
si elle ne prenait pas en compte le rôle de la mère
dans l‟épanouissement de la position féminine de
sa fille. L‟initiation au rôle masculin soit par le
groupe identitaire, soit par une femme plus mûre1
tient lieu, pour le garçon, de passage dans le monde
des hommes et consacre plus ou moins définitivement l‟arrachement à l‟attraction de la toute puissance maternelle. Même les jeunes homosexuels
sont « initiés » à l‟acte homosexuel par des hommes
plus âgés dans la plupart des cas2. La fille reste,
quant à elle, dépendante, « suspendue » serait plus
exact, à la transmission, totale, partielle ou refusée
par sa mère du flambeau de la féminité.
On comprend déjà la difficulté qui pointe à
l‟horizon lorsque la mère ne veut pas, soit pour des
raisons afférentes à sa propre position féminine
soit par déni de celle-ci, lâcher, si l‟on ose dire, la
proie pour l‟ombre dans le premier cas ou accepter, dans le deuxième, de reconnaître à sa fille un
privilège qui lui a fait défaut. Le transgénérationnel,
notamment le rôle de la grand-mère, joue ici pleinement sa partition. La mère et la fille parviennent
rarement à se partager équitablement le sceptre de
la féminité au sein d‟un même empire familial.
L‟anthropologie vient nourrir cette démonstration. Dans certaines tribus primitives, le fait est
connu que « les seules grands-mères, exclues de la
féminité en raison de leur ménopause, sont à
même de transmettre sans dommage le féminin
aux jeunes filles3 ». Selon Claude Guy, la mère doit
accepter de se « déposséder » de sa féminité au
profit de sa fille. Françoise Héritier nous rappelle
qu‟au Burkina-Faso, une mère qui continuerait à
avoir des relations sexuelles sous le même toit que
sa fille devenue pubère, condamnerait celle-ci à la
stérilité.
La clinique permet d‟éclairer largement l‟approche féminine de la rencontre, qu‟elle soit ou non
d‟ordre sexuel. Dans son comportement, l‟homme
poursuit la finalité presque unique de l‟acte sexuel.
Il y associe à une forme de performance physique
consacrant dans son imaginaire l‟idée qu‟il se fait
ou qu‟il s‟est socialement construit de la virilité. La
femme, en fonction de la part laissée vacante par sa
● Jean-Luc Vannier, psychanalyste à Nice : 06 16 52 55 20.
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Ou le père lui-même qui emmène son fils dans les endroits adéquats.
2 Communication de France Lert, directeur de recherche à
l‟INSERM au 3e congrès international francophone de prévention du suicide, Poitiers, 13-17 décembre 2004.
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Claude Guy, Psychanalyse & possession, Calmann-Lévy, 2004.
mère, serait davantage du côté d‟un féminin qui
s‟interroge sur l‟Amour idéalisé pris comme objet
partiel. « Pourquoi faire l‟amour lorsqu‟on l‟a ? »
me demande une femme en analyse. Pour l‟homme
comme pour la femme, le passage à l‟acte sexuel
signe la fin des préliminaires. Il brise aussi le charme de la séduction. Ce sont les lendemains qui...
déchantent ! L‟homme ne s‟en porte effectivement
pas plus mal tandis que la femme donne le sentiment de regretter cette période antérieure de magie
séductrice, promesse d‟un acte aussi vivement imaginé que terriblement craint. La relation sexuelle
lève le voile et fait tomber les masques. La masculinité a tout à y gagner, la féminité-mascarade évoquée par le Dr Azar1, tout à y perdre. Aucune
femme n‟accepte de croiser le regard d‟un homme
lorsqu‟elle se repoudre le nez.
Les cas Ŕ nombreux Ŕ de femmes insatisfaites
laissent apparaître une articulation tragique entre la
jouissance et le regard maternel. Certaines de mes
patientes expliquaient parfois leur angoisse Ŕ et
leur impossibilité subséquente Ŕ de jouir par le sentiment abyssal et morbide de néant qu‟elles éprouvaient après la réalisation de l‟orgasme2. Infinitude
de la pulsion sexuelle de mort où se croisent la
décharge de la tension et la puissance des forces de
déliaison. Cette « démesure » de la sexualité féminine n‟est pas sans rappeler le « plus de jouir » féminin, écho lacanien aux mystères du « continent
noir » déjà évoqués par Freud.
Le père de la psychanalyse donne d‟ailleurs
plusieurs explications sur la difficile jouissance
chez la femme. Dans « Pour introduire le narcissisme » de 1914, il suggère comme conséquence du
développement pubertaire féminin, une « augmentation du narcissisme originaire défavorable à un
amour d‟objet régulier s‟accompagnant de surestimation sexuelle ». Sur une injonction sociale puissamment soutenue par l‟inconscient maternel, la
femme privilégie l‟orientation vers l‟esthétisme et la
beauté. Elle en vient, explique Freud, à « se suffire
à elle-même », voire à « n‟aimer qu‟elle-même ».
Les préliminaires aux cours desquels l‟homme doit
déployer tant d‟efforts de séduction ne peuvent,
qu‟en l‟espèce, « ravir » le narcissisme féminin dans
toute une dimension infantile lourdement grevée
du poids maternel. A fortiori lorsqu‟on admet le
narcissisme comme un moment succédant à celui
d‟une séduction primaire qui ne peut qu‟être celle
de la mère.
En ce sens, et pour compléter l‟autre étude du
Dr Azar3, l‟homosexuel, attiré par tant de lumière
narcissique, en vient à s‟offrir en miroir complice.
Débarrassées du besoin de reconnaissance masculine, ces femmes affichent également par leur seule
féminité une forme de puissance, touche fine de
masculinité qui séduit l‟homosexuel.
Feue la chanteuse Dalida incarnait cette féminité exacerbée au point de se voir consacrée
« Madone des homosexuels » par l‟ensemble des mouvements gays, pour une fois bien unanimes. Les
femmes n‟en gardent pas moins le secret espoir de
transformer l‟homosexuel en partenaire viril.
D‟où leur vient cette motivation ambivalente?
La clinique laisse à penser, qu‟à travers cette démarche, elles entendent empiéter sur l‟influence
maternelle subie par le garçon et régler en même
temps les comptes avec leur propre mère. Triomphe absolu de la féminité et sur la mère de l‟homosexuel et sur les leurs dont elles visent à prendre la
revanche. Deux mères sont abattues d‟une seule
pierre. Mais le carnage n‟aura pas lieu. L‟échec
souvent patent de la tentative signera invariablement le retour immanent de la double présence
maternelle : la toute puissance de celle-ci chez l‟homosexuel qui inverse rarement son choix d‟objet et
les limites du dessaisissement de la mère pour sa
fille même entreprenante. 
Amine Azar, « La sexualité féminine réduite à quelques axiomes », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2004∙1016, octobre 2004,
18+2 p. (Ici même, pp. 42-57)
2 Jean-Luc Vannier, « Existe-t-il une jouissance tierce ? La femme
et l‟homosexuel », à paraître.
3
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Amine Azar, « Pourquoi les femmes de quarante ans craquentelles pour des homosexuels ? », in ’Ashtaroût, bulletin volant n°
2004∙0522, mai 2004, 2 p. (Ici même, pp. 93-94)
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