« Sleepless in London, all I think about is you ». Par Yasmine 1h06

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« Sleepless in London, all I think about is you ». Par Yasmine 1h06
« Sleepless in London, all I think about is you ».
Par Yasmine
1h06. Une femme se promenait dans les rues de la ville plongée dans la nuit,
plongée dans le silence. Le monde entier dormait, la lune veillait sur eux. Les routes
larges, les trottoirs désertés, le béton noir absorbant chaque once de lumière qui
pouvait être diffusée. Elle ne savait pas ce qu’elle faisait là. Les mains dans les
poches du manteau de fourrure qu’elle portait, aussi noir que le ciel l’était, des
lunettes posées sur son nez retroussé. Il était fourré dans son écharpe. Après tout, le
froid avait conquis la nuit presque aussi vite qu’elle était tombée. L’hiver était bel et
bien présent. Elle marchait, jetant des regards aux quelques sans-abris recroquevillés
sur eux-mêmes, au coin d’une rue. Ils devaient mourir de froid.
1h23. Les pieds traînants, cela faisait une vingtaine de minutes qu’elle marchait,
sans réel but, sans but précis. Tout ce qu’elle savait, c’est qu’elle avait besoin de
prendre l’air, parce qu’elle n’en pouvait plus, encore une fois. Marre de la vie
quotidienne. Marre du métro/boulot/dodo. Marre des plats réchauffés. Marre du
ménage pas fait. Marre des atrocités qui se déroulent dans le monde. Marre des téléréalités qui bouffent le cerveau des pré-pubères manquant d’éducation. Marre des
séries pas traduites. Marre du peu d’argent qu’elle touchait pour tout ce qu’elle faisait
pour son patron. Marre de la pitié qu’elle recevait tous les jours. Tout ça avait eu
raison de la jeune rousse. La vingtaine et déjà elle voulait être à la retraite et se
reposer pour le restant de sa vie. Le début de la vie active et déjà, tout ce dont elle
rêvait c’était de s’allonger et de ne plus jamais bouger : procrastiner.
1h41. Le centre-ville. Le Raven. Théâtre de leur première rencontre.
Elle l’avait repéré dans un coin du pub où elle était allée un soir, pour se changer les
idées après une journée qu’elle aurait aimé ne jamais vivre. C’était tellement cliché.
Un verre, un regard, une discussion, du sarcasme, un sourire de la part de l’autre, un
regard blasé, un au revoir, un deuxième rendez-vous, une autre discussion, un
sourire, un baiser, un au revoir, un troisième rendez-vous, et ainsi de suite. Elle aurait
aimé ne jamais l’avoir rencontrée, cette personne. Si seulement elle avait su ce qui
allait se passer par la suite, jamais elle ne serait sortie de chez elle.
Elle se souvenait. Le Raven était encore ouvert à cette heure tardive, bien
évidemment. Les poivrots y étaient encore présents, saouls comme des pots,
absolument pas en état de rentrer chez eux. C’était comme ça qu’elle avait fini la
première fois, en quelque sorte. La rousse avait passé une journée horrible. Son boss
l’avait martyrisée, encore plus que les précédentes années, elle avait déchiré ses
collants, ses dossiers n’avaient pas été rendus à l’heure, elle était tombée malade, le
bus ne l’avait pas attendue, elle avait dû rentrer à pied sous la pluie… Enfin, une
journée pourrie à souhait. Et elle avait juste voulu se changer les idées. Elle avait
donc fini dans ce pub, avait commandé un verre d’alcool et s’était assise au bar, la
tête appuyée contre sa main gauche, le verre dans la main droite. Elle jouait avec la
paille. Jusqu’à ce que quelqu’un s’assoit à côté d’elle.
« La même chose que la rousse, Fred. ». Elle s’en souviendrait toute sa vie. Sa voix
grave mais pas trop, le ton qu’il avait utilisé, trop sûr de lui, hautain. Le fort caractère
de la jeune fille la poussa à répondre presque automatiquement. « J’ai un prénom,
connard. ». Elle avait haussé les sourcils, inspiré un grand coup et s’était levée, tant
bien que mal, après avoir fini d’une traite le contenu de son verre. Elle n’aurait pas
dû lui répondre comme ça. Peut-être que ça lui aurait empêché d’être suivie et
d’avoir une conversation des plus ennuyantes avec un individu qu’elle ne supportait
déjà pas au premier regard, mais qui allait prendre une grande importance dans sa
vie. Il serait même trop important.
2h21. Elle continuait de marcher, et quelque chose la fit aller vers ce pub. Peut-être
qu’encore une fois, c’était une habitude. Quand elle n’allait pas bien, elle avait
l’habitude de se balader et de finir dans un endroit X, un endroit différent à chaque
fois. Mais cette fois-ci, elle avait terminé au Raven. Dans le bar. Assise à la même
place. Commandant la même chose. Ayant la même position. Cherchant du regard la
même personne. La même personne qu’elle avait rencontré un soir. La même
personne qui l’avait abandonnée au moment le plus compliqué de sa vie.
2h25. Elle ne savait pas quoi faire. Elle jouait avec son verre, les yeux perdus dans
le vide. Une quantité impressionnante de choses lui traversait l’esprit. Cette nuit était
vraiment la pire qu’elle avait vécu depuis un bout de temps. Des flash-back lui
revenaient. Des souvenirs qu’elle aurait largement préféré oublier. Des flash-back la
montrant elle, et lui, s’amusant, après quelques rendez-vous car ils avaient appris à
se connaître. Il s’était avéré que le brun n’était pas du tout quelqu’un de hautain, et
qu’à sa surprise, Naël n’était pas un connard.
2h31. Pourquoi l’avait-il laissée ? Abandonnée ? C’était si égoïste de sa part.
Tellement, tellement, égoïste. Il aurait dû se battre pour elle, se battre et survivre. Il
n’aurait pas dû la laisser de la sorte, livrée à elle-même dans ce monde de brutes.
Depuis qu’ils s’étaient adressés la parole la toute première fois, le garçon s’était
donné pour mission de la protéger de tout ce qui pourrait la blesser. D’absolument
tout. Mais il n’avait sûrement pas planifié ça. Il ne s’était sûrement pas dit que ce
serait lui, la cause de son plus grand mal-être. Il ne s’était sûrement pas dit qu’à la
fin, sans lui, elle ne serait plus rien. C’est impossible à prévoir. Inattendu,
imprévisible.
2h48. Elle avait atteint le fond du gouffre dans lequel elle était tombée quelques
mois plus tôt. Juliette enchaînait les verres, les uns après les autres. « Boire pour
oublier », non ? Elle voulait effacer chaque souvenir de Naël qui peuplait son esprit,
sa mémoire. Elle ne voulait plus rien avoir à faire avec lui, ou avec qui que ce soit,
d’ailleurs. Elle voulait être seule, finir comme les poivrots qui étaient présents au
Raven, et s’écrouler. Le poids de la tristesse était trop lourd pour les frêles épaules
de la rousse. Elle ne pouvait plus être forte dorénavant. Elle avait été « la fille
courageuse » trop longtemps, avait subi la pitié, les condoléances, les tapes dans le
dos, trop longtemps. Elle voulait juste rentrer chez elle, et ne plus jamais se relever.
3h01. Septième verre, les jambes qui tremblent, la vue qui se trouble, et pourtant,
elle buvait encore. Elle était déterminée à tout oublier, la pauvre fille. Les larmes
commençaient à ruisseler sur ses joues, elle n’en pouvait plus. Tout était fini. Sa
rencontre avec Naël l’avait achevée. Peut-être qu’elle avait eu raison de mal lui parler,
au premier abord. Peut-être qu’elle avait eu raison de l’insulter. Peut-être qu’elle
aurait vraiment dû le repousser. Que des suppositions qui ne la mèneraient nulle
part, maintenant. C’était beaucoup trop tard… Que ce soit pour Juliette, ou lui. Trop
tard pour la protéger, trop tard pour le sauver. Elle ne savait pas quoi faire, à
nouveau. Vautrée sur le comptoir, elle entendit quelque chose. Quelque chose qui la
fit se relever presque automatiquement. Quelque chose qui lui redonna espoir. Une
lueur d’espoir. Comme apercevoir de la lumière dans l’obscurité. Comme de la pluie
en pleine sécheresse.
« La même chose, Fred. »