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S
Bibliographie
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loup e
a
l
s
ou
L’argent qui part
en fumée
Juin
2015
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•Smith, B.D., Some Colonial Evidence on Two Theories of Money : Maryland and the Carolinas, in
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Musée temporaire
de la
Banque nationale de Belgique
Depuis sa découverte en 1492 par Christophe Colomb, le tabac est devenu un élément
important de notre société. Si ses méfaits pour la santé sont aujourd’hui bien connus, il
fut d’abord considéré comme un médicament avant de devenir un symbole de liberté et
d’un style de vie incarné, entre autres, par le célèbre cow-boy Marlboro. Ce que beaucoup ignorent, c’est que le tabac a également servi de moyen de paiement à différents
moments de l’histoire…
Au cours des XVIIème et XVIIIème siècles,
une pénurie de monnaie métallique
sévissait dans la plupart des colonies du
« Nouveau-Monde » qui étaient très dépendantes de l’Europe pour leur approvisionnement. Le troc était donc le principal
moyen d’échange entre les colons. Très
vite, certains biens s’imposèrent comme
Esclaves noirs dans une plantation de tabac de Virginie au XVI
moyens de paiement : en fonction des
siècle © University of North Carolina
régions, on payait plutôt en farine, en
maïs, en bétail ou… en tabac. Cultivé dès la fin du XVIème siècle, le tabac était en effet
la principale culture des colonies du Sud comme la Virginie ou le Maryland. En 1642, il
obtint même un statut légal en Virginie où il pouvait être utilisé pour payer des loyers, des
amendes ou encore des biens importés d’Europe. Ce tabac était stocké dans de grands
entrepôts et, à partir de 1713, on vit apparaître des tobacco notes, du papier-monnaie
émis par ces entrepôts et garanti par le tabac qu’ils avaient en réserve. Ce système, également adopté par le Maryland en 1747, resta en place pendant plus de 150 ans.
ème
H I S T O I R E S D ’A R G E N T
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Il existe deux inconvénients majeurs à l’utilisation de produits agricoles (tel le tabac)
comme moyens de paiement : leur durée de vie est limitée et leur qualité varie grandement. Pour contrer le premier, la validité légale des tobacco notes fut limitée à 18 mois.
Le second posa le plus de problème durant le XVIIème siècle car les dettes étaient systématiquement payées avec le tabac de la plus mauvaise qualité. Avec l’apparition des entrepôts, un système d’inspection fut mis en place et seuls les inspecteurs furent autorisés à
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émettre les tobacco notes. Certains étant
plus consciencieux que d’autres, le prix du
tabac et le cours des billets pouvaient dès
lors varier en fonction de la réputation
de l'inspecteur. Si l’utilisation du tabac
comme monnaie fut la plus développée
Tobacco note de 1771 © Colonial Williamsburg Foundation.
en Virginie et dans le Maryland, il eut également une telle fonction dans d’autres colonies américaines ainsi que sur certaines îles
des Caraïbes, au Brésil et même en Océanie.
Au cours du XIXème siècle, cette utilisation disparut avec l’avènement du papier-monnaie
officiel, pour réapparaître durant la Seconde Guerre mondiale. Les soldats alliés recevant
des cigarettes dans leur ration de combat, une grande majorité d’entre eux étaient devenus dépendants à la nicotine. Dans un célèbre article, R.A. Radford, un étudiant en économie de l’Université de Cambridge parti se battre et capturé par les Allemands en 1943,
raconte l’émergence d’une économie de marché basée sur la cigarette dans son camp
de prisonniers de guerre en Bavière. Il y décrit comment la cigarette passa du statut de
simple objet à celui de monnaie et comment les prix réagissaient à divers chocs extérieurs.
Ainsi, un retard dans l’approvisionnement en nourriture ou l’introduction de cigarettes de
moins bonne qualité pouvaient faire augmenter les prix. Etant donné que les cigarettes
étaient détruites de manière régulière lorsqu’elles étaient fumées, le stock de monnaie
restait relativement stable, ce qui permettait d’éviter l’inflation. Même les non-fumeurs
acceptaient de se faire payer de la sorte car ils étaient sûrs de pouvoir trouver par la suite
quelqu’un à qui échanger leurs cigarettes.
Cependant, l’utilisation du tabac comme
moyen de paiement au XXème siècle ne se limite pas à ce cas précis. Dans les mois et les
années qui suivirent la fin de la guerre, plusieurs économies européennes fonctionnèrent
sur un système de troc de manière plus ou
moins poussée. Dans de nombreux cas, la
cigarette servit d’intermédiaire dans les transactions. Ce fut le cas en Autriche, en Italie ou
aux Pays-Bas mais l’exemple le plus important
est celui de l’Allemagne où le troc représentait
entre un tiers et deux tiers des transactions
entre 1946 et 1948.
Entre 1936 et 1946, la masse monétaire avait
été multipliée par 10 en Allemagne alors que
la production avait baissé de moitié. En temps
normal, cela aurait dû engendrer une forte in-
Sous la loupe
flation qui n’est pas apparue grâce aux politiques de contrôle des prix et de rationnement.
Cependant, les rations officielles n’étant pas suffisantes, un marché noir apparut, sur
lequel le prix des biens pouvait être beaucoup plus élevé que le prix officiel. Ainsi, le prix
du beurre, du sucre, du café ou de la farine y était jusque 100 fois plus élevé ! Une telle
pratique était considérée par une grande partie de la population comme quelque chose
de honteux et la plupart des gens préférèrent échanger leurs biens plutôt que de payer
ces prix exorbitants. Le refus d’utiliser le Reichsmark ne découla donc pas de sa dépréciation mais bien de la diminution de son utilité comme moyen d’échange.
Du fait des limitations inhérentes au troc (notamment la double coïncidence des besoins), certains biens s’imposèrent rapidement comme nouveaux moyens de paiement,
dont la cigarette qui semble avoir joué un rôle prépondérant dans cette nouvelle économie. Cette dernière présentait en effet certaines caractéristiques intéressantes pour
pour faire office de monnaie : la forte
demande des fumeurs garantissait son
acceptabilité et elle convenait tant aux
petits qu’aux grands achats, payés en
paquets entiers. Une cigarette pouvait
dès lors être échangée une centaine de
fois avant d’être finalement fumée. Les
principaux fournisseurs furent les soldats
américains qui en recevaient dans leur
ration mais qui s’en faisaient également
d'une marque de tabac durant la Seconde Guerre
envoyer par leurs proches. En 1947, plus Publicité
mondiale © Nationaal tabaksmuseum Wervik
de 95 % des colis envoyés depuis les
Etats-Unis contenaient en effet des cigarettes. En les revendant ou en les échangeant
sur le marché noir, ceux-ci pouvaient réaliser d’énormes bénéfices. Ainsi, à Berlin, avec
quatre paquets de cigarettes achetés à moins d’un dollar, il était possible de se payer les
services d’un orchestre pour toute une soirée. Les cigarettes avaient tellement de valeur
que certains entrepreneurs eurent l’idée de collecter les mégots jetés par les américains
à la sortie de cinémas et de cafés afin de fabriquer de nouvelles cigarettes avec les restes
de tabac.
Finalement, un dernier exemple de l’utilisation de cigarettes comme moyen de paiement
provient de la Roumanie des années 80 où la marque Kent était utilisée pour toutes
sortes de transaction. Les Kent étaient les seules acceptées et le prix d’un paquet pouvait
atteindre quatorze dollars sur le marché noir, rendant ces cigarettes beaucoup trop chères
pour être fumées par la population. Elles étaient donc échangées jusqu’à ce qu’elles soient
trop abîmées et une grande partie ne fut jamais fumée. Néanmoins, leur possession était
un signe de richesse dans ce pays où la pauvreté était omniprésente…
Billet de 12 shillings du New Jersey de 1776 figurant une
feuille de tabac au verso © Musée de la Banque nationale
Ludovic Bequet
Guide du Musée
Juin 2015

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