CONSTRUCTION DE LA XENOPHOBIE EN ITALIE 1 intervenante
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CONSTRUCTION DE LA XENOPHOBIE EN ITALIE 1 intervenante
CONSTRUCTION DE LA XENOPHOBIE EN ITALIE 1ère intervenante Linda Di Matteotti La xénophobie italienne est le fait d’une ethnicisation du territoire (tout comme pour l’Ex-Yougoslavie), d’une volonté de faire coïncider un groupe ethnique avec un territoire donné (couleur, langue), créant des différences entre groupe minoritaire et groupe majoritaire. La Ligue du Nord, depuis 20 ans, est devenue le principal locuteur de la xénophobie. Elle exploite les tensions entre les habitants et les nouveaux arrivants. A partir de 1980 en effet, l’Italie devient une société multiculturelle. La Ligue, parti politique fédéraliste et régionaliste, profère des discours violents mais soutenus par des légitimations institutionnelles. Cependant, les mouvements qu’elle entraîne ne sont pas violents (volonté des dirigeants de contrôler cette violence) mais les manifestations de masse n’en sont pas moins impressionnantes. Elle s’enracine dans les provinces préalpines. Ces régions sont marquées par l’intransigeance catholique, intransigeance née de l’occupation autrichienne. La Ligue est en réalité une fédération de mouvements autonomistes qui tiennent un discours sécessionniste, en particulier entre 1986 et 2001. Elle a récemment été au pouvoir entre 2006 et 2011. A l’origine, le nationalisme italien se développe en réaction à la campagne de Bonaparte (révolutions). Le drapeau italien fait alors son apparition (très proche de celui français mais avec la couleur verte, symbole de l’espérance). Le nationalisme italien se développera progressivement sur le modèle français. La Ligue revendique une identité antieuropéenne et le discours autonomiste du nord se développe à l’encontre du Mezzogiorno (sud de l’Italie). Un discours xénophobe à l’encontre des italiens immigrés l’alimente. Une première vague d’émigration a lieu en 1890 vers la Vénétie (nord-ouest de l’Italie). La deuxième vague d’immigrés afflue après la Seconde Guerre mondiale en Italie méridionale puis progressivement vers le centre. La troisième vague a lieu actuellement. L’anti-méridionalisme a été théorisé par un Sicilien et tend à partager l’Italie en deux : celle du nord et celle du sud. La théorie établit une distinction entre deux races : l’une aryenne et l’autre sémite. Cette théorie est notamment à l’origine du phénotype criminel. Les communautés juive et italienne ont principalement nourri ces discours racistes. [La mafia en est une menace concrète.] Les discours de la Ligue sont prophylactiques : ils attribuent des qualités intellectuelles et morales à la population du nord en pointant la dégénérescence du sud. Pour la Ligue, la population locale doit être protégée avant celle nationale. Les Italiens distinguent le racisme impérialiste/colonialiste et le racisme différencialiste xénophobe ou d’exclusion. La Ligue est antifasciste mais professe le racisme xénophobe en défendant l’identité locale « contre les éléments étrangers qui en altèreraient » la qualité. L’observateur remarquera que ces discours différencialistes remplacent aisément et sans bruit les discours fascistes. Les Ligues sont très présentes sur le terrain et en particulier dans les stades. La violence contrôlée et dominée, le refoulement de la brutalité prend fin lors de l’affrontement de deux équipes de foot. Le match de football devient l’occasion de défendre son territoire. En instaurant une égalité entre les équipes, battre une équipe (ce qui signifierait symboliquement la «tuer») rétablirait l’inégalité sociale d’un groupe (Lévi-Strauss). Le modèle du stade devient un modèle politique et social plus intelligible que les débats politiques purs. La Ligue conserve des relations très étroites avec le Carnaval : la violence xénophobe qui s’y exprime est une violence figurée, « pour rire »; cette violence ritualisée, en partie jouée et contrôlée, n’en est pas moins réelle. Le Carnaval est un événement ambigu où la relation entre l’« étranger » et le local est en partie recousue mais sans pour autant savoir si cela profite aux discours xénophobes ou à l’inverse désamorce la violence sociale. Ouvrons une parenthèse pour rappeler toutefois que les premiers carnavals fascistes se déroulent à Milan, cette violence carnavalesque se tournant rapidement contre l’ « étranger » (gitans juifs). La parenthèse est refermée. Ces discours xénophobes ont besoin de se créer un « ennemi » qui focalisera l’hostilité pour créer la communauté locale (notamment à travers le football), une communauté de sang. Si l’on écoute les supporters, certains parlent de « sang noir », « sang bleu » en référence aux couleurs de l’équipe. La communauté est donc à refonder car elle exprime la nostalgie d’un passé perdu. De plus, à Bergame, ville du nord de l'Italie, on remarque qu’il est très important qu’il n’y ait aucun conflit à l’intérieur même de la communauté et du territoire, force des Ligues (La Ligue et le Parti Chrétien réunissent près de 70 % des voix aux élections locales). Enfin, tous ceux n'adhérant pas à ces idées sont considérés comme « portant la discorde ». Dans le sillage du « mai 68 » français, durant les « années de plomb », beaucoup de groupes gauchistes se voient dissous et se recomposent en partie en groupes terroristes, commettant des attentats. L’attention est alors portée principalement sur ces groupes d’extrême-gauche qui créent un désordre et la plupart des attentats leur sont associés. Mais on confond trop souvent la part prise par les groupes d’extrême droite dans ces attentats. Et le pays de Bergame, très catholique, n’échappe pas à ces logiques. Et les anciens actants n’hésitent pas à revenir sur l’Histoire, voire à falsifier les faits. Tous ces éléments renvoient à la guerre civile de septembre 1943 à mai 1945 durant laquelle les résistants ont été perçus comme des terroristes. Un point d’histoire s’impose. En 1943, le roi Victor Emmanuel III décide de s’allier aux Américains. Le choix est alors précis pour les Italiens : suivre le roi ou Mussolini. Ce choix déterminera leur appartenance à la Résistance ou au Parti National Fasciste italien. Les Italiens sur le front de l’Est s’échapperont ou seront massacrés. Certains adhèrent alors de nouveau à la République de Salo de Mussolini. La guerre civile est alors très violente (1943 – 1945), les violences et les assassinats perdureront jusqu’en 1948-1949. Tous ces événements ont évidemment un impact dans le présent. Et ce n’est pas un hasard si les villes qui votent majoritairement pour la Ligue sont fascistes (pangermanistes)… CONSTRUCTION DE LA XENOPHOBIE EN FRANCE (du XVIIIème siècle à 1945) SOPHIE WAHNICH Pour commencer, soulignons que le simple fait d’être député, maire ou président originaire d’une ancienne colonie française est encore un rêve presque considéré comme « volontairement inaccessible », il y a donc un déficit français extra-européen et la France n’arrive décidément pas à passer cette barrière. Tentons d’éclairer ce barrage. Dans chacun des régimes français successifs, il y a des poussées contradictoires sur les manières de considérer ces types d’étrangeté. En tout cas, les idées divergent. Au XIXème siècle, on assiste à l’« aristocratie de l’épiderme ». Au moment où l’on colonise du côté américain, les colons sont essentiellement des hommes qui acceptent le métissage avec la population locale. La catégorisation se fait entre l’homme libre/non-libre plutôt qu’entre l’homme noir/blanc. Le Code Noir de 1785 autorise le mariage entre une femme noire et un grand planteur, leurs fils seront alors reconnus comme des colons. Les aristocrates sont alors pour beaucoup métissés et non différenciés des blancs. Dans les années 1720, les colons inventent la notion de « libre de couleur » (noirs et métis libres et non esclaves), ainsi est aussi inventé l’idée de la « macule servile ». Très vite est remise en question la possibilité d’être libre de couleur. Toute une série d’interdictions en émergent (fermeture aux catégories bourgeoises). Sera par la suite dressé un véritable tableau botanique, inventé pour connaître la description de tous les fruits des mélanges possibles entre les hommes, tout juste sortis de l’imagination. Par ailleurs, le système esclavagiste ne fonctionne plus très bien : les Africains deviennent moins coopératifs. Dans ce contexte apparaît la « Société des Amis des Noirs » (créée en 1788 avec pour but l’abolition immédiate de la traite des noirs mais non de l’esclavage). Des idées plus ou moins philanthropiques émergent contre la traite des noirs. Dans le même temps, les investisseurs se rendent compte qu’il est finalement plus rentable de les élever sur la plantation : il faut faire cesser la traite, la maltraitance. Ces dernières idées sont portées pas Mirabeau, Lafayette et Condorcet mais restent limitées dans leur rapport à l’esclavage. Sieyès a alors une imagination terrifiante : pour ne plus avoir à se soucier des esclaves, il propose de croiser les singes avec les noirs pour avoir directement affaire à des animaux. C’est dire s’il était en avance sur son temps… A partir de cette hiérarchisation se met en place l’imaginaire du « néo-blanc ». Ce dernier peut alors effacer la macule servicale : le métissage doit aller vers le blanc. Cette progression vers le blanc par unions n’a rien à voir avec les affinités électives, il s’agit tout simplement de « blanchir » sa progéniture. Cet imaginaire est encore présent aujourd’hui. Le racisme a donc été, mécaniquement, inventé. Ce mythe du « néo-blanc » soulève une levée de boucliers. Une avalanche d’interdictions dégringole. Les « libres de couleur » sont expulsés de l’armée. Ils sont désormais considérés comme une ethnie spécifique et doivent obligatoirement donner des noms noirs à leurs enfants à partir de 1773. En 1776, ils perdent le droit d’être appelé M. ou Mme, puis ne peuvent plus porter la « culotte » et ils sont censés être constamment aimables et polis. Comme si cela ne suffisait pas, on leur demande de maintenir l’ordre esclavagiste. Un certain nombre de libres de couleur décident alors de partir en métropole où cette « aristocratie d’épiderme » n’existe pas. Ils tentent d’entrer en relation avec la cour (le Ministre de Castries fait entrer des libres de couleur dans l’armée qui soutient désormais leur cause et lorsqu’il réorganise la défense de Mascareignes, il autorisera ses officiers à se marier avec des créoles). De Castries est pour l’abolition de l’esclavage. Il affirme qu’il est interdit de traiter les esclaves comme des choses et interdit de tuer tout homme (sous peine d’incapacité de détenir des esclaves). Est alors reconnue la qualité « humaine » des esclaves. Mais un lobby monté contre De Castries l’accuse de « despotisme ministériel ». Il doit démissionner en août 1787. D’importants conflits se poursuivront entre De Castries et La Luzère qui est pour l’esclavage. Au moment de la Révolution française, les colons blancs demandent à être représentés aux Etats Généraux, ils n’y seront pas. Mais leurs lobbies auprès des financiers et négociants créent un club au moment où l’Assemblée constituante est créée (club de Massiac et Arouet) qui obtient la représentation des colons blancs. Or ces individus sont perçus comme représentant les blancs et non les îles. Grégoire, Robespierre, Mirabeau les aideront à présenter leurs idées mais le lobby du club Massiac inverse tout à coup la tendance : il y a désormais danger à représenter les îles à l’Assemblée Constituante. Ils n’obtiendront de nouveau la représentation qu’en 1792. Les colons fabriquent alors des assemblées où ils sont seuls représentés. Le droit ne sera pas appliqué dans les colonies (Mirabeau et Robespierre s’opposent à cette alternative). Il s’agit d’une décision de taille et pour prendre la mesure de l’événement il suffit de constater que l’esclavagisme continue dans les colonies, violant l’Article 1 qui l’interdit en principe. Dans les îles, une épreuve de force s’est engagée entre les libres de couleurs et les colons blancs. Les libres de couleur seront décapités. Très vite, la situation s’aggrave. L’exemple le plus connu de l’émancipation des noirs se situe à Haïti. La révolution a eu de nombreuses répercussions dans l’île. En 1791, les esclaves de la plaine du Nord se révoltent et s’allient aux espagnols en 1793 pour renverser les français esclavagistes. A la tête d’une troupe de plus de 3000 hommes (noirs, libres de couleur et quelques blancs), Toussaint de Bréda remporte rapidement des batailles décisives, on le surnomme dès lors « Louverture ». Il sera par la suite le premier général noir de l’armée française. Un nouveau drapeau est alors inventé avec un noir, un blanc et un métis qui représente l’égalité de l’épiderme en adéquation entre les Droits de l’Homme et les îles. L’idée d’abolir l’esclavage revient en février 1794. Les choses ne sont pas acquises pour autant puisqu’ encore une fois, on assiste au revirement de l’opinion. Thermidor et le Directoire sonnent le retour de l’inégalité. Les colonies deviennent alors des sortes de sous-territoires contrôlés par la métropole. Toussaint Bréda (ou Louverture) maintient l’abolition mais développe une république « noire » avec une métropole « blanche ». Ces représentations ne s’effacent pas complètement du corps des sociétés. Par la suite, il n’est pas inutile de mentionner que la période sera napoléonienne et non robespierrienne. Napoléon rétablira en effet l’esclavage dans la loi du 20 mai 1802 qui est en réalité un retour pur et simple sur les principes de la loi du 4 février 1794 qui avait aboli l’esclavage. Le propre de la période moderne est d’avoir congédié, par la Révolution française, la prétendue « lutte des races », entre conquis et conquérants. L’abbé Sieyès, dans son génie visionnaire, fondait l’opposition entre une aristocratie d’origine germanique qu’il voulait « renvoyer dans les forêts de la Franconie » et le Tiers-Etat d’origine gallo-romaine, « race des conquérants ». Cette « lutte des races » revient ainsi sous une nouvelle forme, la « lutte des classes » sociales. « Une race peut en altérer une autre ». Cette phrase terriblement perverse dont nous connaissons les conséquences se répand à l’époque parmi les républicains autour de Ernest Renan qui pensent que la race française peut être altérée par les sémites. Les antirépublicains accusent alors la république d’être sémite, accusée d’avoir trop de racines avec la révolution française (« juif Marat »). L’affaire Dreyfus éclate. On s’indigne alors d’avoir des juifs dans l’armée. Ces idées contribuent largement à fabriquer des idéologies racistes. De plus, les institutions de la IIIème République sont calquées sur celles du Directoire (1795) donc sur l’inégalité métropole/ailleurs. Jusqu’en 1945, la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ne semble pas avoir fait beaucoup de chemin puisque les idéologies racialistes prospèrent. L’histoire de la Vème république est liée à la décolonisation mais ceux qui la soutiennent en proposent la citoyenneté aux membres des pays qui s’uniraient délibérément à la France créent par là de nouveau un vaste empire (Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques). De Gaulle s’appuiera sur cette idée pour pouvoir faire accepter l’idée un exécutif supérieur au législatif avec la décolonisation. Gaston Monnerville, président du sénat, incarne alors la manière de réinstituer la représentation nationale comme une représentation métropolitaine. L’aristocratie de l’épiderme reprend encore le dessus donc sous la Vème république. C’est d’ailleurs pour cette raison, entre autres, que le suffrage universel est accepté en 1962 lors du référendum à 62 %. Jules CHANCEL Le 17 septembre 2012