Centres d`appels : quand la politique s`en mêle

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Centres d`appels : quand la politique s`en mêle
Centres d’appels :
quand la politique s’en mêle
Les élus sont très sensibles aux emplois qu’une industrie génère, si possible dans leur canton.
Mais cet intérêt de court terme a laissé place, depuis 2004, à une démarche plus structurée.
DR
L
a photo est éloquente.
Et ce n’est pas un
montage. Quelle implantation d’entreprise, quelle usine aéronautique
ou sidérurgique réussit à
regrouper sur le même cliché,
l’épouse d’un ancien président
de la République, un président
du conseil général, un préfet et
le PDG d’une entreprise ? Il s’agit
simplement d’un centre d’appels,
celui de Coriolis Service, à SaintAugustin, en Corrèze.
Après avoir été longtemps frappés
de cécité, élus locaux et ministres
de tous bords ont commencé, à la
fin des années 2000, à découvrir
que cette fameuse industrie des
services clients générait souvent
la création « d’usines » propres,
technologiques et fortement créatrices d’emplois. Il a fallu du temps.
Peut-être parce qu’en France, pays
de grands ingénieurs, une usine
sans grosses machines ou chaînes
de fabrication, qui fabrique du
service… cela ne semblait pas très
TRÊVE
Bernadette Chirac et
François Hollande unis
pour l’inauguration
d’un site Coriolis Service
en Corrèze.
sérieux ? D’autant, persiflaient à
l’époque les mauvaises langues,
que les emplois ne seraient que
des CDD. Pourtant, la réalité s’est
avérée différente. Les platesformes téléphoniques ont poussé
comme des champignons. Les élus
UNE MISSION AU SERVICE DE L’EMPLOI DURABLE
DR
C
réée fin 2008, la Mission nationale de la relation
client est présidée par Fabrice André, ex-directeur de la relation client chez Orange. Elle a
vocation à mener des projets innovants de formation,
de développement concerté de la filière, notamment
en structurant et accompagnant les projets locaux.
Cette mission, financée par l’État et les régions, a créé
un observatoire du secteur et, récemment, un nouveau
référentiel des métiers. Elle a aussi organisé les Assises
de la relation client. Depuis l’an dernier, cette mission
est passée à un stade de réalisation concrète : nouvelles
formations spécialisées, communication intensive auprès
du grand public pour faire connaître les métiers…
Fabrice André, président de la MNRC.
les plus véloces ou perspicaces ont
alors rivalisé de talent pour attirer
ces nouveaux acteurs dans leur
fief. À Raon-l’Étape, pour Christian
Pierret, ex-secrétaire d’État à
l’Industrie ; à Troyes pour François
Baroin ; au Puy-en-Velay pour
Laurent Wauquiez ; à Amiens pour
Gilles de Robien. Ces mêmes élus
ont ensuite crié au scandale
lorsque le secteur a commencé à
délocaliser. En 2004, Nicolas
Sarkozy, alors à Bercy, puis JeanLouis Borloo, se sont emparés du
sujet. Ils ont imaginé un plan
d’action pour permettre à la filière
de télé-services de se professionnaliser et de pérenniser des
emplois sur le territoire. L’idée
était de permettre au pays de créer
une alternative crédible à l’offshore
où menaçait de s’exiler une grande
partie des acteurs. Parmi les
actions imaginées, deux ont ●●●
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PLONGÉE AU CŒUR D’UNE INDUSTRIE MONDIALISÉE
Outsourcia s’installe à Évreux
rencontré un vif succès : le
label de responsabilité sociale et
la création de la Mission nationale
de la relation client (MNRC).
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Le conseil général de l’Eure se plie en quatre pour faciliter
l’installation d’un centre d’appels.
Jean-Louis Destans,
Les services pourraient
créer plus d’emplois
Vous avez récemment accueilli sur votre
territoire un nouveau centre d’un
prestataire spécialisé en centres d’appels.
Cela a-t-il modifié votre perception du
secteur ?
Avant l’arrivée et le développement d’Outsourcia à Évreux, nous
comptabilisions une dizaine de centres de relations clients dans l’Eure :
Phone Avenir qui salarie environ 1 200 personnes à Dinexis, Éditions
Atlas, Atlas for Men, CPAM, Urssaf, Jeulin ou encore Hoya. Tous ces
centres sont très liés à la vente à distance. Le développement d’Outsourcia
nous permet de confirmer notre image dynamique sur la filière relation
clients. Au-delà des qualités propres de cette entreprise, nous avons été
séduits par un aspect primordial pour nous : la part importante d’emplois
réservés aux personnes éloignées de l’emploi, à savoir chômeurs de
longue durée et handicapés. C’est clair, nous sommes mobilisés pour
faciliter l’implantation de ce type d’activités. Le secteur, particulièrement
touché par la crise, dispose pour autant d’un fort potentiel de développement. Je ne fais pas partie de ceux qui opposent l’industrie aux
services. Il y a des passerelles et des synergies à créer entre ces deux
grands champs économiques pour promouvoir la croissance locale.
C’est Youssef Chraibi, jeune chef d’entreprise « marocofrançais », formé notamment dans une grande école française,
qui a co-fondé, avec Franck Polizzi, Outsourcia au Maroc, avant
de la développer en France. Y voyez-vous le signe que les lignes
ont bougé dans le secteur ?
Cette implantation illustre à mes yeux une forme de renversement de
l’équilibre Nord-Sud dans les échanges économiques, avec une montée
en puissance du Maghreb en particulier. Le fait qu’Outsourcia ait construit
ses premiers centres au Maroc avant d’essaimer sur notre territoire
montre que nos partenaires d’Afrique du Nord sont capables de jouer
leur partition dans le concert économique européen et de créer de
l’emploi. Ce dont je me réjouis.
Du recrutement à la formation, l’accompagnement RH est
stratégique pour réussir la création d’un centre d’appels. Quels
soutiens Évreux a-t-elle apporté au projet ?
En 2007, Eure Expansion, en collaboration avec la Maison de l’emploi
d’Évreux, a participé à la journée régionale de la relation clients sous
l’égide de la Cité des métiers. Les publics en recherche d’emploi et les
étudiants susceptibles de travailler dans ces métiers ont pu assister à
la présentation des professions de la relation client et visiter des
centres. En 2009, la Haute-Normandie a été choisie par l’État comme
région pilote pour les métiers de la relation client. Une mission nationale
de la relation client s’est alors mise en place en région en vue de créer
un groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ)
orienté relation clients (en cours de réalisation) et une Gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) à destination
des centres de relations clients. ●
H. C.
« Les
politiques
pensent
que les métiers
de services
sont peu
délocalisables,
ce qui est faux
pour une partie
d’entre eux »
DR
À l’instar de la filière des centres
d’appels, le secteur des services
pourrait créer encore plus d’emplois en France. Récemment,
Françoise Gri, présidente de Manpower France, et Gilles Pélisson,
du Groupement professionnel des
services, relevaient deux faits
pouvant expliquer le relatif manque
d’intérêt des politiques pour la
filière des services. « Les politiques
pensent que les métiers de services
sont peu délocalisables, ce qui est
faux pour une partie d’entre eux.
La banque de financement… la
paie, l’infogérance, les services
client le sont […]. Les réseaux
d’aide à l’export doivent s’investir
davantage, mais aller vendre un
hôtel, ça fait moins rêver que
vendre un Rafale ou un Airbus…
Les politiques se passionnent pour
le Salon de l’agriculture, c’est bien.
Mais depuis quand un président
de la République n’est-t-il pas venu
au Salon du tourisme Top Résa ?
Outre-Rhin, Angela Merkel visite
l’équivalent allemand de ce grand
rendez-vous. » ●
H. CAUFIELD
Président du conseil général de l’Eure
›
PORTE-PAROLE
Comme beaucoup d’élus,
Nathalie Kosciusko-Morizet
s’est intéressée au
« vivier d’emplois » des
centres d’appels,
tel celui de B2S, au Mans.
›
DR
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