La vérité si je mens
Transcription
La vérité si je mens
CULTURE 35 jeudi 21 janvier 2016 La vérité si je mens Actualité brûlante et stars à Sundance La vérité m'appartient – prix du Concours littéraire national en 2013 – raconte, dans une série de face-à-face entre interrogateurs et interrogés, l'histoire de cet affrontement sans concession et de la difficile quête de la vérité durant les années troubles d'après-guerre. De notre journaliste Grégory Cimatti 'année dernière est sorti L'Imposteur, roman rappelant l'extraordinaire mystification d'Enric Marco. Pendant un quart de siècle, cet homme a porté la parole des anciens déportés espagnols. Jusqu'à ce que l'imposture éclate au grand jour : il n'a jamais connu les camps nazis. Un cas parmi d'autres qui prouve qu'il est difficile de faire la lumière sur l'après Seconde Guerre mondiale. Entre les on-dit, les règlements de comptes, les trop nombreux cas et l'absence de preuve concrète, la quête de vérité peut s'avérer laborieuse, pour peu qu'elle existe... «Chacun a la sienne. C'est une outrance que de dire le contraire», lâche Charles Muller, tout occupé à finaliser la mise en scène de La vérité m'appartient, pièce qui a obtenu le prix du Concours littéraire national en 2013. Il était alors président du jury et avait trouvé ce texte «intéressant». «Il y en avait quinze autres, tous anonymes, et celui-ci sortait largement du lot.» Une précision importante quand on sait que Nathalie Ronvaux a été son assistante dans Les Errances d'Ulysse (2009) et Médée (2014). Cette dernière avoue même que tout ce qu'elle connaît dans le domaine théâtral, elle le tient «en grande partie de Charles». > Collaboration au Grand-Duché Si le metteur en scène y voit «l'œuvre de jeunesse de quelqu'un qui devra s'affirmer dans le futur», il a été touché par sa qualité et «sa substance très valable», au point de la lire d'une traite. «Le texte aborde le chaos de l'après-guerre, les notions universelles de justice et de vérité, le tout au travers d'un langage et une procédure juridique secs.» De quoi y voir un petit air à la Ionesco, un côté «grotesque» perceptible dans l'opposition entre les «valeurs humaines et la sclérose admi- Photo : ©bohumil kostohryz L Jérôme Varanfrain, Jacques Bourgaux, Colette Kieffer et Myriam Muller : un quatuor en quête de vérité. nistrative». Mieux encore, «l'histoire est traitée de manière originale, les dialogues sont subtils et la fin est vraiment surprenante», sachant que «l'on est très souvent induit en erreur». Mais que raconte-t-elle? En Belgique, après la Seconde Guerre mondiale, deux femmes s'accusent mutuellement d'actes antipatriotiques. Un commissaire et son brigadier sont chargés de l'enquête. Durant les interrogatoires, les deux «adversaires» vont devoir se défendre et prouver leur innocence... Un face-à-face tendu entre interrogateurs et interrogés, tout en «suspense», qui met en avant la difficile quête de la vérité durant les années d'après-guerre. Et forcément, «on prend volontiers parti pour l'un ou l'autre ca- ractère», sans trop savoir où ce quatuor nous mène. Par le bout du nez, sûrement. Il faudra d'ailleurs attendre «le dernier acte» pour que ça se clarifie. Sur une scène garnie de dossiers – «près de 1 200» – et avec l'appui d'un plateau tournant, Jérôme Varanfrain et Jacques Bourgaux mènent l'interrogatoire, réclamant toujours «plus de preuves et de documents», quitte à se noyer sous la «paperasse». Les deux comédiennes (Colette Kieffer et Myriam Muller), elles, se confessent et se blâment, toutes deux questionnant avec véhémence ces «sphinx derrière leurs bureaux» : «Voulez-vous reconstruire le pays dans le mensonge?» Des questionnements sur la justice, l'intégrité, la vérité, qui font sens aujourd'hui, avec ces conflits de par le monde, allant de pair avec la publication, à un rythme régulier, de diverses recherches historiques sur la réalité des attitudes des institutions et de leurs représentants au Grand-Duché durant les années d'occupation. «On a toujours affirmé qu'au Luxembourg, il y avait eu une multitude de résistants et presque pas de collaborateurs», lâche ironiquement Charles Muller, dans un sourire entendu. Avant, à son tour, de se questionner : «Mais qu'aurais-je fait si j'avais eu 15-16 ans en 1933 en Allemagne?» Théâtre des Capucins - Luxembourg. Samedi et le 26 janvier à 20 h. Théâtre - Esch-sur-Alzette. Les 30 et 31 janvier à 20 h. «C'est un beau cadeau qu'on est en train de me faire» La vérité m'appartient (Hydre Éditions) a obtenu le prix du Concours littéraire national en 2013. Son auteur, Nathalie Ronvaux, dévoile ses sentiments avant la représentation de son texte. Vous avez obtenu le prix du Concours littéraire national en 2013 avec cet ouvrage. Vous souvenez-vous de votre état d'esprit d'alors? Nathalie Ronvaux : C'est toujours plaisant d'obtenir un prix. Pour ma part, ça m'encourage à continuer de travailler et à pratiquer l'écriture scénique. On est toujours étonné qu'un travail ait un retour positif et qu'il suscite, dans son sillage, un certain enthousiasme, même si on ne s'en rend pas compte sur le moment. C'est avec le temps qu'on découvre toutes les possibilités qu'un tel prix induit. Avez-vous ressenti son potentiel? Quand on est en train d'écrire, on essaye toujours d'être au plus juste par rapport à son texte et à ses personnages. On n'est jamais dans l'idée d'un hypothétique prix... Mon but reste toujours de faire au mieux mon travail d'écriture, avec les outils que l'on a appris. J'ai eu la chance de faire de la mise en scène et quelques assistanats dans le passé. Ça m'a beaucoup servi pour cette pièce, en tout cas. La vérité m'appartient, comme votre recueil de poésie La liberté meurt chaque jour au bout d'une corde (Éditions Phi), s'intéresse à la Seconde Guerre mondiale, motivé par une histoire personnelle, familiale. En quoi cette période vous intéresse-t-elle autant? Notre génération a la chance de connaître des grands-parents ou des personnes qui ont connu, de près ou de loin, ce conflit. Et ce qui a été quelque chose de fort pour eux est toujours tabou pour nous. Car on connaît quoi, au final, à travers cette transmission? Des non-dits et réflexions anodines qui ne nous permettent pas de saisir toute la portée du message. D'où, à mes yeux, ces nombreux artistes et historiens de ma génération qui sont fort préoccupés par ce sujet. D'ailleurs, La vérité m'appartient reste une fiction, même si je me suis bien documentée. C'est ma manière d'interpréter des choses qui m'interpellent et de faire aussi un pont avec l'actualité d'aujourd'hui qu'on ne vit pas nous-mêmes, n'étant pas dans un pays en guerre. Pour moi, avec ce texte, l'essentiel est de saisir ce qu'est un conflit, les dangers d'une dictature et l'importance de la liberté. Parlons de cette mise en scène. Dans quel état d'esprit êtes-vous avant la première, de samedi? (Elle rigole) Difficile à dire car je suis quelqu'un qui réagit sur le moment... Mais je suis impatiente de voir ce qu'il en est. Avec Charles (Muller), on a aussi pu échanger, à quelques occasions, sur des questions de dramaturgie. J'ai la grande chance de connaître les personnes qui travaillent sur cette production, dont j'apprécie le travail. C'est rassurant et un beau cadeau qu'on est en train de me faire. Mais le métier d'écrivain implique aussi le fait de se mettre d'accord avec un metteur en scène pour voir comment il va travailler avec son équipe. Il faut admettre d'être, au final, surpris. Justement, n'est-ce pas trop dur pour un auteur de "perdre" son œuvre? C'est un apprentissage... On se dévoile par l'écriture, et faire un livre, c'est, pour moi en tout cas, une à deux années de travail. Alors oui, ça peut être dur, mais ça fait partie du jeu. On le lâche pour mieux le faire vivre. Je vais redécouvrir mon texte avec un nouveau regard et émerveillement. Qu'attendez-vous de samedi? De découvrir le travail de l'équipe artistique, des comédiens. C'est d'ailleurs assez fascinant de savoir que des personnes travaillent depuis plus de deux mois sur votre texte. C'est simplement super! Recueilli par G. C. CINÉMA La nouvelle édition du festival de Sundance, créé par Robert Redford, s'ouvre aujourd'hui dans l'Utah, avec une nuée de stars attendues et des films sur le couple Obama ou la tuerie de Newtown parmi les plus en vue. Ellen Page, Rachel Weisz, Viggo Mortensen, Kate Beckinsale, Michelle Williams, Daniel Radcliffe et encore la pop-star Selena Gomez sont notamment à l'affiche de certains des 120 films sélectionnés. Beaucoup touchent des thèmes d'une actualité brûlante, comme des documentaires sur le journaliste américain James Foley, décapité par le groupe État islamique (Jim : the James Foley Story) – présenté en avant-première – ou encore sur le massacre de 26 personnes dont 20 écoliers en 2012 dans le Connecticut (Newtown). Toujours sur des sujets d'actualité, certains films traitent du thème des colons juifs en Cisjordanie, des fillettes mariées de force en Afghanistan, de l'avortement, du cyber-harcèlement et des abus du bizutage dans les universités. Le réalisateur Spike Lee dévoile de son côté un documentaire biographique sur Michael Jackson, tandis que le président américain, Barack Obama, se retrouve vedette de Southside with You, racontant sa romance en 1989 avec une jeune avocate pleine d'avenir : sa future femme Michelle. Ces dernières années, de nombreux films révélés à Sundance ont connu une carrière stratosphérique, et de nombreux réalisateurs y ont connu leur premier succès, comme Quentin Tarantino et Steven Soderbergh. Présenté l'an dernier pendant le festival, Brooklyn, avec Saoirse Ronan, est ainsi en lice pour les Oscars cette année. Jennifer Lawrence y avait aussi fait sensation il y a six ans dans Winter's Bone, qui lui a valu sa première nomination aux Oscars. www.sundance.org « VER BATIM Je pense que les Afro-Américains ont vraiment raison de dire qu'Hollywood ne les représente pas assez bien. Il devrait y avoir nettement plus d'opportunités qu'actuellement « THÉÂTRE Charles Muller met en scène La vérité m'appartient de Nathalie Ronvaux. L'histoire de deux femmes qui, après la Seconde Guerre mondiale, s'accusent d'actes antipatriotiques. (La polémique sur l'absence d'acteurs ou actrices noires dans les 20 finalistes pour la cérémonie des Oscars aux États-Unis se poursuit. George Clooney, l'une des plus grandes stars et l'une des personnalités les plus engagées à gauche à Hollywood, a estimé dans la revue Variety que l'Académie des arts et sciences du cinéma avait régressé ces dix dernières années en ce qui concerne la représentation des minorités. Selon lui, le problème ne réside pas seulement dans le vote des membres de l'Académie, à très forte majorité des hommes blancs et âgés, mais dans le faible nombre de films produits offrant des rôles substantiels aux minorités. Le réalisateur Spike Lee, qui compte boycotter la cérémonie de remise des prix, espère l'instauration de quotas pour plus de diversité.)