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QUESTION’AIR FICHE n° Les fiches du Centre d’enseignement militaire supérieur Air 55 Droit et institutions - Hors série juin 2011 Le facteur religieux dans le monde En 2000, on trouvait Dieu dans la rubrique nécrologique de la revue The Economist ; deux journalistes de cette même revue, en 2009, sortent un best-seller pour signifier « retour de foi » dans le monde. Ce reflux du spirituel est conditionné, pour une large part, par l’effondrement des illusions idéologiques séculières du XXe siècle. Les liens qu’entretiennent religion et pouvoir dessinent aujourd’hui des relations géopolitiques toujours complexes, souvent brutales. On s’interroge alors sur les ambitions de pouvoir des grandes religions comme sur leur instrumentalisation par le politique. I. Des facteurs de risques 1. Ferments de division Le schéma « civilisationnel » offert par le chercheur Samuel Huttington comme grille explicative des conflits dans le monde n’est pas toujours pertinent. Au sein d’une même aire, les divisions spiritu elles accompagnent l’histoire du fait religieux. Ainsi le monde chrétien méditerranéen est déchiré entre l’espace orthodoxe et l’espace latin dès le IVe siècle. Leur rivalité s’exacerbe lors du schisme de 1054 et leur séparation est rendue irréversible par le pillage de Constantinople par les croisés en 1204. À la mort du quatrième calife et successeur de Mahomet, le monde musulman se divise entre les partisans d’Ali, les chiites, et les tenants de la tradition, sunna, les sunnites. Cette rivalité tourne à l’affrontement et permet de comprendre les tensions existantes au Liban ou en Irak entre commu nautés islamiques. Les fractures intra-religieuses n’épargnent pas les sphères protestantes qui, dès le XVIe siècle, se déchirent en de multiples confessions, notamment au sein du monde calviniste. Persécutés, nombre de ces groupes religieux, comme les puritains, choisissent, au XVIIe siècle, la voie de l’exil en Amérique du Nord. DR 2. Lieux de mémoire Jérusalem : la ville trois fois sainte. Les religions dessinent parfois des territoires, souvent sources de tensions. Les Balkans ont été violemment disputés entre les Orthodoxes et les Catholiques romains. Aujourd’hui encore, les relations entretenues entre certaines communautés orthodoxes de Russie et de Grèce avec le Vatican sont délicates : les moines du mont Athos refusent systématiquement l’entrée de leur monastère au souverain pontife. Au fur et à mesure que l’évangélisation repousse les limites de la Chrétienté au Moyen-Age, les espaces d’affrontement se sont multipliés tant avec les anciens peuples païens qu’avec l’irruption de l’islam ottoman depuis le XIVe siècle. Les affrontements récents au Kosovo en portent encore témoignage. Les lieux saints font l’objet d’une convoitise encore plus âpre : Jérusalem, ville sainte pour les juifs (temple de Salomon) et les chrétiens (lieu de la Passion du Christ), est également disputée par www.cesa.air.defense.gouv.fr www.eoaa.air.defense.gouv.fr Les fiches du CEMS Air FICHE n° Droit et institutions - Hors série juin 2011 55 les musulmans, qui affirment que le dôme du Rocher aurait été l’un des lieux de passage de Mahomet sans que leur assertion soit étayée par le Coran. La Mecque, autre lieu saint avec Médine, fut l’objet de vives attaques, y compris de la part de certains musulmans. Les chiites, lors d’attentats, avaient tenté de s’en emparer. Dans les années 1990, Oussama ben Laden avait frappé en Arabie Saoudite une base américaine dont la présence sur le sol mecquois lui semblait insupportable. Dans le Pendjab indien, la ville sikhe d’Amritsar (lieu du temple d’Or) constitue aussi un lieu de tensions avec les hindous. Des affrontements se sont également déroulés autour de la mosquée d’Ayodhya (Uttar Pradesh en Inde) attaquée par des hindous. II. Tuer au nom de Dieu 1. De « nouvelles » guerres de religion DR L’intolérance religieuse a provoqué nombre de conflits qui émaillent l’histoire de l’humanité. Entre le XIe et le XIIIe siècles, les Croisades et le Djihad en sont les manifestations les plus visibles. La Reconquête dans la péninsule Ibérique s’inscrit dans cette démarche et a pu même la précéder. Les conflits « confessionnels » sont encore fréquents : bouddhistes et hindouistes s’affrontent souvent dans la péninsule Indienne ; les chrétiens du Soudan offrent, de leur côté, une résistance acharnée aux autorités musul manes qui tentent de les faire disparaître. En Irak, les affrontements entre Kurdes chrétiens, chiites et sunnites endeuillent la région depuis des décennies. Récemment, afin de justifier la riposte américaine aux attentats commis sur le sol américain, Georges W. Bush a connoté religieu sement son discours. Il opérait ainsi une similitude de nature dans leur action de guerre et l’esprit de la croisade Affrontements entre catholiques et protestants au contre « l’axe du Mal ». XVIe siècle. 2. La confessionnalisation de la question nationale La simple lecture religieuse des conflits serait réductrice. Le contexte démographique éclaire ces risques : le dynamisme démographique des religions musulmanes et hindouistes explique en partie les tensions dans la région du Pakistan et de l’Inde autour du Cachemire. Les diasporas, comme celles des juifs, nombreux en Europe et en Amérique du Nord, peuvent influencer des décisions stratégiques. Souvent, la religion enrichit un discours nationaliste préexistant : durant la seconde guerre mondiale, Staline se pare d’une nouvelle vertu de défenseur de la foi lorsqu’il exhorte les ortho doxes à se battre pour la « Russie de toujours » face aux Allemands. Saddam Hussein, en son temps, usa du même stratagème contre la présence américaine en 1991 et en 2003 en Irak. Lors des mouvements de décolonisation, le bouddhisme a soutenu la cause indépendantiste face aux Européens. La nationalisation du facteur religieux relève d’une construction politique qui vise à légitimer l’émancipation d’une population ou son expansion (ex. : l’ex-Yougoslavie). Le sionisme vise ainsi à légi timer la création de l’État d’Israël sur des fondements bibliques. Au cours des opérations militaires menées contre la Libye, Mouamar Kadhafi a revêtu le costume religieux du chef de guerre contre l’Occident impie. 3. L’emploi de la terreur Le terrorisme n’est pas récent et son usage est loin d’être exclusivement religieux mais il prend une dimension plus irrationnelle lorsqu’il sert des intérêts confessionnels. Ainsi le mouvement Al-Qaida use de cette arme pour frapper les opinions. Le Hezbollah chiite s’est fait remarquer au Liban lors des conflits avec Les fiches du CEMS Air FICHE n° Droit et institutions - Hors série juin 2011 55 Israël. Récemment, dans le sud de la Thaïlande, les islamistes partisans du rétablissement du sultanat de Patani s’en prennent aux communautés bouddhistes sans que le pouvoir central puisse enrayer ces massacres. Les minorités religieuses peuvent également servir d’exutoire à des pouvoirs soucieux de stigmatiser une population rendue responsable des maux du pays : les Coptes chrétiens en Égypte, les Tchétchènes musulmans en Russie ou encore les Tibétains bouddhistes en Chine constituent des cibles « faciles ». La disparition de chrétiens dans certaines régions turques et égyptiennes, les pressions exercées par les pouvoirs en place (en Inde, plusieurs lois, à la fin des années 1990, visaient clairement les minorités chrétiennes) comme par des courants religieux fondamentalistes constituent des formes évidentes de terreur. Ces faits à l’encontre des minorités ne sont pas dénués d’arrière-pensées politiques. III. Dépasser le religieux 1. L’alibi confessionnel DR À y regarder de plus près, la plupart des conflits ne se réduisent jamais à des motivations s trictement religieuses. La religion devient un alibi à des stratégies de conquête, de conservation ou de déstabilisation du pouvoir. Les attentats du 11 septembre 2001 ne visent ainsi pas uniquement les Américains mais également les gouvernements pakistanais et saoudien. Ben Laden cherchait à les mettre en difficulté en provoquant une intervention militaire américaine, en vain. La plupart des attentats qui frapperont l’Europe (Londres, Madrid) et la Méditerranée (Charm el-Cheikh) avaient éga lement pour objectif de radicaliser les musulmans modérés contre une riposte « occidentale ». Carte des conflits liés à l’islam. Les fiches du CEMS Air FICHE n° Droit et institutions - Hors série juin 2011 55 En Iran, l’argument religieux et ostensiblement antisémite affiché par Ahmed Ahmadinejad est, en réalité, un outil de guerre contre la politique d’Israël et un moyen pour le leader iranien de rallier à lui les soutiens religieux qui lui manquaient au moment de son élection. Dans les années 1980, les Américains ont favorisé le discours religieux des moudjahidines afghans contre l’occupant communiste russe. Les factions politiques concurrentes se servent du religieux pour légitimer leur action comme au Kosovo ou encore en Irlande du Nord, lorsque l’IRA a cherché à opposer catholiques et protestants dans un conflit de souveraineté territoriale. On pourrait en dire autant de l’affrontement entre Tamouls hindouistes et Cinghalais bouddhistes. En 2002, la venue d’Ariel Sharon sur l’esplanade des mosquées à Jérusalem a suscité la colère des mouvements religieux et provoqué la deuxième Intifada entre Israéliens et Palestiniens. Le motif religieux masquait difficilement les ambitions politiques du leader israélien. 2. Pacifier les relations Les données sociales éclairent sous un jour nouveau ces affrontements religieux. Depuis l’opposition entre catholiques et protestants au XVIe siècle jusqu’au développement récent des intégrismes, la matrice sociale est au cœur des problématiques confessionnelles. La crainte du déclassement, la pauvreté, la peur de la globalisation et l’inquiétude face à la modernité ont suscité des résistances auxquelles le discours religieux a pu servir de support, même quand son contenu a été sciemment dévoyé. Les Frères musulmans en Égypte, le Front islamique du salut en Algérie ont œuvré auprès des populations défavorisées et comblé ainsi le vide laissé par les autorités publiques dans le domaine de l’assistance. L’essor des sectes depuis la fin des années 1960 et au moment même où les Églises chrétiennes institutionnelles connaissaient une baisse de fréquentation n’est pas fortuit. Le développement des mouvements sectaires correspond à cette attente spirituelle : la mondialisation brouille les repères culturels et sociaux traditionnels. L’Église de scientologie, la secte raélienne prospèrent sur la déses pérance humaine. De la même manière, les intégrismes proposent une vision simple d’un monde devenu complexe et donne du sens à une vie en déshérence. Les fondamentalismes peuvent revêtir différentes formes. Parmi eux, les courants évangélistes radicaux, très présents en Amérique du Sud, aux États-Unis (mormons, témoins de Jéhovah) et en Afrique (les pentecôtistes), offrent une lecture littérale de la Bible (créationnisme absolu). 3. L’équilibre des religions L’inclination à limiter la violence est inhérente à presque chaque croyance. La loi naturelle inscrit dans le cœur de l’homme le principe du Décalogue, « Tu ne tueras point », qui n’implique nullement d’être juif ou chrétien pour l’appliquer. La vertu de patience est consubstantielle du chiisme qui espère le retour de « l’imam caché ». Les appels de Pie X et Benoît XV en faveur de la paix au moment de la Grande Guerre n’ont cessé d’habiter les discours du pape contre le « spectre monstrueux de la guerre ». Les critères de modernité (mœurs, famille, statut des femmes), la volonté de trouver des compromis (depuis l’édit de Nantes jusqu’au règlement du conflit irlandais en passant par la question libanaise) et la question épineuse de la laïcité peuvent être des facteurs d’équilibre géopolitique sans pour autant conduire à une « sortie du religieux » selon Marcel Gauchet. Pour aller plus loin : Georges CORM, La question religieuse au XXIe siècle, La Découverte, 2006 ISSN 1963-2150 Rédaction en chef et direction de la publication : Centre d’enseignement militaire supérieur Air (CEMS Air) Édité par le Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA) - École militaire - 1 place Joffre - 75700 PARIS SP 07 Division production technique - tél. : 01 44 42 80 64 - MTBA : 821 753 80 64 - e-mail : [email protected]