Laboratoire d`Analyse – Recherche en Economie Quantitative

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Laboratoire d`Analyse – Recherche en Economie Quantitative
Application de la V- Shapley au Jeu politique en RDC
Laboratoire d’Analyse – Recherche en Economie Quantitative
One pager
Décembre 2012
Vol. 4 – Num. 0013
Copyright © Laréq 2012
http://www.lareq.com
Les Forces Politiques Parlementaires en RD. Congo
Simulation du Paysage Politique et Application de l’indice de Shapley – Shubick
Guillaume Kulonga Nana 1 & Jean – Paul Kimbambu, Tsasa Vangu 2
La politique est éphémère mais une équation est éternelle.
Albert Einstein
Résumé
Ce papier s'intéresse à l'analyse de l'influence des partis politiques au sein d’un parlement
élu démocratiquement. En utilisant l’indice de pouvoir de Shapley – Shubick, on parvient à
montrer que le poids d’un parti politique dans un parlement n'est pas uniquement fonction du
nombre de sièges obtenus, mais également de sa contribution marginale dans l'éventail de
coalitions possibles. Le cadre d’analyse retenu est l’Assemblée nationale issue des élections du
28 novembre 2011 en RD. Congo.
Mot – clé : Forces politiques, indice de Shapley – Shubick.
Abstract
This paper analyzes the influence of political parties in the parliament in the DRC. We use the
Shapley – Shubick power index to show that the weight of a political party in parliament depends
not only on the number of seats but also its marginal contribution in the possible coalitions.
Introduction
Ce papier se propose d’analyser le pouvoir des partis politiques au sein d’un parlement élu
démocratiquement. Il montre que le poids d’un parti politique dans un parlement ne doit pas être
analysé en termes du nombre de sièges, mais plutôt en termes de son influence marginale. Ainsi, l’étude
proposée peut servir de support de calcul objectif et stratégique pour les décideurs politiques. Pour le
mettre en évidence, l’indice de puissance ou de pouvoir de Shapley – Shubick 3 a été mobilisé. Au regard
de l’historique des événements politiques et de l’environnement politique congolais, nous admettons
implicitement l’hypothèse des alliances contre – nature.
Relevons que la RD. Congo (RDC) a connu quatre grands moments depuis son accession à
l’indépendance : (i) la Ière République (1960 – 1965) avec le Président Kasa – Vubu ; (ii) la IIème
République (1965 – 1989) avec le Président Mobutu ; (iii) la tri – transition avec le Président Mobutu
(1990 – 1997), le Président L. Kabila (1997 – 2001) et le Président J. Kabila (2001 – 2006), et enfin, la
IIIème République avec la renaissance du jeu démocratique à partir de 2006. Pour tenter d’analyser le
pouvoir des partis politiques après les élections de 2012, nous développons le présent papier en deux
temps : nous rappelons sommairement la démarche méthodologique dans une première section, avant
de s’intéresser à son application au cas du parlement congolais dans une deuxième section.
1
2
3
M.Sc. student (Ingénierie économique) à l’Université de Cergy Pontoise. Mail : [email protected].
Ph.D. Candidate (Sciences économiques) à l’Université de Montréal et Chercheur au Laboratoire d’Analyse – Recherche en
Economie Quantitative [LAREQ]. Mail : [email protected].
L’indice de Shapley – Shubick dérive de la valeur de Shapley, du nom d’un des lauréats du Prix Nobel d’économie 2012, Lloyd
Shapley. Pour les détails sur la valeur de Shapley, voir Tsasa (novembre 2012, vol. 4, num. 6) disponible sur
http://www.lareq.com.
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Jeu de vote et Influence marginale dans la constitution des coalitions
Soit
un ensemble de partis politiques. Chaque parti politique
possède une fraction de sièges
tel que :
Soit
l’expression de la valeur de ce qu’un sous – groupe ou une alliance de partis peut entreprendre
tel que :
L’alliance est majoritaire si
La fonction ou valeur de Shapley
s’interprète comme la valeur de
chaque parti dans un jeu.
La dérivation de l’expression (1) résulte de l’indice de pouvoir proposé par Shapley et Shubick (1954). En
effet, partant de la valeur de Shapley, on peut dériver l'indice de Shapley – Shubick pour un joueur
quelconque
Il est donné par le ratio de nombre de permutations des joueurs pour lesquelles le joueur
est décisif par le nombre total de permutations possibles. Et cela correspond à l’unité puisqu’en réalité,
on enregistre qu’un et un seul joueur décisif pour toutes permutations, soit :
Nous allons appliquer l’indice de pouvoir de Shapley – Shubick pour mesurer le pouvoir d’un parti
politique dans la constitution d’une alliance majoritaire. Pour l’illustrer, supposons que
avec
Si l’on s’intéresse à la constitution des alliances selon que le parti 1, 2 ou 3
occupe le premier rang, il vient :
Tableau 1 : Processus de formation d’une alliance majoritaire
Permutation :
Contribution
marginale
123
132
213
231
312
321
Parti 1
0
0
1
0
1
0
Parti 2
1
0
0
0
0
1
Parti 3
0
1
0
1
0
0
En effet, par exemple pour l’ordre 123, on note que le parti 1, a lui seul ne peut constituer la majorité.
D’où, sa contribution marginale est nulle. Alors que l’entrée du parti 2 permet de dépasser le 50 %, d’où,
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l’unité. Puisque le regroupement des partis 1 et 2 permettent de réaliser la majorité, donc la contribution
marginale du parti 3 est négligeable. Et donc, la contribution marginale du parti 3 dans cet ordre est
nulle. Nous reprenons dans le tableau 2, la solution de Shapley – Shubick correspondant au poids de
différents partis politiques considérés.
Tableau 2 : Contribution marginale de partis politiques dans la constitution de la majorité
Solution de Shapley –
Partis politiques
Shubick
Remarquons que, d’après ces résultats, les trois partis politiques ont de poids identiques (pouvoir), et
donc une influence proportionnelle au sein du parlement. Alors qu’en termes de siège, les partis 2 et 3
semblaient dominer le parti 1. Cette analyse montre donc que le poids d’un parti politique au sein du
parlement ne dépend pas uniquement du nombre de sièges qu’il occupe mais aussi de son influence
marginale.
Dans la section suivante, nous appliquons le même raisonnement dans l’analyse de l’influence de
différents partis politiques au sein du parlement congolais.
Paysage politique du Parlement en RD. Congo (2006 – 2012)
Le Parlement de la RDC est l'organe collégial qui assure la représentation du peuple. Depuis la
constitution de la Transition du 4 avril 2003, le parlement de la RDC est redevenu bicaméral4 et donc,
comprend deux chambres : (i) l’Assemblée nationale (500 sièges) et (ii) le Sénat (108 sièges). Il
possède le pouvoir de faire et défaire les lois, ainsi que de contrôler l'action du Gouvernement. A ce titre,
il apparait donc comme une institution importante dans l’exercice du pouvoir politique. Cependant, face à
la multiplicité de partis politiques, l’exercice d’un tel pouvoir n’est pas évident d’amblée. En effet, alors
qu’en 2006, le Ministère de l’intérieur avait enregistré 278 partis politiques, en 2012, on comptait plus de
400 partis politiques évoluant essentiellement dans la capitale Kinshasa, qui compte environ 9,46
millions d’habitants.
En considérant les cinq premiers partis politiques occupant le plus de sièges au sein du parlement, il
s’observe, comme l’indique le tableau 3, que de 2006 à 2012, le paysage politique a significativement
changé.
Tableau 3 : Paysage politique du Parlement en RDC (2006, 2021)
4
Classement
Assemblée Nationale
Classement
Assemblée Nationale
Sénat
(2012)
(2012)
(2006)
(2006)
(2006, 2012)
Partis Politiques
Sièges
En %
Partis Politiques
Sièges
En %
Sièges
En %
PPRD
62
12,4
PPRD
111
22,2
22
20,4
UDPS
41
8,2
MLC
64
12,8
14
13,0
PPPD
29
5,8
Indépendant
63
12,6
25
23,1
MSR
27
5,4
PALU
34
6,8
3
2,8
MLC
23
4,6
MSR
27
5,4
3
2,8
En effet, sous la IIème République, la constitution du 24 juin 1967 a consacré un régime d’État unitaire centralisé,
supprimant, de ce fait, le Sénat.
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Dans le tableau précédent, MLC désigne Mouvement de libération du Congo ; PALU, Parti lumumbiste
unifié ; MSR, Mouvement social pour le renouveau ; PPPD, Parti du peuple pour la paix et la démocratie ;
PPRD, Parti du peuple pour la reconstruction et le développement ; UDPS, Union pour la démocratie et le
progrès social.
Avec un accroissement exponentiel du nombre de partis, on compte dès lors au sein de l’Assemblée
nationale, plusieurs partis politiques avec 1 ou 2 sièges, rendant ainsi plus complexe le recueillement
d’une alliance majoritaire stable. Remarquez également une quasi – disparition du bloc de députés
« indépendants » dans la course. Par la suite, nous focaliserons notre attention sur l’Assemblée nationale
(chambre basse). Le paysage par regroupement politique est repris dans le tableau 4.
Tableau 4 : Paysage politique Majorité présidentielle versus Opposition parlementaire
Elections législatives 2012
Majorité
Elections législatives 2006
Opposition
Majorité
Opposition
Partis
Siège
En %
Partis
Siège
En %
Partis
Siège
En %
Partis
Siège
En %
PPRD
62
12,4
UDPS
41
8,2
PPRD
111
22,2
MLC
64
12,8
PPPD
29
5,8
MLC
23
4,6
PALU
34
6,8
RCD
15
3
MSR
27
5,4
UNC
17
3,4
MSR
27
5,4
Autres
--
--
PALU
19
3,8
UFC
3
0,6
UNAFEC
7
1,4
--
--
--
ARC
16
3,2
Autres
42
8,4
Autres
175
35
--
--
--
Dans le tableau 4, ARC désigne Alliance pour le renouveau au Congo ; UNAFEC, Union des nationalistes
fédéralistes du Congo ; UFC, Union des forces du changement ; UNC, Union pour la Nation congolaise.
Analysons à présent l’influence de différents partis dans le jeu politique au sein du parlement en 2012.
Nous considérons le jeu suivant.
Tableau 5 : Forces politiques au sein du parlement en RDC (2012)
Partis
PPRD
UDPS*
PPPD
MSR
MLC*
PALU
UNC*
ARC
AFDC
Autres Maj.
Autres Opp.*
Siège
62
41
29
27
23
19
17
16
15
26
42
En %
12,4
8,2
5,8
5,4
4,6
3,8
3,4
3,2
3
5,2
8,4
Dans le tableau 5, AFDC désigne Alliance des forces démocratiques du Congo ; « Autres Maj. », les
principales forces politiques pro – majorité présidentielle ; « Autres Opp. », les principales forces
politiques pro – opposition.
Les données du tableau 5 nous permettent d’obtenir la matrice suivante après réaménagement et
pondération des influences du sous – groupe retenu.
Tableau 6 : Forces politiques au sein du parlement en RDC (2012)
Partis
PPRD
UDPS
Partis satellites Pro – PPRD
Partis stallites Pro – UDPS
Siège
62
41
132
82
0,19
0,13
0,42
0,26
Pondération
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L’application des définitions établies dans les relations (1) et (2) permet de dériver la grille condensée
dans le tableau 7.
Tableau 7 : Forces politiques et Simulation de coalitions au sein du Parlement en RDC
Permutation
1
2
3
4
Contributions marginales
PPRD : 1
UDPS : 2
PS - PPRD : 3
PS - UDPS : 4
234
0
0
1
0
243
0
0
0
1
324
0
0
1
0
342
0
0
1
0
423
0
1
0
0
432
0
0
1
0
134
0
0
1
0
143
0
0
0
1
314
0
0
1
0
341
0
0
1
0
413
1
0
0
0
431
0
0
1
0
124
1
0
0
0
142
1
0
0
0
214
0
1
0
0
241
0
1
0
0
412
0
0
0
1
421
0
0
0
1
123
0
1
0
0
132
0
0
1
0
213
1
0
0
0
231
0
0
1
0
312
0
0
1
0
321
0
0
1
0
Solution de Shapley
– Shubick
La solution obtenue après l’application de l’indice de pouvoir de Shapley – Shubick s’interprète comme
l’influence que chaque parti politique (joueur i) possède lorsqu’on suppose que chacune de forces politiques
entre aléatoirement dans le processus de constitution de différentes coalitions possibles. Ainsi, les valeurs
distribuées dans la grille traduisent l'accroissement de l’influence que la coalition peut réaliser avec l’entrée du
joueur i. Et par conséquent, la solution Shapley – Shubick correspond à la valeur marginale moyenne, pour les
différentes coalitions, du joueur i. Au regard de ces résultats, il ressort donc que le nombre de sièges obtenus
par un parti politique, à lui – seul, est un indicateur myope de son influence dans la constitution d’une coalition.
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Bibliographie
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Commission Électorale Nationale Indépendante, (mars) 2012, « Les Élections Présidentielles et
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SHAPLEY Lloyd S. and David GALE, 1962, “College Admissions and the Stability of Marriage”, The
American Mathematical Monthly, Vol. 69, 9 – 15.
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SHAPLEY Lloyd S., 1953, “Stochastic Games”, Proceedings of National Academy of Science, Vol. 39,
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SHAPLEY Lloyd S., 1971, “Cores of convex games”, International Journal of Game Theory, vol. 1, 11
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SHUBIK Martin, 1962, “Incentives, Decentralized Control, the Assignment of Joint Costs and
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TSASA Jean – Paul, (novembre) 2012, « Axiomatique de la Valeur de Shapley et Théorème de
Shapley (1953) », One Pager Laréq, vol. 4, num. 006, 35 – 38.
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