Le feuilleton Fessenheim - Haut-Rhin

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Le feuilleton Fessenheim - Haut-Rhin
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Q SAMEDI 10 OCTOBRE 2015
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FESSENHEIM Sa fermeture conditionnée à la mise en service de l’EPR ?
La date limite du 11 octobre
À défaut d’un arrêt en 2016 comme promis initialement, le processus de fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim
devra être engagé de façon irréversible, a dit François Hollande. Et intervenir avant le démarrage de l’EPR de Flamanville pour
lequel EDF, selon les textes de loi, doit demander une autorisation d’exploiter demain au plus tard.
L
d’autorisation de mise en service de
l’EPR mais le gendarme du nucléaire a
considéré le dossier incomplet. André
Hatz, porte-parole de Stop Fessenheim
craint par exemple que cela serve d’argument pour suspendre le calendrier.
a balle est dans le camp d’EDF et
tout le monde a les yeux rivés sur
l’énergéticien qui se refuse toutefois à tout commentaire ou communication. Selon certains experts qui se
sont penchés sur les textes de loi, EDF
devrait pourtant déposer le 11 octobre au
plus tard une demande d’autorisation
d’exploiter l’EPR de Flamanville. Et pour
qu’il soit complet, le dossier doit préciser
les réacteurs qu’il faudra fermer pour
respecter le plafond de production
d’énergie nucléaire tel que prévu par la
loi de transition énergétique pour la
croissance verte du 17 août 2015.
63,2GW, un plafond,
pas un plancher
Au risque de devoir tout
reprendre à zéro
Petit rappel : en l’absence de motifs de
sûreté dont l’ASN (autorité de sûreté nucléaire) est l’unique juge, seul l’exploitant peut décider de fermer une de ses
centrales. Pour obliger EDF à arrêter Fessenheim, le gouvernement a donc imaginé le plafonnement à 63,2GW (soit la
capacité actuelle) de la production nucléaire française dans la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte.
L’ouverture de l’EPR de Flamanville
(1650 mégawatts) est ainsi conditionnée
à la fermeture de réacteurs d’une puissance équivalente : les deux (2 x
900 MW) de Fessenheim, dans la logique
de la promesse de François Hollande à
laquelle Jean-Bernard Levy, PDG d’EDF,
s’est finalement rangé.
L’ouverture de l’EPR de Flamanville (1 650 mégawatts) est conditionnée à la fermeture de réacteurs d’une puissance
équivalente : les deux (2 x 900 MW) de Fessenheim. PHOTO – ARCHIVES DNA
Et c’est là qu’apparaît la fameuse date du
11 octobre. La loi sur la transition énergétique précise que la demande d’autorisation d’exploiter une installation nucléaire de base doit être présentée au
ministère de l’Énergie au plus tard dixhuit mois avant la date de mise en service. Même si ce démarrage a été repoussé
à fin 2018 (au plus tôt), les experts
soulignent que cette demande doit forcément intervenir avant que l’arrêté de
création signé pour dix ans le 10 avril
2007 ne soit caduc. Lequel le sera le
11 avril 2017. Si l’on retranche 18 mois de
cette date, on obtient 11 octobre 2015.
Si ce délai n’est pas respecté, analyse
l’Observatoire du nucléaire, toute la procédure de création de l’EPR, enquête publique et débat national compris, devrait
être reprise à zéro, ce dont EDF n’a certainement pas envie.
Stéphane Le Foll, porte-parole du gouvernement, avait indiqué le 9 septembre
dernier, au lendemain des propos ambigus tenus par Ségolène Royal lors d’une
visite à Strasbourg (lire ci-dessous)
qu’un décret « serait pris dès le début de
l’année prochaine pour engager le processus » de la fermeture de Fessenheim,
annonce qui va dans le sens d’un dépôt
imminent d’un dossier par EDF. L’État a
en effet au maximum quatre mois pour
rendre sa décision par rapport à une
demande d’autorisation d’exploiter.
Toutes ces analyses pourraient évidemment être battues en brèche par EDF qui
pourrait réclamer des délais supplémentaires. L’entreprise publique a déposé à
l’ASN en mars dernier une demande
Le feuilleton Fessenheim
Juillet 2011 : l’ASN autorise EDF à exploiter le réacteur
n° 1 pour dix années supplémentaires sous réserve de
réaliser de lourds travaux de sécurisation postFukushima. Le réacteur n° 2 s’est vu délivrer semblable
autorisation en mai 2013.
Octobre 2011 : dans l’accord électoral conclu avec les
écologistes, le candidat à la présidentielle François
Hollande promet de réduire la part du nucléaire de
75 % à 50 %, « en commençant par l’arrêt immédiat de
Fessenheim ».
Janvier 2012 : la fermeture de Fessenheim figure en 41e
place dans les 60 engagements du candidat Hollande
Février 2012 : en campagne, le président Nicolas
Sarkozy rassure les salariés et les élus. Lui ne fermera
pas Fessenheim dès lors que la sûreté n’est pas en jeu.
Mai 2012 : lors du débat de l’entre-deux tours, Hollande
précise vouloir la fermer pour deux raisons : « La
première, c’est que c’est la plus ancienne centrale,
qu’une centrale était prévue normalement pour trente
ans et qu’elle aura quarante ans d’âge en 2017.
Deuxièmement, elle est proche d’une zone sismique, ce
qui est quand même un risque. »
Septembre 2012 : en ouverture de la conférence
environnementale, quatre mois après son accession à la
présidence, François Hollande annonce que la centrale
sera fermée « fin 2016 dans des conditions qui
garantiront la sécurité des approvisionnements de cette
région, la reconversion du site et la préservation de
tous les emplois ».
Octobre 2012 : le président de l’ASN doute que
l’échéance puisse être tenue : la procédure de fermeture
dure au moins cinq ans.
Décembre 2012 : nomination de Francis Rol-Tanguy au
poste de délégué interministériel à la fermeture et à la
Au lendemain de sa nomination en
décembre 2012, Francis Rol-Tangy s’était vu
refuser l’entrée de la centrale par une
manifestation de salariés et d’élus locaux.
PHOTO – ARCHIVES DNA
reconversion du site. La fonction de M. Fessenheim est
aujourd’hui assurée par Jean-Michel Malerba.
Mai 2013 : le Premier ministre confirme que l’arrêt de la
centrale sera inscrit dans le futur projet de loi de
transition énergétique.
Juillet 2014 : une étude de l’INSEE et de la DREAL chiffre à
2000 les emplois, directs, indirects ou induits supportés
par la centrale. Elle souligne qu’aucun moteur d’emploi ne
se dégage pour remplacer la centrale.
Les communes de Fessenheim et de l’Essor du Rhin sont
classées en zone AFR (aides à finalité régionale) pour
soutenir les investissements productifs ou créateurs
d’emploi. Le 30 : dépôt du projet de loi sur la transition
énergétique et la croissance verte. Il ne mentionne pas
Fessenheim mais plafonne la capacité de production
nucléaire française.
Automne 2014 : à la veille de l’examen du projet de loi,
un rapport parlementaire chiffre à cinq milliards
d’euros le coût d’une fermeture. Il recommande le
report de la décision.
Ségolène Royal laisse entendre qu’EDF pourrait fermer
d’autres réacteurs que ceux de Fessenheim pour
respecter le plafond au démarrage de l’EPR. Lequel est
à nouveau reporté à 2017.
Mars 2015 : Le président de la République renouvelle sa
promesse de fermeture avant la fin de son mandat.
Nicolas Sarkozy revient à Fessenheim et devant les
salariés, les parlementaires et les élus locaux, fustige la
promesse de François Hollande, « choquante et
honteuse ».
Été 2015: La loi sur la transition énergétique est
définitivement votée le 22 juillet et promulguée le
17 août après validation du Conseil constitutionnel qui
précise que l’exploitant pourra être indemnisé pour la
fermeture de réacteurs.
3 septembre 2015 : nouveau report pour l’EPR, à fin
2018 cette fois.
8 septembre 2015 : des déclarations de la ministre
Ségolène Royal laissent penser que l’État reporte la
mise à l’arrêt de la centrale de Fessenheim à 2018 pour
l’ouverture de Flamanville. Démenti gouvernemental
en soirée. La ministre précisera le lendemain : le
processus sera engagé dès 2016 et sera irréversible
avant la fin du quinquennat.
24 septembre 2015 : François Hollande reconnaît que la
centrale ne fermera pas en 2016 et confirme les
derniers propos de sa ministre.
Mais de toute façon, rappellent les militants antinucléaires, «Fessenheim devrait être arrêtée immédiatement, point
à la ligne. Elle est vétuste, dangereuse et
François Hollande s’était engagé à la fermer ».
Si l’ouverture de l’EPR dépend de la fermeture de deux réacteurs, l’inverse n’est
pas vrai soulignent unanimement toutes
les associations et organisations antinucléaires. La loi fixe un plafond, pas un
plancher. L’État français est majoritaire
dans EDF, il a donc le pouvoir de décision.
Ne pas fermer Fessenheim immédiatement reviendrait en outre à mettre en
péril l’objectif de la loi sur la transition
énergétique de réduire la part du nucléaire à 50 % de la production d’électricité
en 2025, insiste encore Greenpeace.
Toutes ces tergiversations et incertitudes
réduisent par ailleurs les marges de
manœuvre de Monsieur Fessenheim sur
le terrain. Jean-Michel Malerba, délégué
interministériel à la fermeture de la centrale et à la reconversion du site, attend
en effet une annonce officielle pour reprendre réellement les négociations avec
EDF et les élus du bassin d’emploi.
SIMONE WEHRUNG
R
LA BATAILLE DES PROET DES ANTIC’est évidemment sur le terrain que le
débat entre pro- et anti-Fessenheim est
le plus vif.
D’un côté, les opposants à l’atome pointent depuis quarante ans les risques liés
à l’énergie nucléaire en général, à la
centrale de Fessenheim en particulier
(risque sismique, risque d’inondation en
cas de rupture de digue, vétusté,…). Avec
une constance remarquable, les antinucléaires alsaciens, badois et suisses
réclament jusque devant la justice, la
fermeture immédiate de la centrale
alsacienne pour des raisons de sûreté. Ils
dénoncent donc fermement les tentatives de conditionner l’arrêt de la plus
vieille centrale de France à la mise en
service de l’EPR, dont ils ne veulent
surtout pas par ailleurs.
Du côté des pro-Fessenheim, les salariés
du nucléaire, les élus du secteur et une
bonne partie des habitants du bassin de
vie qui profitent économiquement de la
présence de la centrale accusent le
gouvernement de sacrifier un outil industriel sûr et rentable sur l’autel de la
politique. La fermeture d’un site qui
emploie 800 personnes et 250 prestataires, sans compter quelque 1300 emplois
indirects, « va perturber la vie de milliers
de familles » a reconnu Francis Rol-Tanguy lors de sa première tentative avortée
de discuter avec les salariés et les élus.
Ceux-ci ont toujours refusé de le rencontrer, lui ou ses successeurs, considérant
sa mission comme nulle et non avenue
puisque seuls l’exploitant ou l’ASN pour
des raisons de sûreté ont le pouvoir de
fermer une centrale nucléaire.
S.W.