Mise en page 1 (Page 44 - 45)
Transcription
Mise en page 1 (Page 44 - 45)
[ LA SAGA DES PARFUMS ] PAR J.M. MARTIN-HATTEMBERG PHOTOS DR Africanisme et arts premiers dans la parfumerie européenne du XXe Siècle AFRICANISME ET ARTS PREMIERS Des mots nouveaux entrés dans notre actuelle perception européenne des cultures noires dispersées entre Afrique, Caraïbes, Amériques et Australasie. Des mots aussi hérités de l'histoire et d'une prise de conscience de la fragilité d'un patrimoine culturel, pourtant si bien conservé de nos jours avec le grand musée parisien du quai Branly... Portrait de Jean Rocherolles, président de la classe 90, Exposition Coloniale de 1931 Si le Japonisme et l’extrême Orient sont entrés dans l’art de vivre européen durant les années 1880-1910, ce sont bien l’africanisme et la découverte de cette Polynésie si bien représentée par les toiles de Paul Gauguin qui vont marquer l’avènement du XXe siècle. Une ère durant laquelle les moyens de communication permettent de voyager vers les régions les plus inhospitalières du monde. Une époque où la mode et le design revendiquent une modernité de formes épurées à géométrie variable associées à une gamme de couleurs vives empruntées à ces civilisations “primitives” devenues “premières” en ce début du XXIe siècle. C’est le cubisme dans la peinture et la sculpture. Ce sont la simplification, la pureté et la rationalité des formes dans le mobilier et les objets d’art signés Marcel Coard, Gustav Miklos, Pierre Legrain, Juan Gris, Sonia Delaunay, Georges Braque, Jean Dunand ou encore Eileen Gray. en 1931. La créativité bouillonnante de la parfumerie et de la cosmétique s’imprègne des tendances ethniques d'Afrique et d’Océanie. C'est avec Michel de Brunhoff et Lucien Vogel que l’africanisme naît dans la parfumerie dès 1918, avec la création de la société des parfums De Vigny. Le tandem opte pour l’humour et la négritude en commercialisant dès 1920 son premier parfum présenté dans un flacon étonnant : “le Golli-Wogg”. Un nom bien curieux qui proviendrait du mariage entre le mot arabe Ghuls et les initiales W.O.G.S. (Working on Government Service). Ce mot désignait les ouvriers indigènes qui travaillaient pour le gouvernement britannique durant l’occupation de l’Egypte par les Anglais. Transcrit en “Golli-Wogg”, le nom fut donné vers les années 1890-1900 à la première poupée noire en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, inspirée des bandes dessinées pour enfants des soeurs Upton, Florence et Bertha. Le héros en était un personnage africain à l’allure naïve et débonnaire menant sa vie parmi les poupées et les jouets... Personnage célèbre, adulé par les enfants, “Golli-Wogg” est ainsi né libre de toute connotation... Mais la “tropic attitude”, l’Europe de l’après première Guerre mondiale la découvre avec Paul Colin et Joséphine Baker, symboles de ce “tumulte noir” qui a fortement marqué les esprits de l’élite intellectuelle parisienne. La musique et la danse deviennent également l’enjeu d'un choc culturel. Le culte du corps à la nudité innocente associé à la rythmique s te e t tribale, saccadée, atonale ou g ra p h i u a és b, les chaloupée d’un Sacre du Printemps Associ u r Po l R a t te lancen d’Igor Strawinski ou le jazz classique y e i l l u s t ra m a m no s R style Cotton Club scandalisent ou p a r f u m r ” , t i ré d u parti a enflamment les esprits... Nénuf ricain Vigny_“Le Golli-Wogg”_1918 Création de Michel de Brunhoff © Charles Duprat 44 Dans l’ambiance parisienne de ces années 1920, “Golli-Wogg” devient parfum en hommage à la Revue Nègre menée par Joséphine Baker. Le flacon dessiné par Michel de Brunhoff représente ce personnage africain f “ A r enchâssé dans un coffret à quatre pou eune Méconnue des Européens durant d ' u n j o u s s e n a t a l e a i n . abattants, le bouchon gainé de br urb quatre siècles de malentendus et de sa monde vison noir affichant son effigie e l r i r v d’ignorance, entretenus par les décou expressive et sympathique. Ce parcomplexes, l’âme noire a traversé fum connaîtra un tel succès en maintes épreuves : l’esclavage, la France et aux Etats-Unis qu’il fera disparition de l’empire mandingue en afrique centrale l’objet de différents types de présentations. Inspiré des ou encore la période coloniale née de la conférence noms des “frères” du Golli-Wogg, le coffret trinôme de Berlin en 1884. En ce début du XXe siècle, l’âme “Jack, Junior, Jill” en est la parfaite illustration. noire et ses cultures accèdent ainsi à un début de reconnaissance avec les prestigieuses expositions En 1925, cette tendance ethnique se confirme avec coloniales de Casablanca en 1915 et celle de Paris le parfum “Fétiche” de la maison L.T. Piver. Un nom “” 45 “” e siècle, X X b u t d u i l l o n n a n te é d u u A i v i té b o i e e t d e t a é r c la er a r f u m imprègne p a l de que s’ n i q u e s i t é m s la co es eth ie… c n a d n d e s te ’Océan d t e e u d’Afriq qui s’inspire aussi bien du culte superstitieux de plusieurs peuples d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Océanie pour des objets matériels, que de la notion de porte-bonheur chère aux Européens. Sa présentation sobre à décor géométrique coloré évoque les motifs utilisés dans les tenues traditionnelles de certaines tribus africaines, des Maoris ou encore des Guaranis... L’année suivante, les parfums De Vigny récidivent dans le répertoire tropical et exotique. Vanté comme leur parfum fétiche, leur extrait “Guili-Guili” est présenté dans un flacon en verre incolore taillé en forme de colonne fuselée et gainé d'un socle en résine imitation acajou ou wengé. Son bouchon cranté en verre est coiffé d’une importante capsule en résine pressée moulée, l'ensemble imitant une énigmatique statuette très inspirée de la statuaire africaine. A partir de 1932, les Parisiennes s’abonnent aux bienfaits des cosmétiques conçus par la société Le BakerFix, dépositaire d’une licence d’exploitation pour toute une ligne de cosmétiques associée à Joséphine Baker : crèmes, laits, brillantines, poudres et… huile de bronzage “Le BakerOil” ! Fini le culte de la peau blanche diaphane et les crèmes éclaircissantes. Le Blanc veut se noircir alors que le Noir veut se blanchir... En 1931, Paris accueille durant plusieurs mois, pour sa grande année tropicale, l’Exposition coloniale internationale. Tout le public européen découvre ainsi les richesses et les diversités des cinq continents. Soit quelque 32 millions de visiteurs qui vont pouvoir découvrir les pavillons de l’Afrique occidentale française, de l’Afrique equatoriale française, de l’Indochine, des Antilles, mais aussi ceux des Indes néerlandaises et du Congo belge. La parfumerie est bien sûr représentée par la classe 90 que préside Jean Rocherolles, lui-même étant alors président des Parfums Roger & Gallet. La plupart des matières premières utilisées en parfumerie étant originaires de pays exotiques, les exposants de cette classe 90 seront principalement des sociétés de négoce telles que Robertet, Lautier & fils, Givaudan, Antoine Chiris, RoureBertrand fils et Justin Dupont... Mais d’autres marques de prestige comme Roger & Gallet, Rigaud, Lubin, Ed. Pinaud, les savonneries Gilot, Biette et Salomon, en profitent pour exposer leur savoir-faire. Face au succès retentissant de cette exposition, les parfumeurs vont redoubler d’imagination et de créativité. Ainsi la maison Plassard, qui fait conditionner ses poudres dans une poudreuse en métal émaillé polychrome décorée d’un paysage tropical avec soleil couchant et palmiers. Alors toute jeune maison de parfumerie, Ramey mérite aussi une attention particulière. Associés au graphiste et illustrateur Pol Rab, les parfums Ramey lancent “Nénufar”, tiré du nom d'un jeune Africain parti de sa brousse natale pour découvrir le monde urbain. Un héros de bande dessinée confronté au progrès mais aussi aux travers de notre monde dit “civilisé”. Le flacon en verre opaque noir représente ce singulier personnage africain dont la tête fait office de bouchon. En 1932 naît Dana, grande maison de parfums d’origine espagnole. Créée par Javier Serra, la marque se fait connaître avec “Tabu”... Tout imprégné de culture polynésienne, ce parfum doit son nom au mot “Tabou”, qui confère la notion du sacré à un être ou une chose dans le profane quotidien. Ce même parfumeur prolonge sa créativité dans le répertoire ethnique en 1938 avec la création de “Totem”. Une allusion probable au titre de l’essai philosophique Totem et Tabou de Sigmund Freud... Cette même année, Dana commercialise une gamme de rouges à lèvres présentés chacun dans un tube incarnant un fétiche africain. Quant aux différentes teintes, elles se déclinent sous des noms comme “Tchad”, “Riff ” ou “Tombouctou”... Après la Seconde Guerre mondiale, le parfumeur parisien Marquay imagine en 1948 pour les jeunes femmes un extrait “Douka”. Son flacon totémique en verre incolore est orné de deux anneaux dorés et son coffret en acajou massif sculpté à la main est agrémenté de divinités tahitiennes. Un style qui fait penser à l’art des Maoris, des Sa-moans et des peuples de PapouasieNouvelle-Guinée. De nos jours, la mondialisation et la mode de l’ethnique inspirent encore certains ténors de l'élégance et du luxe. Tel le couturier japonais Kenzo, qui rend hommage dès 1996 au continent noir avec ses parfums “Jungle Eléphant”, “Jungle Lion”, “Jungle Tigre” et “Jungle Zèbre”. Dessinés par Joel Desgrippes, les flacons sont inspirés du légendaire Livre de la jungle de Rudyard Kipling. L’année 2001. Les mondes effervescents de la mode et du parfum vibrent avec le bouillonnant Alphadi. Vivant entre Paris, le Sahara et Niamey, ce couturier nomade nous fait découvrir sa mode née d’un alliage subtil entre l’exubérance africaine et le classicisme européen. Dans le cadre du Festival international de la mode africaine, Alphadi a lancé “L’Aïr”, son premier parfum tiré du nom du massif montagneux séparant le Sahara de son Niger natal. Colonne de verre ornée d’un masque africain doré, son flacon ressemble à un totem stylisé porteur d’un mystérieux sillage poudré d'une grande intensité. Enfin, en 2005, c’est la maison Lubin qui s’aventure dans le parfum ethnique avec son sublime “Idole”. Créé par Olivia Giacobetti, il est enchâssé dans un splendide flacon sculpture imaginé et dessiné par l’incontournable Serge Mansau. Si la “tropic attitude” et l’ethnique sont désormais d’authentiques phénomènes de mode reflétant notre société au devenir multiculturel, ils sont tout autant de nouvelles sources d'inspiration et d'esthétisme. Ramey - “Nénufar” - 1931 - Création de Pol Rab © Collection G. Stam, Lausanne Poudrier commémoratif en laiton illustré de sujets africanistes © Charles Duprat Dana - “Tabu” avec son coffret grand luxe en cuir marine - 1932 © Charles Duprat L.Plassard, poudreuse en métal blanc émaillé polychrome - 1931 © Charles Duprat 46 47 Africanism and the Primary Arts. New words which are part of our new European perception of Black cultures scattered between Africa, the Caribbean islands, the Americas and Australasia. If Japanism and Far East began to melt with European art of living in the years 18801910, Africanism and the discovery of Polynesia definetely marked the beginning of the 20th Century. So the boiling creativity of Perfumery and Cosmetics of these times became imbued with ethnic trends from Africa and Oceania. Africanism first appeared in Perfumery in 1918 with Michel De Brunhoff and Lucien Vogel creating their company Parfums De Vigny, which released, two years later, their very first perfume exhibited in an amazing bottle: the “GolliWogg”. In 1890-1900, this was also the name of the first ever Black doll in Great-Britain and in the USA, inspired from childrens’ comic strips written by the famous sisters Florence and Bertha Upton. The hero was an African character with a naive and easy going appearance, and who was living amongst dolls and toys... In the crazy Parisian atmosphere of the twenties, “Golli-Wogg” became a perfume as a tribute to the “Revue Nègre” lead by Joséphine Baker. The bottle designed by Michel De Brunhoff depicted this Africanist character. This perfume was so successful in France and in the USA that it was presented in different styles of displays. Inspired from the names of the Golli-Wogg brothers, the trinomial box named “Jack, Junior, Jill” was the perfect symbol thereof. In 1925 this ethnic trend was confirmed with the perfume “Fétiche” signed by L.T.Piver. Its simple presentation with a coloured geometric decoration recalls patterns used in the traditional costumes of some African tribes, Maoris or even Guaranis... The following year, Parfums De Vigny renewed their performance in this exo- 48 named after the mountain that separates the Sahara and his native Niger. His bottle, designed as a glass column decorated with a golden African mask, looks like a stylized totem. tic and tropical trend. Reputed as their favourite perfume, their fragrance “Guili-Guili” was displayed in a bottle imitating an enigmatic African inspired statue. From 1932, Parisian girls were under the charm of “Le BakerFix”, a cosmetics line created by a company associated to the famous name of Joséphine Baker : beauty creams, milks, brilliantine, powders and… tan oil “Le BakerOil”! 1931 was the great Tropical year for Paris, which hosted the International Colonial Fair over several months. Thus, Europe discovered the richness and diversity of the five continents. About 32 million people visited the pavilions dedicated to French Western Africa, French Equatorial Africa, Indo-China, West Indies, Dutch Indies and Belgian Congo. Perfumery was of course there as most of the raw materials used in their industry came from exotic countries. Then exhibitors were mostly traders like Robertet, Lautier & fils, Givaudan, Antoine Chiris, Roure-Bertrand fils and Justin Dupont... But others prestigious companies such as Roger & Gallet, Rigaud, Lubin, Ed. Pinaud, Gilot, Biette and Salomon took the opportunity to display their expertise. The tremendous success of the Fair boosted perfumers’ imagination and creativity. As did Plassard company when they packed their face powders in an enamelled metal compact decorated with a Tropical landscape representing a sunset and palm trees. Associated to graphic designer and illustrator Pol Rab, Ramey perfumes released “Nénufar”, whose name was inspired by a young African boy who left his native jungle to find out urban world. He was a comic strip hero facing both the progress and flaws of our so-called “civilized” world. Its black opaque glassy bottle depicted this remarkable African character whose head served as a stopper. Finally, the Lubin company ventured in the ethnic perfume universe in 2005 with their sublime “Idole”. This perfume created by Olivia Giacobetti was set in a splendid sculpture bottle imagined and designed by the famous Serge Mansau. If Tropic Attitude and Ethnics are now authentic fashion phenomena mirroring our multiculturally evolving society, they are also new inspiration and aestheticism sources. In 1932 was born Dana, a famous perfume house with Spanish roots. This trademark created by Javier Serra made itself known with perfume “Tabu”, inspired by Polynesian culture. He extended his creativity in this ethnic repertory in 1938 by creating “Totem”… Dana marketed that same year a whole lipstick line, each presented in a different tube representing an African fetish. And the various shades were named “Tchad”, “Riff” or “Tombouctou”... After the Second World War, Parisian perfumer Marquay imagined in 1948 his “Douka” extract aimed at young women. The style of the bottle reminded of the art of Maoris, Samoans and people from Papua New-Guinea. Vigny - Gulli-Gulli” - 1926 - Création de Michel de Brunhoff Côte d’Ivoire, vers 1935-1940 - © Charles Duprat L. T. Piver - “Fétiche” - 1925 - © Charles Duprat Dana - “Le rouge à lèvres”, modèle ouvert et fermé - 1938 - © Charles Duprat Nowadays globalization and ethnic trend still inspire some masters of elegance and luxury. Such as Japanese fashion designer Kenzo and his 1996 tribute to the Black continent with his perfumes “Jungle Eléphant”, “Jungle Lion”, “Jungle Tigre” and “Jungle Zèbre”. Bottles designed by Joel Desgrippes were drawn from the legendary "Jungle Book” written by Rudyard Kipling. 2001. Effervescent worlds of fashion and perfumes were vibrating for Alphadi. Living between Paris, the Sahara desert and Niamey, this couturier released, during the African Fashion International Festival, his very first perfume “L'Aïr” 49