Micro-don - Association Française des Fundraisers

Transcription

Micro-don - Association Française des Fundraisers
JUIN 2011
NUMÉRO 27
Dossier
Micro-don :
les petits ruisseaux
feront-ils les grandes rivières ?
Place aux débutants
Internet et la collecte de fonds
People
Marie-Stéphane Maradeix : huit femmes
Editorial
Actualités
4
6
Bienvenue à bord !
Campagne du moment
Soi Dog Foundation
8
Polémique
Rémunération « au résultat » :
faut-il craindre que les lignes bougent ?
E
t une saison de plus qui s’achève.
Une saison, il faut bien le dire,
sans événement majeur pour le fundraising. En demi-teinte, un peu
floue. A l’image du flou fiscal dans
lequel Bercy a laissé le secteur pendant plusieurs mois. Si, au final, la
réduction fiscale pour les donateurs assujettis à l’ISF est maintenue – les fundraisers ont suivi, avec raison, le mot d’ordre de
ne pas changer de cap dans leur stratégie – nul ne saura encore
quelle sera l’assiette des contribuables qui en bénéficieront. Et
donc, à terme, l’impact sur les comportements de dons. Une
chose est sûre en revanche : la fiscalité ISF, censée d’abord
profiter à l’enseignement supérieur ou à la culture, a poussé les
associations à développer des stratégies « grands donateurs »,
comme nous l’avons souligné dans notre dernier numéro (voir
Fundraizine 26).
10
Grande actu
L’accès des associations aux médias
audiovisuels
Dossier
11
Micro-don : les petits ruisseaux feront-ils
les grandes rivières ?
Côté pratique
16
Place aux débutants
Internet et la collecte de fonds
Horizons
Cette fois pourtant, nous quittons le pays de Gulliver pour aller
à la rencontre des dons lilliputiens. Ces dons minus qui sont en
train de conquérir le monde. Mais qui, en France, se heurtent
encore aux barrières culturelles, techniques et commerciales,
comme le rapporte notre dossier (p. 11 à 15). Où l’on se
demande (en ces temps de sécheresse !) si les petits ruisseaux
feront, un jour, les grandes rivières…
18
Out of box
La bienveillance : une stratégie gagnante
pour le fundraising
20
Côté recherches
Le temps vaut mieux que l’argent
22
C’est que le fundraiser doit être un gouvernail pour son organisation. Prendre le large n’est donc jamais inutile. Traverser
l’Atlantique pour un détour par « la belle province » (voir
la Tribune sur le Québec, p. 22), ou s’adonner aux joies
des nouvelles technologies (voir notre rubrique « Place aux
débutants », p. 16).
Impression : Advence
Actualités du fundraising
Zoom pays
Québec, Terre d’avenir !
Opinions
23
Tribune libre
Comment s’assurer de ne pas être lu ?
24
Reste que le navire fundraising est bien ancré. En 2011, l’AFF
fête ses 20 ans, et le Séminaire, ses 10 ans d’existence. Notre
association a également l’immense plaisir d’accueillir une
nouvelle présidente, Marie-Stéphane Maradeix, qui est aussi
l’une des pionnières du secteur (voir son portrait, p. 26). Pour
un nouveau départ…
La Donatrice Mystère
Du crowdfunding au micro-don
People
26
Le Comité de Rédaction
Marie-Stéphane Maradeix : huit femmes
Répertoire
27
Prestataires
Publication trimestrielle éditée par l’Association Française des Fundraisers, association à but non lucratif enregistrée au JO du 15 mai 1996, dont le siège social se trouve 6 rue de Londres, 75009 Paris. Tél. : 01 43 73 34 65
Fax : 01 43 49 68 77 Site internet : www.fundraisers.fr - E-mail : [email protected]
Abonnement (4 numéros) : 75 € TTC - ISSN : 1952-7284
Directeur de la publication : Marie-Stéphane Maradeix - Rédactrice en chef : Yaële Aferiat - Rédactrice en chef adjointe : Pauline Graulle - Secrétariat de rédaction : Pauline Graulle, Aurélie Perreten, Alexandra Maillet
Conseiller spécial de la rédaction : Jean-Marie Destrée - Comité de Rédaction : Yaële Aferiat, Alexandre Ayad, Perrine Daubas, Philippe Doazan, Eric Dutertre, Pauline Graulle, Aude Hayot, Claire Heuzé, Sophie Le Maire,
Marie-Eve L’Huillier, Aurélie Perreten, Christine Quentin, Sophie Rieunier, Noémie Wiroth - Dossier : Pauline Graulle - Illustration de Une : \Excel, Audrey Derbaise - Direction Artistique : Maxyma, Antoine Tavares
>
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Agenda
Actualités
10e séminaire de la collecte de fonds
28,29 et 30 juin 2011
FIAP Jean Monnet
30 rue Cabanis – 75014 Paris
Revue digitale
Le Web fait ses jeux sur la charité
Présentation du référentiel des métiers
du fundraising de l’APEC / AFF
Petit-déjeuner
Secteur culturel
« Grands donateurs»
22 septembre 2011 - Paris
Journée de formation
« Les fondamentaux pour bien
démarrer votre fundraising ou démarrer
sur de bonnes bases »
29 septembre 2011 - Paris
Petit-déjeuner
Enseignement supérieur et recherche
« Partenariat entreprise »
6 octobre 2011 - Paris
After-work
Les fondation d’entreprise en Midi-Pyrénées
11 octobre 2011 - Toulouse
International Fundraising Congress
(IFC)
18 au 21 octobre 2011 - Amsterdam
Petit-déjeuner
Présentation du mécénat à l’Opéra de Lyon
21 octobre 2011 - Rhône-Alpes
Journée de formation
« Prospect Research »
27 octobre 2011 - Paris
Journée de formation
« Partenariat entreprises »
8 novembre 2011 – Paris
Petit-déjeuner
« Embedded generosity »
24 novembre 2011 - Paris
Journée de formation
Secteur culturel
24 novembre 2011
EAC - Paris
Pour plus d’informations
et adhérer en ligne : www.fundraisers.fr
4
Fundraizine
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L’
appât du gain fait-il bon
ménage avec la générosité ?
C’est en tout cas le pari qu’ont fait
plusieurs sites de jeux en ligne à
l’étranger, aux Etats-Unis mais également en Europe, notamment
au Royaume-Uni et en Hollande.
Et depuis quelques mois, en France,
avec les « charity lotteries » qui ont
fait leur apparition sur le site « Solidaires le jeu ».
Le principe de « Solidaires » est simple : il consiste à participer à un jeu
de hasard pour gagner un lot ou
une cagnotte financière en envoyant plusieurs SMS surtaxés. La
différence est qu’après avoir payé
les frais de l’opérateur mobile et de
l’exploitant du site, les recettes
financières du jeu, soit un peu plus
de 10 %, vont à une ou plusieurs
associations.
Une opération qu’il convient de rapprocher d’un produit solidaire plus
que d’une collecte en ligne, car le
participant vise avant tout le gain
d’une forte somme d’argent ou d’un
lot onéreux. Et comme le résume le
slogan de betoncharity.com, l’association gagne quand le joueur perd !
Cette approche raisonnée a été
relayée par le président de l’Arjel
(Autorité de régulation des jeux en
ligne), dans une interview au Cerphi.
Il souhaite ainsi que « dans une démarche solidaire à travers les jeux en
ligne, […] une catégorie de joueurs
qui, conscients que l’on a plus de
chance de perdre que de gagner,
sauront se mobiliser quand même
pour une cause qui leur est chère ».
Les acteurs de ces « jeux d’argent
solidaires » se sont d’autre part regroupés au sein d’une association
professionnelle, l’Acleu (Association
of charity lotteries in the European
Union), qui milite pour en faire un
outil de fundraising accepté dans
toute l’Union européenne. Ils sont
soutenus à ce titre par de grandes
ONG comme Plan, le WWF et
Amnesty International.
En France, seules des associations
locales exploitent l’exception issue
de la loi du 21 mai 1836, permettant
d’organiser des loteries destinées à
des actes de bienfaisance, à l’encouragement des arts ou au financement d’activités sportives à but non
lucratif, car elles ne peuvent pas
proposer de gain d’argent et il faut
une autorisation préfectorale. « Solidaires le jeu », introduit donc un
type de partenariat nouveau entre
associations nationales et opérateurs de jeux en ligne nés de l’ouverture du marché des jeux en ligne
en 2010.
Une démarche qui soulèvera sans
nul doute des questions éthiques au
sein des organisations, pour savoir
si s’associer au monde des jeux
d’argent revient à favoriser le surendettement et la pauvreté, ou au
contraire constitue une opportunité
de toucher les 2,6 millions de
joueurs actifs et de bénéficier du
pactole de plus de 2 milliards misé
sur le premier trimestre 2011.
n A. A.
© www.illustrations.fr
15 septembre 2011
Institut Pasteur - Paris
Une démarche qui soulèvera sans nul doute des questions
éthiques au sein des organisations…
Pour en savoir plus :
http://www.solidaireslejeu.com/
http://www.acleu.eu/
Actualités
« Déclarer plus n’est pas donner plus »
Selon Recherches & Solidarités1, la progression des dons a stagné en 2009. Plus étonnant, les Français
se sont montrés plus motivés pour déclarer fiscalement leurs dons. Trois questions à Jacques Malet,
président de Recherches & Solidarités.
La fiscalité est-elle devenue une
motivation première des
donateurs ?
Jacques Malet : La
fiscalité n'est pas, et
ne sera jamais, le
fondement de l'acte
de don, libre et généreux. Pour autant,
ce ressort devient un élément davantage pris en considération par
les donateurs, notamment grâce
aux encouragements des fundraisers. Pour le moment, déclarer plus
ne conduit pas à donner plus,
comme le montre ce dernier bilan.
Pour que la fiscalité devienne un
véritable facteur de progression de
la collecte, il faut deux conditions :
que les réflexes de déclaration
demeurent une fois la crise passée,
et surtout, que cette fiscalité, injuste
et complexe, soit simplifiée pour
être véritablement incitative. Alors,
le bénéfice pour les associations
pourrait être substantiel.
Que pensez-vous de la
communication des
associations sur la fiscalité?
J. M. : Le travail des fundraisers en
direction des donateurs les plus
aisés, tant par rapport à l'IRPP que
par rapport à l'ISF, porte peu à peu
ses fruits : lorsque l'on donne beaucoup, on ne néglige pas « l'effet de
levier » que représentent les incitations fiscales. Ces donateurs doivent
être peu à peu conduits vers la notion de cofinancement : ce que je
donne, plus la diminution de mon
impôt, égale ma capacité d'action
en faveur de l'action de mon choix.
Quel conseil donner
aux fundraisers ?
J. M. : Eviter à tout prix de présenter
les réductions d'impôts comme des
opportunités pour que le don coûte
moins cher...
1
« La générosité des Français », édition 2011,
www.recherches-solidarites.org
Fundraizine
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La campagne du moment
© www.morguefile.com
Actualités
SOI
DOG
FOUNDATION
Ou comment collecter 100 000 $ en prélèvement automatique via Facebook !
La campagne du moment, c’est la SOI DOG FOUNDATION qui, comme son nom ne l’indique pas, n’est
pas une recette de chiens à la sauce soja, mais bien une fondation qui s’occupe des chiens et chats
errants en Thaïlande.
C
ette petite fondation, située à
Phuket, a réussi l’exploit de
recruter des donateurs réguliers,
en prélèvement automatique (PA),
pour une contribution annuelle de
100 000 $, en 1 an d’activité sur Facebook. Une belle success story pour
une petite structure, mais aussi pour
nous, fundraisers français, pour qui Facebook est loin d’être devenu le premier canal de collecte on-line. Si nous
avons choisi cette campagne, c’est
que nous pouvons très concrètement
nous en inspirer pour nos propres organisations, en appliquant les principes qui ont permis un tel succès.
n Créer une véritable
communauté
Le nerf de la guerre, pour collecter
sur Internet, c’est de bénéficier
d’une communauté de supporters,
de donateurs, d’adhérents ou de
6
Fundraizine
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fans, car c’est de cette communauté,
de sa taille et de son implication,
dont dépendra votre collecte.
L’avantage sur Facebook, c’est que
la plateforme met à votre disposition les outils fondamentaux pour
élargir facilement votre communauté, en faisant appel à vos propres
fans. Leonard Coyne, fundraiser de
la SOI DOG FOUNDATION, pense
que c’est le premier critère de réussite de sa campagne : partie de zéro,
la fondation dispose aujourd’hui de
près de 10.000 fans. Son secret ?
poster au moins 1 fois par jour sur la
page de la fondation, en variant les
contenus (info, photo, vidéo, question…), et surtout en invitant systématiquement les fans à relayer l’info
à leurs proches. L’astucieux bouton
« Partager » qui apparaît sous
chaque publication, permet soit
d’envoyer la publication à ses
contacts sous forme de message
privé, soit de la publier sur sa propre
page, auquel cas la publication apparaitra dans le fil d’actualité de
TOUS ses contacts (imaginez la démultiplication d’audience !). Et quand
une personne est « fan » d’une cause,
le simple fait de relayer une publication ne lui demande pas un grand effort, c’est même un acte gratifiant
puisqu’on lui donne l’opportunité de
participer et de partager.
n Un certain investissement
C’est vrai, pour poster tous les jours
de nouveaux contenus, il faut y
consacrer du temps. Et surtout du
temps pour recueillir ces infos auprès
du terrain. Et c’est un vaste sujet que
d’arriver à mettre en place un circuit
de remontée des infos au sein de nos
organisations, mais l’enjeu est de
taille. Surtout que des infos, quelle
que soit la nature de notre organisation, il n’en manque pas : actualités,
manifestations, belles histoires, mais
aussi les « crises » et problèmes à résoudre… Car n’oublions pas que les
donateurs soutiennent avant tout
nos actions plutôt que notre organisation, ils veulent « voir » comment
Actualités
La campagne du moment
est utilisé leur argent, à qui il va, à qui
il sert. Donc il faut s’organiser pour
poster au moins un contenu, chaque
jour. Mais il faut aussi consacrer du
temps à l’animation des fils de discussion qui naissent sous forme de commentaires, sous les publications.
Animer, c’est remercier les fans pour
leur soutien, répondre constructivement et sans animosité aux critiques,
relancer une discussion, et bien sûr
demander de l’argent de l’aide.
l’audace… et tester, tester encore, tâtonner pour trouver THE formule qui
marche. Le tout est d’arriver à se
convaincre que déléguer à des fans
présente une opportunité plutôt
qu’une menace...
Une autre clé du succès de la campagne a été de réussir à déléguer
l’animation mais aussi le développement de la Page à des fans particulièrement investis. Ainsi, des personnes
du monde entier ont été « recrutées »
pour animer la page « mère » mais
aussi pour développer des versions
« locales » et développer la collecte
sur de nouveaux territoires. La Page
existe à présent dans 6 langues, et la
Fondation a même été déclarée officiellement en France pour pouvoir y
collecter des fonds. Au regard de la
taille et de l’impact de la Fondation,
située pour rappel à Phuket, Thaïlande, ça laisse rêveur. Bien sûr, on ne
peut pas confier à l’aveugle les rênes
de notre Page à de parfaits inconnus,
mais imaginez comment vous pourriez demander un peu plus à vos
meilleurs fans, ne serait-ce qu’en organisant une première rencontre
« physique » avec eux. Et comme pour
toute démarche de collecte, il faut de
© www.illustrations.fr
n Oser déléguer
à l’occasion de sa grande quête
nationale. Une mécanique à tester et
à comparer à vos autres investissements web.
Pour le passage à l’acte, une solution
est aujourd’hui disponible pour
héberger directement un module
de collecte sur votre Page, sinon le
simple lien vers le module de votre
site Internet est tout à fait efficace
(n’oubliez pas de prévoir le tracking
adéquat pour mesurer les résultats).
Last but not least, apportez un grand
soin à votre « offre ». Pour la SOI
DOG, son action même est un véritable pain béni en terme d’offre
donateur : quoi de plus fort que de
parrainer un chien en détresse ?
(plein de choses, le débat n’est pas
là !). Ce qui est à retenir, c’est la
précision du besoin exprimé dans
l’appel à don : une action, un bénéficiaire, un montant. Quel que soit le
média, c’est la clé du fundraising.
n Demander de l’argent
Bien entendu, chaque publication
doit souligner à quel point le soutien
à votre organisation est vital : sous
forme d’appel à don mais aussi de
simples, mais néanmoins essentiels,
remerciements. En complément, la
SOI DOG a testé avec succès les
fonctionnalités de publicité de
Facebook, qui offrent des possibilités de ciblage de plus en plus précises, et permettent de caper votre
investissement. Nous avons d’ailleurs remarqué que la Croix-Rouge
française s’est lancée dernièrement,
Donc, en y consacrant un peu de
temps, en mobilisant les équipes
opérationnelles pour qu’elles fournissent du contenu, en s’ouvrant
aux fans et avec une bonne offre,
Facebook peut être un levier de
collecte efficace, quelle que soit la
taille de votre organisation !
Et, pour la petite histoire, la campagne Facebook aurait également
généré 5 promesses de legs à la SOI
DOG FOUNDATION… !
n M. E. L.
Liens :
http://www.soidog.org/
http://www.facebook.com/SoiDogPageInEnglish
http://www.facebook.com/pages/Fondation-Soi-Dog-Francais/171451336218059
C’est une donatrice qui le dit : le don procure fierté et bien-être !
Remercier les donateurs, c’est essentiel !
Fundraizine
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La polémique du moment
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Actualités
Rémunération « au résultat » :
faut-il craindre que les lignes
bougent ?
La consultation publique, lancée fin mars 2011 par le Comité de la Charte sur le pilotage et de la
rémunération des agences de collecte de fonds, relance le débat sur la rémunération « au résultat ».
Modernité ou capitulation ? A voir…
E
n décrétant, en 1989, l’interdiction de la rémunération liée aux
montants de la collecte, le Comité
de la Charte a apporté une réponse
claire et saine aux maux qui minaient une partie du monde caritatif
des années 1980. L’enjeu était de
taille : redonner confiance dans le
don à une France échaudée, suspicieuse, et figée par les « affaires ». La
réponse devait être ferme, l’éthique
irréprochable, et l’effort exemplaire.
Ainsi s’est donc érigée une règle aux
multiples vertus, l’interdiction de la
rémunération au résultat de la collecte apportant tout à la fois protection aux organismes collecteurs et
confort moral aux acteurs du secteur.
En proposant, non seulement de
remettre en question la règle initiale
mais d’y apporter de la nuance pour
intégrer les spécificités des nouvelles techniques – dont le web
8
Fundraizine
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notamment, le Comité de la Charte
a réveillé les peurs des dérives commerciales et bousculé les habitudes
du milieu. Dans les deux cas, l’enjeu
est majeur puisqu’il s’agit de donner
une inflexion nouvelle, aussi minime
soit-elle, à un marché ultra sensible
et très orchestré.
Rien d’étonnant pour autant à ce
que l’instance, dont c’est la responsabilité, ait souhaité intégrer les évolutions du monde contemporain
dans son référentiel déontologique.
Si la terminologie choisie peut éventuellement être débattue, c’est bien
là tout l’intérêt d’une consultation
publique. Charge à chacun de s’y exprimer et d’y participer avec pour
objectif que le bon équilibre soit
trouvé.
Daniel Bruneau, directeur de la
recherche de fonds et de la communication aux Petits frères des
Pauvres, explique autant pourquoi il
est impératif de lutter contre une
rémunération au résultat que les
raisons pour lesquelles la Charte se
doit d’évoluer. Et c’est au « Fundraiser Mystère » que revient le mauvais
rôle d’argumenter contre le dogme
initial…
n « Un risque de surenchère »
Daniel Bruneau, directeur recherche
de fonds et communication aux
Petits frères des Pauvres
« De manière générale, je suis opposé à une rémunération variable
selon le résultat des opérations de
collecte, et particulièrement lorsqu’il
s’agit de dons stricto sensu sur lesquels il y a une sensibilité du public
qui est extrêmement importante.
L’organisation qui collecte les fonds
a une stratégie et des responsabilités qui ne doivent pas être confon-
Actualités
La polémique du moment
dues avec celle du prestataire. Un
mode de rémunération fondé sur le
résultat fait du prestataire un
co-partenaire de la collecte, et je suis
farouchement opposé à cela. C’est à
l’organisme collecteur d’assurer
l’entière responsabilité de ses actes,
de sorte qu’il ne se retrouve pas dépossédé de sa communication. Car
il y a, dans le cas contraire, un risque
important de dramatisation du message, de gadgetisation du propos
ou de surenchère de la prime de la
part du prestataire pour obtenir des
résultats immédiats extraordinaires.
Cela vaut d’ailleurs autant pour les
prestataires externes qu’au sein
même des organisations.
D’autre part, il est extrêmement difficile d’évaluer un résultat dans un
environnement sans cesse changeant ou quand l'actualité peut
avoir un rôle déterminant (catastrophe, guerre). De même que le
prestataire n'a pas à supporter un
quelconque dysfonctionnement de
la part de l'organisme collecteur
(scandales, etc.). Enfin, penser qu’une
rémunération à la collecte permet
aux petites associations de financer
leurs premières actions est une illusion
d’optique. Lorsque l’on fait porter
le risque de la collecte par d’autres,
ils nous le font payer. Comme un
banquier et à tous les niveaux.
Le cas de la Grande-Bretagne où
la rémunération au résultat a été
autorisée pour le street-fundraising
et a apporté des conclusions édifiantes. Après s’être fortement développés, les arguments sont devenus
délirants. Le hard selling auprès des
donateurs était insupportable et les
gens ont craqué. Finalement, c’est
tout le système qui a explosé (voir
notre rubrique « Polémique » de janvier 2009). Si l’on se situe dans une
perspective de développement durable, il faut solliciter les donateurs
avec modération et non dans le
hard selling, quels que soient les
outils. Cette réflexion s’applique
d’ailleurs à 99 % pour les nouveaux
médias comme le web.
Encore faut-il être clair sur ce que
l’on appelle « résultat ». Le « clic» par
exemple, n’est pas, à mes yeux, un
résultat de collecte – il ne rapporte
pas d’argent. Il s’agit plus du paiement du trafic que d’une rémunération à la collecte. Des habitudes ont
été prises sur Internet et il faut en
prendre acte mais avec beaucoup
de modération. Dans ce cadre, et
pour le nombre de donateurs uniquement, le Comité de la Charte
vient de faire une petite ouverture
à laquelle j'adhère mais attention :
moderato, moderato ! »
© www.illustrations.fr
n « Ni oui ni non…
mais comment ? »
Le Fundraiser Mystère
« Le débat sur la rémunération liée
au montant de la collecte est aussi
ancien que le fundraising lui-même.
C’est normal car il y a eu des dérives
avec des conséquences à chaque
fois dramatiques sur l’ensemble du
secteur associatif et caritatif – en
dehors peut-être des marques
fortes qui ont fortement fidélisé
leurs donateurs. Quoi qu’il en soit,
cela demeure toujours un traumatisme pour le secteur. Cependant, se
retrancher derrière une approche
purement manichéenne – « pour »
ou « contre » la rémunération au
résultat de collecte –, me semble facile et aujourd’hui, daté. Il faut voir
qu’être contre « par principe » est
aussi une manière de s’offrir un positionnement à moindre frais tout
en s’assurant un marché solvable.
Sous couvert de la règle, on ne
prend pas le risque d’aider les orga-
nisations qui ont peu de fonds propres et ce travail est laissé aux fundraisers les plus nécessiteux et,
donc, souvent les plus fragiles.
Partager le risque d’une collecte de
fonds avec l’organisation collectrice
peut aussi être vu comme du pragmatisme et cela ne me paraît pas
anormal qu’il y ait un coût supplémentaire, dès lors que l’opération
permet, in fine, la mise en œuvre de
projets essentiels à l’amélioration de
notre société. Je pense même qu’il
est préférable de partager le coût
du risque avec un prestataire impliqué plutôt qu’avec un banquier que
l’on sollicite pour financer le prestataire en question !
Une association ou une fondation
qui a des fondamentaux solides,
clairs et partagés ne se laisse pas
emporter dans des communications
racoleuses qui ne correspondent
pas à ses valeurs. Et encore moins
dans des stratégies de court terme.
Je pense qu’il faut aussi faire
confiance aux responsables des organisations et à leur capacité à gérer
de manière éthique et sur le long
terme le développement de leur
structure.
Aujourd’hui, le web bouscule les
règles du jeu et la question n’est
plus de savoir si l’on est « pour » ou
« contre », mais plutôt de savoir
« comment ». Car la rémunération
au trafic et à la performance sont la
base même du modèle économique
du web. Le Comité de la Charte
envisage actuellement une possibilité de rémunération au nombre de
dons et dans certaines conditions,
pourquoi pas. Peut-être aussi faut-il
envisager une approche par plafonds de montants. C’est à voir. Quoi
qu’il en soit, il me semble plus juste
de donner quelques règles de bon
fonctionnement plutôt que de nier
l’existence de ce système. Pour ma
part, je nous fais confiance, à nous
prestataires, ainsi qu’aux organisations pour mettre le curseur au bon
endroit. Personne n’a intérêt à ce
que le système dérape, ni à ne pas
évoluer avec son temps. »
n C. Q.
Fundraizine
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Actualités
Grande Actu
© www.illustrations.fr
L’accès des
associations aux
médias audiovisuels
Malgré l’importance de leurs fonctions sociales et civiques, les
associations sont peu ou inégalement présentes dans les médias audiovisuels. Tel fut le constat partagé lors de la deuxième
Conférence de la vie associative de décembre 2009, soit
quelques semaines seulement après le retentissant coup d’éclat
de Pierre Bergé à l’encontre du Téléthon. Le monopole accordé
par France Télévisions à la Fondation de France pour Haïti dans
les semaines suivantes ne fit qu’attiser la polémique.
D
ès janvier 2010, le Premier Ministre chargeait ainsi le CSA de
créer une commission de réflexion
sur l’accès des associations aux médias audiovisuels. Notons que le
terme « associations » doit être entendu au sens large, car il comprend
également les fondations.
Lors de la mise en place de la
commission en juin 2010, Michel
Boyon, président du CSA, préconisait « l’établissement d’un partenariat
équilibré et dynamique entre les
associations et les chaînes de télévision et de radio. Ce partenariat devra
garantir la transparence et l’équité
dans l’accès à l’antenne des associations faisant appel à la générosité du
public ».
La commission, constituée de 13
personnalités qualifiées, s’est fondée sur 25 auditions, 16 contributions écrites ainsi qu’un état des
lieux des temps d’antenne occupés
par les associations sur les chaines
hertziennes et un recensement des
thèmes abordés dans les journaux
de 20h en 2009. Trois grands principes ont guidé sa réflexion :
• l’équité entre les associations
présentes à l’antenne pour mieux
valoriser l’extrême diversité de
l’engagement associatif,
• la clarté sur le choix des associations présentées à l’antenne, sur les
relations contractuelles entre médias et associations, sur le respect
de règles déontologiques et sur
10
Fundraizine
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l’utilisation des fonds éventuellement collectés,
• la promotion de l’engagement
citoyen, au delà des seules situations d’urgence type séisme en
Haïti en 2009 ou Tsunami de 2004.
Remis le 2 mars dernier, le rapport
du CSA avance 10 propositions. Elles
suggèrent notamment aux chaînes
et aux radios d'offrir plus d'espace
de discussion et de visibilité aux
associations et fondations (Proposition 1), en veillant à une diversité
des causes présentes dans les émissions d'appel aux dons et à une
information sur la variété des associations œuvrant pour une même
cause (Proposition 3). Cette dernière
proposition fait écho à la recommandation de mise en place de
portail d'information sur les associations et les causes (Proposition 6).
Comme France Générosités le souligne dans son communiqué à l’occasion de la publication du rapport,
ce portail existe d'ores et déjà, il
s'agit du site www.infodon.fr mis en
place par l'Institut pour le Développement des Générosités, et qui est
un site d'information sur les dons,
les causes et les urgences. France
Générosités s’est déjà engagée à
porter ce site à la connaissance
large des médias, afin qu'il puisse
être utilisé facilement par tous,
notamment comme outil de recensement des associations.
De son côté, la CPCA (Conférence
Permanente des Coordinations
Associatives) « regrette que le rapport se centre principalement sur la
défense de grandes causes qui favorise la mise en lumière des associations humanitaires et de solidarité
au détriment de la variété des secteurs de l’intervention associative,
mais une véritable dynamique pour
renforcer la place de la vie associative dans les médias audiovisuels est
peut-être lancée. Les propositions
qui visent à désigner un référent
associations dans chaque média ou
encore à établir une charte d’engagements entre médias audiovisuels
et associations en sont de bons
indicateurs. »
S’il l’on ne peut que souhaiter que
les médias français se décident
à jouer tout leur rôle dans la promotion de l’engagement associatif et,
par là, la reconnaissance de la
société civile, les associations se doivent aussi d’être réactives en saisissant les opportunités qui leurs sont
ainsi offertes. Sachant que bon
nombre d’entre elles n’ont pas
encore de pratique et encore moins
de ressources nécessaires à la production de contenus audiovisuels,
sans doute ont-elles intérêt à agir
conjointement dans leur rapprochement avec les médias.
n S. L.
Micro-don
© www.morguefile.com
Dossier
Micro-don :
Les petits ruisseaux feront-ils
les grandes rivières ?
Très en vogue dans les pays anglo-saxons le principe du micro-don encourageant un don plus démocratique représente, en théorie, une manne pour le tiers secteur. En France, les associations commencent
à s’y intéresser, mais se heurtent à d’importantes difficultés de mise en œuvre, tant techniques que
culturelles. Résultat, dans l’immédiat, le micro-don coûte cher en énergie et s’avère peu rentable. Mais
n’est-il pas aussi l’avenir ? Enquête.
D
onnez peu, mais donnez nombreux. Sans doute aussi vieux
que le fundraising (voir la « Mamie
Mystère », p. 22-23), le principe du
micro-don a fait, ces dernières
années, une entrée remarquée dans
la sphère de la collecte professionnelle. Dès 1990, l’opération « Pièces
Jaunes » consistant à se délester de
sa petite monnaie dans des petites
boites en carton disposées un peu
partout, fait un tabac. Comme, neuf
ans plus tard, la campagne « 1 franc
par jour » de Médecins sans frontières. « Un franc, c’est peu, mais c’est
déjà le prix d’un vaccin contre la
méningite, une maladie mortelle »,
martèle alors l’association qui a
convaincu, depuis, 350 000 personnes
de donner « 1 euro par semaine » via
le prélèvement automatique.
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Dès 1990, l’opération « Pièces Jaunes » fait un tabac !
n Quand l’union fait la force
Dopé par les nouvelles technologies, le micro-don connaît aujourd’hui un regain d’intérêt. Qu’il
s’agisse des cartes bancaires solidaires (voir encadré), du don par
SMS lors des urgences humanitaires
(voir notre dossier sur Haïti dans
Fundraizine n°23) ou d’initiatives du
genre de « Mailforgood » (à chaque
mail envoyé contenant une bannière publicitaire pour le développement durable, un petit montant
est reversé à une association), le don
mini a la grande cote.
Dernière tendance en date, le
crowdfunding. Mis en lumière par
l’incroyable campagne de Barack
Fundraizine
| 27 | JUIN 2011
11
Micro-don
n Une tendance de fond
Si un vrai savoir-faire pour collecter
des fonds ne serait sans doute pas
de refus chez nos gratte-papier, sur
le principe, « le crowdfunding a du
potentiel, estime Frédéric Bardeau,
co-fondateur de l’Agence Limite et
spécialiste du don en ligne. Cette
conscience du collectif, de l’agir ensemble, est un moteur très intéressant
et moderne ».
Auquel il faut toutefois ajouter un
ingrédient primordial pour que le
mini don génère un maxi effet : la
multiplication des opportunités de
dons, afin de créer un effet d’échelle
et de démultiplier les sommes. Et si,
à chaque passage d’un tourniquet
du métro, 30 centimes étaient reversés pour la lutte contre le sida ? Et si
0,01 euro était envoyé aux enfants
d’Haïti à chaque appel sur un
portable ? Et si, à chaque menu Mac
Donald’s englouti, un euro était
reversé à la lutte contre la faim ? Ce
12
Fundraizine
| 27 | JUIN 2011
monde où tout le monde donnerait
tout le temps, où chaque action de
la vie quotidienne serait une occasion de donner, un tout petit peu et
presque sans s’en rendre compte,
c’est ce qu’on appelle désormais
« l’embedded » générosité.
© microDon
Obama en 2008 (400 millions de donateurs dont la moitié a donné
moins de 200 dollars), le « financement par la foule » se développe
à vitesse grand V. sur le modèle de
l’Internet 2.0. Réunissant des
dizaines, voire des centaines ou des
milliers de petits donateurs autour
d’un projet ou d’une personne à
financer, il a par exemple donné lieu,
dans le secteur non-profit, à l’explosion des courses solidaires organisées par un nombre croissant
d’associations... Et a inspiré bien
d’autres secteurs comme le monde
de la musique (voir l’initiative de
Mymajorcompany), ou les médias,
avec la création, début avril 2011, de
la plateforme « J’aime l’info ». Lancée par Rue89, elle rassemble une
centaine de journaux en ligne désireux de faire financer des projets
éditoriaux biens précis. Pour l’instant, « ça reste modeste, et en dessous
de nos espérances », reconnaît Xavier
Frison, responsable éditorial du site
Politis.fr qui a lancé un appel à dons
pour un reportage aux USA sur les
gaz de schiste : au bout de deux
mois, 375 euros ont été collectés sur
un objectif de 2 500 euros – et c’est
l’un des sites les mieux lotis…
rien à voir avec un produit-partage
qui implique que la personne achète
et que la marque reverse : dans la “générosité embarquée”, c’est le donateur
qui décide s’il veut, ou non, donner de
sa poche en plus de la transaction ».
«
Et si, à chaque
passage d’un
tourniquet du métro,
30 centimes étaient
reversés pour la lutte
contre le sida ?
»
L’arrondi sur salaire : un microdon en devenir ?
© jaimelinfo.fr
Dossier
Début avril, la plateforme « J’aime l’info » est lancée par Rue 89.
Une générosité d’avenir si l’on
en croit les acteurs d’influence dans
le monde du non-profit. En 2009
déjà, le site trendwatching.com en
faisait l’une des « 10 tendances de
consommation pour 2010 ». Et pour
le magazine américain The Chronicle
of Philanthropy, l’« embedded generosity » arrive au 3e rang des
« buzzwords » qui feront bouger la
philanthropie en 2011 – juste après
les « entrepreneurs sociaux » et la
« microfinance ».
Mais au juste, qu’est-ce que la
« générosité embarquée » ? « C’est
un très petit don réalisé au moment
d’une transaction financière »,
explique Pierre-Emmanuel Grange,
l’un des importateurs de cette nouvelle philosophie de la collecte en
France. « Mais attention, précise-t-il,
n Le don au quotidien :
eldorado…
En théorie, il existe donc une infinité
de supports à cette « omni-générosité ». Les bulletins de salaires, les
factures d’électricité ou de téléphone, les additions de restaurant,
les tickets de caisse, les achats en
ligne, les billets d’avion, etc.
Aux Etats-Unis, 52 % des Américains
réalisent chaque année une « Chekout donation ». En Angleterre, 100
millions de Livres sont collectées
chaque année via le « Payroll giving »,
le don sur salaire. « Le “Payroll” est
presque un programme parapublic,
affirme Pierre-Emmanuel Grange.
C’est très ancré dans les mœurs ».
« 9 000 entreprises font du Payroll
Giving en Grande-Bretagne, tempère
Lyoko Myioshi, directrice associée à
l’agence Excel, et chez Royal Mail,
l’entreprise la plus engagée, moins de
30 % des employés participent au programme ». Un bon score tout de
même en ces temps de crise économique... Plus étonnant, le Mexique
est, lui aussi, l’un des pays pionniers
sur la « générosité embarquée » grâce
à son programme du « Redondeo »
Dossier
Micro-don
qui consiste à reverser quelques centimes de pesos aux caisses des supermarchés.
Alors, si ça marche ailleurs, pourquoi
pas ici ? C’est précisément de ce modèle d’« arrondi » mexicain que s’est
inspiré Pierre-Emmanuel Grange,
pour créer, en 2009, la « carte microDON », un « flyer » sur lequel est
imprimé un code barres pour faire
un don à la caisse d’un supermarché
pour une association locale. L’initiative a reçu en 2009, le Prix de l’Innovation en Fundraising décerné par
les professionnels du secteur. Et
prend aujourd’hui de l’ampleur
puisque la région Ile-de-France a
lancé une étude pour développer la
carte au sein de plusieurs de ses
départements. « L’arrondi en caisse
intéresse les enseignes qui ont tout intérêt à entrer dans des démarches de
Responsabilité sociale d’entreprise »,
souligne Pierre-Emmanuel Grange.
Celui qui se définit comme un « entrepreneur social » ne s’est pas
arrêté en si bon chemin. Grâce au
soutien de l’économiste et président de Planet Finance Jacques Attali, il a lancé l’année dernière, avec
ADP, leader dans la gestion de paie,
trois entreprises et deux associations de microfinance, le « Payroll
giving » à la française. « En moyenne,
20 % de salariés participent au projet
de l’arrondi solidaire dans les entreprises, pour un don moyen de 50
centimes, affirme Pierre-Emmanuel
Grange. Ce n’est pas énorme pour
l’instant, mais on continue de prospecter pour trouver d’autres entreprises. On est en train de créer le
marché, les grosses sommes viendront mais pas tout de suite ».
n …ou parcours du combattant ?
Las !, c’est précisément par manque
de résultats immédiats que le micro-
don pêche. « En dehors des catastrophes humanitaires, le micro-don
ne marche pas en France », constate
Frédéric Bardeau. Il n’échappe pas à
la fameuse règle des 80 / 20. « 80 %
des fonds des associations viennent
de 20 % des donateurs, c’est pourquoi
les associations se tournent davantage vers les stratégies grands donateurs, poursuit Frédéric Bardeau.
A l’inverse, le micro-don nécessite de
déployer une énergie folle pour récolter bien peu d’argent ». Pierre-Emmanuel Grange, qui a passé un an et
demi à convaincre les partenaires de
s’engager sur l’arrondi sur salaire,
reconnaît lui aussi que la mise en
place d’opérations de micro-dons
s’apparente à un parcours d’obstacles : « Les temps de décision des
partenaires sont très lents car les
niveaux de décisions sont très élevés,
explique-t-il. Les mentalités ne sont pas
encore préparées à cette nouveauté ».
Fundraizine
| 27 | JUIN 2011
13
Micro-don
Cartes bancaires
solidaires :
le don au guichet
De plus en plus en vogue, les cartes bancaires dites « solidaires » représentent aujourd’hui 3 % des cartes de crédit en
circulation. Le principe est simple : à chaque
transaction, une petite somme est donnée
à une association.
Depuis 2008, la Société générale verse ainsi
0,05 euros à l’une de ses 14 associations
partenaires chaque fois que l’un des 38 000
détenteurs de sa « carte citoyenne » effectue
un retrait ou un paiement. En deux ans,
500 000 euros ont été donnés par ce biais.
Exemple avec l’ONG CARE – un partenariat
global de plusieurs millions d’euros lie par
ailleurs l’association à la banque depuis
quatre ans – qui, depuis presque un an,
compte près de 5 000 clients porteurs de
cette carte solidaire marquée du logo de
l’association. « En douze mois, nous avons
collecté plus de 10 000 euros grâce à des
personnes qui ne seraient sans doute pas
sinon donatrices à l’association, rapporte
Fabienne Pouyadou, directrice des partenariats à CARE France. Ce n’est pas énorme,
mais cela nous permet de gagner en notoriété et de recruter de nouveaux donateurs ».
Cette opération avec le tiers secteur offre
d’autre part à la « Sogé » de soigner son
image, malmenée depuis la crise financière.
Un gain en communication qui ne lui coûte
au final pas grand-chose si l’on considère
le fait que les clients doivent payer 12 euros
pour avoir accès à cette carte de crédit un
peu particulière…
Autre philosophie au Crédit Coopératif : ici,
la carte Agir (dix ans d’existence) est au
même prix qu’une carte « normale », et le
Crédit Coop’ reverse, dès la souscription,
3 euros à l’une des 12 associations qu’il parraine. Puis 6 centimes à chaque retrait.
Le client peut aussi faire un don supplémentaire de sa poche – ce qui fait entrer
cette carte dans une réelle démarche de
« générosité embarquée ». En 2011, 150 000
euros ont été reversés à une douzaine
d’associations triées sur le volet, grâce à
30 000 porteurs de la carte Agir (soit 70 %
des clients du Crédit Coop’).
14
Fundraizine
| 27 | JUIN 2011
Ajoutez à cela une pincée de frilosité des entreprises partenaires...
Comme GDF-Suez qui rechigne à
proposer un arrondi sur facture au
moment même où elle annonce une
flambée des prix du gaz... Ou encore
ces supermarchés redoutant qu’avec
le don en caisse, cet endroit ultra-stratégique de l’achat ne se transforme
en dernier salon où l’on cause... Sans
parler des difficultés techniques de
mise en œuvre : par exemple, distinguer dans une même action les flux
« dons » et « achats » afin de respecter
les règles de la fiscalité...
n « Time for action » :
premier essai pour ACF
« C’est un boulot de titan », résume
Valérie Daher, directrice de la communication et du développement
chez Action contre la faim (ACF),
seule association française1 à ce jour
à s’être lancée à pieds joints dans
une opération de micro-don d’envergure. Le projet « Time for action »,
né il y a plus d’un an dans les esprits
des fundraisers de l’ONG, est guidé
par un raisonnement simple : mettre
le combat contre la faim à portée du
plus grand nombre. « C’est à la fois
une opération de plaidoyer et de mobilisation massive, précise Valérie
Daher. L’idée est que chacun, riche ou
pauvre, jeune ou vieux, puisse agir
contre la faim dans le monde ».
Une bien belle idée, qui colle parfaitement à la cause... mais qui s’avère
un véritable casse-tête dans la mise
en pratique. Il faut dire que le projet,
qui devrait a priori voir le jour en
2012, est ambitieux. Il s’articule
autour de six « moments » de dons :
la validation du panier d’achat sur
Internet, le passage en caisse au supermarché, le paiement des factures
(de gaz et d’électricité, mais aussi de
téléphonie et de loyer), le retrait /
virement dans les distributeurs,
l’arrondi sur la feuille de salaire et
l’addition au restaurant. « Pour le moment, nous sommes encore dans la
prospection de partenaires, explique
Valérie Daher, même si nous réalisons
d’ores et déjà quelques tests dans des
endroits stratégiques : au duty-free de
l’aéroport de Nice, dans un restaurant
dont le directeur est à la tête d’un syn-
dicat de la restauration, et bientôt, sur
un site de e-commerce. C’est une
énorme opération qui combine énormément de savoir-faire, notamment
la constitution partenariats-entreprise ». Et aussi, la capacité à motiver
son conseil d’administration et ses
troupes en interne qui passent par
des hauts et des bas…
Au fond, le jeu en vaut-il la chandelle ?
« Le monde est remplit d’exemples
qui fonctionnent, se rassure Valérie
Daher. Et puis j’estime que mon travail de fundraiser est aussi d’inventer de nouvelles manières de
collecter de l’argent pour permettre
à un maximum de personnes de
faire oeuvre de générosité ».
© action contre la faim
Dossier
ACF : seule association française à s’être lancé dans une
opération de micro-don d’envergure.
n Du « prosélytisme »
pour la générosité
S’ouvrir à de nouveaux publics :
tel est, en effet, l’un des principaux
points forts du micro-don.
Conscientes que plus d’un Français
sur deux ne donne pas, et que les
donateurs les plus vieux vieillissent,
« les associations sont, en France, dans
une nécessité de renouvellement générationnel, souligne Lyoko Myioshi.
Or, ce type d’approche permet faire
goûter les jeunes générations au don ».
Exemple aux Etats-Unis, où 57 % des
31-46 ans et 48 % des moins de 30
ans pratiquent la « Chek out donation ». « La génération “Web 2.0” est
particulièrement réactive à ce genre
de sollicitations, analyse Pierre-Emmanuel Grange. Le micro-don répond parfaitement aux nouveaux
usages ».
Accompagner les plus jeunes et les
moins fortunés dans l’acte de générosité par ces petits dons « indolores »...
Soit. Reste ensuite au fundraiser la
(difficile) tâche de cultiver ces
Dossier
Micro-don
© www.morguefile.com
jeunes pousses de donateurs. « En
touchant des personnes qui ne sont
pas a priori donatrices, le micro-don
permet de faire du “prosélytisme” pour
la générosité. C’est un premier pas »,
estime Frédéric Bardeau. « Il faut absolument transformer les donateurs,
avertit Lyoko Myiosho, sinon, le micro-
Attention à l’effet « zapping » des micro-donateurs.
don peut s’avérer un piège en habituant les gens à donner des petites
sommes ».
Gare, de même, à l’effet « overdose »
et au risque de dispersion qui, du
fait du comportement « zapping »
des « micro-donateurs », ferait s’envoler dans la nature de toutes
petites sommes. « La mise en place
d’opérations de micro-dons est efficace pour les grandes associations
avec une vraie force de frappe, souligne Frédéric Bardeau. Dans le
micro-don comme partout, il y a la
“prime au premier”, la “prime à la notoriété”, la “prime à la puissance de la
marque”… Il ne faut pas croire que les
cartes seront rebattues ».
Pas révolutionnaire, le micro-don ?
Plutôt un investissement sur l’avenir
comme un autre, qui nécessite du
temps et de l’argent. Et qui sera
peut-être payant des années et des
années plus tard… Mais si l’on veut
récolter, ne faut-il pas d’abord savoir
planter ?
n P. G.
1
Voir aussi le partenariat entre les Pièces
Jaunes et Priceminister : des « e-pièces
jaunes » peuvent être versées aux hôpitaux
à chaque règlement du panier d’achat sur
le site de e-commerce.
Fundraizine
| 27 | JUIN 2011
15
Place aux débutants
© www.morguefile.com
Côté pratique
Collecter sur internet
Mettre en place un site web
optimisé
Si la collecte de fonds en ligne ne génère pas la majeure partie des dons en France1, on ne peut ignorer
ce canal. Certains donateurs ont une appétence forte pour le web, et il est à parier que leur proportion
ne fera qu’augmenter.
Q
uelques tendances : si 71%
des donateurs reconnaissent
qu'internet est un bon outil de
collecte2, ils ne sont qu'un tiers à
l'utiliser pour faire un don, en cas
d'urgence ou en réponse à une
sollicitation… Les fundraisers ont
une belle marge de progression !
Voici le premier épisode d’une série
d’articles qui vous donnera des
pistes pour démarrer sur internet.
Un site facile. Votre site web est
votre vitrine. Il est donc important
de le rendre clair, accessible et… de
s’assurer qu’il fonctionne. Autant
d’indices sur la capacité de l’organisation à bien remplir sa mission.
Présenter le projet, parler de son
impact. En une page, l’internaute
doit comprendre votre projet (vos
vision, missions, valeurs) et la provenance et la destination de vos
16
Fundraizine
| 27 | JUIN 2011
ressources. Les internautes ont pris
l’habitude de chercher, comparer,
croiser les informations. Devancer
leurs questions en mettant l’accent
sur l’impact de vos programmes
ne peut que les inciter à donner
davantage.
Page d’accueil : l’amour au premier regard
En arrivant sur votre site, peut-on, en moins de 3 secondes…
• Identifier ce que vous faites ?
• Localiser le bouton de don ?
• Percevoir l’urgence à donner ?
• Voir un visuel ou un élément graphique fort, qui interpelle ?
• S’abonner à la newsletter ?
En moins d’une minute…
• Repérer d’éventuelles cautions extérieures (Comité de la Charte,
Prix, témoignage de célébrité, de bénéficiaires…) ?
• En savoir plus sur vous (mission, vision, comptes..)?
• Connaitre les différentes façons de s’engager à vos côtés ?
• Trouver vos coordonnées téléphoniques et postales ?
Côté pratique
Place aux débutants
Testez votre site !
© www.illustrations.fr
Une manière simple de voir
si un site est bien configuré, est
de réaliser le test de « l’assignation de tâche ». Demandez à
quelques cobayes de faire un
don sur votre site, en votre présence et en partant de la page
d’accueil de leur navigateur. Ils
doivent décrire à haute voix ce
qu’il font et les questions qu’ils
se posent (cela vous permettra
notamment de voir si vous avez
choisi les bons mots clefs, si la
navigation est fluide, etc.). Pourquoi cliquent-ils sur ce bouton ?
Lequel cherchent-ils ? Bien entendu, préférez les néophytes…
Hic aliud majus miseris multoque tremendum objicitur magis atque improvida pectora turbat.
The Ask. Sur internet comme
ailleurs, il faut demander pour recevoir. Il vous faut donc au moins un
bouton de don, visible immédiatement, et ce sur chaque page de
votre site. Soyez direct : préférez « je
donne » ou « faire un don » à « nous
soutenir ».
«
Plus votre site
sera vivant, plus les
visiteurs auront
l’impression que
votre association
est active.
»
Votre module de don, une page à
choyer. Nous voilà arrivés au nerf de
la guerre, votre formulaire de don.
Quelques règles à respecter.
Tout d’abord, sur la page elle-même :
l’objectif est de ne pas distraire
votre internaute. Quel dommage de
le voir quitter cette page, en cliquant sur un lien qui aura attiré son
attention ailleurs. Pour éviter cela,
les modules de don sont souvent
des pages dites « cul-de-sac », qui
n’offrent pas de porte de sortie
(menu du site, image cliquables,
bannière..), à moins de revenir à la
page précédente.
Toujours dans cette optique, gardez
le nombre de champs remplissables
à un minimum. Inutile de le rappeler,
la transmission de données personnelles sur internet suscite la méfiance.
Demandez ce qui vous est strictement nécessaire. Pas plus. Et si vous
conservez jalousement les adresses
de vos donateurs, faites-le savoir !
La grille de don doit être adaptée à
votre public. Plusieurs méthodes
sont retenues pour définir les montants de dons proposés. L’une des
plus simples est la méthode des
quartiles, qui consiste à scinder sa
base en quatre groupes, en fonction
du montant du dernier don. Prenez
les montants les plus élevés de
chaque quartile, et utilisez-les pour
créer votre grille, et inciter vos donateurs à hisser leurs dons vers le haut.
N’oubliez pas de proposer plusieurs
façons de vous soutenir : don ponctuel ou régulier.
Faites vivre votre site. Plus votre
site sera vivant, plus les visiteurs auront l’impression que votre association est active. Il faut donc mesurer
la somme de travail que représentent vos ambitions avant de vous
lancer dans l’aventure. L’image que
renvoie un site dont les informations sont périmées et les liens cassés ne viendra pas vous servir…
n Pe. D.
1
Selon le Baromètre de France générosités
2010, environ 2% des dons des français
sont effectués en ligne. Cependant, lors
de grandes urgences humanitaires, on a
vu certaines associations recevoir près de
60% de leurs dons sur internet.
2 Etude France générosités/Mediaprism,
2010, « Internet, quelles opportunités pour
les associations et fondations ? »
➜ Dans le prochain numéro de
Fundraizine, retrouvez les base
de la génération de trafic.
Quelques adresses pour aller plus loin…
Blogs :
http://www.lesnouveauxmediasnonmarchands.com/
http://agence-limite.fr/blog/
http://www.ong-online.org/
Ressources, guides pratiques :
http://www.networkforgood.org/
Juridique :
http://www.francegenerosites.org/e_upload/pdf/273.pdf
Fundraizine
| 27 | JUIN 2011
17
Out of the box !
© Fotolia
Horizons
La bienveillance :
une stratégie gagnante
pour le fundraising
Au-delà du cliché « bisounours » qui flatte nos égos associatifs, la bienveillance est un concept stratégique puissant au cœur d’enjeux politiques, économiques, financiers et humains. Il demande à être
connu et appliqué.
D
ans les années 1950, les mathématiciens américains Melvin Dresher et Merill Flood ont
développé un modèle de jeux, le
« dilemme du prisonnier », qui permettait d’analyser les comportements humains en matière de
coopération pour atteindre un intérêt commun. Le principe de ce jeu
est simple : deux suspects sont arrêtés par la police, mais les agents
n'ont pas assez de preuves pour les
inculper, donc ils les interrogent séparément en leur faisant la même
offre : « Si tu dénonces ton complice
et qu'il ne te dénonce pas, tu seras
18
Fundraizine
| 27 | JUIN 2011
remis en liberté et l'autre écopera de
dix ans de prison. Si tu le dénonces et
lui aussi, vous écoperez tous les deux
de cinq ans de prison. Si personne ne
se dénonce, faute d'éléments au dossier, vous n’écoperez que d’une peine
minimale de six mois ».
Le dilemme du prisonnier fournit
ainsi un cadre général pour penser
les situations où deux ou plusieurs
acteurs ont un intérêt à coopérer,
mais un intérêt encore plus fort à ne
pas le faire même si l'autre le fait, et
aucun moyen de contraindre l'autre.
Ce principe de jeux sert de modèle
stratégique dans de nombreux do-
maines tels que l’économie, l’écologie, la politique nationale et internationale, la défense, la biologie, la
psychologie…
En 1980, un professeur de sciences
politiques, Robert Axelrod1, eut
l’idée d’organiser, sur le principe du
dilemme du prisonnier, un grand
tournoi international entre des sommités mondiales de différentes disciplines (mathématiques, sciences,
économie, culture…). Reliés par
Internet, les participants se rencontraient à plusieurs reprises avec, à
chaque fois, une décision à prendre
sans connaître l’intention de l’autre :
Horizons
Out of the box !
je coopère ou je refuse de coopérer.
A chaque rencontre, un certain
nombre de points était attribué à
chaque joueur selon les réponses :
Coopère
Joueur 2
Coopère
Refuse
Partage équitable des points
Joueur 2 gagne tous les points
Refuse
Joueur 1 gagne tous les points
0 partout
Le grand vainqueur du jeu fut Anatol Rapoport, professeur émérite en
mathématiques et en psychologie
de l’université de Toronto et, par ailleurs, pianiste virtuose, biologiste,
spécialiste de la résolution des
conflits, et fondateur de l’ONG
Science for Peace.
Sa stratégie était simple : à la première rencontre, il proposait toujours de coopérer et, par la suite, il
reproduisait, à chaque fois, le comportement qu’avait eu son adversaire avec lui au coup précédent : il
répondait toujours favorablement à
celui qui lui avait proposé une coopération, et négativement à celui
qui avait refusé de coopérer. Cette
stratégie connue sous le concept de
« tit for tat » (gagnant-gagnant) fut
unanimement saluée, analysée et
reconnue par tous. Robert Axelrod
organisa peu de temps après une
deuxième compétition sur le même
modèle. Et ce fut encore Rapoport
qui, en appliquant la même stratégie annoncée à l’avance, gagna avec
encore plus d’écart que la première
fois.
De nombreuses analyses et études
ont été tirées de cette expérience
qui montre que le doute et/ou le caractère égoïste de l’homme peuvent
l’amener à perdre sur tous les plans
(écologiques, politiques, économiques, sociétaux…), mais que plus
les échanges sont nombreux, plus le
principe de bienveillance prévaut
par logique d’évolution naturelle de
l’espèce humaine ou par l’instauration de lois qui garantissent l’intérêt
commun.
Pour ce qui concerne le fundraising, la leçon principale de cette
expérience est que la coopération,
l’ouverture et la bienveillance sont
de véritables stratégies gagnantes.
Les organisations gagnantes de
demain seront celles qui sauront
s’ouvrir avec bienveillance à la coconstruction et à la maximisation
des points de contacts, de rencontres et d’échanges avec leurs donateurs mais aussi avec tous les autres
acteurs de leur environnement :
prospects, concurrents, prestataires,
collègues.
L’autre grande leçon est que la réussite des concepts de bienveillance
et de coopération sur des stratégies
plus égoïstes, individuelles ou uniquement centrées sur le profit à
court terme, renforce la vision des
associations et des organisations
non profit qui prônent l’avènement
d’une nouvelle forme de société
fondée sur le mieux vivre ensemble,
la préservation de l’intérêt commun
ou le soin de l’autre2.
Ce modèle alternatif de société
porté par le principe de bienveillance trouve un formidable accélérateur dans le développement
actuel du web 2.0. Les stratégies
fondées sur le positif et le « gagnantgagnant » n’ont, en effet, pas besoin
de coordination centralisée. Ce sont
des cercles vertueux qui s’entretiennent et s’élargissent d’eux-mêmes.
Ainsi, le développement actuel du
web 2.0 et des réseaux sociaux, qui
met de plus en plus de gens en relation, est un facteur qui favorise la
coopération durable. Plus nous nous
dirigeons vers un monde massivement interactif, plus la collaboration
se développera. Le web 2.0 nous fait
pressentir un nouveau potentiel
Joueur 1
collaboratif et il appartient aux fundraisers d’être des acteurs majeurs
de son développement.
La troisième leçon est que la stratégie de la bienveillance répond à des
règles précises qui sont notamment
présentées dans le livre Stratégie de
la bienveillance3 :
1- S’ouvrir systématiquement à la
coopération à priori. Chercher à
rencontrer la facette de l'autre
qui ose la bienveillance.
2- Se voir un avenir commun. Partager une vision ou un intérêt commun qui nous lie.
3- Jouer la bienveillance stratégique
dans toutes nos rencontres. Coopérer tout le temps avec celui qui
coopère avec moi jusqu’à ce qu’il
arrête en premier.
4- Rompre immédiatement la relation avec quelqu’un qui n’est pas
bienveillant ou qui arrête d’être
bienveillant avec moi.
5- Reprendre cette relation sans arrière pensée si la même personne
redevient par la suite coopérative
et bienveillante à mon égard.
En osant explorer ce territoire neuf
et illimité de la coopération dans un
état d’esprit positif et bienveillant, le
fundraiser va asseoir les bases de la
réussite de son organisation car,
comme le résume Juliette Tournant3 :
« Coopérer, être dans la stratégie de la
bienveillance, c'est trouver dans la
rencontre avec l'autre de quoi progresser sur sa route tout en faisant
progresser l'autre sur la sienne ».
n Ph. D.
1
Robert Axelrod, « Donnant donnant » - Une théorie du comportement coopératif (traduit aux éditions Odile Jacob, 1992).
cf. http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/05/12/pour-une-ecologie-du-care-et-de-la-bienveillance-par-serge-guerin_1350290_3232.html.
3 La stratégie de la bienveillance, ou l'intelligence de la coopération, Juliette Tournand, InterEditions.
2
Fundraizine
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19
Horizons
Côté recherches
© www.illustrations.fr
Le temps
vaut mieux
que l’argent
Mieux vaut demander d’abord du temps
avant des dons, révèle une étude américaine
sur le « time ask effect ». Analyse.
W
endy Liu et Jennifer Aaker
ont publié en 2008 un article
de recherche passionnant sur le don
et le « time ask effect » dans la prestigieuse revue Journal of Consumer
Research.
Le concept du time ask effect recouvre la problématique suivante : est-il
utile de demander d’abord du temps
aux individus, puis de l’argent, en
jouant sur le fait que cette demande
va activer chez eux des pensées favorisant le don monétaire ?
Selon les théories du traitement de
l’information, le fait de demander
d’abord à la personne si elle est prête
à donner de son temps, provoque en
elle des émotions positives, qui rejaillissent ensuite de manière positive
sur son don d’argent.
Les auteurs ont testé leur théorie du
time ask effect au travers de trois
expérimentations successives. Dans
une première expérimentation, 199
personnes ont été interrogées par le
biais du site Internet de l’université
de Stanford. Ils devaient lire le texte
suivant : « Lung cancer is the leading
cancer killer in both men and women
in the United States. The American
Lung Cancer Foundation’s mission is
to promote public awareness, policy
making and medical research towards preventing lung cancer ».
Après cette lecture, les chercheurs
ont demandé à la moitié de l’échantillon de faire un don monétaire, et à
l’autre moitié, un don de temps, puis
un don monétaire. Sur cette autre
moitié, on affirme que la Fondation
souhaite organiser un événement et
20
Fundraizine
| 27 | JUIN 2011
qu’elle a besoin de volontaires. Les
deux questions posées par la suite
sont : « Combien de temps voudriezvous donner à l’American Lung Cancer
Fundation ? », et « combien d’argent
voudriez-vous donner à l’American
Lung Cancer Foundation ? »
Les résultats de cette première
étude montrent que sans demander
du temps, le don moyen est de
24,46 dollars alors qu’avec une demande préalable de temps, on a un
don moyen de 36,44 dollars.
n Une deuxième expérimentation
Les auteurs cherchent ensuite les
facteurs explicatifs de ces résultats
et notamment, explorent la possibilité que les répondants n’ayant pas
de temps aient éprouvé de la culpabilité qui les ait poussés à donner
de l’argent. Pour tester cette hypothèse, ils ont fait une comparaison
de moyenne entre ceux qui ont dit
qu’ils ne donneraient pas de temps
et ceux qui ont dit qu’ils en donneraient. Les résultats montrent que
ceux qui n’ont pas de temps donnent également moins d’argent que
les autres. Donc, cette hypothèse
n’est pas la bonne.
Pour assurer la robustesse de leurs
résultats, les auteurs ont procédé à
une deuxième expérimentation.
Dans celle-ci, à la fin d’un cours, on
propose à 193 étudiants de participer à une étude contre 10 dollars.
Après avoir eu une présentation
d’une page de l’association Hopelab
(aide aux enfants souffrant de maladies chroniques graves), on leur
pose deux questions :
• « How interested are you in volunteering for hopelab ? »
• « How interested are you in making
a donation to hopelab? » (1 : « pas
du tout » à 7 : « beaucoup »)
Si les individus disent qu’ils sont
prêts à donner de leur temps, on les
recontacte après, par mail pour faire
du bénévolat sur le campus pour
l’association. L’association donne au
bout d’un mois le nombre d’heures
qu’ils ont réellement faites comme
bénévoles. En sortant de la salle, les
répondants pouvaient également
faire un don monétaire réel pour
l’association et recevaient alors un
reçu fiscal. Les résultats montrent
que le fait de demander du temps
conduit à un don plus fort que la
condition de contrôle où on ne
demande pas de don de temps.
Afin de mieux comprendre ce phénomène, les auteurs ont réalisé une
troisième étude. Cette dernière était
similaire à l’étude 2, mais le questionnaire mesurait également les
concepts suivants, potentiellement
explicatifs du time ask effect :
• l’empathie ressentie lors de la description de l’association Hopelab,
• le fait de s’imaginer être bénévole
de l’association,
• les croyances entre le fait d’être
bénévole et le bonheur : « To what
degree do you believe happiness
is tied to volunteering ? », « to what
degree do you believe happiness is
tied to donationg money ? ».
Horizons
Côté recherches
n Hédonisme versus calcul
Les chercheurs disent aux étudiants
qu’ils peuvent gagner 20 dollars à
une tombola à la fin de l’étude. Ils
doivent alors dire s’ils donneront un
pourcentage, et lequel, à l’association. L’échantillon était de 50 personnes. Ils étaient tous payés 10
dollars pour participer. Après avoir
lu une feuille décrivant l’association,
les chercheurs demandaient aux
étudiants leur intention de don de
temps et don d’argent (ou dans le
sens inverse).
Les résultats montrent une nouvelle
fois que le montant donné dans la
condition où on demande d’abord
du temps est supérieure à celle où
on demande de l’argent d’abord.
De plus, lorsqu’on demande en premier du bénévolat, il apparait que les
gens répondent plus positivement au
fait que le bonheur est lié au volontariat. L’hypothèse selon laquelle le fait
d’évoquer le bénévolat provoque des
émotions positives est donc acceptée. Pour les auteurs, le bénévolat fait
appel à des évocations hédoniques
fortes (de partage, de joie, d’appartenance à une communauté, de bien
être) alors que l’appel au don monétaire fait appel à des calculs rationnels
reposant sur l’économie.
Les deux autres variables potentiellement explicatives du time ask
effect : l’empathie ressentie et le fait
de s’imaginer être bénévole de l’association ne sont pas significatives
et ne permettent donc pas d’expliquer la différence de moyenne
observée entre les deux ordres de
présentation. Seule l’hypothèse du
plaisir à être bénévole suscité par la
question sur le don de temps peut
donc être retenue.
En conclusion, il serait très intéressant
pour les associations de tester cet
effet dans leurs mailings en mettant
en avant le plaisir et les autres émotions positives liées au bénévolat
pour ensuite, demander de l’argent.
D’ailleurs, n’est-ce pas quelque part la
stratégie du Téléthon de mettre en
avant tous les bénévoles qui ont participés aux 22 000 évènements sur le
terrain pour ensuite, demander de
l’argent aux téléspectateurs ?
n S. R.
Pour en savoir plus :
Liu W. et Aaker J. (2008), The Hapiness of Giving:
the Time-Ask Effect, Journal of Consumer Research,
35, 3, 543 – 557.
Fundraizine
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21
Horizons
Zoom pays
Québec,
Terre d’avenir !
Petit récit du voyage d'études au Québec1 pour
jeunes fundraisers organisé par l’AFF et l’Office
Franco Québécois pour la Jeunesse (OFQJ) en mai
dernier.
V
ous souvenez vous des campagnes de publicité « Canada
Dry » ? « Ça ressemble à l’alcool, c’est
doré comme l’alcool… mais ce n’est
pas de l’alcool ».
En référence à cette publicité, le
nom « Canada Dry » est utilisé en
France (avec condescendance ! ndlr)
pour qualifier une chose qui a les
apparences sans avoir la fonctionnalité de ce qu’elle prétend ou semble être 2.
C’est sans doute ce que redoutaient
certains d’entre nous. Un voyage en
Amérique du Nord, mais pas à la
Mecque du fundraising. Juste un
peu au nord, dans une province
francophone, au Québec, sic !
Mais ce n’est pas du Canada dry, loin
de là, qu’on nous a servi au congrès
annuel de l’Association des Professionnels en Gestion Philanthropique (APGP), intitulé cette année :
"Suivez la vague du leadership !".
Notre premier contact avec les professionnels de la philanthropie, dans
le cadre du voyage d’études à Montréal des jeunes fundraisers de l’AFF
a été déroutant !
Deux jours de conférences époustouflantes. Nous étions venus pour
écouter des professionnels de la
philanthropie et du fundraising
et on nous a parlé de tout, sauf de
fundraising. Mais nous avons assisté
à de vrais « men et women shows »
instructifs, intelligents, rafraîchissants. Un recul et une prise de
hauteur indispensable pour aller
chercher l’information, la traiter, la
restituer et surtout l’utiliser pour
optimiser les stratégies de levée de
fonds.
Ces professionnels nous ont transmis
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Fundraizine
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en premier lieu la passion, l’émotion,
le volontarisme, le discernement
et surtout de l’humour dans une
« parlure » québécoise fleurie.
Les jours qui ont suivi, nous ont permis de rencontrer des professionnels efficients, ne se prenant pas au
sérieux et qui nous ont accueillis
avec attention et patience.
Ils nous ont transmis, sans parcimonie, les approches, les techniques et
les méthodes de levée de fonds appliquées à leur secteur : universités,
environnement, solidarité, culture…
Eux aussi nous ont présenté leur expertise et l’efficacité de leur collecte
de fonds, avec une grande modestie. Selon leurs propres termes, ce
qu’ils font n’a rien de comparable
avec le professionnalisme et l’ambition des Anglo-saxons, sous entendu, les Américains bien sûr !
Notons simplement que l’université
de Montréal vise une campagne de
collecte de fonds de 350 millions de
dollars sur 5 ans. Mac Gill vient de
clore une campagne de 750 millions
de dollars. Le Musée des Beaux Arts
de Montréal organise tous les 10 ans
une campagne de 100 millions de
dollars…canadiens, bien sûr !3
Sans parler de la Fondation Telus4, qui
a reversé en 10 ans, plus de 250 millions de dollars à de nombreuses associations. Si ça, c‘est du « fundraising
canada dry », on en redemande !
S’il fallait conclure cette chronique,
à la suite de ce voyage, je dirais que,
même si l’expertise des Français
n’a rien à envier à celle de leurs
confrères québécois, cette mission
d’une semaine nous a permis de revisiter un certain nombre de fondamentaux et cela fait beaucoup de
bien !
n Antoine Vaccaro
1
Le Québec, 1 667 441 km2, 3 fois la
superficie de la France, 355 315 km2 d’eau
douce, un réchauffement climatique tout
relatif, l’un des Etats les moins endettés
au monde…
2 Wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/
Canada_Dry
3 1 dollars Canadiens = 1,03 dollars US
4 Telus est un opérateur de téléphonie,
comparable au poids relatif de Bouygues
télécom en France.
5 Donne, sollicite ou dégage.
Voici quelques verbatim qui vous rappelleront,
sans doute, quelque chose :
« Tout est une question de mental »
« On ne reçoit pas, si on ne demande pas »
« Tout est dans le test. Tester, tester, tester !! »
« Appliquer aux membres des CA, les 3 « G » : Give, get or get out !5
« Utiliser toutes les occasions pour faire donner »
« Tenter d’upgrader les dons »
« Toutes les campagnes sont objectivées pour fixer un horizon »
« Affiner les programmes de contreparties ou de reconnaissance » etc…
Tribune libre
© Fotolia
Opinions
Comment s’assurer
de ne pas être lu ?
La qualité de l’information est un des facteurs importants du don. Pourtant, les rédacteurs des articles
diffusés dans les médias associatifs oublient parfois leur lecteur.
C
ommençons par jouer. Mettezvous un instant dans la peau de
votre donateur et lisez ces lignes :
« Pour conclure, nos résultats sont
tous étroitement liés au professionnalisme et à la rigueur de chacun des
membres de l’Association, salariés et
bénévoles, qui œuvrent au quotidien, chacun dans son domaine de
compétence, à la réalisation de nos
ambitions partagées au service de
celles et ceux qui de par le monde
sont trop souvent confrontés à l’exclusion et au déni de leur dignité et
capacités à contribuer à un monde
plus solidaire. »
Etes-vous allé jusqu’au bout ? Et surtout, votre association est-elle l’auteur
de ce texte ? Sites Web et journaux de
donateurs fleurissent de jolies
phrases écrites à plusieurs mains, soigneusement tournées, porteuses de
toute la philosophie de l’organisation.
Que s’est-il passé pour que pareille tirade soit mise au monde ? De la
bonne volonté, le souci de n’oublier
personne, le goût des mots exigeants,
quelques tics rédactionnels, le sens
du collectif et la volonté politique de
rassembler tous les salariés autour
d’un projet... Il est probable aussi que
les circuits de validation aient permis
à chaque relecteur d’apporter une
précision essentielle pour lui. Résultat :
430 signes d’idées et de concepts
pour une seule phrase. Une phrase
totalement inadaptée à sa cible,
pourtant soucieuse de comprendre à
qui elle fait un don.
La qualité de l’information est un des
éléments clés du don. 60 % des donateurs1, interrogés par Recherches & Solidarités, attendent une présentation
claire de la vision, des valeurs et missions de l’association. La clarté passe
par des phrases simples, courtes, sans
ambigüité ni jargon. La première
règle? Faire des choix. Le choix du public visé, du thème, du ton, du média,
du format, de l’exemple concret.
L’enquête les interroge aussi sur ce
qui pourrait les empêcher de donner.
Parmi les réponses : une action décevante, trop de dépenses en communication, la déception relative aux
informations financières. Là encore, la
qualité de l’information joue un rôle
important.
Commençons par bannir quelques
mauvaises habitudes rédactionnelles :
le rewriting des notes de synthèse des
programmes (elles manquent de cas
concrets qui rendent l’action palpable
pour le lecteur) ; la « mise en couleur »
des informations financières (CER, etc.)
sans ajouts d’information (« ben oui,
quoi, les chiffres ça se passe de mots »...
or tous les donateurs ne sont pas com-
missaires aux comptes) ; la recherche
de l’exhaustivité qui se traduit par des
colonnes de texte, à peine aérées par
quelques intertitres abscons, des
pages sans aide à la lecture, denses et
souvent indigestes.
Pour être lu, il est important de varier
les formats : brèves, rapide interview,
reportage, gros chiffres, infographie,
reportages photos légendés, témoignages de bénéficiaires (rédigés différemment de ceux employés pour
les mailings) et interviews... C’est
dans la presse lue par vos publics
qu’il faut puiser les méthodes. Le
journal des donateurs doit être lu par
sa cible, sans chercher à faire plaisir
aux techniciens de l’association.
Reste une question, née à la lecture
du numéro 26 de Fundraizine. Utiliser
les outils du secteur marchand,
comme recommandé ici, risque-t-il
de dénaturer l’action elle-même ? Je
ne crois pas. Loin de maquiller votre
action, de l’adapter de façon artificielle à une demande marketing,
mais de mieux vous faire entendre.
n P. R.
Sources :
1 « La générosité des français », 15ème édition.
Recherches & Solidarités, Cécile Bazin
et Jacques Malet, novembre 2010.
2 « L’orientation Marché » tue-t-elle à petit
feu le projet associatif ? Pages 18 et 19
de « Fundraizine », n°26, avril 2011.
Fundraizine
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23
Opinions
La donatrice mystère
La Donatrice Mystère...
Du crowdfunding
au micro-don
La quête de nouvelles voies de ressources, l’arrivée de nouveaux acteurs dans la philanthropie, et
l’évolution des technologies portent l’innovation en collecte de fonds. Deux approches nouvelles tentent
aujourd’hui de faire leur place au soleil du fundraising : le « micro-don » et le « crowdfunding ». Deux
disciplines qui ont en commun une même philosophie : les petites gouttes d’eau peuvent faire de
grandes rivières. La Donatrice Mystère, qui n’est pas née de la dernière pluie numérique, ouvre le débat
avec son bon sens habituel : phénomène de mode ou véritable révolution à moyen et long terme ?
Une discussion à suivre avec Grégoire, son éco-geek de petit-fils.
La Donatrice Mystère : « Grégoire,
que fais-tu depuis deux heures, rivé
encore à ton écran ? Entre ton ordinateur et ta musique dans les
oreilles, tu finiras aveugle et sourd,
quand tu auras mon âge ! »
Grégoire : « Ça y est Mamie, je termine. Tu m’as demandé de faire don
des 50 euros que j’ai gagnés dans un
pari que tu as injustement qualifié de
stupide... Alors en qualité de meilleurpetit-fils-de-la-planète, j’obtempère !
Je répartis la somme sur différents
projets humanitaires et artistiques sur
un site de “crowdfunding”... »
La Donatrice Mystère : « Ca y est, tu
reparles chinois...“Croadfoun...”quoi ? »
Grégoire : « “Crowdfunding”, Mamie,
ça veut dire “financement participatif”.
Viens que je te montre. Tu vois le site
ici s’appelle “ulule.com”, mais il y en a
des dizaines d’autres. Là c’est la page
des projets ; il y en a des centaines organisés par catégories : musique, arts
graphiques, voyages, techno, social,
humanitaire... Pour faire simple : les
gens qui ont un projet le publient sur
le site en précisant le montant financier dont ils ont besoin pour le réaliser. Ensuite, ils activent leurs amis qui
en parlent à leurs amis, dans un
schéma communautaire, pour recueillir des petits dons. On joue l’effet
de masse par les réseaux sociaux
pour organiser la collecte. »
La Donatrice Mystère : « Et ça
marche ? »
24
Fundraizine
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Grégoire : « Oui, c’est génial. En
France, on en est au début. Mais il y
a déjà quelques belles opérations. Tu
te rappelles, Grégoire le chanteur qui
porte mon prénom. Il a lancé son
premier album grâce au crowdfunding et au site MyMajorCompany.
Des milliers d’internautes ont versé
des petites sommes et sont devenus
co-producteurs de sa musique. »
La Donatrice Mystère : « Mais ce
n’est pas du don alors ? »
Grégoire : « Non, ce n’est pas toujours
désintéressé… On peut devenir donateur, certes, mais aussi, producteur,
acheteur, investisseur... Les projets
sont multiples. Depuis peu, c’est le
cinéma qui se lance dans le “crowd” ! »
La Donatrice Mystère : « Tu sais, ça
ne me paraît pas bien nouveau. Finalement, ton “croad-machin-chose”
c’est une sorte de souscription. Tu
parles de cinéma… Je me souviens
quand j’étais jeune, en 1958, le cinéaste John Cassavetes avait tourné
son premier film, Shadows, en mettant les New-Yorkais à contribution.
Autre exemple emblématique, la
statue de la Liberté ne se serait jamais élevée sans la souscription lancée dans le New York World, et la
participation de dizaines de milliers
d’américains. Et plus loin encore,
l’Encyclopédie, au siècle des Lumières, a vu le jour grâce à 4 300
souscripteurs. C’est aussi depuis
toujours le mode de fonctionnement des coopératives ».
Grégoire : « D’accord Mamie, j’imagine que des exemples comme ça, il
y en a pléthore. Mais avec le web, le
sujet trouve une nouvelle jeunesse
et surtout de nouveaux leviers : ça
peut être le projet de “Mr-Tout-lemonde”, ça peut être un projet au
fond d’un petit village en Afrique, tu
peux effectuer une présentation
multimédias de ton projet, donner
des nouvelles du niveau de collecte,
puis de sa réalisation ; grâce aux réseaux sociaux, chaque contributeur
est aussi un nouvel ambassadeur qui
va promouvoir le projet… Tu sais,
c’est une forme de nouvelle philanthropie qui est entrain de se créer ! »
La Donatrice Mystère : « Oui, enfin,
j’imagine qu’il n’y a pas de reçu
fiscal… ça va en freiner quelquesuns. Et puis, comment être sûr que
c’est sérieux ? Que ce n’est pas une
escroquerie à l’autre bout de la planète ? Les grandes associations que
je soutiens par des dons, on les
connaît, elles passent à la télé, elles
sont contrôlées. La confiance, quand
on donne, c’est important ! »
Grégoire : « Mammmiiee… ne regarde pas que le verre à moitié vide...
Il y a plein d’avantages aussi : le
“crowd” permet des économies de
coûts : plus d’intermédiaires, plus de
mailings polluants, tu aides directement l’opérateur ou le bénéficiaire
du projet. Tu n’as pas (toujours) de
reçu… mais tu reçois des photos, des
vidéos, des nouvelles régulières du
projet, tu le vois se construire. C’est
Opinions
La donatrice mystère
quand même plus gratifiant et plus
concret qu’un don que tu envoies
par courrier et dont tu n’entends plus
jamais parler. Ça change la manière
de donner ! »
La Donatrice Mystère : « Mais ça
risque de n’être que des “micro-dons”
pour des“micro-projets”.Les grandes associations gèrent des grands projets... »
Grégoire : « Tu connais l’adage : “les
petits ruisseaux forment les grandes
rivières”... C’est aussi une façon d’intéresser à la philanthropie des publics plus jeunes qui cherchent à
donner autrement, à être plus en lien
avec les porteurs de projets ou les
bénéficiaires finaux, et qui se fichent
du reçu fiscal. je trouve, au contraire,
que les grandes associations dont tu
parles devraient s’y intéresser... »
La Donatrice Mystère : « J’ai plutôt
l’impression qu’elles préfèrent recevoir
les dons des grandes fortunes que de
partir à la cueillette des centimes... »
Grégoire : « L’un n’empêche pas l’autre. On voit fleurir plein d’expériences
de “micro” ou de “mini” dons : par
exemple l’achat de cartes de microdon – souvent 1 euros – au passage
des caisses des supermarchés, l’abandon des centimes d’euro sur les
caisses enregistreuses des débits de
tabac, les dons de centimes encore,
prélevés sur les fiches de paye ou sur
les cartes de crédit, le reversement
des points des cartes de fidélité... »
La Donatrice Mystère : « Oui, c’est
l’idée de la pièce qu’on donnait à un
pauvre, ou qu’on versait dans le tronc
d’un quêteur de l’Armée du Salut, ou
de la campagne du timbre contre la
tuberculose, dans les cours de récréation, à mon enfance. Aujourd’hui les
Pièces Jaunes collectent aussi des
petits dons, sans besoin d’électronique ou d’Internet... »
Grégoire : « Oui Mamie, mais il ne
s’agit pas de substituer un moyen à un
autre. Ils se complètent... et les ressorts
du don sont toujours les mêmes. Les
nouveaux médias permettent simplement de créer des nouveaux canaux
pour collecter et de bénéficier de l’effet de levier des réseaux sociaux. Le
don devient un geste social qui s’affiche, se partage dans une communauté. De nouveaux médias vont
encore voir le jour. Je pense au téléphone portable, par exemple, qui n’a
jamais bien fonctionné en terme de
dons par SMS à cause des taxes. Mais
je suis sûr que dès lors qu’il servira de
terminal de paiement, il deviendra un
excellent vecteur de micro-don. »
La Donatrice Mystère : «Houlala !
Ce n’est pas de mon âge tout ça.
Maintenant, si ça permet d’éveiller
les jeunes à la générosité, je ne peux
qu’approuver ! »
Les tests et propos de la Donatrice Mystère ne
représentent aucune vérité scientifique, mais
les simples constat et réflexions d’un donateur
« lambda » en contact avec nos organisations.
Fundraizine
| 27 | JUIN 2011
25
People
Portrait
Huit Femmes
© DR
Femme d'intérêt général et de lettres, femme « fatale » et féministe, femme de fond et femme
de fonds... De multiples visages pour un seul sens. Rencontre de Marie-Stéphane Maradeix, nouvelle
Présidente de l'AFF.
Q
ui est Marie-Stéphane Maradeix ?
La directrice de campagne de
l'Ecole Polytechnique ? La présidente de l'Association Française des
Fundraisers ? Parties émergées d'une
femme qui ne se résume pas en une
métaphore. Femme multifacettes
mais d'un solide seul tenant. Inspiration : femme de lettres. Elle aurait
voulu être journaliste mais se range
aux conseils paternels pour s'orienter vers une école de commerce. A
Sup de Co Lyon, s'épanouit la femme
d'intérêt général : elle participe à un
programme pilote qui l'envoie trois
mois à temps plein dans une association de soutien aux femmes en
difficulté en Guadeloupe.
Retour en France et premier boulot.
La femme de fond se met alors à engendrer peu à peu la future femme
de fonds. Elle a l'opportunité d'intégrer le tout nouveau programme
sur la philanthropie de la Johns
Hopkins University de Baltimore.
Avant son départ, elle doit préparer
une intervention sur la philanthropie en France et rencontre donc
tous les professionnels du sujet de
l'Hexagone, dont Antoine Vaccaro
alors en train de monter l'agence
EXCEL. Marie-Stéphane Maradeix assume ses influences, dont celle-ci.
« Je suis un bébé Vaccaro », sourit-elle.
Aux USA, elle découvre les techniques de collecte de fonds, les campagnes de financement... De retour
à Paris, son mémoire sur le rôle des
ONG américaines en Afrique sub-
26
Fundraizine
| 27 | JUIN 2011
saharienne sous le bras, elle convoite
un poste de chef de projet au Gret
(Groupe de recherche et d’échanges
technologiques). En entretien, son
interlocuteur lui apprend que le
poste ne sera finalement pas créé…
avant de poursuivre : « en revanche,
j'ai reçu ce matin un mémoire que
nous aimerions publier, avec la mention “Retrouver l'auteur !” sur la page
de garde...». L'auteur c'était elle. La
femme de lettres reprend du service
pour la traduction et la publication
de ce mémoire puis elle rejoint Médecins du Monde (MDM) pour y
structurer l'activité de parrainage.
Premiers pas de la femme « fatale »...
aux postes qu'elle occupe. La Guerre
du Golfe éclate et MDM se recentre
sur ses activités médicales, mettant
un terme à l'aventure « parrainage ».
Antoine Vaccaro la recrute pour développer La Voix Privée (l’ancêtre de
Fundraizine) et le Club des Fundraisers (l’ancêtre de l’AFF). Mais, faute
de moyens, le journal et son poste
sont supprimés. Pas découragée, elle
ouvre alors une « parenthèse européenne de sept ans » qui commence
par un retour vers l'accompagnement des femmes : trois ans au sein
du programme NOW portée par le
Secrétariat d’Etat aux Droits des
Femmes, « un ministère de combat, au
final pas si loin du militantisme associatif ». Marie-Stéphane Maradeix,
femme féministe ? « Je suis un peu
“chienne de garde” », reconnaît-elle.
Après trois ans, sa fonction est (à
nouveau) supprimée. Elle cherche du
travail pendant un an et s'occupe en
écrivant un roman de science-fiction
(elle a déjà publié des nouvelles). Tenace, ce fond de femme de lettres...
Après cette pause, « Madame Europe »
reprend du service. Elle rejoint
l’Unrep (fédération d’établissements
d’enseignement agricole) en tant
que responsable des partenariats
européens. Parmi les adhérents : les
lycées agricoles et horticoles de la
Fondation d'Auteuil qui la débauche
en 1998. La parenthèse Europe se
clôt quand la Fondation d'Auteuil
rencontre Stéphane Chennec, un
consultant québécois, qui l'incite à
se lancer dans une campagne de financement « à l'américaine ». MarieStéphane Maradeix l'a rencontré
quelques années plus tôt. Il pose le
verdict : « Vous avez la personne qu'il
vous faut en interne ». Portée par ce
nouveau « pygmalion », Galatée endosse les habits de collectrice de
fonds. Travaillant désormais pour
l'Essec, Stéphane Chennec l'entraine
ensuite dans les filets de l'enseignement supérieur. Elle embrasse ce
nouveau sujet, planche sur la création de la première conférence Enseignement Supérieur – Culture –
Recherche de l'AFF, accompagne la
création du Certificat Français du
Fundraising à l'ESSEC, co-écrit un
ouvrage sur le sujet...
Femme plurielle mais toujours entière. Elle qui est « une litteraire plutôt
qu’une scientifique » a des appréhensions quant aux écoles scientifiques
et encore plus quant aux écoles
« militaires »... Elle sait trouver l'âme
et le cœur sous le bicorne quand
elle croise la route de Polytechnique :
« L'élitisme au sens noble du terme :
c'est l'équation qui décide de qui est le
meilleur porté par de vraies valeurs
humaines ». Où aller à partir de là ?
Quelle femme reste encore à éclore ?
« Au final, si je me retourne, je dirais
qu'il y a trois fils conducteurs à mon
parcours. L'intérêt général, la formation, et enfin les questions de financement : les chercher, les distribuer,
réfléchir à leur sujet... Je ne sais pas si
je garderai ces fils conducteurs, mais
je pense que je resterai dans le
domaine de l'intérêt général. C'est un
peu le sens de ma vie ».
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| 27 | JUIN 2011
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