L`expérimentation : une condition nécessaire de l`innovation
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L`expérimentation : une condition nécessaire de l`innovation
Complément C L’expérimentation : une condition nécessaire de l’innovation Philippe Durance Professeur associé au CNAM, chercheur au sein du LIPSOR (Laboratoire de recherche en innovation, prospective stratégique et organisation) « C’est en renonçant aux débats théoriques ou idéologiques que notre pays pourra sortir de l’immobilisme dans lequel l’enserrent un système administratif envahissant et des principes d’uniformité de plus en plus hypocrites. Il faut introduire de la souplesse et de l’innovation dans nos processus de pensée comme dans nos pratiques politiques. » Pierre Méhaignerie, Assemblée nationale, mars 2000. En mars 2000, considérant que « chaque citoyen peut constater que la réforme de l’État piétine, quand elle ne recule pas, sous l’effet des blocages propres à [des] systèmes de décision obsolètes et tellement centralisés », Pierre Méhaignerie dépose sur le bureau de l’Assemblée nationale un projet de loi visant « à introduire dans le Constitution un droit à l’expérimentation pour les collectivités locales (1) ». Ce texte prévoyait qu’à « l’initiative des collectivités territoriales, leur organisation, leurs compétences ou leurs ressources, peuvent faire l’objet d’une expérimentation dans des conditions définies par la loi, en vue d’une généralisation (2) ». Il s’agit d’offrir aux politiques « une prise sur le réel » pour le bénéfice concret des Français. Le principe de l’expérimentation locale était posé. Dans sa déclaration de politique générale prononcée en juillet 2002, le Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, annonçait une réforme (1) Projet de loi constitutionnelle tendant à introduire dans la Constitution un droit à l’expérimentation pour les collectivités locales, enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 24 mars 2000, présentée par M. Pierre Méhaignerie. (2) Proposition de loi constitutionnelle tendant à introduire dans la Constitution un droit à l’expérimentation pour les collectivités territoriales, adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture le 16 janvier 2001. Créativité et innovation dans les territoires 159 ambitieuse, destinée à « bâtir une République des proximités, unitaire et décentralisée ». La volonté du Gouvernement est alors d’encourager les initiatives locales en autorisant la mise en œuvre de cette pratique assez peu répandue. Le sujet est considéré comme suffisamment important pour faire l’objet d’une réforme constitutionnelle. Pour Jean-Pierre Raffarin, face à une société de plus en plus complexe, il faut nécessairement « donner des responsabilités à la proximité et […] faire en sorte que les décisions soient prises au plus près du terrain », au risque d’être finalement conduit « à l’impuissance publique » (3). Dans cet esprit, l’expérimentation participe de la volonté plus générale de renouveler les modalités de la décentralisation, d’en passer à une nouvelle forme, non plus « octroyée » par l’État, mais « portée par l’initiative des élus locaux eux-mêmes » (4). Par l’expérimentation, il s’agit bien de donner la voix aux collectivités locales qui « sont particulièrement bien placées pour apprécier l’adéquation des lois et règlements à un objectif visé, pour identifier leurs éventuelles imperfections et éprouver les réformes dont ces textes pourraient faire l’objet », et cela, « pour un meilleur service rendu au citoyen » (5). 1. Un droit inscrit dans la Constitution La constitutionnalisation du droit d’expérimentation a été réalisée dans le cadre d’une révision constitutionnelle plus large, relative à l’organisation décentralisée de la République, visant à « reprendre la longue marche, si souvent contrariée, vers la décentralisation » et à « mettre en place une nouvelle architecture des pouvoirs » (6). Initialement, partant du principe qu’une République « plus responsable doit équilibrer l’exigence de cohérence et le besoin de proximité », l’expérimentation est surtout considérée, dans « une société marquée par la complexité », comme un moyen « pour chaque politique publique, de déterminer le bon niveau d’exercice des compétences » (7). Concrètement, ce droit recouvre deux dispositions de portée différente (8). La première prévoit qu’une loi ou qu’un règlement puisse comporter, pour un objet précis et une durée limitée, des mesures à caractère expérimental (9). En 2004, la loi relative aux libertés et aux responsabilités locales (10) (3) Sénat, discussion d’un projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la République, séance du 29 octobre 2002. (4) Idem. (5) Ibid. (6) Message de Jacques Chirac, président de la République, au Parlement, le 2 juillet 2002. (7) Projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la République. (8) Ces dispositions ont été introduites dans la Constitution par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République. (9) Article 37-1 de la Constitution. (10) Loi no 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, publié au Journal officiel du 17 août 2004. 160 Conseil d’analyse économique a mis en œuvre cette faculté dans huit domaines particuliers : les aides aux entreprises, la gestion des aéroports, la gestion des fonds structurels européens, l’assistance éducative, le financement d’équipements sanitaires, la résorption de l’insalubrité, l’organisation des écoles primaires et l’entretien du patrimoine. Plus récemment, cette disposition a été appliquée à certains aspects du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires en donnant la possibilité d’expérimentations en matière d’annualisation du temps de travail des praticiens des hôpitaux à temps partiel, de délivrance par les pharmaciens de moyens de contraception ou, encore, d’une consultation préventive annuelle pour les 16-25 ans sans avance de frais. Dans cette optique, il s’agit pour l’État de transférer de nouvelles compétences aux collectivités territoriales. La seconde disposition prévoit que n’importe quelle collectivité territoriale (commune, Département, Région et collectivité à statut particulier) ou groupement de collectivités puissent déroger, pour un objet précis et une durée limitée, aux dispositions législatives et réglementaires qui régissent l’exercice de ses compétences, dans la limite des conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti (11). Il revient à la collectivité d’élaborer la norme dérogatoire. Il ne s’agit pas, dans ce cas, d’expérimenter de nouvelles compétences, mais de nouvelles règles d’exercice de compétences existantes. L’expérimentation ne peut durer plus de cinq ans. Avant la fin de la période d’expérimentation, un rapport, reprenant notamment les observations des collectivités engagées, doit être transmis au Parlement aux fins d’évaluation. À l’issue de la période, au vu de l’évaluation, il peut être décidé, soit de prolonger le dispositif pour une durée maximum de trois ans, soit de généraliser les mesures prises à titre expérimental, soit d’abandonner l’expérimentation (12). Le processus instauré est fermement encadré par l’État : c’est la loi qui décide non seulement de la possibilité ou non de déroger par l’expérimentation à une mesure donnée, mais aussi de l’échelle territoriale concernée. Charge aux collectivités visées qui souhaitent bénéficier de cette dérogation de faire acte de candidature par une délibération motivée de leur assemblée. La demande est alors transmise au représentant de l’État qui, après avis, la transmet à son tour au ministre en charge des collectivités locales pour vérification du respect des conditions légales. Lors de son élaboration, le droit d’expérimentation a soulevé de nombreux débats : pour les uns, il représentait un puissant moyen de moderniser l’État et de mieux définir les politiques publiques en les adaptant aux besoins des citoyens ; pour les autres, cette faculté d’adaptation, justement, (11) Article 72, alinéa 4 de la Constitution. (12) Loi organique no 2003-704 du 1er août 2003 relative à l’expérimentation par les collectivités territoriales, publiée au Journal officiel du 2 août 2003. Créativité et innovation dans les territoires 161 heurtait l’imaginaire d’égalité et risquait d’entraîner de nouvelles fractures t erritoriales. Cette délicate question sera réglée par l’inscription dans la loi d’une seule alternative possible à l’issue de la phase expérimentale : supprimer la disposition ou la généraliser. Il ne s’agit pas en effet de permettre aux territoires de sortir du cadre législatif ou réglementaire général, mais de participer à son établissement et de donner à l’État une vision des marges nécessaires pour une véritable adaptation. Ainsi, comme l’a fort bien noté Émile Blessig, « alors que le système institutionnel français se caractérise par un conflit dialectique entre le principe d’unité et celui de diversité, la démarche entreprise […] vise à reconnaître la diversité des territoires dans le respect du principe de l’unité de l’État (13) ». 2. Une possibilité au potentiel largement inexploité par les territoires Quelques années après sa mise en œuvre pratique, le bilan de l’utilisation du droit d’expérimentation reste mitigé. La première disposition a donné lieu à un grand nombre d’applications. Tous les domaines ouverts n’ont cependant pas été exploités. L’expérimentation concernant les aéroports, lancée alors que l’échéance du transfert obligatoire au 1er janvier 2007 était connue des collectivités, n’a suscité aucune initiative locale. Celle relative au financement d’équipement sanitaire n’a suscité qu’une seule candidature, de la Région Nord-Pas-de-Calais, tout comme celle concernant l’entretien du patrimoine, par le département du Lot. D’autres ont été largement partagées, à l’instar de l’élaboration des schémas régionaux de développement économique, dont l’adoption a permis aux Régions d’attribuer elle-même les aides de l’État destinées aux entreprises. Mais, même dans ce cas, le « succès » n’est pas si évident : les conditions restrictives imposées sur le fond par l’État pour la réalisation de ces schémas (rôle de coordinateur des interventions économiques plus que de réel décideur ; focalisation sur le respect de « l’équilibre économique » global du territoire et sur l’attractivité territoriale ; respect des orientations antérieures définies par l’État) (14), ont été telles que leur acception par les Régions a été globalement difficile (15). Sur la forme, l’élaboration d’une stratégie réellement partagée par l’ensemble (13) Émile Blessig, rapport fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur la proposition de loi constitutionnelle tendant à introduire dans la Constitution un droit à l’expérimentation pour les collectivités locales, Assemblée nationale, janvier 2001. (14) Circulaire ministérielle du 25 mars 2005 relative à la mise en œuvre des dispositions de l’article 1er de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, concernant le schéma régional de développement économique. (15) Avis de l’Association des régions de France (ARF) du 7 juillet 2005 relatif à l’intervention économique des régions et aux schémas régionaux. 162 Conseil d’analyse économique des acteurs locaux impliqués dans le développement économique a rarement pu être mise en œuvre. La seconde disposition, quant à elle, n’a jusqu’à présent fait l’objet d’aucune demande spontanée de la part d’un acteur local, quel qu’il soit. En 2005, en réaffirmant le rôle prépondérant de l’expérimentation dans l’innovation (16), l’État décide d’initier plusieurs expérimentations locales en matière d’action sociale : mise en place de nouveaux modes d’intéressement des bénéficiaires du revenu minimum d’insertion (RMI), mise en place d’un contrat aidé unique, garantie du droit à un logement décent et indépendant, etc. Sur les dix-neuf départements qui ont fait initialement acte de candidature, seuls deux – l’Eure et la Côte d’Or – sont allés au bout de la procédure et ont obtenu l’autorisation en mai 2007. Le processus est relancé en août 2007 avec deux nouvelles expérimentations, également ouvertes aux Conseils généraux, dont celle concernant le revenu de solidarité active (RSA). La participation à cette dernière a été plus importante : un bon tiers des départements ont ainsi obtenu une autorisation. 3. L’expérimentation du RSA, une nouvelle étape ? L’expérimentation du RSA est considéré par ses commanditaires comme « exemplaire » et préfigurant « une nouvelle approche de la réforme des politiques sociales » (17). Les modalités précises d’expérimentation (date de démarrage, taille du territoire cible, champ d’application, types d’emploi concernés, barèmes, clause éventuelle de résidence, etc.), choisies par les Conseils généraux, ont été très variées d’un département à l’autre. Surtout, la loi a prévu d’emblée le principe d’une évaluation des expérimentations par un comité rassemblant les représentants des acteurs concernés, départements et services de l’État, ainsi que des personnalités qualifiées (18), concrétisant ainsi une approche ex ante. Ce comité s’est donné trois grands objectifs : étudier les modalités d’une éventuelle généralisation, tirer des enseignements de la pratique de l’expérimentation dans le domaine social et contribuer à améliorer la mesure de l’efficacité des mécanismes d’incitation au retour à l’emploi. La méthode retenue a consisté « à comparer la situation des allocataires de minima sociaux sur les territoires d’expérimentation », choisis par les Conseils départementaux, « avec des territoires témoins le plus ressemblants (16) Allocution de Dominique de Villepin, Premier ministre, devant le Conseil national de lutte contre l’exclusion, le 16 septembre 2005. (17) Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, rapport d’étape sur l’évaluation des expérimentations RSA, Comité d’évaluation des expérimentations, synthèse, septembre 2008. (18) Article 142 de la loi de finances 2007. Créativité et innovation dans les territoires 163 possible », choisis par le comité d’évaluation, « puis à en déduire les effets du dispositif expérimenté par simple différence, tout en tenant compte du contexte » (19). L’évaluation de l’impact du RSA sur un territoire donné a reposé sur un calcul comparatif entre zone d’expérimentation et zone de test, non pas du taux d’emploi, mais du taux de retour à l’emploi. Compte tenu de « difficultés de comparaisons », ce taux de retour à l’emploi a été estimé à partir de trois méthodes qui diffèrent dans la manière dont elles pondèrent les différentes observations. Mais, même avec ces précautions méthodologiques, les évaluateurs considèrent que « les résultats […] doivent être interprétés avec prudence compte tenu de certaines différences dans la manière de repérer les personnes en emploi entre zones expérimentales et zones témoins, qui peuvent conduire à surestimer l’impact des expérimentations » : « au final, l’effet du RSA sur le retour à l’emploi sera mécaniquement accentué » (20). Une évaluation qualitative complémentaire, effectuée dans cinq départements, fait ressortir un net renforcement des partenariats entre les acteurs. L’expérimentation n’a cependant pas remis fondamentalement en cause les orientations déjà prises par les Conseils généraux en matière d’insertion dans le cadre de la décentralisation du revenu minimum d’insertion (RMI). A contrario, elle a fait ressortir de profondes différences d’approche dans le traitement de l’insertion par les territoires concernés, selon la nature des difficultés sociales rencontrées et le nombre d’allocataires enregistrés. Par ailleurs, certains membres du comité d’évaluation ont noté le peu de temps laissé aux territoires avant la généralisation, qui a rendu difficile la mesure des effets en termes de capacité à se maintenir ou non, et plus particulièrement de « certains effets pervers » apparus en cours d’expérimentation. Le périmètre de l’expérimentation s’est également avéré beaucoup plus restrictif que celui de la généralisation, les dérogations autorisées par la loi étant limitées (21). La mise en œuvre dérogatoire du RSA dans certains territoires a pour beaucoup valeur de symbole. Elle a effectivement marqué une nouvelle étape du droit d’expérimentation, que ce soit par une participation relativement importante des territoires, ou par sa tentative innovante de déterminer rigoureusement les effets d’une politique publique à partir d’une méthode expérimentale (22). Mais, elle a également mis en lumière les nombreuses difficultés d’application. Et, surtout, elle semble confirmer la consécration de ce processus, initialement ouvert à tous les domaines, aux seules dimensions de la politique sociale. (19) Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, rapport d’étape sur l’évaluation des expérimentations RSA, op. cit. (20) Idem. Ce résultat a été confirmé par la DREES en avril 2009 dans son enquête sur les expérimentations du RSA, qui relève son « impact limité en termes d’accès ou de maintien en emploi » (document de travail, no 87, avril 2009). (21) Cyprien Avenel, « Les enjeux de l’évaluation des expérimentations du revenu de solidarité active », Informations sociales, CNAF, no 150, 2008. (22) Idem. 164 Conseil d’analyse économique Les quelques avancées faites dans ce domaine semblent cependant s’être récemment évanouies à l’occasion de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. Les différentes expérimentations prévues initialement par le projet ont été censurées par le Conseil constitutionnel au motif que les rédacteurs ont purement et simplement omis d’en prévoir le terme, pourtant plafonné à cinq ans par la loi constitutionnelle (23). 4. Pour un droit d’expérimentation renouvelé Le pouvoir central a longtemps entretenu, en France, une relation difficile avec l’idée d’expérimentation législative, considérant qu’elle équivalait à une évaluation, i.e. à une critique susceptible de remettre en question tant les fondements que les modalités d’application de la loi, alors que celle-ci est sensée représenter dès son origine la volonté générale (24). L’entrée du droit d’expérimentation dans la Constitution n’échappe pas à cette règle. Entre l’intention initiale de ses promoteurs et sa concrétisation juridique, un écart important s’est creusé, principalement dû au très fort encadrement imposé aux collectivités locales par le législateur. Difficile dans ces conditions d’y voir « l’épanouissement d’une véritable liberté locale (25) ». La processus d’expérimentation s’est finalement transformé en un moyen pour l’État d’opérer des transferts de charges dans les meilleurs conditions possibles : comme le précisait le Premier ministre lors des débats préalables fin 2002, « quand le sujet est […] complexe, quand il nécessite d’associer les différents acteurs et de prendre des précautions pour affiner la proposition, l’expérimentation précédera le transfert (26) ». Pour le philosophe de la Renaissance Francis Bacon, les hommes ont fait peu d’avancées dans les sciences car ils ont négligé et abandonné l’expérience. Il note la propension des individus à dédaigner les innombrables formes de la réalité « sous le prétexte que les choses de cette sorte exigent […] de pénibles recherches, […] heurtent le discours, se prêtent peu à la pratique, se multiplient à l’infini et donnent peu de prise, par leur subtilité (27) ». L’expérimentation représente à ses yeux la seule voie du progrès des connaissances et de l’innovation. Elle doit servir de cadre à l’esprit pour lui éviter de se contenter d’affirmer et de laisser ainsi libre cours aux « phantasmes (23) Décision no 2009-584 DC du 16 juillet 2009. (24) Florence Crouzatier-Durand, « Réflexions sur le concept d’expérimentation législative », Revue française de droit constitutionnel, Presses universitaires de France, no 56, 2003. (25) Simon de Charentenay, « Les implications juridiques de la constitutionnalisation du droit de l’expérimentation », VIIe Congrès français de droit constitutionnel, septembre 2008. (26) Sénat, discussion d’un projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la République, op. cit. (27) Francis Bacon, Novum Organum, 1620, trad. Michel Malherbe, Jean-Marie Pousseur, PUF, coll. « Épiméthée », 2004. Créativité et innovation dans les territoires 165 de l’imagination, [aux] vérités de l’opinion, [aux] notions mal déterminées et [aux] axiomes qu’il faut corriger à tout instant (28) ». Aristote, de son côté, critiquait déjà un principe d’unité poussé à outrance : « Il faut sans doute, dans la société civile […] quelque unité, mais non pas unité en tout : à force de la ramener à l’unité, on fait si bien que ce n’est plus une société, et ses vices augmentent en raison de sa réduction, à peu près comme si on réduisait […] un vers à un pied (29). » « Beaucoup voyageront en tous sens et la science en sera augmentée (30) » ; en permettant le foisonnement des confrontations singulières des acteurs autour d’un même objectif et la capitalisation des évaluations, l’expérimentation constitue une condition nécessaire de l’innovation. Pour autant, selon les modalités actuelles de mise en œuvre, ce but paraît hors d’atteinte. Le droit d’expérimentation devrait d’abord faire l’objet d’un bilan détaillé. Il mériterait ensuite de bénéficier d’un nouvel élan sur la base d’une légitimité renouvelée (ne pas servir qu’à préparer des transferts de compétences de l’État vers les territoires), d’une déspécialisation (ne pas servir que dans le cadre des politiques sociales) et d’une application à des territoires offrant une plus grande proximité (communes, communautés de communes et d’agglomération) en relation avec les échelles territoriales immédiatement supérieures. (28) Ibid. (29) Aristote, Politique, livre II, chapitre V, Artaud, 1803, trad. Charles Millon. (30) Frontispice de l’édition originale du Novum Organum de Francis Bacon. 166 Conseil d’analyse économique