L`emploi atypique n`est pas forcément synonyme de mal
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L`emploi atypique n`est pas forcément synonyme de mal
L’emploi atypique n’est pas forcément synonyme de mal-être accru au travail. L’exemple du type de contrat de travail en France Baggio, S. & Sutter, PE. Résumé de la communication orale présentée au colloque « Qualité de vie au travail et pratiques de prévention en santé et sécurité du travail », ACFAS, Québec, Canada, mai 2013. 1. Introduction 1.1. Contexte de l’étude Cette communication renvoie à une problématique assez étudiée en psychologie du travail et en ressources humaines : l’idée que l’emploi atypique est synonyme de mal-être accru au travail. Un bref retour dans l’histoire de l’emploi permet de comprendre cette notion d’emploi atypique et de la définir. Auparavant et pendant de nombreuses décennies (au moins durant les Trente Glorieuses), un modèle normatif du travail a prévalu dans la plupart des sociétés occidentales. Ce modèle prenait la forme d’un travail à durée indéterminée, permanent (toute la carrière était menée dans une seule et même entreprise), à temps plein, avec des horaires réguliers, avec un seul employeur et une carrière minimale assurée (c’est-à-dire avec la possibilité d’évoluer dans l’entreprise). Ce modèle normatif a été bouleversé au cours du dernier quart du 20ème siècle, et notamment avec l’impact du choc pétrolier. A ce moment, l’organisation du travail a été repensée, une flexibilité accrue a été introduite, avec notamment comme conséquence le développement de formes atypiques de travail. Ce travail atypique n’est pas homogène, ni dans ses formes, ni dans les conséquences qu’il peut avoir sur l’individu. Cela peut être des contrats limités dans le temps (CDD, intérim), à temps 1 partiel, avec des horaires décalés, sans employeur (travail indépendant). On peut rajouter également le travail qui correspond à un apprentissage (stages, alternance) à cette liste de formes de travail atypique. 1.2. Liens et conséquences du travail atypique De manière générale, les travaux dans le domaine ont montré que l’emploi atypique est synonyme de précarité et de conséquences néfastes pour le travailleur. Les répercussions peuvent aussi bien se situer sur le plan du bien-être au travail (satisfaction au travail réduite, manque de reconnaissance accru, investissement moindre au travail, insécurité de l’emploi, etc.), sur le plan social (vie sociale et famille affectée, relationnel moindre), ou encore sur le plan psychologique (stress, incertitude, satisfaction de vie réduite, voire dépression, etc.). Toutefois, ces travaux ne sont pas forcément récents, et peuvent entrer en contradiction avec certaines enquêtes actuelles. Par exemple, l’enquête BVA effectuée chez Manpower (2013) montre que deux tiers des intérimaires refusent un CDI et qu’un tiers a volontairement adopté ce mode de vie. Les avantages évoqués sont le salaire, la souplesse et la possibilité de gérer son temps, l’absence de nécessité de qualification particulière, ou encore le fait de pouvoir enrichir son CV. Autrement dit, ce résultat semble en contradiction avec les résultats des études sur le sujet. Peu de travaux récents comparent de manière systématique les liens entre ces différentes formes de travail et le bien-être au travail. C’est ce que cette étude se propose de faire, se focalisant sur les différents contrats de travail (CDI, CDD, intérim, travail indépendant), incluant également les salariés en formation (stages, alternance). 2 2. Méthode Les données utilisées proviennent de l’OVAT (Observatoire de la Vie au Travail en France), enquête annuelle menée en ligne. Un échantillon de 5394 participants a été interrogé entre mai et juin 2012. Les questionnaires utilisés mesurent des indicateurs de qualité de vie au travail : le climat social de l’entreprise dans laquelle les salariés travaillent, l’exposition au stress, ainsi que l’implication des salariés pour leur travail. Un certain nombre de questions signalétiques étaient également renseignées, notamment le sexe, le secteur d’activité, le type d’entreprise, le statut, ou encore le contrat de travail. Les analyses conduites en vue d’investiguer le lien entre type de contrat de travail et qualité de vie au travail sont des ANOVA simples avec tests de comparaison post-hoc (somme des carrés de type III), avec une procédure de suppression listwise pour les valeurs manquantes (N = 5055). 3. Résultats 3.1. Description de l’échantillon L’échantillon compte une majorité de femmes, qui constituent 65.2% de l’échantillon. Les salariés travaillaient plutôt dans des grandes entreprises (41.8% d’entre eux), tandis que 8.6% des participants travaillent dans des TPE, 27.6% dans des PME, et 16.9% dans la fonction publique. 5.2% sont des demandeurs d’emploi. Les catégories professionnelles élevées sont les plus représentées, avec 44.0% de cadres, 14.2% de cadres supérieurs et dirigeants, contre 37.2% d’ouvriers, employés et assimilés cadres. Une minorité travaille en libéral (0.9%). Le tableau suivant présente les proportions de participants selon leur type de contrat. 3 Tableau 1. Type de contrat des participants La majorité des participants sont en CDI (85.8%), tandis que 8.5% sont en CDD. Les autres types de contrat présentent des pourcentages faibles, voisins de 1.5%. Ces chiffres correspondent assez bien à la réalité du marché de l’emploi français : 84.1% des salariés étaient en CDI en 2011, 10.1% en CDD et 3.6% en intérim. Les données manquent pour les autres formes de contrats. 3.2. Effet du type de contrat sur le climat social La figure 1 présente le lien entre contrat de travail et climat social. Fig. 1. Effet du type de contrat sur le climat social Note. Le climat social est évalué sur une échelle de 1 (climat social dégradé) à 6 (bon climat social). 4 Les résultats montrent d’une part que les free-lance (travailleurs indépendants) et les stagiaires présentent une meilleure évaluation du climat social ; et d’autre part que les autres types de contrats présentent une évaluation plus faibles, mais homogènes, y compris entre travailleurs précaires (CDD, intérim) et travailleurs en CDI. 3.3. Effet du type de contrat sur l’exposition au stress La figure 2 présente les résultats de l’exposition au stress selon le type de contrat. Fig. 2. Effet du type de contrat sur l’exposition au stress Note. L’exposition au stress est évaluée sur une échelle de 1 (exposition au stress forte) à 6 (exposition au stress faible). Les résultats sont semblables à ceux du climat social, avec cette fois-ci les salariés en alternance qui présentent un résultat un peu plus favorable, semblable à celui des stagiaires. 5 3.4. Effet du type de contrat sur l’implication La figure 3 présente les résultats de l’implication selon le type de contrat. Fig. 3. Effet du type de contrat sur l’implication Note. L’implication est évaluée sur une échelle de 1 (implication faible) à 6 (implication forte). Cette fois, les free-lance se distinguent de tous les autres salariés, y compris les stagiaires, avec une implication significativement plus forte. Les salariés en CDI sont plus impliqués que ceux en intérim, mais ils ne se distinguent en revanche pas de ceux en CDD. Les salariés en alternance présentent l’implication la plus faible, excepté par rapport aux intérimaires qui ont un niveau équivalent au leur. Les stagiaires ne se distinguent cette fois pas des autres types de contrat. 6 4. Discussion 4.1. Principaux résultats Le principal résultat concerne les travailleurs indépendants et les stagiaires en ce qui concerne le climat social et l’exposition au stress. L’hypothèse qui peut être faite à leur sujet est celle du lien de subordination : ces travailleurs n’entretiennent pas la même relation à la hiérarchie que les travailleurs sous d’autres formes de contrat. Leur relation à la hiérarchie est moins structurante. En effet, les free-lance échappent à la hiérarchie en travaillant pour leur compte, tandis que les stagiaires sont sous la tutelle de leur centre de formation. Un autre résultat important est le faible effet de la précarité du contrat. Cet effet est absent en ce qui concerne le climat social et l’exposition au stress. On ne voit en particulier aucune différence statistiquement significative apparaître entre les travailleurs en CDI, CDD et intérim. Seules quelques différences mineures apparaissent en ce qui concerne l’implication, avec des intérimaires moins impliqués que les travailleurs en CDI, et des travailleurs en alternance également moins impliqués. La précarité du contrat de travail ne semble donc pas être une variable explicative majeure, et d’autant plus que les tailles d’effet restent modestes. 4.2. Limites de l’étude Cette étude présente une limite majeure, qui tient au type d’échantillonnage : l’échantillonnage volontaire risque en effet de présenter des problèmes de structure. Toutefois, deux arguments peuvent être opposés à cette limite. En premier lieu, il s’agit ici d’une comparaison de groupes et non d’une évaluation globale (par exemple du niveau de climat social). Si les répondants sont plus insatisfaits, alors l’insatisfaction devrait l’être quel que soit le type de 7 contrat considéré, faisant bouger la moyenne vers les valeurs faibles sans impacter différemment les différents types de contrats. Ensuite, un contrôle a été effectué lors de l’édition précédente de l’OVAT (2011), contrôlant avec un échantillon papier (10% des passations). Aucune différence entre l’échantillon papier et Internet n’avait pu être mise en évidence. Par ailleurs, on peut reprocher aux données leur manque de représentativité par rapport à la population active française, et notamment la sous-représentation de certaines catégories de salariés : les hommes, les CSP faibles, les petites entreprises. De par ces limites, d’autres investigations avec des échantillonnages non volontaires et en stratifiant l’échantillon sont nécessaires pour confirmer les tendances observées dans la présente étude. Conclusion Pour conclure, il semble que ce n’est pas – ou plus – seulement la précarité liée au contrat de travail qui rend compte des variations de la qualité de vie au travail, mais aussi le lien de subordination. Il serait également intéressant d’explorer le degré de détermination du choix individuel dans ce vécu, particulièrement en distinguant le travail précaire choisi du travail précaire subi – ce que L’Observatoire de la Vie Au Travail tentera de faire dans ses prochaines éditions à venir. 8