La veille au soir, on me fait remarquer que mon pneu arrière – un
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La veille au soir, on me fait remarquer que mon pneu arrière – un
REV 2011 : Récit d’une REVeuse multirécidiviste Prologue: une histoire de blonde La veille du départ, dans la soirée, on me fait remarquer que mon pneu arrière – un Continental Grand Prix 4000 – a ‘fait la guerre’. En effet, il est ‘carré’ et la gomme s’est fendue sur plusieurs centimètres! Pourtant il n’a fait qu’un 1000 Bavarois, plus un 300, quelques 200... je n’ai pas beaucoup roulé avec Spirit cette année. ‘Tu ne vas pas partir avec ce pneu-là’... Jean-Claude Arens est encore plus inquiet que moi. ‘Euh...’... Je m’en veux, je suis confuse. Difficile d’expliquer – et de m’expliquer – que je n’aie pas vu cette évidence. Jeudi 14 juillet, aucune chance de trouver un vélociste ouvert, mais je suis sauvée par la gentillesse des REVeurs: c’est d’abord Joachim Garreau qui me donne un Vittoria (il en a plusieurs en stock), mais comme j’hésite à monter un pneu de pur-sang sur un percheron, je me contente de le placer dans ma sacoche. Le lendemain au petit déjeuner, j’en parle avec Matthieu Lunel... et celui-ci me donne un ‘Conti’ neuf, qu’il avait emporté, au cas où! Dix minutes avant le départ, c’est parti pour un montage ‘chrono’ – Jean-Claude, qui est vraiment sur tous les fronts, met les mains dans le cambouis, notre hôte de l’Abbaye court chercher une pompe à pied, la bataille est rude, le pneu se défend, une chambre à air éclate, et finalement je m’élance à 07h05, un peu honteuse, mais avec un gros souci en moins. Le petit groupe des randonneurs est déjà parti (normal, le timing doit être respecté). Cinq minutes de retard, ce n’est pas cher payé pour une telle négligence! Première partie: la Route des Forts et le Ballon de Servance (100 km) Le temps est couvert, mais sec, le fond de l’air frisquet. Je ne suis pas fâchée d’être seule. Je me sens trop fragile pour rouler en groupe. Je peine à trouver mon rythme: les jambes lourdes et le souffle court, j’atteins l’auberge ‘Chez Lulu’ en m’efforçant de ne pas me demander pourquoi, dans un état aussi pitoyable, j’ai l’idée saugrenue de m’engager sur un raid extrême. La route des Forts est paisible. Forêts de sapins, étangs, belles vues sur la vallée. J’y aperçois quelques lièvres, ainsi qu’une biche avec son faon. Un bûcheron charge des fûts récemment tronçonnés sur son grumier. L’odeur de résine m’enivre. Voici déjà le contrôle du col des Croix, tenu par Cathy et Brigitte, qui m’accueillent avec le sourire. Alain Biehler et Jean-François Plechat, deux randonneurs, sont sur le point de repartir. Mes jambes commencent à mieux tourner. En début de REV, la montée au Ballon de Servance ne paraît pas très dure, malgré quelques passages pentus sur la fin. C’est plutôt la descente sur l’autre versant qui est difficile. La route forestière est étroite, rugueuse, très raide. Et décidément, il ne fait pas chaud! Seul le désir de gagner du temps m’empêche de m’arrêter pour enfiler le Gore-tex. Ensuite, le col de la Chevestraye et le col des Croix sont très roulants. Second passage au contrôle du col des Croix. J’y rencontre Bernard Nollet, un randonneur déjà présent sur le REV en 2010. Je fais honneur au buffet (et particulièrement au gâteau de semoule nappé chocolat), avant de basculer sur l’autre versant. Deuxième partie : la boucle du Ballon d’Alsace (180 km) Allez savoir pourquoi, ce n’est pas ma section préférée. Pour moi, le REV ne commence vraiment qu’une fois cette boucle effectuée. On grimpe une première fois le Ballon d’Alsace par Saint-Maurice, ascension régulière et agréable, qui se termine par un festival de digitales. Au cours de la montée, j’échange quelques mots avec Pascal ‘Basket’, venu pour la 4ème fois se mesurer au REV, plus que jamais déterminé à aller au bout. Presque au même moment, passe Eric Royer. Grand et mince, il monte avec aisance. Lui aussi en est à sa 4ème participation. Le hasard a donc réuni, l’espace d’un instant, les trois plus fidèles récidivistes de l’histoire du REV! Au sommet sont postés les contrôleurs du CC Froideconche, sous la houlette de Jean-Claude. Le temps de me ravitailler, et je redescends à Sewen, toujours avec cette impression de froid, qui s’estompe une fois que j’arrive dans la vallée. Je contourne le massif par le sud, jusqu’à Giromagny, où commence la seconde ascension. Elle est régulière, un peu monotone, je ressens une certaine lassitude. Ce n’est pas encore une réelle fatigue, simplement un moment où je vais moins bien. Et désormais, ces moments vont alterner avec les moments de plénitude. Le REV est fait de ça: des hauts et des bas – au propre comme au figuré! Au cours de la montée, survient la voiture d’assistance de Pascal Bride, conduite par son fils Axel. Vanessa, penchée au-dehors par la vitre ouverte, demande gentiment si j’ai besoin de quelque chose. On bavarde un peu. C’est alors que déboule son champion, qui ralentit pour rouler à ma hauteur et faire un brin de causette. J’apprécie ce geste, car je sais qu’il a d’autres ambitions que moi!... ‘Comment ça va ?’ - ‘Bof, j’ai de mauvaises jambes’, répond-il. Et comme il prend le large à la vitesse d’une mobylette, je songe que je voudrais bien avoir d’aussi mauvaises jambes! Quel phénomène, ce ‘Vieux Bridou’... Second pointage et second ravitaillement au sommet du Ballon d’Alsace. Jean-Claude nous annonce fièrement que nous y monterons une troisième fois, le lendemain, avec 500 bornes dans les pattes. Mieux vaut ne pas y penser. Cela paraît encore totalement irréaliste. Pendant ce temps, Joachim Garreau arrive, genou en sang et cuissard déchiré (aurait-il rencontré une voiture de France Télévision?)... Pas évident de continuer dans ces conditions, sachant qu’il reste 430 kilomètres à parcourir. Mais il repart. C’est un courageux! Troisième partie : entrée dans les Hautes Vosges (57 km) En franchissant le col du Ménil (facile) puis le col d’Oderen (au décor agréable, mais au revêtement en ‘toile émeri’), je pénètre petit à petit dans mon terrain de jeu favori, celui que nous avions si souvent arpenté, mon père et moi, du temps de ma jeunesse. La montée au Markstein par le lac de Kruth faisait partie de nos classiques. Après une attaque raide, la route s’étire paresseusement jusqu’au Treh, où s’envolent les parapentistes. A l’approche du sommet, la pente s’accentue brièvement. Je frôle un superbe serpent qui se chauffe au soleil sur la chaussée. ‘Ne reste pas là, tu vas te faire aplatir’... Selon moi, cette ascension est l’occasion d’opérer un ‘retour au calme’ avant le dîner, afin de garantir une bonne digestion. Je grimpe paisiblement, en contemplant le paysage. Les Hautes Vosges sont magnifiques et le soleil du soir apporte un bel éclairage, des teintes très chaudes. Les flancs des montagnes recouvertes de sapins sont comme des voiles bleus tendus entre le ciel et la vallée. Leurs sommets arrondis, aux courbes tendres, sont vêtus d’un sobre manteau de chaumes. Sur l’épaule d’une de ces montagnes, se dresse un arbre isolé. Nous possédions un tableau représentant ce paysage, daté de 1938, œuvre d’un peintre local. Sur cette toile, l’arbre est déjà là, tout petit - un simple point. A chaque fois que nous passions, mon père et moi cherchions l’arbre. Aujourd’hui encore, je cherche l’arbre. Il est toujours là. Très grand... J’arrive au contrôle du Markstein (km 237) vers 19h00, juste quand les pâtes sont prêtes! L’accueil est chaleureux. L’équipe du CCK qui tient le ravitaillement est bien rodée. Je m’assois dans une chaise pliante et avale mon assiette de pâtes avec appétit, tout en discutant avec Poucet (Gilles Esselin), en pleine forme, et avec Bernard Nollet, qui avance au même rythme que moi. Pendant ce temps, Didier Miranda, qui roule avec son ami Martial Goujon, prend des photos, en vue d’effectuer un reportage sur le REV. L’ambiance est détendue, bon enfant. 4ème partie : du Markstein au Calvaire (78 km) Il fait étrangement doux, j’ai presque chaud dans mes jambières et mon Gore-tex (je me suis déjà habillée pour la nuit). Grâce au départ matinal, je suis en avance par rapport aux années précédentes et j’ai tout le loisir d’admirer le somptueux paysage de la Route des Crêtes, baignée dans la lumière du soir - contemplation rendue d’autant plus agréable que le trafic motorisé, si important durant la journée, a quasiment cessé. C’est un moment privilégié, l’une des récompenses secrètes que le REV offre à ceux qui osent bousculer les limites du cyclisme ordinaire. Descente à la Bresse par la route des Américains puis montée vers le col de Grossepierre. Deux hommes du CCK attendent patiemment à l’embranchement de la route de la Courbe. Ce n’est pas un ravitaillement, mais simplement le moyen de vérifier que nous ne nous sommes pas trompés de route. Comme leurs collègues, ils prodiguent des encouragements avec une bonne humeur communicative. Je me sens entourée et épaulée, bien plus que lors des éditions précédentes. Et c’est bon pour le moral! A partir de là, le REV innove: nous remontons la vallée du Chajoux jusqu’au col des Feignes, d’où nous descendons vers Xonrupt, pour retrouver l’itinéraire habituel au pied du col du Surceneux. Une heureuse variante (la traversée de Gérardmer n’avait aucun intérêt). A la tombée de la nuit, je peux encore admirer la haute vallée du Chajoux, avec ses lacs et ses tourbières, puis les rives du grand lac de Longemer, dont les eaux, miroitant entre les troncs des sapins, semblent retenir les dernières lueurs du jour. Lorsque j’arrive au-dessus du Valtin, il fait nuit. Le petit village dessine un nid de lumières dans l’immensité sombre de la montagne. La descente continue en pente douce jusqu’à Plainfaing. Je me sens bien, mais bigre, quel froid! Mon Gore-tex (qui m’avait suffi les années passées) me semble soudain bien léger, et je me surprends à inspecter les rues de Plainfaing, me remémorant l’histoire de ces randonneurs frigorifiés qui avaient chipé des pulls sur les mannequins d’un magasin de vêtements, ou celle de Patrick Plaine, qui, lors d’une nuit plutôt fraîche en Autriche, avait trouvé des habits dans les poubelles. ‘Non, je ne vais quand même pas faire les poubelles de Plainfaing!’ Au contrôle du Calvaire, ils auront bien du papier journal ou des sacs en plastique, qui feront l’affaire. Le col du Bonhomme est l’un des principaux cols routiers permettant de franchir les Vosges, une ancienne Nationale très fréquentée. Il y a encore du trafic, dont quelques camions. La montée est douce et régulière. Ce col me paraît long, malgré le spectacle de la pleine lune, éblouissante, qui joue à cache-cache derrière les sapins. Au sommet, l’ascension continue, progressivement, jusqu’au col du Calvaire, situé sur la crête des Vosges. La route est de nouveau calme; des biches détalent sur la chaussée. Col du Calvaire (km 315). Les bénévoles de Froideconche, fidèles à leur tradition, ont allumé un feu de camp au coin duquel il fait bon s’asseoir et se réchauffer les os. Il fait glacial làhaut. Plusieurs REVeurs sont là, dont Poucet, qui, m’entendant quémander un sac poubelle, me propose un sous-pull thermique, m’assurant qu’il n’en a pas besoin. La solidarité des REVeurs n’est plus à prouver! Je me hâte d’intercaler cette couche supplémentaire entre maillot et Gore-tex. Après l’histoire du pneu, celle du pull... Pour une cycliste qui se dit prévoyante et organisée... hum... ‘peut mieux faire!’ Je déguste une délicieuse soupe chaude en regardant danser les flammes, un moment de pur bonheur, quand j’y repense! Autour de moi, dans l’ombre, règne une agitation feutrée; les REVeurs se restaurent, échangent quelques paroles sobres, reprennent courage; les bénévoles notent soigneusement les arrivées, les départs, et se renseignent auprès de nous: ‘Est-ce que tu sais s’il y a quelqu’un derrière toi?’ ‘Est-ce qu’il est loin?’... On guette l’approche d’une petite luciole dans l’obscurité. ‘En voilà un’. On entend juste le cliquetis d’une roue libre. Il met pied à terre en soupirant. On l’applaudit. C’est une famille – une vraie famille, réunie autour d’un feu de camp, au fin fond des Vosges, le temps d’une nuit hors du temps - le temps d’un REV. 5ème partie : du Calvaire au Linge Depuis le col du Calvaire, nous empruntons la Route des Crêtes jusqu’à la Schlucht. Malheureux le cycliste qui n’a connu la Route des Crêtes que sous la forme d’un terrain d’entraînement pour motards estivaux! L’une des merveilles du REV est de nous offrir l’occasion de la parcourir à des heures privilégiées – au soir, de nuit, et à l’aube – heures où la nature reprend ses droits, où les hautes chaumes, avec leurs herbes folles, leurs arbres rabougris et tourmentés, leur lacs et leurs tourbières, redeviennent ces lieux sauvages et mystérieux qui ont inspiré tant de légendes vosgiennes. Du côté du Gazon du Faing, se trouve un lieu-dit Roche des Fées. J’ouvre l’œil. Si fées il y a, c’est assurément cette nuit qu’elles ont dû choisir pour se promener à travers les chaumes éclairées par la pleine lune... mais seule passe la voiture de Jean-Claude (impossible de le confondre avec une fée), qui veille, infatigable, sur ses brebis éparpillées. Après la bosse du Gazon Martin, on redescend progressivement jusqu’au col de la Schlucht, puis on entame la longue descente vers la vallée de Munster. On a quitté les chaumes féeriques, pour replonger dans la profonde forêt vosgienne, non moins féerique. Grâce au pull de Poucet, je suis protégée du froid. Jusqu’ici, tout se passe comme je n’osais plus l’espérer. Pour exprimer ma joie, je chante à travers la nuit: Once a jolly swagman camped by a billabong Under the shade of a coolibah tree, And he sang as he watched and waited til his billy boiled You’ll come a waltzing Matilda with me... Loin devant moi brillent les diodes de Pascal ‘Basket’. Je ne vais pas assez vite pour le dépasser, et comme il s’est inscrit en coureur sans assistance, je reste suffisamment en arrière pour ne pas enfreindre le règlement. Soudain la route sort de la forêt et on aperçoit les lumières de la vallée de Munster, un peu comme si on était à bord d’un avion se préparant à atterrir. Des souvenirs me reviennent en mémoire. J’étais partie de la Vallée de Chevreuse à 20h00, et arrivée le lendemain soir chez mes parents à Munster, par cette même route, au bout de 480 km... C’était ma toute première aventure en solitaire... il y a bien longtemps. Pascal grimpe le col du Wettstein avec facilité. Il reste concentré, il a très bien géré son avance, je me dis que cette fois-ci est la bonne! Je ne cherche pas à le suivre. Je me sens bien. J’ai si souvent monté ce col avec mon père, en totale complicité, lorsque j’étais une ‘ado’, que forcément, je l’aime. Mais soudain des cris interrompent ma rêverie. Il y a d’étranges spectateurs postés au belvédère, dans le dernier grand virage en lacet, qui hurlent à tue-tête: ‘Tu l’auras, ta piqûre!’... C’est un peu vexant. Je m’apprête à leur répondre: ‘C’est vous qu’il faudrait piquer’ – mais la prudence me retient. Je suis seule. Inutile de chercher les ennuis... Au col du Wettstein, on n’est qu’à 3,5 km du Linge en passant par la crête, mais il nous faut d’abord descendre à Orbey, puis remonter par Tannach et la Croix de Wihr, soit une boucle de 25,5 km... et une belle ascension supplémentaire. Au cours de celle-ci (vers Giragoutte, précisément), un troupeau de sangliers traverse la route, juste devant moi. Il y a toute la famille! Impressionnée, je mets pied à terre, attendant que le petit dernier ait, lui aussi, traversé (le petit dernier est toujours à la traîne, comme dans les Walt Disney). Le collet du Linge (km 373), second havre de chaleur et de convivialité au milieu de la nuit: les bénévoles du REV (ici, des CCK) sont incroyables de gentillesse et d’efficacité. Je me restaure avec une soupe et une cuisse de poulet, discute un peu. Je voudrais rester plus longtemps, mais les aiguilles de la montre ne s’arrêtent jamais de tourner... 6ème partie : du Linge au col Amic (70 km) – Au cœur du REV L’enchaînement Ballon d’Alsace – Platzerwasel est, depuis les origines, l’un des morceaux de bravoure du REV, mais cette année, il est particulièrement gratiné, puisqu’au lieu de monter au Ried par Luttenbach, on descend la vallée de Munster jusqu’à Wihr-au-Val, pour aller chercher la montée par Wasserbourg. Cette variante rajoute 15 km, et l’ascension est plus difficile, avec deux murs en sortie de village, puis une pente soutenue durant 4 km. On franchit ensuite un petit col sans nom, d’où l’on rejoint le Ried – à partir de là, l’ascension reprend de plus belle, jusqu’au sommet du Petit Ballon (qui, comme dit Jean-Claude, n’a de petit que le nom). Malgré l’excellente qualité du revêtement, cette ascension, au bout de 400 km, fait mal aux jambes. Lors de la remise des prix, Pascal Lacarin (qui a effectué la RATA en 2009) l’a comparée à un mini-Mortirolo. A l’époque où mon père et moi écumions les cols de la région, le ‘Ried par Wasserbourg’ faisait partie de nos ‘pistes noires’: celles où il fallait ‘passer le petit plateau’, contrairement au ‘Ried par Luttenbach’, où nous mettions un point d’honneur à rester sur le plateau du milieu (j’ai bien changé depuis!). La route forestière se faufile dans la forêt; les premières lueurs colorent l’horizon. Un kilomètre après le Ried, la forêt laisse place aux chaumes, où paissent quelques vaches. Le calme est parfait. La nuit lutte encore avec le jour. Une brise glaciale m’enveloppe. Là-haut, tout est beauté, mais une beauté rude, sauvage, intense, qui semble vous dire: ‘Rien n’est facile, jamais!’... J’avance comme une fourmi. Je m’attendais à arriver plus tôt au Petit Ballon. Evidemment, la variante par Wasserbourg coûte du temps. Je réalise soudain combien il sera difficile de terminer dans les délais, et le moral en prend un coup. Mais les contrôleurs ont ce qu’il faut pour nous redonner courage: Un feu d’artifice salue mon arrivée au sommet! Contrôle du Petit Ballon, km 404. Je retrouve les bénévoles de Froideconche avec leur ‘camion – réfectoire - dortoir’... et Jean-Claude en personne! Depuis 2008 (où ce contrôle était au km 324), je n’avais plus bénéficié de ce ravitaillement. Quel changement, cette année! Les organisateurs ont été infiniment plus attentifs aux ‘lents’... quitte à rester en place plus longtemps, avec toute la logistique. Je ne saurais assez les en remercier: c’est énorme – et tellement motivant, de se sentir encore ‘dans le coup’... Le jour commence à se lever. J’y vois suffisamment pour ôter la lampe de mon casque et effectuer la descente en toute sécurité, malgré quelques lièvres téméraires qui bondissent devant moi. Aussitôt en bas, aussitôt on remonte!... et rien moins que les trois rampes du ‘Platz’, une autre ‘piste noire’... Je redeviens fourmi, une fourmi bien lasse, mais obstinée. ‘Allez, accroche-toi! Le REV, c’est pas pour les Bisounours!’... Une fois au sommet du Platzerwasel, il faut encore se hisser sur la crête des Hautes-Vosges, au Breitfirst. Mais grâce à la beauté du paysage, cette dernière partie me paraît moins dure. Le soleil s’est levé, le ciel est limpide, annonçant une journée superbe. Quelle chance nous avons cette année! Du Breitfirst au sommet du Grand Ballon la route suit la ligne des crêtes. Il n’y a donc plus d’ascension considérable. Une fois encore, je savoure le bonheur de pédaler sur cette route panoramique en l’absence de toute circulation. J’en oublie presque la fatigue. Au sommet du Grand Ballon (point culminant du REV), on embrasse du regard toute la plaine d’Alsace, qui s’unit au ciel dans un horizon vaporeux. Je commence à bâiller et réalise que je viens de passer la nuit sans m’assoupir. Mais tôt ou tard, le général Sommeil lance son offensive! Alors, pour garder l’esprit clair, dans la descente, je me mets à chanter... Mi seppellirai lassu in montagna O bella ciao, o bella ciao, o bella ciao ciao ciao Mi seppellirai lassu in montagna Sotto l'ombra di un bel fior... 7ème partie : l’intermède du col Amic (32 km) Contrôle du col Amic (km 443). Les bénévoles du CCK, qui ont veillé toute la nuit, m’accueillent avec enthousiasme. Je commence à ne plus savoir quoi manger, mais le choix est tel que je trouve mon bonheur. Le soleil brille. La froidure de l’air, si marquée la veille, a complètement disparu, signe avant-coureur d’un changement de temps radical (mais la pluie n’arrivera qu’en soirée, après une chaude journée). La boucle suivante nous fait descendre à Wattwiller par le Vieil Armand, puis remonter par la route forestière qui part de Wuhenheim, dans la plaine d’Alsace. Une ascension en pente douce, qui offre un peu de répit avant d’attaquer la partie finale du REV. Le jeune ultra Thomas Becarud, qui a déjà effectué cette boucle, s’apprête à repartir, le sourire aux lèvres. Quelle pêche! Je fais halte à la sortie de Wuhenheim, à côté du parc aux cigognes. Tout en repliant les habits chauds dans la sacoche, j’assiste à une distribution de grenouilles. La gardienne en a apporté une brouette pleine, et les lance une à une aux célèbres échassiers, qui se pressent autour d’elle en claquetant du bec. La route mène d’abord au mémorial du Rote-Rain, érigé à la mémoire des Malgré-Nous, ces jeunes Alsaciens incorporés de force dans l’armée allemande (j’ai une pensée pour mon oncle Albert, qui a été détenu à Tambov). Puis la montée se poursuit très agréablement, sur une petite route paisible et ombragée, au revêtement lisse comme un billard. Samedi matin, les cyclistes sont nombreux sur cette route. Et ça ne rate pas, j’en récupère un sur le porte-bagages - ou plutôt, une. Une dame très gentille au demeurant, qui, me voyant passer, s’accroche en essayant d’entamer la conversation. Mais ma lassitude est telle que je suis murée dans mon effort, je réponds par grognements. Elle doit me prendre pour une hargneuse qui ne veut pas se laisser doubler. En réalité, je suis incapable de changer de rythme, et je regrette de ne plus avoir assez d’énergie pour lui mettre un sac. Je me résigne donc à la supporter dans ma roue jusqu’au col, lorsque soudain retentit un ‘bip’ – et ma poursuivante de décrocher séance tenante. Il devait être mal réglé, son cardio. J’ai beau ne pas avoir de compteur sur Spirit, je suis sûre que ça n’allait vraiment pas vite... Contrôle du col Amic, 2nd passage (km 474). Je retrouve avec joie l’oasis amicale du CCK. Quelle patience et quelle gentillesse chez ces bénévoles! Bernard Nollet vient d’arriver. Il s’est remis d’un ‘coup de barre’ nocturne, mais a perdu du temps. On est sans nouvelle de Pascal ‘Basket’. Deux ultras, Aloyse Lenninger et Ludovic Suzanne, en sont au même stade que moi. Légèrement derrière nous, il y a Didier Miranda, qui poursuit son reportage en compagnie de son collègue Martial. Une grosse demi-heure devant nous, il y a Matthieu Lunel, Michael Albrecht et Michel Faivre, qui font honneur à la nouvelle catégorie des randonneurs, puisqu’ils sont restés ensemble durant tout le REV, bien que ne se connaissant pas au départ... Chapeau! 8ème partie : du col Amic à Luxeuil (134 km) – L’ultime épreuve Si certains considèrent l’enchaînement ‘Petit Ballon – Platzerwasel’ comme le passage le plus dur du REV, je considère pour ma part que le final est encore plus dur: l’enchaînement ‘Hundsrück – Ballon d’Alsace par Sewen – Ballon de Servance par Plancher-les-Mines’ est une horreur pour un organisme épuisé. En songeant à ce charmant programme, j’ai le moral qui vacille. Je me vois mal finir avant 19h00. Il est vrai que je suis venue avec la seule ambition de terminer le REV, à n’importe quelle heure, mais l’idée d’être hors délai après autant d’efforts, est quand même un peu déprimante. En outre, je suis désormais en proie à deux embarras causés par le froid de la nuit. D’une part, mes poumons (qui sont fragiles), ont été irrités. J’ai comme un début de bronchite qui m’empêche de respirer à fond, et c’est gênant pour grimper! D’autre part, le froid m’a aussi tapé sur le ventre: je dois effectuer plusieurs arrêts en urgence, dans les buissons. Je n’avance plus! J’enrage. Contrairement aux années précédentes, je n'ai ni mal au genou, ni mal au dos, ni envie de dormir, mais cette fois-ci, ce sont mes nobles (et moins nobles) intérieurs qui sont en dérangement. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas!... Telle est la réalité de la longue distance. Il est moins important d’aller vite quand tout va bien, que de savoir ‘gérer’ quand tout ne va plus bien. Savoir s’accrocher quand le plaisir s’est envolé, quand on se sent minable, quand on n’a plus que de mauvaises sensations, quand notre belle mécanique se met à dérailler, à nous faire souffrir. Savoir temporiser, relativiser, rester positif... Je viens péniblement à bout du Hundsrück, qui par endroits, n’est pas piqué des vers. Après Masevaux, j’ai tant besoin de calme que j’emprunte la piste cyclable de la Doller pour monter à Sewen. Quelques minutes à l’écart des voitures, c’est un vrai soulagement! Deux contrôleurs m’attendent à Sewen (km 508). C’est qu’il serait facile d’éviter la troisième ascension du Ballon d’Alsace. Bien sûr, la tricherie délibérée n’est pas dans la mentalité des participants à ce genre d’épreuve, mais personne n’est à l’abri d’un accès de faiblesse ou de découragement, surtout en fin de parcours... et il n’est pas évident qu’on ait l’honnêteté de l’avouer, une fois la ligne d’arrivée franchie... Ces contrôles sont utiles, car ils contribuent au sérieux de l’organisation. Indépendamment de cela, je suis ravie de trouver quelqu’un à Sewen, histoire de faire une pause et d’échanger trois mots. Depuis le col Amic, je me suis fixé la fontaine de Sewen comme prochain objectif à atteindre. Ces bénévoles attentionnés, qui ne sont pas sensés me porter assistance, m’offrent de l’eau gazeuse et une brioche au chocolat. En outre, ils ont sur eux une boîte de baume ‘le Dragon’, que j’applique sur ma poitrine, dans l’espoir, non pas de cracher du feu, mais de calmer ma bronchite naissante. La friction camphrée me fait du bien, je respire mieux, ce qui n’est pas un luxe pour monter le Ballon d’Alsace! Des trois versants, celui-ci est le plus raide. Les lacets jusqu’au lac d’Alfeld sont plaisants, mais on attaque ensuite une rampe qui n’en finit pas. Après ce qui paraît une éternité, je redescends à Giromagny. Tout mon corps est endolori. Malgré les quintes de toux, j’essaie encore de chanter pour me donner courage, provoquant l’hilarité des cyclistes que je croise. J'ai la tête qui éclate J' voudrais seulement dormir M'étendre sur l'asphalte Et me laisser mourir... Reste à gravir le Ballon de Servance. Il y a un dernier contrôle après Plancher-les-Mines (km 545), au pied de la Planche des Belles Filles (heureusement, Jean-Claude n’a pas pensé à placer ce contrôle en haut). Comme partout sur ce REV, l’accueil est formidable. Arrivant cahin-caha à une allure de tortue anémiée, je suis acclamée et photographiée telle une vedette, c’est surréaliste! Je m’affale dans une chaise pliante. Le moindre de mes souhaits est exaucé. Si vous n’avez pas le moral après ça... Les années précédentes, lorsque j’étais arrivée à Plancher-les-Mines, le contrôle était déjà fermé. Certes, j’étais capable de me débrouiller, mais je souffrais un peu quand même en pensant que j’étais ‘hors jeu’, trop faible pour jouer dans la cour des grands. L’ayant vécu, je suis aujourd’hui profondément reconnaissante aux organisateurs d’avoir allongé les plages d’ouverture des contrôles, et aux bénévoles d’avoir accompli jusqu’au bout leur longue tâche. La route forestière du Ballon de Servance est raide, très difficile en fin de REV. Je ne ressens pas de douleur particulière, je suis simplement à bout de forces, et trouve mon 34x29 encore trop gros. Pourtant, je grignote lentement les kilomètres et le sommet se profile. Hélas, la descente est presque plus dure que la montée! Les secousses me brisent la carcasse. Pendant longtemps, j’ai cru que j’étais la seule à souffrir dans cette descente, parce que je vais lentement (j’ai toujours entendu dire que, quand on passe très vite dessus, on ne sent pas les cahots), mais par la suite, les autres REVeurs m’ont confirmé qu’ils y avaient, eux aussi, vécu ‘l’enfer de l’Est’. Le col des Croix. Je m’arrête sur la place où se tenait le premier contrôle du REV, aujourd’hui déserte, et m’allonge sur un banc pour une séance de pandiculation. Ce faisant, je réfléchis. Il reste 40,5 km pour rallier Luxeuil. Il est 17h15 environ. Arriver avant 19h00, c’est jouable, à condition de ne pas avoir un fort vent dans le nez. Je tente le coup. La descente est promptement expédiée, ensuite, c’est un terrain plat, avec quelques ondulations après Mélisay. Je m’efforce de tenir un rythme soutenu. Le vent est étrange: d’abord contraire, ensuite favorable. Le ciel s’est couvert, il tombe trois gouttes. Je ne relâche pas mon effort, et, ô miracle, moi qui étais à l’agonie dans le Ballon de Servance, voilà que mes jambes se mettent à tourner proprement, comme si j’avais libéré des ressources insoupçonnées. Les années précédentes, le retour à Luxeuil m’avait paru interminable. Cette fois-ci, je ne le vois pas passer. Me prenant à mon propre jeu, je cravache de plus belle, je me sens soudain indestructible, j’ai l’impression que je pourrais encore pédaler des heures durant... Je rejoins l’Abbaye (km 608) un quart d’heure avant 19h00, euphorique. C’est gagné! J’ai bouclé mon 4ème REV en 35h44. Epilogue : à propos du REV Le REV est un raid extrême à visage humain, auquel on peut s’essayer sans être obligé de réunir une équipe d’assistance, ni de trouver un gros budget. Mais ne vous y trompez pas: le REV n’en reste pas moins hyper sélectif quant à la difficulté du parcours (qui a beaucoup augmenté depuis l’édition 2008). Et n’est-ce pas là justice, de faire en sorte que le challenge soit pour le cycliste un challenge sportif (et non un challenge logistique et financier)? Le REV suit sa propre voie. C’est respectable et courageux. Sa forme actuelle permet de réunir des cyclistes venus de tous horizons, qui partagent la même passion. Qu’ils soient coureurs ultras, cyclosportifs ou randonneurs, qu’ils soient débutants ou spécialistes des longues distances, tous viennent pour aller au bout d’eux-mêmes et se mesurer, avant tout, au parcours, dans un grand respect mutuel. C’est, selon moi, une des grandes richesses du REV, d’avoir réussi à créer cette ‘famille’ sympathique et attachante, véritable creuset d’échange, de partage et d’émulation. Grâce à tous les passionnés qui se sont investis pour le faire vivre, le REV est devenu une épreuve unique, un mélange réussi de très haute exigence sportive et de formidable convivialité, frappé au sceau de la qualité artisanale. Et sur cette 4ème édition, la qualité de l’organisation a atteint des sommets, comme si la volonté de se surpasser avait submergé tout le monde, aussi bien les organisateurs et les bénévoles, que les participants. Espérons qu’il en soit toujours ainsi à l’avenir. On peut juste regretter que le nombre de REVeurs n’ait pas été à la hauteur des efforts déployés. Mais nul doute qu’en sachant conserver ses atouts, le REV rencontrera bientôt le succès qu’il mérite! Epilogue personnel A la fin de l’année dernière, j’ai connu un gros échec (dont j’assume l’entière responsabilité), qui m’a déstabilisée, remettant beaucoup de choses en question. Depuis, j’ai continué à rouler, même si le cœur n’y était plus, le seul projet auquel je suis arrivée à m’accrocher étant un futur PBP complètement farfelu. Pourquoi me suis-je quand même inscrite au REV? Difficile de le dire. A la recherche d’un bonheur perdu? Pour retrouver une famille? Toujours est-il que je ne m’y suis pas préparée sérieusement. Le REV m’angoissait, j'avais un manque total de confiance en moi, alors j’ai essayé d’y penser le moins possible. La veille, j’ai chargé Spirit dans la voiture sans l’inspecter, sans voir mon pneu déchiré, et j’ai fait mon sac au dernier moment, oubliant quelques vêtements qui m’auraient été bien utiles pendant la nuit – parfois glaciale - passée à gravir et dévaler les sommets vosgiens. Heureusement la solidarité des REVeurs a compensé ma défaillance. Au bout du compte, je me suis rassurée. D’avoir eu la chance de faire partie des 24 REVeurs, d’avoir partagé ces moments intenses, m’a fait un bien fou. C’est peut-être la fin du tunnel... du moins je l’espère... Sophie MATTER Les REVeurs : photo de famille (photo Bernard Nollet) A l’arrivée, avec Jean-Claude Arens dans la tenue de sa Confrérie (photo Bernard Nollet) A l’arrivée, avec Pascal Bride (photo Bernard Nollet) En montant le Ballon d’Alsace (photo Vanessa, CCK) Avec Bernard Nollet au Ballon d’Alsace (photo Bernard Nollet) Au contrôle de Plancher-les-Mines (photo Carlos, CCK)