maquiladoras

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maquiladoras
Les effects geopolitiques de la restructuration
productive en Amerique Latine: Le cas des
maquiladoras d'exportation au Mexique, OutreTerre Revue Francaise de Geopolitique, no. 18,
Paris, 2008, pp.143-152
LES EFFETS GÉOPOLITIQUES DE
LA RESTRUCTURATION
PRODUCTIVE EN AMÉRIQUE
LATINE : LE CAS DES
« MAQUILADORAS »
D’EXPORTATION AU MEXIQUE
Jorge Carrillo*
L’impact territorial des maquiladoras, s’il peut
varier selon les régions à l’échelle nationale, reste
largement concentré à la frontière Nord. En 2006, 61 %
des usines se trouvaient dans les villes frontalières avec
1
62 % de l’emploi et 87 % de la valeur ajoutée .
Jusqu’en 1977, les maquiladoras ne pouvaient pas
s’installer ailleurs qu’au Nord. Ensuite, elles le purent
partout en territoire mexicain. En 1975, 23 % des
entreprises étaient établies ailleurs qu’à la frontière
Nord - 14 % dans des villes situées dans des États
frontaliers mais pas à la frontière et 9 % dans des
localités se trouvant à l’« intérieur » de ces États. En
2005, ce pourcentage avait atteint 38 % - 19 % dans les
deux cas. Mais la majorité des entreprises continuent de
s’établir dans les villes frontalières, avec 53 % de
Jorge CARRILLO, chercheur au Colegio de la Frontera Norte
(COLEF), Tijuana, Mexique.
1 J. Christman, « Mexico’s Maquiladora Industry Outlook and
Some Comparations with China », Mexico Now Seminar, Mexico
City, 1er décembre 2006.
2
l’emploi généré . Alors qu’en 1981 pratiquement
9 emplois de maquila sur 10 se trouvaient dans les
villes frontalières, ce rapport était encore de 6 sur 10 en
2005.
Un tiers des maquiladoras du Mexique se
trouvent dans l’État du Chihuahua. Ciudad Juárez est
devenu un point incontournable, abritant 95 % des
maquiladoras de cet État. Le développement, ici,
dépend dans une grande mesure de l’activité des
groupes locaux de la ville. En octobre 2005, 291 y
employaient 228 900 personnes. Parmi les plus gros
employeurs on peut citer : Delphi avec 20 usines et
14 624 employés ; Yasaki avec 11 usines et
14 500 employés ; Thompson avec 3 usines et
10 907 employés. Suivent United Technologies avec
11 usines, Visteon avec 8 usines et 10 430 employés,
Philips avec 6 usines et 9 568 employés et Elamex avec
7 usines et 4 200 employés. Sans compter Johnson &
Johnson avec 4 usines et 3 629 employés ; Sumitomo
avec 5 usines et 2 925 employés. Les trois entreprises
automobiles, soit GM, Ford et Chrysler, et leurs
fournisseurs « de premier niveau » emploient 70 % des
employés du secteur dans la ville.
3
Est à souligner la formation de clusters dans
l’État du Chihuahua : pièces détachées d’automobiles,
4
en particulier pour les ceintures de sécurité . Autre
exemple remarquable, celui des télévisions en Basse5
Californie . Dans certains cas, le processus
2 Le fait qu’il y ait des maquilas sur tout le territoire mexicain est
perçu positivement par les autres pays de la région où elles se
concentrent dans des zones spéciales comme les zones franches.
3 Jorge Carrillo, Michel Mortimore, Jorge Alonso, « El Impacto de
las Transnacionales en la Reestructuración en México. Examen de
la Industria de Autopartes y del Televisor », Desarrollo
Económico, n° 50, Santiago, CEPAL, 1998.
4 Jorge Carrillo, Raul Hinojosa, « Cableando el Norte de México :
La evolución de la industria maquiladora de arneses », Región y
Sociedad, vol. XIII, n° 21, Hermosillo, janvier-juin 2001, p. 79116.
5 Jorge Carrillo, Alfredo Hualde, « La maquiladora electrónica en
Tijuana : hacia un cluster fronterizo », Revista Mexicana de
d’agglomération industrielle s’est traduit en
spécialisation de la production sur le territoire et
l’impact sur le système éducatif a été positif. Ce sont en
particulier le Valle del Televisor à Tijuana et le Valle
del Arnés à Juárez. Il y a eu des précédents : le Valle
Mexicano de Silicio au Jalisco et la Capital del Jean à
La Laguna. Ces processus se caractérisent par un
personnel hautement qualifié qui peut, avec le temps,
contribuer à son tour à la création d’un marché du
travail
local
avec
emploi
d’ingénieurs
et
d’administrateurs mexicains ayant réussi eux-mêmes à
se transformer en employés de « classe mondiale ». À
preuve les centres de recherche et développement de
Delphi et Valeo à Juárez, les complexes industriels
télévisuels de Samsung et de Sony à Tijuana, voire
ceux de Philips ou de Thomson à Juárez. Dans le cas
des complexes de pièces détachées, il y a engrenage sur
un même territoire : les centres d’ingénierie fournissent
leurs clients, les entreprises maquiladoras comptent sur
des fournisseurs directs spécialisés (des usines la
plupart du temps relocalisées au Mexique) et des
fournisseurs indirects – ateliers de mécanique,
d’injection de plastique, d’emballage, blouses. De plus,
ils comptent sur d’importants fournisseurs dans
différentes régions des États-Unis et dans le monde
entier. Sur les réseaux de production viennent enfin se
greffer des acteurs sociaux variés qui s’intègrent dans
un vivier institutionnel de support qui dynamise le
processus et produisent des synergies territoriales axées
sur la compétitivité internationale. En outre, les
maquiladoras sont source de création de nouvelles
entreprises (start up), principalement grâce aux
6
ingénieurs et travailleurs qualifiés .
Sociología, vol. 64, n° 3, juillet-septembre 2002, Mexico, DF.,
p. 125-171.
6 G. Dutrenit, A. Vera-Cruz, « La IED y las capacidades de
innovación y desarrollo locales: Lecciones del estudio de los casos
de la maquila automotriz y electrónica en Ciudad Juárez »,
Mexico, CEPAL, LC/MEX/L.604, 17 mars 2004.
La répartition territoriale des investissements
s’est elle aussi accompagnée d’une spécialisation de la
production. Dès le début du programme, ce sont la
confection, puis l’électronique et enfin les pièces
détachées qui ont compté : respectivement 63 % des
maquiladoras, 79 % des emplois et 77 % de la valeur
ajoutée en 1980. Les évolutions sont significatives : les
pièces détachées représentaient 18 % de la production
en 2000, 22 % en 2006, l’électronique se maintenant
sur la même période - de 34 % à 32 % - et la confection
baissant de 22 à 17 %.
En 2006, l’électronique qui compte 294 usines
(soit 22 % du total des Industries maquiladoras
d’exportation, IME) emploie 393 500 personnes (32 %)
et génère une valeur ajoutée de 9 222 millions de
dollars (36 %). Suivent les pièces détachées avec 9 %
des installations, 22 % de l’emploi et 21 % de la valeur
ajoutée. On prévoit que ces deux activités concentreront
7
quelque 57 % de la valeur ajoutée en 2010 . À
observer finement le type de produits qui sont
assemblés et manufacturés dans les IME, on constate
une haute spécialisation de la production - par exemple
dans le cas des appareils électriques ménagers et celui
des pièces détachées à usage électrique. Le Mexique
exportait déjà en 1992, avec la préférence américaine
HTS 9802, 99 % des appareils de télévision, 90 % des
conducteurs électriques, 91 % des condensateurs, 87 %
des moteurs et générateurs, 84 % des pièces pour
interrupteurs et 84 % des transformateurs. La
production mexicaine s’est tellement spécialisée que de
1990 à 1999 la part du Mexique dans les importations
sur le marché nord-américain a substantiellement
augmenté pour les pièces détachées, les téléviseurs et
ordinateurs, le textile - en particulier les jeans et les
vêtements pour femme.
7 J. Christman, « Mexico’s Maquiladora Industry Outlook: 20052010 », Global Insight, Mexicali, 28 janvier 2005.
Les activités qui ont connu le plus grand essor
avec l’Accord de libre-échange nord-américain
(ALENA) de 1994 sont : la confection (300 % cumulés),
l’assemblage et la réparation machine-outil hors
électricité (149 %) et le secteur électricité/électronique
(122 %). Apparaissent dans tous les cas de figure deux
traits essentiels : la croissance exorbitante de toutes les
activités maquiladoras et l’ascension des textiles et
accessoires pendant les sept premières années de
l’ALENA. Toutefois, la récession aux États-Unis, l’effet
11 septembre et l’arrivée de la Chine sur la scène
mondiale ont produit une baisse substantielle de la
maquila du vêtement de 2000 à 2006 : de moitié quant
aux usines dont le nombre passe de 1 089 à 571 et de
quelque 26 % pour l’emploi qui chute de 282 000 à
212 000. Dans certaines localités où s’étaient installés
des clusters du vêtement comme Torreón et
Aguascalientes, la maquila a pratiquement disparu.
Le modèle maquila est-il épuisé ?
La question est d’autant plus cruciale que, selon
l’opinion généralisée, la maquila d’exportation
implantée depuis 40 années au Mexique ne serait plus
compétitive face à des pays comme la Chine et devant
les limites d’un modèle d’industrialisation vers
l’extérieur qui ne permet pas l’évolution du système.
Surtout, les promoteurs de la connaissance et de
l’innovation tiennent la maquila pour une étape à
dépasser. Les facteurs structurels et conjoncturels
jouent également : chute abrupte de l’activité depuis la
fin de l’année 2000 en conséquence de la récession aux
Etats-Unis ; faible lien avec la production nationale
(3 %) ; des salaires relativement bas pour une majorité
(79,6 %) du personnel - 2,92 dollars côté employés et
1,96 côté ouvriers ; le tout dans un environnement
8
détérioré .
Sans sous-estimer les limitations propres à la
maquila, il convient de reconnaître une réalité bien
particulière : les entreprises en exercice, soit 2 783 en
décembre 2006, poursuivent leur croissance – de 4,2 %
entre octobre 2005 et octobre 2006 – et elles restent
classés
comme secteur prioritaire par les
gouvernements (Programa Nacional de Desarrollo,
Programme national de développement, 2005-2006)
tant au Mexique qu’en Amérique centrale ou dans la
Caraïbe. C’est là un processus qu’il importe
d’apprécier. Les entreprises suivent des processus
(production et technologie) toujours plus complexes ; le
nombre de produits et de modèles réalisés augmente ;
les produits se succèdent ; on intègre en permanence
des procédés innovants et des certifications
internationales ; le produit incorpore chaque fois plus
d’activité de conception et d’ingénierie ; le travail sur la
qualité, le milieu ambiant et la sécurité rapporte des
prix ; la gestion des entreprises étrangères se
mexicanise. L’autonomisation des maquiladoras dans
la prise de décision par rapport aux maisons mères a ici
une grande importance. C’est d’une trajectoire vers le
haut qu’il s’agit, avec un vrai climat d’apprentissage
pour les firmes, les gestionaires, les ingénieurs, les
travailleurs et les représentants de ceux-ci à l’intérieur
des entreprises.
Le nouveau contexte de concurrence dans lequel
s’intègre la maquiladora du Mexique - compétence
8 GAO, International Trade. Mexico’s Maquiladora Decline
Affect U.S.-Mexico Border Communities and Trade, General
Accounting
Office,
Washington,
2003,
<www.gao.gov/new.items/d03891.pdf> ; Jorge Carrillo, Redi
Gomis, « Los retos de las maquiladoras ante la pérdida de
competitividad », Comercio Exterior, vol. 53, n° 4, avril 2003,
p. 318-327 ; John Sargent, L. Matthews, « What Happens When
Relative Costs Increase in Export Processing Zones ? Technology,
Regional Production Networks, and Mexico’s Maquiladoras »,
World Development 32(12), 2004, p. 2015-2030.
élevée en direction du marché des États-Unis en
direction duquel s’orientent 95 % de ses exportations –
invite cependant à se demander si les caractéristiques
de son évolution et le rythme de son parcours lui
permettront de faire face.
Les acteurs stratégiques gouvernementaux et
entrepreneuriaux dans le contexte local
Dans un pays de développement intermédiaire
comme le Mexique, l’action des nouvelles institutions
publiques et privées qui appuient et accompagnent
l’industrialisation de régions déterminées est d’une
importance croissante. Depuis plus de quinze ans, la
9
politique de territorialisation industrielle est centrale,
tant dans les milieux universitaires que du point de vue
10
des politiques publiques . Des villes comme Tijuana
et Juárez conservent une position stratégique dans le
développement du Mexique en raison de leur situation
frontalière avec les États-Unis et de la capacité
industrielle qu’elles ont démontrée au cours des quatre
dernières décennies.
Durant les années 1990, diverses institutions ont
émergé dans les pays qui, à l’instar du Mexique,
cherchent à articuler les programmes de gouvernement
et du secteur éducatif sur les besoins de l’entreprise.
Les modèles dits de « triple hélice » montrent de façon
particulièrement claire à quel point ces institutions sont
répandues et illustrent leur tentative de réussir des
11
synergies avec différents acteurs . La diffusion au
9 Michel Porter, The Competitive Advantage of Nations, New
York, Basic Books, 1990.
10 WIR, « Transnacional Corporation and the Internalization of
R&D », Nations unies, New York, Genève, 2005,
<www.unctad.org/Templates/WebFlyer.asp?intItemID=3489&lan
g=3>.
11 H. Etzkowitz, L. Leydesdorff, « The dynamics of innovation:
from National Systems and ‘Mode 2’ to a Triple Helix of
Mexique d’ « institutions ponts » dans des régions
comme le Jalisco, le Chihuahua et la Basse-Californie
atteste de la constitution d’un tissu institutionnel
12
pertinent . L’expérience de ces nouvelles institutions
13
est récente : elles ont été initiées pendant la
décennie 1990 de façon à répondre au processus de
modernisation industrielle qui requiert des conditions
favorables à la constitution et au développement de
clusters. Elles ont évolué dans le contexte de croissance
économique de l’époque et ont été marquées par le
climat d’incertitude du début du millénaire. Il y a
aujourd’hui au Mexique une politique nationale et
régionale d’incitation aux clusters. Cette politique s’est
consolidée durant la présidence de Vicente Fox et elle a
produit une création renforcée d’institutions
susceptibles d’établir le lien entre les entreprises et le
14
marché . L’Administration actuelle du Président
Calderón a poursuivi cette politique. Émergent des
institutions qui récupèrent tant les fonctions de « pont »
entre le gouvernement et le secteur privé que d’autres
activités novatrices. Ces institutions émergentes ontelles la capacité de transformer la structure industrielle
et de mener à bien un processus d’upgrading,
university-industry-government relations », Research Policy, 29,
2000, p. 109-123.
12 Mónica Casalet, « La conformación de un sistema institucional
territorial en dos regiones : Jalisco y Chihuahua vinculados con la
maquila de exportación », in Nuevas tecnologías de información y
comunicación. Los limites en la economía del conocimiento,
Buenos Aires, Universidad Nacional de General Sarmiento, Mino
y Davila, avril 2003 ; Jorge Carrillo (éd.), Aprendizaje Industrial y
Actores Locales. Las Maquiladoras frente a la Competencia,
rapport de recherche, projet CONACYT 42608, Tijuana, 2006 ;
Daniel Villavicencio (éd.), La emergencia de dinámicas
institucionales de apoyo a la industria maquiladora de Mexico,
Mexico, UAM/Ed. Miguel Angel Porrua, 2006.
13 Mónica. Casalet, « Las redes institucionales en la creación del
capital social », in J. Carrillo (éd.), Aglomeraciones locales o
clusters globales?: Evolución empresarial e institucional en el
norte de México, Mexico, Colef/Fund. F. Ebert, p. 17-43, 2000.
14 Mónica Casalet, Leonel González, « El entorno institucional y
la formalizaron de las redes en el sectot electronico de
Chihuahua », in Daniel Villavicencio (éd.), La emergencia de
dinámicas, op. cit.
d’amélioration ? Le Centro de Productividad de la
Industria Electrónica de Baja California (centre de
productivité de l’industrie électronique de BasseCalifornie, ProduCen) constitue un bon exemple. Il a
été créé en 2001 pour développer un tissu de
fournisseurs pour le secteur électronique de BasseCalifornie, en particulier pour attirer des fournisseurs
mondiaux « en première ligne », mieux connus en tant
que contract manufactures. L’objectif, très précis à
l’origine, a rapidement évolué avec le temps.
L’institution
offre
plusieurs
stratégies
de
développement, remplit des fonctions hétérogènes et se
caractérise par une organisation flexible, peu
bureaucratique. Ses membres sont extrêmement
mobiles : ils conjuguent leurs efforts et ont une
connaissance approfondie du secteur local, ce qui leur
permet d’agir aux points stratégiques. Cette institution
publique à orientation privée, qui met en relation le
gouvernement de l’État tant avec le gouvernement
fédéral qu’avec diverses associations entrepreneuriales
et des institutions locales/régionales, tend à développer
des secteurs clefs de la Basse-Californie, en particulier
ceux de la moyenne et de la haute technologie.
ProduCen s’est affirmé en tant que principal consultant
de l’État de Basse-Californie, comme nœud du tissu
institutionnel, combinant les secteurs privé, éducatif et
gouvernemental. Il a participé au réajustement des
fonctions de diverses institutions locales d’appui aux
entreprises.
Mais y a-t-il une assurance, fût-elle limitée, de ce
que ces institutions performantes qui émergent dans le
cadre d’une politique industrielle de clusters, ellemême inscrite au sein de la mondialisation, ont la
capacité de transformer la structure industrielle et
d’entamer un processus d’upgrading ?
Le syndicat, un agent de réaction ?
Ce sont les syndicats, pour finir, dont la capacité
baisse, contrairement à celle des entreprises
multinationales, des politiques publiques et des
institutions ponts. Plus généralement, il ne fait aucun
doute que les maquilas à main-d’œuvre intensive n’ont
cessé d’éviter la coexistence avec les syndicats, alors
que les maquilas modernes (de deuxième et de
troisième génération), moins dépendantes du coût du
travail, supportaient mieux cette contrainte. Cependant,
le facteur le plus déterminant, en l’occurrence, de la
syndicalisation, demeure l’histoire régionale spécifique.
La présence syndicale dans une région donnée est due
principalement à deux éléments : l’histoire qui précède
et la capacité des syndicats à s’adapter aux
changements. Autres facteurs qui jouent, mais dans une
moindre mesure : la solvabilité économique d’une
société et sa position dans la structure productive
mondiale. A pesé également sur le processus de
syndicalisation l’origine du capital : les usines
japonaises par exemple, spécialement à Tijuana, ont
15
opté pour l’absence des syndicats .
En moyenne, la syndicalisation dans les
maquiladoras concerne approximativement 52 % des
travailleurs en 1990. En 1995, tous les travailleurs de
Piedras Negras, de Nuevo Laredo, de Reynosa et de
Matamoros étaient toujours syndiqués, alors qu’à
Tijuana ils n’étaient que 30 % à appartenir à une
quelconque organisation syndicale – 19 % à Nogales,
16 % à Ciudad Acuña et 13 % à Ciudad Juárez. Ces
syndicats sont tous affiliés aux centrales syndicales
elles-mêmes liées à l’État. Mais on peut en distinguer
15 Cirila Quintero, Restructuración sindical en la frontera norte:
El caso de la industria maquladora, Tijuana, El Colegio de la
Frontera Norte, 1997 ; id., « Sindicalismo en las maquiladoras
fronterizas. Balance y perspectivas », Etudios Sociológos, XVI, 46,
1998, p. 89-116.
deux types : le syndicat « traditionnel », qui participe
plus activement à la détermination du salaire et des
16
conditions de travail , et le syndicat « transparent »,
qui n’est présent ni dans l’usine ni auprès des
travailleurs.
Les syndicats officiels traditionnels sont
enracinés dans la région. Ils utilisent les contrats
collectifs comme forme de négociation sur le lieu de
travail, participent à la vie de l’entreprise et apportent
soutien à leurs membres. Il ne fait aucun doute que ces
syndicalistes sont restés fortement liés au pouvoir local
et « alignés » sur leur centrale au niveau national. Ils
sont prédominants à la frontière Nord-Est du Mexique.
Ils pèsent fortement à Piedras Negras, Nuevo Laredo,
Reynosa et Matamoros. Leur présence est plus faible à
Ciudad Acuña. Les syndicats de Juárez leur sont aussi
affiliés, mais pas dans la même mesure qu’au NordOuest.
Les syndicats « transparents » peuvent être perçus
comme un instrument de contrôle sur les travailleurs,
des organes qui effectuent leur tâche grâce à la
collaboration avec les entreprises. Ils jouissent de la
protection du gouvernement par le biais des institutions
locales du travail (Juntas de Conciliación y Arbitraje)
et se caractérisent par le refus de la négociation
collective ainsi que par une représentation faible, voire
nulle, de leurs membres dans les instances. Ils sont si
éloignés des travailleurs que ces derniers ne savent
souvent même pas qu’ils en sont membres et que
l’entreprise paie les cotisations.
Nombre de administrateurs des entreprises
partagent l’opinion selon laquelle les syndicats
« transparents » se trouvent à l’Ouest, les syndicats
officiels traditionnels à l’Est et un mélange des deux
16 Cirila Quitero, Restructuración sindical, ibid. ; Jorge Carrillo,
Dos décadas de sindicalismo en la industria maquiladora de
exportación : examen de las ciudades de Tijuana, Juárez y
Matamoros, Mexico, Ed. Miguel Angel Porrúa et UAM, 1994.
catégories au Centre. La rhétorique de Rafael Trujillo
(1997), ex-administrateur de Sony et ex-président de
l’Asociación de la Industria Maquiladora de Tijuana,
illustre bien cette vision entrepreneuriale et
antisyndicale : la frontière en termes de flexibilité du
travail ; une région où il y a un ciel, un purgatoire et un
enfer, Tamaulipas étant l’enfer avec syndicalisation de
toutes les entreprises, Juárez le purgatoire avec des
syndicats offensifs et Tijuana le ciel avec des syndicats
transparents ou des entreprises sans syndicats du tout.
Quant aux syndicats indépendants, ils ont été
combattus avec énergie et succès par les entreprises,
par le gouvernement et principalement par les syndicats
officiels. Le Mexique est donc un cas de réaction
entrepreneuriale non seulement au sein de la maquila,
mais dans la manufacture et les services en général. On
estime que les trois quarts des syndicats sont des
syndicats patronaux.
Les nouveaux enjeux géopolitiques de la
maquila au Mexique
Les résultats de cette enquête ont plusieurs
significations. Premièrement, même les maquiladoras
mexicaines des secteurs les plus dynamiques, les plus
spécialisés en termes de productivité et d’agrégation
territoriale se caractérisent par une hétérogénéité.
Deuxièmement, la diversité et la pluralité des
établissements appréhendés ne veulent pas dire chaos
ou absence d’objectifs, mais coexistence de dispositifs
et de « types d’usine » déterminés. Troisièmement, tout
va dans le sens de politiques sectorielles requérant une
combinaison avec des politiques à caractère plus
horizontal. Mais ces politiques ne doivent pas être
indifférenciées, elles doivent être fonction de la
spécificité, de la complexité et de la multiplicité du cas
par cas. Quatrièmement, l’impact géopolitique des
entreprises multinationales est lié à leur environnement.
Il n’en reste pas moins que les acteurs régionaux
stratégiques fonctionnent dans un milieu non seulement
changeant mais incertain. La compétition entre
entreprises et régions n’opère déjà plus entre le nord –
les Etats-Unis – et le Sud mexicain, ou entre localités
mexicaines. Elle a changé d’échelle et se situe
désormais à celle de la planète.
Il apparaît que la perte d’avantages compétitifs et
l’intervention croissante de pays comme la Chine dans
la production manufacturière mondiale a amené
certaines tâches à se délocaliser et que ces dernières
continueront inévitablement à se déplacer hors du
Mexique, de la région centraméricaine et de la Caraïbe.
Les entreprises qui fondent leur compétitivité sur le
travail intensif, non qualifié et faiblement rémunéré
perdent dès lors rapidement leur marché. Des produits
de consommation comme le vêtement, le jouet, la
chaussure et l’électronique, destinés au marché nordaméricain, sont de plus en plus fabriqués dans des pays
comme la Chine. Qui plus est, en ce qui concerne des
produits comme les ceintures de sécurité et les
téléviseurs à écran plat, la taille et le cycle de vie font
que les coûts de production perdent relativement en
importance et le Mexique, de ce point de vue, se trouve
privé de l’un de ses principaux avantages : la proximité
géographique. En même temps, cependant, les réactions
rapides à un marché changeant et les mesures
protectionnistes tendant à renforcer la régionalisation
ouvrent des perspectives à l’arrivée d’investissements
chinois au Mexique, ce qui a lieu dans certaines
maquiladoras. Une entreprise chinoise de téléviseurs
(TLC) a acquis la division de télévisions de Thompson
et c’est actuellement l’entreprise la plus grande du
monde au Mexique, avec une forte présence à Juárez.
La première fabrique d’automobiles chinoises en
Amérique du Nord est en construction à Tijuana. C’est
en ce sens que la proximité géographique va
recommencer à compter en termes d’avantages
17
compétitifs .
traduit de l’espagnol par Gaëlle Loir et Virginie
Lefevre
17 Susan Berger, How we compete. What companies around the
world are doing to make it in today’s global economy, New York,
London, Sydney, Auckland, Ed. Doubleday, 2006.