Les traitements antiviraux contre la grippe aviaire chez les animaux

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Les traitements antiviraux contre la grippe aviaire chez les animaux
Folia veterinaria
LES TRAITEMENTS ANTIVIRAUX CONTRE LA GRIPPE AVIAIRE CHEZ
LES ANIMAUX DOMESTIQUES
Des cas d’infection de félidés par le virus influenza H5N1, l’agent de la grippe aviaire, ont été
observés depuis 2004 en Asie et en 2006 en Allemagne et en Autriche. Outre le chat, d’autres
espèces domestiques sont sensibles à l’infection par le virus H5N1. Le furet est utilisé comme
animal de laboratoire pour la reproduction expérimentale de la maladie. Le chien est sensible
au virus influenza équin H3N8 et les lévriers développent une atteinte grave qui peut être
mortelle. De plus, un cas fatal d’infection à virus H5N1 a été récemment identifié chez le chien
(Thiry et al., 2007).
Poursuivant un double objectif de traiter cette maladie souvent mortelle chez l’animal et de
protéger l’homme d’une infection éventuelle par un animal domestique, l’utilisation de
médicaments antiviraux a été préconisée. Plusieurs molécules possèdent une activité envers les
virus influenza A et B, responsables notamment des grippes humaine et aviaire (De Clercq,
2004). L’amantadine et la ribavirine ont une efficacité limitée contre l’infection par le virus
influenza humain et leur usage a fortement diminué devant l’apparition de nouvelles
molécules. La ribavirine provoque de l’hémolyse, de la thrombocytopénie et des hémorragies
chez le chaton (Hartmann, 2005). Deux spécialités sont actuellement enregistrées pour le
traitement de la grippe humaine : l’oseltamivir (Tamiflu®) par voie orale et le zanamivir
(Relenza®) par inhalation. L’efficacité du traitement dépend de la précocité de l’administration
du médicament, au début de la période symptomatique. L’efficacité expérimentale de
l’oseltamivir envers le virus influenza aviaire, responsable de la grippe aviaire, est à la base de
la recommandation de son usage préventif chez les personnes exposées à ce virus, durant les
opérations de police sanitaire menées lors d’épidémies de peste aviaire (Saegerman et al., 2004).
Le mode d’action des deux antiviraux disponibles, l’oseltamivir et le zanamivir, repose sur
l’inhibition de l’action enzymatique de la neuraminidase. Cette glycoprotéine est présente sur
l’enveloppe des virus influenza et sur la membrane des cellules infectées par le virus. Par son
activité enzymatique, elle clive les acides sialiques présents sur des molécules ancrées dans la
membrane de la cellule infectée, qui font partie des récepteurs cellulaires reconnus par les
virus influenza. Le clivage des acides sialiques à la surface des cellules infectées empêche les
nouveaux virus de s’attacher à la cellule dont ils proviennent. Inhiber cette activité prévient
donc la libération de nouveaux virions hors de la cellule infectée.
Ces médicaments antiviraux sont des spécialités destinées à la médecine humaine. Ils ne
pourraient être utilisés chez les animaux domestiques que selon le principe de la « cascade »
qui ne peut être appliqué que s’il existe suffisamment de données expérimentales pour assurer
l’efficacité et l’innocuité du traitement chez l’espèce domestique concernée.
L’oseltamivir (Tamiflu®)
Le phosphate d’oseltamivir est converti au niveau du foie en un métabolite actif doté d’un
pouvoir inhibiteur de la neuraminidase. Ce médicament est utilisé en prophylaxie et dans le
traitement de la grippe humaine, mais aussi chez les patients atteints de la grippe aviaire.
L’activité antivirale de l’oseltamivir a été testée in vivo envers l’infection par le virus H5N1
hautement pathogène. Chez la souris, un traitement de 5 jours à une dose de 10 mg/kg/jour
permet d’atteindre une concentration plasmatique comparable à celle d’un homme recevant 75
mg deux fois par jour (posologie recommandée chez l’adulte). Ce traitement protège 50 à 100 %
des souris (Mendel et al., 1998; Yen et al., 2005).
Chez le furet, une administration orale de 25 mg/kg supprime tout signe d'infection, y compris
la réponse fébrile (Mendel et al., 1998). L'administration de 25 mg/kg deux fois par jour permet
de diminuer le titre viral dans le jetage nasal dès les 24 premières heures d'administration
(Sweet et al., 2002). On est donc proche, dans cette espèce, d’établir un consensus sur la
posologie recommandée.
Cependant, la posologie, dépendante du métabolisme hépatique, doit être adaptée à chaque
espèce animale. Ainsi, pour obtenir le même effet antiviral qu'une dose orale de 75 mg deux
fois par jour chez l'homme, il est nécessaire d'administrer 10 mg/kg chez la souris, 5 mg/kg
chez le furet et 120 mg/kg chez le poulet (Ward et al., 2005). Par conséquent, il est indispensable
de tester l’efficacité de la molécule dans chaque espèce animale. En particulier, rien n’est
encore déterminé chez le chat. L’oseltamivir a été utilisé lors d’une épidémie de grippe aviaire
dans une réserve de tigres en Thaïlande. Des tigres sains ont été traités au Tamiflu ®, à raison de
75 mg/60 kg, deux fois par jour, ce qui correspond à la posologie chez l’homme
(Thanawongnuwech et al., 2005). Ils sont tombés malades, ce qui laisse présager une
transmission de tigre à tigre, mais également un défaut d’efficacité de l'oseltamivir à cette
dose, de même qu’une biodisponibilité chez ces félidés inférieure à celle rencontrée chez
l'homme.
Hormis le furet, il n’est donc pas possible de recommander un traitement efficace d’oseltamivir
chez les animaux domestiques, et en particulier le chat.
Le Zanamivir (Relenza®)
Le zanamivir est également un inhibiteur de la neuraminidase. Chez l'homme, le médicament
se prend en inhalation. Le traitement des adultes consiste en 2 inhalations de 5 mg de
zanamivir 2 fois par jour pendant 5 jours.
Chez la souris, la dose de 4 mg/kg/jour pendant 10 jours par voie intranasale diminue le
nombre de mortalités dues à l’inoculation expérimentale de virus influenza A et B, (Ryan et al.,
1994). Chez le furet, la dose de 0.1 mg/kg/jour pendant 13 jours est également efficace (Ryan et
al., 1995).
Le zanamivir est également efficace, suite à une administration nasale, contre les virus
influenza aviaires (H6N1, H9N2 et H5N1). Il diminue le titre viral au niveau des poumons et
empêche le virus de se disséminer au niveau cérébral, déjà à la dose de 1 mg/kg (Leneva et al.,
2001). La dose de 50 mg/kg permet d'éviter la mort de toutes les souris infectées avec du virus
H9N2. Une diminution de 80 % des mortalités causées par l’infection par le virus H5N1 est
obtenue avec 100 mg/kg.
L'efficacité est plus élevée lorsque l'administration se fait par voie intranasale aussi bien chez
la souris que chez le furet (Sidwell et Smee, 2000).
Conclusions
En plus de l’oseltamivir et du zanamivir, d’autres molécules possèdent une activité antivirale
intéressante envers les virus influenza et révélée expérimentalement. Ce domaine est amené à
se développer au cours des prochaines années. Des recherches complémentaires sont
indispensables pour adapter les traitements antiviraux aux espèces domestiques. Cet effort
pourrait se révéler utile dans un double but de prévention de la dissémination de virus
influenza hautement pathogène par des animaux de compagnie proches de l’homme, avec un
risque élevé de contamination humaine d’une part, et, d’autre part, de la dissémination parmi
les animaux d’un autre virus influenza auquel les espèces domestiques seraient sensibles.
L’innocuité des produits antiviraux est élevée, ce qui permet de les utiliser, même de manière
prolongée, chez les espèces testées. Même si l’efficacité était démontrée expérimentalement
chez le chat et le chien, la nécessité d’un traitement précoce après l’infection restera un
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inconvénient. L’émergence de virus influenza mutants ayant acquis une résistance chez les
animaux traités est un autre aspect important à évaluer.
Références
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