Question de look - Fondation de Vernand
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Question de look - Fondation de Vernand
Point fort Question de look Texte: France Santi / Photo: Carine Roth Le look, la mode, la beauté… Est-ce que l’apparence est importante pour les personnes mentalement handicapées? Comment se sentent-elles dans leurs habits? Comment vivent-elles le regard des autres? Nous avons donné la parole à quelques-unes d’entre elles. Elles nous parlent de leur rapport au look et à la beauté. 12 insieme 3/07 ”J e suis toujours coquette. J’ai des beaux habits. J’aime bien”, dit-elle. Marielle Favre, 59 ans, vit aux Perce-Neige, l’institution neuchâteloise pour personnes mentalement handicapées aux Hauts-Geneveys. Son intérêt pour la mode, elle le cultive depuis longtemps. Avec énormément de plaisir. Dès qu’elle peut se mettre sur son trente-et-un, elle ne rate pas l’occasion. Cela ne fait qu’ajouter à sa bonne humeur naturelle. ”Avec des beaux habits, je me sens bien. Et puis, les autres aussi me disent: ”C’est joli!” ou ”Ah, ça te va bien!”. Alors quand sa référente lui a proposé de suivre le cours sur le look organisé par Antenne Handicap, elle a tout de suite dit oui. Ce cours lui a beaucoup plu. Elle a pu affiner son regard. Elle a appris les couleurs qui vont bien avec son teint, comme elle dit enjouée. Mais aussi les coupes qui la mettent en valeur. Celles qui permettent, par exemple, de cacher son ventre, un peu trop présent à son goût. Elle a pu, avec l’aide de la monitrice, choisir des combinaisons de vêtements pour tous les jours. Car le cours n’a rien d’un Catwalk de stars, le but étant de mettre en valeur les personnes avec ce qu’elles ont. Une philosophie qui accompagne tout le travail de Jeanne Roubaty, ancienne responsable de la buanderie chez Alfaset, couturière de formation et, justement, enseignante du cours suivie par Marielle Favre. ”Il ne s’agit pas de relooker complètement ces personnes, ce qui reviendrait à effacer leur personnalité. Non, il s’agit de partir d’elles, de trouver et souligner leur substance positive”, explique-t-elle. Les participants ont donc travaillé avec leurs habits habituels et ont appris, là, à cacher le haut des bras, là, à affiner les jambes en portant une jupe de longueur adéquate, là, à marier couleurs et motifs plus judicieusement. Marielle Favre a compilé toutes les notes, photos, critiques du cours dans un classeur… Un classeur, bien placé dans sa petite bibliothèque. Marielle Favre s’y réfère volontiers avant d’aller faire des achats en compagnie de sa référente. Elle s’offre aussi tous les samedis son ”Femme actuelle”. Pour être à la page… Mais pour elle, la beauté n’a pas grand chose à voir avec le fait d’être à la mode. Non, la beauté, c’est ”être bien, jolie, coquette, rafraîchie, que les gens soient contents de nous voir et nous disent: que tu es belle!”, explique-t-elle. Comme Marielle, Séverine aime la mode. Séverine Fragnière, 29 ans, vit dans un studio. Tout en étant externe, elle travaille à raison de 40% à l’atelier de poterie de la Fondation Eben-Hézer. Curieuse, Séverine dévore tous les magazines titrant sur la mode, la beauté ou les cosmétiques qui lui tombent sous la main. Une fois par année, elle s’offre même une visite chez l’esthéticienne. Besoin de conseils Elle se passionne notamment pour le maquillage. Elle avoue cependant avoir du mal à se ”faire belle” au quotidien. ”C’est vrai, j’ai de la peine à le faire moimême. Cela prend du temps de s’occuper de soi. Déjà prendre un bain, mettre de la crème pour le corps, et tout ça... Je ne suis pas du genre à me lever une heure plus tôt pour me maquiller”, dit-elle. En fait, contrairement à Marielle, pour Séverine, le look Point fort n’est pas juste un plaisir. Car Séverine se cherche encore. Elle se dit certes satisfaite de son look, simple, sur lequel on ne peut pas mettre d’étiquette. ”Mon style n’a pas de nom”, résume-t-elle. Elle a ses magasins préférés. Et surtout, elle a sa maman avec qui elle fait toujours ses achats et qui la conseille. Mais sa coiffure, par exemple, lui pose toujours problème. Elle n’est jamais vraiment contente du résultat et ne sait plus trop quoi essayer. Elle n’est pas sûre non plus des couleurs à utiliser pour son maquillage. Elle se trouve ”ni super jolie ni super moche”, comme elle dit, mais souffre de ne pas avoir de succès auprès des garçons. Elle voudrait se mettre plus en valeur. Séverine est donc toujours à l’affût de conseils. Elle rêve d’une amie-complice avec qui elle pourrait échanger idées, astuces et critiques. ”J’ai essayé avec une amie de l’institution, mais ça ne va pas. Elle n’est pas assez sûre d’elle. Elle n’a pas d’avis”, regrette-elle. C’est pourquoi elle apprécie tant le cours ”week-end au féminin”. Cet automne, elle y a d’ailleurs participé pour la troisième fois. Un peu de rouge à lèvre pour se sentir plus jolie et faire un pas dans la normalité. Lacune sociale Proposé par Coup d’Pouce – la fondation de loisirs pour personnes mentalement handicapées basée à Lausanne, le ”week-end au féminin” invite les participantes à parler produits cosmétiques, maquillage, coiffure, habits. Et ce, uniquement entre filles. Non que les garçons ne soient pas intéressés par le look, mais les monitrices de Coup d’Pouce voulaient créer une ambiance plus intime, entre filles. Pour Séverine, ce cours est très important. C’est l’un des rares endroits où elle peut glaner des informations et partager son intérêt avec ses pairs. Le cours offre un apprentissage basique. ”Il s’agit de petites choses: apprendre à utiliser une crème de jour ou une crème pour les pieds ou simplement à s’épiler. Généralement, elles insieme 3/07 13 point fort ont entendu parler des produits, mais elles ne savent pas comment les utiliser”, explique Valérie Moraschinelli, responsable d’activités à la Fondation Coup d’Pouce et monitrice lors de ces week-ends. Est-ce à dire que les personnes mentalement handicapées n’ont pas accès à ce type d’informations? ”Oui”, répond la monitrice ”Dans les institutions par exemple, la prise en considération de l’aspect de soins de soi et de l’esthétique dépend principalement des éducateurs et des éducatrices. Si ceux-ci sont sensibles à la question, ils seront attentifs. Sinon, c’est délaissé. Et rien n’est fait!” Le manque est palpable. Et pourtant, le look et la beauté touchent des aspects profonds de l’identité. ”Nous proposons de découvrir leur féminité, un aspect qui n’est pas exploré comme elles le désirent”, confirme Valérie Moraschinelli. Alors, elles cherchent: ”Elles regardent beaucoup les gens dans la rue, comment ils sont habillés ou maquillés. Elles observent les éducateurs et les éducatrices”, précise-t-elle. Ce manque concerne beaucoup de personnes mentalement handicapées, comme le prouve le succès remporté par le cours, toujours complet, qui accueille des femmes de tous les horizons, vivant en institution, chez leurs parents ou en appartement protégé. Un manque qui limite le développement d’un bien-être mais aussi d’une envie: celle de séduire. Elles désirent prouver à leurs petits copains, amis en institution, mais aussi parents et même tous les ”autres” que, elles aussi, elles peuvent être belles. ”Bien habillées, bien maquillées, elles veulent aller sur une terrasse pour se montrer. Elles sont fières quand elles se sentent regardées… Elles ont ainsi l’impression de rentrer un peu dans la normalité”, explique Valérie Moraschinelli. Séverine ne contredirait pas, elle qui aimerait tant qu’un garçon lui sourie dans la rue. Le regard des autres Vanessa, elle, par contre, ne cherche pas forcément à ce que le regard des autres se pose sur elle. Vanessa Irondelle est une jeune trisomique de 33 ans. Elle vit chez ses parents et travaille à la buanderie de la Fondation de Vernand près de Lausanne. ”Je n’aime pas que les gens me regardent”, dit-elle. Si Vanessa ne veut pas trop attirer le regard des autres, cela ne veut cependant pas dire qu’elle ne fait pas attention à elle. Au contraire. Comme Marielle, comme Séverine, le soin de son apparence est pri- mordial. Vanessa aime soigner son corps. Elle met parfois du fond de teint, pour cacher un bouton ou par simple coquetterie. Elle aime prendre des bains, mettre de la crème pour le corps, choisir ses parfums. Et Vanessa prend grand soin de son look. ”J’aime bien m’habiller”, dit-elle. Elle choisit ses habits en fonction de la météo, de son humeur et des circonstances. Pas question pour elle, par exemple, de porter les mêmes habits au travail, à la maison ou en sortie. ”J’aime bien changer. Avoir des vêtements selon l’entourage”, explique-t-elle. Et quand elle essaie un nouveau vêtement, elle se regarde attentivement dans le miroir, juge si la coupe lui sied ou non. ”J’essaie de faire attention”, résume-t-elle. Depuis peu, Vanessa se maquille. ”Je mets du mascara et du rouge à lèvre. Je me sens plus jolie.” Plus jolie et plus sûre aussi, comme si le mascara la rendait plus adulte. ”J’essaie de faire comme ma sœur qui a plus de succès. Je veux montrer que je suis l’aînée”, confesse-t-elle. Mais surtout, le maquillage lui permet de se protéger… De cacher un peu ses yeux. Car ses yeux révèlent son handicap. Ce dont elle souffre parfois. ”Mes yeux me dérangent des fois. J’aimerais les changer. C’est trop d’espièglerie…”, lance-t-elle. Vanessa est parfaitement consciente du regard des autres dans la rue, dans le bus qui lui rappelle sa différence. ”Je suis différente. Des fois, ça me joue des sales tours. Je peux souffrir, mais je me bats”, dit-elle en respirant fort. Pour Vanessa, le maquillage et les habits ne sont donc pas simplement des moyens pour se faire plaisir: ils lui permettent de se protéger du monde extérieur. C’est pourquoi, elle privilégie ”le côté élégance”, selon ses termes. Sa maman, Catherine Irondelle précise: ”Vanessa a un peu le style familial, soit classique.” Vanessa ne cherche pas à ”provoquer” ou à porter des choses ”sexy”. Elle ne se verrait pas adopter le look de sa sœur cadette, bien plus ”excentrique”. D’ailleurs, même si elle le désirerait, sa maman ne la laisserait pas faire. ”J’estime qu’il faut faire attention. Il ne faut pas qu’elle porte des choses provocantes. Je fais attention à cet aspect”, confirme Catherine Irondelle. Catherine Irondelle joue un rôle très important auprès de sa fille Vanessa. Elle la conseille et choisit les magasins où aller faire les achats: ”Je la laisse choisir ses habits. Mais c’est vrai que j’oriente généralement un peu ses choix. Mais mon but n’est pas de la diriger. Je fais ça pour la protéger. C’est une question de respect: Vanessa doit être respectée et respectable!” Et Vanessa lui fait confiance. Tout comme Sé- ANNONCE VICTORINOX 188 x 56 mm 14 insieme 3/07 P0int fort verine fait confiance à sa maman. Comme quoi, l’entourage proche joue un rôle prépondérant. Un rôle de modèle. Un rôle de guide.(Voir colonne ci-contre) Un rôle que, à l’instar de Catherine Irondelle, Christine Hongler endosse volontiers. ”Je ne crois pas que Jacques ait suffisamment de maîtrise sur sa vie pour dire: ”j’aime, je n’aime pas”. Mais ce n’est pas une raison pour que, moi, je n’y porte pas attention. Au contraire, il est de ma responsabilité qu’il soit présentable”, ditelle. Jacques Hongler a aujourd’hui 27 ans. Il a un retard mental et souffre d’une forte hypotonie. Il est petit de taille (il porte la taille 14-16 ans), connaît des problèmes de bavage et peut parfois avoir des mouvements parasites. Pour Christine Hongler, l’apparence n’est ni une question de marques, ni de luxe. C’est une question de reconnaissance. ”Les personnes mentalement handicapées sont pour la plupart suffisamment marquées par le handicap. Soyons clairs: il n’est pas forcément facile pour les autres de les regarder. C’est donc la moindre des choses qu’elles portent des vêtements qui leur aillent bien. C’est aussi une manière de les respecter… Pour moi, il s’agit de rendre Jacques plus agréable aux yeux des autres.” Participer à la société La maman de Jacques n’entend aucunement vouloir effacer son handicap, mais de lui permettre de s’intégrer. ”Quand des gens disent combien Jacques est bien soigné, qu’il est mignon, cela veut dire qu’ils le reconnaissent en tant que personne. C’est un moyen pour Jacques de participer à la société.” Christine Hongler a fait depuis toujours de la question de l’habillement son cheval de bataille. Un engagement partagé par son mari et leurs deux filles. Tous ont à cœur d’offrir de beaux habits à Jacques. Un engagement qui a pris, et prend encore parfois, l’allure d’un combat. Christine Hongler s’est heurtée plusieurs fois aux institutions. ”Quand Jacques était petit, on me disait qu’il fallait que je lui mette des pantalons avec velcro et pas de boutons. Et moi, je disais non. Je pensais que Jacques pouvait encore apprendre et que cela valait la peine de faire l’effort. Et ça a valu la peine! Je suis contre l’idée de tout faire pour le confort de l’éducateur.” Pourtant, Christine Hongler est bien consciente que le travail des éducateurs n’est pas facile et qu’il leur est difficile de tout gérer. Aujourd’hui d’ailleurs, alors que Jacques est adulte et qu’il bénéficie d’un entourage bien rôdé – famille, mais aussi coiffeur, médecin, dentiste, etc. – elle est prête à lâcher un peu et faire des compromis. Mais jusqu’à un certain point seulement. ”Je ne le fais pas pour embêter, mais parce que le look n’est pas une chose futile. C’est un moyen d’insertion dans la société.” C’est pourquoi, elle aimerait que le look et le soin de soi soient mieux pris en compte dans la prise en charge des personnes handicapées. ”Il faudrait encore une plus grande attention à tout ce qui touche à leur bien-être. L’hygiène de vie et le look restent des domaines où il y a encore beaucoup à faire”, dit-elle. Ce n’est ni Marielle, ni Séverine, ni Vanessa qui la contrediront. n suivre des cours sur le look Antenne Handicap Numa-Droz 68 2301 La Chaux-de-Fonds Tél. 032 914 10 10 [email protected] www.antenne-handicap.com Fondation Coup d’Pouce Rue J.-L. Galliard 2 1004 Lausanne Tél. 021 323 41 39 [email protected] www.coupdepouce.ch Fondation Cap Loisirs Rue de Monthoux 66 1201 Genève Tél. 022 731 86 00 [email protected] www.caploisirs.ch Comment trouver son style? Le point de vue du psy Le rôle joué par l’entourage proche dans le choix des vêtements est primordial. Guy Vuilleumier, psychologuepsychothérapeute FSP et intervenant à la Fondation Ensemble (GE) souligne quelques aspects importants de cette relation. Quel est le rôle des parents dans la construction du look de leur enfant? La dépendance à l’environnement, aussi familial, pour l’enfant très jeune ou lorsqu’un déficit reste très marqué, est extrême. Resteront plaisants ou tacitement acceptés l’attitude ou le vêtement valorisé – même inconsciemment – par le parent. Mais incité à faire part de son choix, soutenu lorsqu’il s’essaie à un nouveau style, rendu attentif à la façon dont d’autres prennent soin d’eux-mêmes – en particulier le groupe des pairs, il sera peu à peu plus à même de reconnaître ce qui est de l’ordre du désir, du possible, de sa personne propre et d’y faire suite. Comment apprendre à une personne mentalement handicapée à trouver son style? Pour facilité l’émergence d’une identité, il faut privilégier l’écoute, l’attention… tant de son propre monde interne que de celui de son enfant. Les nombreuses expérimentations proposées, dès le plus jeune âge – formes, texture, couleurs – permettent de repérer ses goûts mais aussi parfois de li-miter les fixations, soutenir l’aptitude au changement souvent si étriquée. Quel est le rôle du frère d’une jeune personne mentalement handicapée dans le développement de son look? Le frère ou la sœur peut jouer un rôle de modèle très fort, parce qu’il ou elle est de la même génération, associé-e au groupe des pairs. Mais ce peut être un modèle douloureux. Je me souviens d’un jeune homme, affecté par un retard mental peu profond et doté d’un corps plutôt fluet. Il était profondément triste de ne pouvoir égaler son grand frère, beau gars et bien bâti qui s’habillait de manière soignée et était pour cela valorisé par ses parents. Dans un possible désir de lui épargner d’éventuelles déconvenues, ce jeune homme était régulièrement vêtu comme un enfant. Il a fallu un travail socio-éducatif soutenu, quelques rencontres familiales, bien sûr un travail sur l’estime de soi pour que ce jeune homme voit sa condition s’améliorer. insieme 3/07 15