Question de look - Fondation de Vernand

Transcription

Question de look - Fondation de Vernand
Point fort
Question
de look
Texte: France Santi / Photo: Carine Roth
Le look, la mode,
la beauté… Est-ce
que l’apparence est
importante pour les
personnes mentalement handicapées?
Comment se sentent-elles dans leurs
habits? Comment
vivent-elles le
regard des autres?
Nous avons donné
la parole à quelques-unes d’entre
elles. Elles nous
parlent de leur
rapport au look et
à la beauté.
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”J
e suis toujours coquette. J’ai des beaux habits.
J’aime bien”, dit-elle. Marielle Favre, 59 ans, vit
aux Perce-Neige, l’institution neuchâteloise pour personnes mentalement handicapées aux Hauts-Geneveys. Son intérêt pour la mode, elle le cultive depuis
longtemps. Avec énormément de plaisir. Dès qu’elle
peut se mettre sur son trente-et-un, elle ne rate pas
l’occasion. Cela ne fait qu’ajouter à sa bonne humeur
naturelle. ”Avec des beaux habits, je me sens bien. Et
puis, les autres aussi me disent: ”C’est joli!” ou ”Ah,
ça te va bien!”.
Alors quand sa référente lui a proposé de suivre le cours
sur le look organisé par Antenne Handicap, elle a tout
de suite dit oui. Ce cours lui a beaucoup plu. Elle a pu
affiner son regard. Elle a appris les couleurs qui vont bien
avec son teint, comme elle dit enjouée. Mais aussi les
coupes qui la mettent en valeur. Celles qui permettent,
par exemple, de cacher son ventre, un peu trop présent
à son goût. Elle a pu, avec l’aide de la monitrice, choisir
des combinaisons de vêtements pour tous les jours. Car
le cours n’a rien d’un Catwalk de stars, le but étant de
mettre en valeur les personnes avec ce qu’elles ont. Une
philosophie qui accompagne tout le travail de Jeanne
Roubaty, ancienne responsable de la buanderie chez
Alfaset, couturière de formation et, justement, enseignante du cours suivie par Marielle Favre. ”Il ne s’agit
pas de relooker complètement ces personnes, ce qui
reviendrait à effacer leur personnalité. Non, il s’agit de
partir d’elles, de trouver et souligner leur substance positive”, explique-t-elle. Les participants ont donc travaillé avec leurs habits habituels et ont appris, là, à cacher le haut des bras, là, à affiner les jambes en portant
une jupe de longueur adéquate, là, à marier couleurs et
motifs plus judicieusement.
Marielle Favre a compilé toutes les notes, photos, critiques du cours dans un classeur… Un classeur, bien placé
dans sa petite bibliothèque. Marielle Favre s’y réfère
volontiers avant d’aller faire des achats en compagnie de
sa référente. Elle s’offre aussi tous les samedis son ”Femme actuelle”. Pour être à la page… Mais pour elle, la
beauté n’a pas grand chose à voir avec le fait d’être à la
mode. Non, la beauté, c’est ”être bien, jolie, coquette,
rafraîchie, que les gens soient contents de nous voir et
nous disent: que tu es belle!”, explique-t-elle.
Comme Marielle, Séverine aime la mode. Séverine
Fragnière, 29 ans, vit dans un studio. Tout en étant
externe, elle travaille à raison de 40% à l’atelier de
poterie de la Fondation Eben-Hézer. Curieuse, Séverine
dévore tous les magazines titrant sur la mode, la beauté ou les cosmétiques qui lui tombent sous la main.
Une fois par année, elle s’offre même une visite chez
l’esthéticienne.
Besoin de conseils
Elle se passionne notamment pour le maquillage. Elle
avoue cependant avoir du mal à se ”faire belle” au
quotidien. ”C’est vrai, j’ai de la peine à le faire moimême. Cela prend du temps de s’occuper de soi. Déjà
prendre un bain, mettre de la crème pour le corps, et
tout ça... Je ne suis pas du genre à me lever une heure
plus tôt pour me maquiller”, dit-elle.
En fait, contrairement à Marielle, pour Séverine, le look
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n’est pas juste un plaisir. Car Séverine se cherche encore.
Elle se dit certes satisfaite de son look, simple, sur lequel
on ne peut pas mettre d’étiquette. ”Mon style n’a pas
de nom”, résume-t-elle. Elle a ses magasins préférés. Et
surtout, elle a sa maman avec qui elle fait toujours ses
achats et qui la conseille. Mais sa coiffure, par exemple,
lui pose toujours problème. Elle n’est jamais vraiment
contente du résultat et ne sait plus trop quoi essayer. Elle
n’est pas sûre non plus des couleurs à utiliser pour son
maquillage. Elle se trouve ”ni super jolie ni super moche”, comme elle dit, mais souffre de ne pas avoir de
succès auprès des garçons. Elle voudrait se mettre plus
en valeur.
Séverine est donc toujours à l’affût de conseils. Elle rêve
d’une amie-complice avec qui elle pourrait échanger
idées, astuces et critiques. ”J’ai essayé avec une amie
de l’institution, mais ça ne va pas. Elle n’est pas assez
sûre d’elle. Elle n’a pas d’avis”, regrette-elle. C’est
pourquoi elle apprécie tant le cours ”week-end au féminin”. Cet automne, elle y a d’ailleurs participé pour
la troisième fois.
Un peu de rouge à
lèvre pour se sentir
plus jolie et faire un
pas dans la normalité.
Lacune sociale
Proposé par Coup d’Pouce – la fondation de loisirs pour
personnes mentalement handicapées basée à Lausanne,
le ”week-end au féminin” invite les participantes à parler produits cosmétiques, maquillage, coiffure, habits. Et
ce, uniquement entre filles. Non que les garçons ne
soient pas intéressés par le look, mais les monitrices de
Coup d’Pouce voulaient créer une ambiance plus intime,
entre filles.
Pour Séverine, ce cours est très important. C’est l’un des
rares endroits où elle peut glaner des informations et
partager son intérêt avec ses pairs. Le cours offre un
apprentissage basique. ”Il s’agit de petites choses: apprendre à utiliser une crème de jour ou une crème pour
les pieds ou simplement à s’épiler. Généralement, elles
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ont entendu parler des produits, mais elles ne savent pas comment les
utiliser”, explique Valérie Moraschinelli, responsable d’activités à la
Fondation Coup d’Pouce et monitrice lors de ces week-ends.
Est-ce à dire que les personnes mentalement handicapées n’ont pas
accès à ce type d’informations? ”Oui”, répond la monitrice ”Dans les
institutions par exemple, la prise en considération de l’aspect de soins
de soi et de l’esthétique dépend principalement des éducateurs et des
éducatrices. Si ceux-ci sont sensibles à la question, ils seront attentifs.
Sinon, c’est délaissé. Et rien n’est fait!” Le manque est palpable. Et
pourtant, le look et la beauté touchent des aspects profonds de
l’identité. ”Nous proposons de découvrir leur féminité, un aspect qui
n’est pas exploré comme elles le désirent”, confirme Valérie Moraschinelli. Alors, elles cherchent: ”Elles regardent beaucoup les gens
dans la rue, comment ils sont habillés ou maquillés. Elles observent
les éducateurs et les éducatrices”, précise-t-elle.
Ce manque concerne beaucoup de personnes mentalement handicapées, comme le prouve le succès remporté par le cours, toujours
complet, qui accueille des femmes de tous les horizons, vivant en
institution, chez leurs parents ou en appartement protégé.
Un manque qui limite le développement d’un bien-être mais aussi
d’une envie: celle de séduire. Elles désirent prouver à leurs petits copains, amis en institution, mais aussi parents et même tous les
”autres” que, elles aussi, elles peuvent être belles. ”Bien habillées,
bien maquillées, elles veulent aller sur une terrasse pour se montrer.
Elles sont fières quand elles se sentent regardées… Elles ont ainsi
l’impression de rentrer un peu dans la normalité”, explique Valérie
Moraschinelli. Séverine ne contredirait pas, elle qui aimerait tant
qu’un garçon lui sourie dans la rue.
Le regard des autres
Vanessa, elle, par contre, ne cherche pas forcément à ce que le regard
des autres se pose sur elle. Vanessa Irondelle est une jeune trisomique
de 33 ans. Elle vit chez ses parents et travaille à la buanderie de la
Fondation de Vernand près de Lausanne. ”Je n’aime pas que les gens
me regardent”, dit-elle.
Si Vanessa ne veut pas trop attirer le regard des autres, cela ne veut
cependant pas dire qu’elle ne fait pas attention à elle. Au contraire.
Comme Marielle, comme Séverine, le soin de son apparence est pri-
mordial. Vanessa aime soigner son corps. Elle met parfois du fond de
teint, pour cacher un bouton ou par simple coquetterie. Elle aime
prendre des bains, mettre de la crème pour le corps, choisir ses parfums. Et Vanessa prend grand soin de son look. ”J’aime bien m’habiller”, dit-elle. Elle choisit ses habits en fonction de la météo, de son
humeur et des circonstances. Pas question pour elle, par exemple, de
porter les mêmes habits au travail, à la maison ou en sortie. ”J’aime
bien changer. Avoir des vêtements selon l’entourage”, explique-t-elle.
Et quand elle essaie un nouveau vêtement, elle se regarde attentivement dans le miroir, juge si la coupe lui sied ou non. ”J’essaie de faire
attention”, résume-t-elle.
Depuis peu, Vanessa se maquille. ”Je mets du mascara et du rouge à
lèvre. Je me sens plus jolie.” Plus jolie et plus sûre aussi, comme si le
mascara la rendait plus adulte. ”J’essaie de faire comme ma sœur qui
a plus de succès. Je veux montrer que je suis l’aînée”, confesse-t-elle.
Mais surtout, le maquillage lui permet de se protéger… De cacher un
peu ses yeux. Car ses yeux révèlent son handicap. Ce dont elle souffre
parfois. ”Mes yeux me dérangent des fois. J’aimerais les changer. C’est
trop d’espièglerie…”, lance-t-elle. Vanessa est parfaitement consciente du regard des autres dans la rue, dans le bus qui lui rappelle sa différence. ”Je suis différente. Des fois, ça me joue des sales tours. Je peux
souffrir, mais je me bats”, dit-elle en respirant fort.
Pour Vanessa, le maquillage et les habits ne sont donc pas simplement
des moyens pour se faire plaisir: ils lui permettent de se protéger du
monde extérieur. C’est pourquoi, elle privilégie ”le côté élégance”,
selon ses termes. Sa maman, Catherine Irondelle précise: ”Vanessa a
un peu le style familial, soit classique.” Vanessa ne cherche pas à ”provoquer” ou à porter des choses ”sexy”. Elle ne se verrait pas adopter
le look de sa sœur cadette, bien plus ”excentrique”. D’ailleurs, même
si elle le désirerait, sa maman ne la laisserait pas faire. ”J’estime qu’il
faut faire attention. Il ne faut pas qu’elle porte des choses provocantes.
Je fais attention à cet aspect”, confirme Catherine Irondelle.
Catherine Irondelle joue un rôle très important auprès de sa fille Vanessa. Elle la conseille et choisit les magasins où aller faire les achats:
”Je la laisse choisir ses habits. Mais c’est vrai que j’oriente généralement un peu ses choix. Mais mon but n’est pas de la diriger. Je fais ça
pour la protéger. C’est une question de respect: Vanessa doit être respectée et respectable!” Et Vanessa lui fait confiance. Tout comme Sé-
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verine fait confiance à sa maman. Comme quoi, l’entourage proche joue un rôle
prépondérant. Un rôle de modèle. Un rôle de guide.(Voir colonne ci-contre)
Un rôle que, à l’instar de Catherine Irondelle, Christine Hongler endosse volontiers.
”Je ne crois pas que Jacques ait suffisamment de maîtrise sur sa vie pour dire:
”j’aime, je n’aime pas”. Mais ce n’est pas une raison pour que, moi, je n’y porte
pas attention. Au contraire, il est de ma responsabilité qu’il soit présentable”, ditelle.
Jacques Hongler a aujourd’hui 27 ans. Il a un retard mental et souffre d’une forte
hypotonie. Il est petit de taille (il porte la taille 14-16 ans), connaît des problèmes
de bavage et peut parfois avoir des mouvements parasites.
Pour Christine Hongler, l’apparence n’est ni une question de marques, ni de luxe.
C’est une question de reconnaissance. ”Les personnes mentalement handicapées
sont pour la plupart suffisamment marquées par le handicap. Soyons clairs: il n’est
pas forcément facile pour les autres de les regarder. C’est donc la moindre des
choses qu’elles portent des vêtements qui leur aillent bien. C’est aussi une manière de les respecter… Pour moi, il s’agit de rendre Jacques plus agréable aux
yeux des autres.”
Participer à la société
La maman de Jacques n’entend aucunement vouloir effacer son handicap, mais
de lui permettre de s’intégrer. ”Quand des gens disent combien Jacques est bien
soigné, qu’il est mignon, cela veut dire qu’ils le reconnaissent en tant que personne. C’est un moyen pour Jacques de participer à la société.”
Christine Hongler a fait depuis toujours de la question de l’habillement son cheval
de bataille. Un engagement partagé par son mari et leurs deux filles. Tous ont à
cœur d’offrir de beaux habits à Jacques. Un engagement qui a pris, et prend encore parfois, l’allure d’un combat. Christine Hongler s’est heurtée plusieurs fois
aux institutions. ”Quand Jacques était petit, on me disait qu’il fallait que je lui
mette des pantalons avec velcro et pas de boutons. Et moi, je disais non. Je pensais
que Jacques pouvait encore apprendre et que cela valait la peine de faire l’effort.
Et ça a valu la peine! Je suis contre l’idée de tout faire pour le confort de l’éducateur.” Pourtant, Christine Hongler est bien consciente que le travail des éducateurs
n’est pas facile et qu’il leur est difficile de tout gérer. Aujourd’hui d’ailleurs, alors
que Jacques est adulte et qu’il bénéficie d’un entourage bien rôdé – famille, mais
aussi coiffeur, médecin, dentiste, etc. – elle est prête à lâcher un peu et faire des
compromis. Mais jusqu’à un certain point seulement. ”Je ne le fais pas pour embêter, mais parce que le look n’est pas une chose futile. C’est un moyen d’insertion
dans la société.”
C’est pourquoi, elle aimerait que le look et le soin de soi soient mieux pris en
compte dans la prise en charge des personnes handicapées. ”Il faudrait encore
une plus grande attention à tout ce qui touche à leur bien-être. L’hygiène de vie
et le look restent des domaines où il y a encore beaucoup à faire”, dit-elle. Ce n’est
ni Marielle, ni Séverine, ni Vanessa qui la contrediront.
n
suivre des cours sur le look
Antenne Handicap
Numa-Droz 68
2301 La Chaux-de-Fonds
Tél. 032 914 10 10
[email protected]
www.antenne-handicap.com
Fondation Coup d’Pouce
Rue J.-L. Galliard 2
1004 Lausanne
Tél. 021 323 41 39
[email protected]
www.coupdepouce.ch
Fondation Cap Loisirs
Rue de Monthoux 66
1201 Genève
Tél. 022 731 86 00
[email protected]
www.caploisirs.ch
Comment
trouver son style?
Le point de vue du psy
Le rôle joué par l’entourage proche dans le choix des
vêtements est primordial. Guy Vuilleumier, psychologuepsychothérapeute FSP et intervenant à la Fondation
Ensemble (GE) souligne quelques aspects importants
de cette relation.
Quel est le rôle des parents dans la construction
du look de leur enfant?
La dépendance à l’environnement, aussi familial, pour
l’enfant très jeune ou lorsqu’un déficit reste très marqué,
est extrême. Resteront plaisants ou tacitement acceptés
l’attitude ou le vêtement valorisé – même inconsciemment – par le parent. Mais incité à faire part de son choix,
soutenu lorsqu’il s’essaie à un nouveau style, rendu attentif à la façon dont d’autres prennent soin d’eux-mêmes – en particulier le groupe des pairs, il sera peu à peu
plus à même de reconnaître ce qui est de l’ordre du désir,
du possible, de sa personne propre et d’y faire suite.
Comment apprendre à une personne mentalement handicapée à trouver son style?
Pour facilité l’émergence d’une identité, il faut privilégier
l’écoute, l’attention… tant de son propre monde interne
que de celui de son enfant. Les nombreuses expérimentations proposées, dès le plus jeune âge – formes, texture, couleurs – permettent de repérer ses goûts mais
aussi parfois de li-miter les fixations, soutenir l’aptitude
au changement souvent si étriquée.
Quel est le rôle du frère d’une jeune personne
mentalement handicapée dans le développement
de son look?
Le frère ou la sœur peut jouer un rôle de modèle très
fort, parce qu’il ou elle est de la même génération, associé-e au groupe des pairs. Mais ce peut être un modèle
douloureux. Je me souviens d’un jeune homme, affecté
par un retard mental peu profond et doté d’un corps
plutôt fluet. Il était profondément triste de ne pouvoir
égaler son grand frère, beau gars et bien bâti qui s’habillait de manière soignée et était pour cela valorisé par
ses parents. Dans un possible désir de lui épargner
d’éventuelles déconvenues, ce jeune homme était régulièrement vêtu comme un enfant. Il a fallu un travail
socio-éducatif soutenu, quelques rencontres familiales,
bien sûr un travail sur l’estime de soi pour que ce jeune
homme voit sa condition s’améliorer.
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