CONCILIUM

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CONCILIUM
CONCILIUM 8'NCILI~
SOCIOLOGIE
DE LA RELIGION
il~
CONCILIUM - 181
ÉDITORIAL, par JOHN CoLEMAN
ARTICLES
DICK ANTHONY, THoMis ROBBINS et PAUL SCHWARTZ
Les mouvements religieux
contemporains et le postulat de la sécularisation
JOHN COLEMAN - Signification religieuse des nouveaux mouvements religieux
ROBERT ELLWOOD
Religions asiatiques en Amérique du Nord
REINHART HUMMEL et BERT HARDIN - Religions asiatiques en Europe
DANIEL O'HANLON - La scène américaine vue d'Asie par des yeux américains
CHRISTOPHER 0 DONNELL
Néo-pentecôtisme en Amérique du Nord et en Europe
CHRISTIAN LAUVE D'ÉPINAY
Régimes politiques et millénarisme dans une société
dépendante. Réflexions à propos du pentecôtisme au Chili
CUVE DILLON-MALONE - Religions nouvelles en Afrique
ARNULF CAMPS - Nouveau dialogue avec l'hindouisme en Inde
JAN VAN BRAGT - Nouveau dialogue avec le bouddhisme au Japon
RICHARD BERGERON -
LES NOUVEAUX MOUVEMENTS Rf~LIGIElTX Pour une interprétation théologique des nouvelles religions
GREGORY BAUM - JOHN COLEMAN
lmprimtf en Frsmee
BEAUCHESNE PARIS
NOUVEAU DIALOGUE AVEC LE BOUDDHISME AU JAPON par Jan VAN BRAGT
Jan Van Bragt est né en Belgique Oamande en 1928. n est
entré chez les pères de Scheut (c.i.c.m.) en 1946. Après son
ordination sacerdotale en 1952, il a poursuivi
études de
philosophie à Louvain, au Hoger Instituut voor Wijsbe­
geerte et a été professeur aux séminaires de Scheut. fi a
obtenu le doctorat en philosophie en 1961 et est parti au
Japon la même aonée. En 1965-1967, il a été assistant de
recherche à l'université de Kyoto, étudiant le bouddhisme
et la pensée japonaise. Depuis 1976, il est directeur de
l'Institut Nanzan pour la religion et la culture à l'université
Nanzan à Nagoya.
Ses principaux articles ayant trait àu dialogue sont:
«Notulae on Emptiness and Dialogue .. (Notes sur le vide
et le dialogue) in Japanese Religions 4, 1966, 50-78;
«Nishitani on Japanese Religiosity», in Joseph Spae (dir.),
Japanese ReligWsÎty, Tokyo, Oriens Institute for Religious
Research, 1970,271-284; «lnterfaith Dialogue in Japan .. ,
in Japan Missionary Bulletin 30, 1976,583-594; «Tangen­
ten an einem Vollkommenen Kreis 1» (Tangentes à un
cercle parfait 1), in Munen Muséj. Ungegenstiindliche Medi­
tation, sous la direction de Günter Stachel, Mayence,
Matthias Grünewald, 1978, 378-396; «The Interfaith
Dialogue and Philosophy», in Japanese Religions 10,1979,
27-45; «East-West Spiritual Exchange: A Report on a
Project .. , in Japan Missionary BuUetin 34, 1980, 158-177.
ses
Adresse: Nanzari lnstitute for Religion and Culture
18 Yamazato-cho
Showa-ku
466 NAGOYA (Japon).
1. INTRODUcnON
Plutôt que de rendre compte de l'état du dialogue au Japon, ces pages
essayeront de le situer et d'en éprouver la signification dans une série
CONCnJUM 181, 1983, 1l7-136.
128 '
JAN VAN BRAGT
de notes marginales. Le mot «nouveau », dans mon titre, est destiné, je
crois, à lier cet article au thème général, celui des nouveaux
mouvements religieux. Bien que cela puisse paraître une recette assez
facile, qu'on me permette d'expliquer, tout d'abord, comment je vois
ces relations.
Serait-ce un jugement trop général de dire que les nouveaux
mouvements religieux qui pullulent en Occident mais qui remontent
aux traditions orientales ne sont que les symptômes épars d'une
agitation profonde affectant toute la culture et la religion d'aujourd'hui
et due au fait que, dans notre «village global», des univers jusqu'ici
fermés et autonomes se rencontrent pour la première fois et empiètent
les uns sur les autres. De ce point de vue, le dialogue entre bouddhistes
et chrétiens - qui est, certes, également nouveau - est évidemment
un phénomène de plus de ce même soulèvement souterrain. Ainsi, la
rencontre des deux peut amener à une vision plus profonde de l'un et
de l'autre. Quelques remarques semblent indispensables:
1. Nous ne devons pas oublier que l'actuelle rencontre multilatérale
des cultures a été précédée par une période d'empiètement unilatéral
de la culture expansionniste occidentale sur toutes les autres. Ainsi,
pour les cultures non occidentales, la situation aujourd'hui ne présente
pas le même type de nouveauté que pour l'Occident, et il est plutôt
vécu comme un retour de marée: le passage d'une période d'assaut de
la civilisation occidentale à son contraire, la réaffirmation victorieuse
des propres valeurs culturelles. En application directe à notre sujet,
nous devons dire que les nouveaux mouvements religieux, suscités par
l'influence d'une autre culture, ne sont pas aussi nouveaux pour le reste
du monde. L'Asie et l'Afrique ont, depuis longtemps déjà, été témoins
de la naissance de nouvelles religions, largement influencées par le
christianisme et suscitées par le besoin de parvenir à un sens dans une
période de changement sous l'impact d'une culture étrangère. Pour le
dialogue, cela signifie parfois que le partenaire, encore sous le coup de
1'« impérialisme culturel» de l'Occident, interprète le désir de
dialogue, nouveau du côté chrétien, comme un simple changement de
stratégie ou comme un signe de faiblesse et que, se drapant dans son
sentiment de supériorité frais acquis, il oppose un front intransigeant.
Cependant, pour tout cela, on peut dire que la situation actuelle
présente pour nous tous la même nouveauté fondamentale : pour la
première fois, les conditions sont créées qui nous permettent de faire
l'expérience les uns des autres et de nous ren(;9ntrer en égaux.
2. Les nouveaux mouvements religieux font éprouver aux chrétiens
occidentaux quelque chose dont les minorités chrétiennes en Orient
avaient, depuis longtemps et avec beaucoup plus d'intensité, connu
l'expérience: le fait de l'existence d'autres grandes religions en dehors
du christianisme, autrement dit, la réalité du pluralisme religieux et de
NOUVEAU DIALOGUE AVEC LE BOUDDHISME AU lAPON
129
la particularité (au moins géographique) du christianisme. Dans la
mesure où ils contribuent réellement à cette prise de conscience dans le
christianisme et, par conséquent, contribuent à engager l'Église
universelle dans le dialogue avec les autres religions, il faut considérer
ces mouvements comme une bénédiction. A ce propos, il peut être
intéressant de noter qu'au Japon, une fois passée l'appréhension
initiale de menace pour leur propre identité, l'existence de communau­
tés chrétiennes au milieu d'eux a été plutôt bien accueillie par de
nombreuX bouddhistes, pour la possibilité d'enrichissement mutuel
qu'elle permet. Dans cette ligne, Keiji Nishitani, philosophe japonais
aux forte~ convictions bouddhistes, m'a confié un jour qu'il aimerait
voir les Eglises chrétiennes devenir plus fortes au Japon et, donc,
entreprendre une évangélisation plus vigoureuse.
3. Ceci nous amène à la question de savoir si l'idée d'un «dialogue
chrétien avec les nouveaux mouvements religieux» est valable. Bien
sm, la réponse est «oui», mais il semble qu'il y ait une condition
importante, que je formulerais provisoirement comme suit: dans le
dialogue avec eux, les nouveaux mouvements religieux ne devraient
pas être considérés comme des entités complètes en soi mais toujours
en liaison avec leur arrière-plan culturel oriental. Autrement dit, le
dialogue avec ces mouvements, quelle qu'en soit l'importance, ne
trouvera· son objet réel que dans le dialogue plus large avec leurs
matrices culturelles, la philosophia perennis de l'hindouisme et du
bouddhisme. Je me souviens ici de la réaction assez indignée du même
Keiji Nishitani vis-à-vis du livre de Harvey Cox, Turning East
(= l'Appel de l'Orient) : «Mais, il n'analyse que les boutures sauvages
de la religion orientale et il n'a pas un regard pour la chose réelle. »En
fait, il Y a des raisons à ce que les boutures d'une tradition religieuse
dans un milieu culturel différent ne puissent être considérées par
elles-mêmes comme représentant à part entière leurs traditions
respectives. Elles ont tendance ou bien à être «trop pures», les fleurs
coupées ne présentant rien de la terre nourricière dont elles
proviennent, ou bien à être des hybrides,. produits d'une adaptation
hâtive au nouvel environnement écologique. Ce principe, dans son
universalité, s'applique naturellement aussi, mutatis mutandis, aux
jeunes Églises dans des milieux non occidentaux.
ll. LA STIUATION REliGIEUSE DU JAPON
En vue de comprendre ce que représente le dialogue chrétien avec le
bouddhisme au Japon il nous faut le situer sur la toile de fond de la
situation religieuse du Japon. Nous ne pou:vons penser à brosser ici un
130
JAN VAN BRAGT
tableau complet de cette situation, mais nous devons toucher au moins
les points suivants :
\
1. Position du Japon dans le monde bouddhiste
Après l'Inde et le Tibet, le Japon pourrait être le troisième pays le plus
prolifique pour répandre de nouveaux mouvements religieux en
Occident. Par leur nom, qui sont devenus des vocablès familiers dans
divers milieux occidentaux, certains comme zen et Terre pure,
désignent des écoles bouddhiques traditionnelles, et d'autres, cÇ)mme
Sôkagakkai (Nicbirenshôshü) et Risshôkôseikai, sont les noms de
« religions nouvelles» d'inspiration bouddhiste. Tout cela pourrait
nous faire supposer que le bouddhisme au Japon est particulièrement
vivant et vigoureux et que le Japon occupe une position exceptionnelle
dans le monde bouddhiste. Cette dernière proposition est vraie, en fait,
si nous la comprenons bien : le bouddhisme japonais, dernier fruit de
la poussée du bouddhisme vers l'Est sous sa forme Mahàyàna, est
exceptionnel non tant pour sa pureté et sa vigueur que par les
circonstances uniques dans lesquelles il se trouve aujourd'hui.
Pendant plus de mille ans, le bouddhisme du Japon s'est développé
dans un splendide isolement par rapport à son berceau, l'Inde, et par
rapport à son mouvement frère dans les régions Theravàda (Sri Lanka,
Burena, etc.). Il finit même par se couper, durant les quatre siècles
précédant la période contemporaine, des pays auxquels il doit la
transmission du bouddhisme, à savoir la Chine et la Corée. Durant
cette longue histoire séparée, le Japon développa plusieurs formes de
bouddhisme particulièrement bien adaptées à la religiosité des
Japonais. Cependant, certaines de ces écoles notamment le zen et la
Terre pure - peuvent être regardées comme les développements de
tendances déjà présentes dans le bouddhisme chinois, voire indien.
Cette courte caractérisation suffit à indiquer qu'il ne saurait être
question d'un bouddhisme japonais universellement reconnu coinme
leader par les autres pays bouddhistes. Cependant, l'exceptionnelle
situation séculière du Japon crée la position unique de son boud­
dhisme. Ainsi, le bouddhisme japonais est le seul bouddhisme d'un
pays pleinement développé modernisé et prospère. De ce fait, aucun
autre pays ne peut se vanter d'une pareille intensité ou scientificité des
études bouddhiques, et le bouddhisme japonais est devenu le principal
financier de projets bouddhistes dans le monde entier (distribution de
« bibles» bouddhistes, construction de sanctuaires commémoratifs
dans les lieux-saints de l'Inde, etc.). Qui plus est, après la mainmise
communiste en Chine, au Vietnam, etc., on peut dire que le
bouddhisme du Japon est le seul bouddhisme Mahayàna « libre» dans
le monde (le cas de la Corée du Sud et de Taïwan étant quelque chose
NOUVEAU DIALOGUE AVEC LE BOUDDHISME AU JAPON
131
de spécial). Le fait que, tout de suite après l'Inde (avec Sri Lanka), le
Japon apparaisse comme le pays où le dialogue Est-Ouest se poursuit
avec le plus de vigueur, doit sans doute beaucoup aux mêmes
circonstances.
2. La position du bouddhisme au Japon
On ne peut appeler le Japon un pays bouddhiste au sens où l'on peut
qualifier l'Irlande de pays catholique ou la Thaïlande de pays
bouddhiste, c'est-à-dire au sens où le bouddhisme serait l'élément
décisif de son identité nationale. Bien qu'il attire 85 % de la totalité des
Japonais dans son orbite, le bouddhisme a toujours dd coexister avec la
religion originelle du Japon, désormais appelée shinto, qu'il n'a jamais
réussi à soumettre complètement et qui, au contraire, parait maintenir
même aujourd'hui un lien plus direct avec l'identité japonaise. A cela il
nous faut ajouter le fait que le bouddhisme au Japon n'apparaît pas
comme une unité mais comme une riche mosaïque de sectes totalement
indépendantes.
En outre, depuis le milieu du XIX" siècle, le Japon a été témoin d'une
«heure de pointe des dieux », c'est-à-dire de la naissance de
nombreuses religions nouvelles. Parmi les multiples raisons de ce
phénomène remarquable, l'influence déstabilisatrice de la civilisation
occidentale, déjà mentionnée, ne peut être négligée. Bien que toutes
ces religions nouvelles ont tendance à être de nature syncrétiste et que
beaucoup trouvent leur inspiration dans le bouddhisme (cf. ci-dessus),
d'autres tr$ssent plus ou moins nettement leurs origines shinto
(Tenrikyô, Omotokyô, Konkôkyô, etc.) .
. Ces quelques traits peuvent rendre plus compréhensibles les remarques
réalistes qui suivent :
1. L'effort chrétien de dialogue au Japon, bien que dirigé, en fait,
surtout vers le bouddhisme, ne peut se restreindre au bouddhisme mais
doit envisager également le shinto et les religions nouvelles.
2. Les relations mutuelles entre ces nombreuses religions et sectes
constituent un réseau com.plexe qui apparat"! quelquefois comme une
subtile lutte pour le pouvoir, dont la complication est encore aggravée
par les nombreux liens avec les puissances politiques et économiques.
Tra,ditionnellement (c'est-à-~ire jusqu'à la fin de la Seconde Guerre
mondiale), ces relations étaient officiellement réglementées par l'État.
Depuis la fin de la Guerre du Pacifique, s'est développé une sorte de
dialogue inter-religieux qui semble surtout branché sur la suppléance
de cette fonction régulatrice. de l'État, maintenant défunte. Inutile de
dire que le caractère de ce dialogue multireligieux n'est pas
nécessairement très religieux. n frappe souvent comme étant en
132
JAN VAN BRAGT
premier lieu diplomatique, et il évite à coup sûr ce qu'un Occidental
considérerait comme un élément indispensable à tout dialogue : parler
des différences respectives.
3. L'Église, elle aussi, est nécessairement impliquée dans ce dialogue
et, pour des raisons dans lesquelles nous ne pouvons entrer ici, elle y
jouit souvent d'une position privilégiée. Nous ne pouvons cependant
nous flatter que cela constitue déjà un véritable dialogue, tel que
l'envisage Vatican II et que le requiert notre époque. D'un autre côté,
cette rencontre des religions demande une connaissance si intime de la
situation toujours changeante qu'il faudrait poser un panneau:
«Attention! Sables mouvants» à l'intention de tous ceux de l'extérieur
(y compris les instances romaines).
3. Position du christianisme au Japon
Seuls trois traits intéressants de l'Église catholique au Japon peuvent et
doivent être mentionnés ici. Pour commencer, il s'agit d'une faible
minorité (à peine 0,4 %0 de la population) environnée de toute part par
la religiosité diffuse et les puissantes organisations religieuses du
Japon. Psychologiquement, elle se trouve donc dans la nécessité d'un
fort sentiment d'identité vis-à-vis de ces religions; et naturellement,
elle recherche cette identité dans des formes «authentique~ » et
facilement reconnaissables. Deuxièmement, un bastion de l'Eglise
catholique est le district de Nagasaki où le sentiment est vif d'être les
héritiers des martyrs du Kirishitan, ces martyrs qui furent persécutés
avec la forte complicité de certaines sectes bouddhistes. Troisième­
ment, la plupart des responsables ecclésiastiques n'ont jamais ressenti
le besoin de mise à jour théologique et pastorale peser sur eux du fait
de changements de circonstances ou de mouvements. de la base. A vrai
dire, beaucoup des réformes promises par Vatican II n'ont rien changé
dans notre situation missionnaire. Malheureusement, on a tendance du
même coup à jeter avec l'eau du bain un bébé qui concerne
éminemment la situation japonaise: l'évaluation nouvelle positive des
autres religions.
Dès lors, deux faits deviennent compréhensibles. Le dialogue avec les
autres religions au Japon, plus qu'un mouvement de l'Église en tant
que telle (qu'on l'entende des chrétiens en général ou des respon­
sables) vers une ouverture nouvelle à l'égard de ces religions, est, au
stade actuel, surtout l'affaire d'une modeste mais active minorité.
Deuxièmement, le dialogue n'a eu (encore) aucun effet notable sur le
cours général de la catéchèse, de la liturgie, de la paraliturgie et des
autres formes chrétiennes. Tout se passe comme si, sur ce point, nous
étions cruellement en retard sur ce qui se passe en. Inde.
NOUVEAU DIALOGUE AVEC LE BOUDDHISME AU JAPON
m.
133
QUELQUES DONNéES SUR LE DIALOGUE
AVEC LE BOUDDIDSME AU JAPON
Nous devons nous restreindre ici à un aperçu à vol d'oiseau et, pour
plus ample détail, renvoyer le lecteur à la bibliographie. Mis à part le
dialogue plus «diplomatique» mentionné ci-dessus, qui rend possible
un certain degré de collaboration pour des causes indiscutables (la paix
dans le monde, par exemple) et qui a donné naissance à deux
organismes de portée internationale, la Conférence mondiale de
Religion et Paix (WCRP) et les Fédéralistes du monde uni du Japon, je
voudrais centrer l'attention ici sur les rencontres de nature plus
intrinsèquement religieuse.
Du côté chrétien, le dialogue est mené surtout par quelques chrétiens
et intellectuels indépendants et par quatre instituts, l'un protestant, le
Centre NCC d'étude des religions japonaises, à Kyoto (qui a reçu sa
forme actuelle, en 1959, de Tetsutarô Ariga; directeur: Masatoshi
Doi), les trois autres catholiques: l'Institut Oriens de recherche
religieuse à Tokyo (fondé en 1959 par Joseph Spae; directeur:
Raymond Renson), l'Institut d'étude des religions orientales de
l'université Sophia, à Tokyo (fondé en 1970 par Heinrich Dumoulin ;
directeur: Thomas Immoos), l'Institut Nanzan pour la religion et la
culture (fondé en 1975; directeur: Jan Van Bragt).
1. Rencontre au plan doctrinal
(approche phüosophico-théologique)
Il faut ici mentionner, entre autres, la «table ronde sur la religion» à
Kyoto, instaurée par le Centre NCC et réunissant chrétiens et
bouddhistes de différentes écoles quatre ou cinq fois par an pour
discuter d'un problème commun; les Conférences sur la religion
japonaise, semaine de conférences avec discussion en panel, organisée
chaque année par l'Institut Sophia autour du thème : «Christianisme
et... (une secte bouddhiste ou une autre religion»); le Symposium
Nanzan, qui rassemble pour trois jours, une fois tous les deux ans, cinq
intellectuels chrétiens et cinq intellectuels bouddhistes pour la
discussion en profondeur d'un sujet religieux fondamental. Il y a aussi
la Conférence (biannuelle) sur la religion dans la société moderne
(sigle anglais: CORMOS) où des intellectuels et des responsables de
différentes religions se rencontrent pour discuter des problèmes
contemporains d'un point de vue multireligieux.
Mais ces conférences ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Les
instituts susnommés poursuivent aussi, de façon plus tranquille,
d'incessants dialogues avec certains groupes bouddhistes, s'adonnent à
134
JAN VAN BRAGT
l'étude conjointe de Écritures bouddhiques, etc. De tout~ façon, les
conférences tendent à renvoyer les participants à leurs études pour une
recherche approfondie sur l'autre religion et, peut-être plus encore,
pour une réflexion théologique intense sur leur propre tradition. Il faut
ici noter que, au Japon,.cette recherche et réflexion plus personnelle a
été bien antérieure à notre époque de conférences inter-religieuses. En
effet, depuis l'adoption résolue de la civilisation occidentale au XIX"
siècle, le Japon est devenu un pays qui se sent héritier de deux cultures
complètement différentes, ce qui fait que, pour ses citoyens les plus
réfléchis, une certaine synthèse entre l'Orient et l'Occident est devenue
une sorte de nécessité vitale. Cela a suscité une masse de livres où l'on
examine les relations entre bouddhisme et christianisme. Remar­
quables dans ce domaine, à la fois pour leur profondeur et leur
authentique ouverture au christianisme, sont les ouvrages de l'École
philosophique de Kyoto, dont les principaux représentants sont Kitarô
Nishida (1870-1945), Hajime Tanabe (1885-1962), Keiji Nishitani,
Yoshinori Takenchi, Shizuteru Ueda, et d'autres l . Leur influence a
commencé à s'étendre à l'étranger, surtout en Allemagne et aux
États-Unis.
2. Rencontre au plan de la pratique
(approche expérientieUe)
De nouveau dans la ligne des conférences, mais visant cette fois à un
partage de la spiritualité, il y a la Conférence Oiso, qui, tous les ans
depuis quinze ans, a réuni des bouddhistes (surtout zen) et des
chrétiens pour partager leur expérience religieuse 2 • Il y a aussi l'assez
singulier Programme d'échange spirituel Orient-Occident qui, en
septembre 1979, a donné à trente-quatre moines et moniales
bouddhistes une chance de partager la vie monastique pendant trois
semaines dans des monastères bénédictins et trappistes d'Europe 3.
Mais on connaît peut-être mieux le mouvement souvent appelé «zen
chrétien», dont l'initiateur est le père Enomya-Lasalle. Il incorpore la
forme de «méditation» zen, et souvent aussi l'exercice du koiin, dans
la spiritualité chrétienne et organise des retraites au Japon et à
l'étranger suivant ~es lignes d'un sesshin zen. A vue de nez (car on ne
dispose d'aucune statistique), il compte quelques centaines d'adeptes
1. On peut avoir un bon aperçu des façons de penser de cette école et de leurs relations
avec le christianisme dans H. WAWENFllLS, Absolutes Nichts. Zur Grundlegung des
Dialogs zwischen Buddhismus und Christentum, Frlbourg-Bâle-Vienne, Herder, 1976.
2. On peut trouver un compte rendu partiel dans A Zen-Christian Pilgrimage. The Fruits
of Tm Annual CoUoquia in Japan, 1967-1976, The Zen-Christian eolloquium, Tokyo,
1981.
3. Compte rendu dans Japan Missionary Bulletin 34, 1980, 158-177 et The Eastern
Buddhist 13, 1980, 141-150.
NOUVEAU'DIALOGUE AVEC LE BOUDDHISME AU lAPON,
135
au Japon, principalement des moniales catholiques et des laïcs. Il a
donné naissance à deux centres .de spiritualité zen chrétienne, le
Shinmeikutsu (des pères Lasalle et Kachichi Kadowaki) près de Tokyo,
et la communauté Takamori du père Shigeto Oshida dans la préfecture
de Nagano. Bien qu'il ne soit pas reconnu comme pleinement zen par
la plupart des adeptes du zen, il contribue grandement à apprécier et à
adapter l'élément contemplatif du christianisme dans le cadre japonais .
•
IV. EN MANIÈRE DE CONCLUSION
Cette présentation beaucoup trop courte du dialogue bouddhiste­
chrétien au Japon nous laisse avec de nombreuses questions. Quel est
le but de ce dialogue? et que suppose-t-il et implique-t-il? Dans quelle
mesure le besoin de dialogue est-il ressent~ aussi par les bouddhistes?
Comment peut-il devenir l'affaire de l'Eglise japonaise? Et bien
d'autres. A la question: «Qu'y a-t-il de nouveau dans le dialogue? »,
je risquerais la réponse suivante : L'Église est désormais invitée à se
défaire de son provincialisme occidental et à concrétiser son universa­
lisme dans le contexte oriental. Il est donné aux missionnaires et aux
chrétiens du Japon la possibilité théologique de vivre leurs efforts
d'évangélisation comme un «échange dans l'amour», avec la
conscience de recevoir plus qu'ils ne donnent. A nos convertis
chrétiens il est donné la chance d'incorporer leur propre passé spirituel
dans la nouveauté du message du Christ. Et la nouvelle disposition de
l'Église à rencontrer les autres religions sur un pied d'égalité a déjà
apporté un changement réel dans la perception du christianisme par les
autres: d'adversaire arrogant, il devient un fort concurrent-allié, avec,
pour les autres, la possibilité concomitante de recevoir quelque chose
du christianisme sans perdre la face.
Cependant, la « rencontre avec le bouddhisme» est un travail
d'Hercule qui ne peut être mené à bonne fin par les seuls «avant-p'ostes
. du christianisme en Orient ». C'est une tâche urgente pour l'Ëglise
universelle et en particulier pour ses théologiens. Ici, le rôle de nos
instituts locaux ne peut être que celui de catalyseurs et de ponts pour
un trafic à double sens.
Puissent ces lignes être reçues comme un appel urgent!
(Traduit de l'anglais par André Divault.)
136
JAN VAN BRAGT
BffiLiOGRAPHIE
Ouvrages· de Joseph SPAE, le plus récent étant Buddhist-Christian Empathy, Tokyo,
Institut Oriens pour la recherche religieuse, 1980. Disponible en français: Les
Chrétiens vus du Japon, Cerf, 1978.
Heinrich DuMOUUN, Christianity meets Buddhism, La Salle, Illinois, Open Court, 1974.
Heinrich DUMOULIN, Begegnung mit dem Buddhismus, Fribourg-Bâle-Vienne, Herder,
1978.
Japanese Religions 10, 1979/4, avec des articles de Yukio Irie, Jan Swyngedouw, Notto
R. Thelle, Jan Van Bragt
•
"

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