pres smith

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pres smith
GRIP
31-01-09
Camille Mazé
Présentation des travaux
d’Andy Smith
Un regard critique et international
Andy Smith, on vous connaît dans le milieu de la science politique française et dans celui de
la science politique internationale notamment pour vos travaux sur l’intégration européenne et
les politiques publiques1.
Le fil rouge de vos travaux, c’est le territoire (je vous renvoie à ce propos la recension critique
que vous faîtes récemment dans la RFSP, de 4 ouvrages « territorialistes », RFSP déc. 2008 /
5, vol. 58, p.1019-1025).
Vous êtes reconnus pour renverser le regard porté sur un certain nombre d’objets et de
méthodes et pour inciter la science politique française à s’internationaliser (objets de
recherche, méthodologie, représentation sur la scène internationale). On vous reconnaît en
effet un esprit critique constructif : vous critiquez pour formuler des pistes théoriques et
méthodologiques concrètes. Dans l’un de vos articles vous dîtes vous-mêmes que vous êtes
« convaincu que critiquer sans proposer est intellectuellement futile ». De manière quasi
systématique dans vos travaux donc, on retrouve un double apport : les textes peuvent être lus
à deux niveaux : le premier renseigne sur l’objet de la recherche ; le deuxième situe l’analyse
dans un débat de sciences sociales plus larges.
Dans cette présentation de vos travaux, je vais donc reformuler un certain nombre de critiques
que vous adressez à la science politique telle qu’elle se fait, afin que l’on saisisse bien les
solutions que vous proposez, notamment dans le domaine des études européennes et dans
celui de l’analyse des politiques publiques. Deux domaines que vous croisez sans cesse et que
vous articulez autour de la notion de territoire.
1
Vous êtes membre du Comité de rédaction des revues Pôle Sud et French Politics, membre du comité
scientifique de Politique européenne, responsable des recensions critiques pour la European Union Studies
Association Rewiew. Vous êtes également membre du Bureau et du Conseil de l’Association Française de
Sciences Politique.
1
Trajectoires
Mais d’abord, permettez-moi de présenter brièvement votre trajectoire. Vous êtes nés en 1963
en Angleterre, puis vous avez partagé votre enfance entre le Nigeria, la Nouvelle-Zélande et
les îles Fidji ; entre 15 et 25 ans, vous revenez en Angleterre ; à 25 ans, vous rejoignez Paris ;
puis vous faîtes vos études à Grenoble ; pour vous installer en 1996 à Bordeaux, où vous
passez aujourd’hui la majeure partie de votre temps, et l’autre, en Ecosse. Cette trajectoire
géographique, vos diverses attaches et vos déplacements, imprègnent, dîtes-vous, votre
trajectoire de recherche, le choix de vos objets et la manière de les aborder…
Vous déclarez
dans une petite interview pour le journal du CNRS : « Pour avoir vécu dans des sociétés très
différentes, j’ai été rapidement fasciné par la dimension interculturelle de la fabrication de
l’Europe » (C’est l’un des points que j’aimerais vous entendre expliciter : la question de
l’interculturel apparaît en filigrane dans tous vos travaux, mais avec une certaine prise de
distance. Comment vous situez par rapport à cette notion). Ensuite, il faut savoir que vous
commencez à vous intéressez à l’Europe par réaction, dîtes-vous, contre « les préjugés qui
circulent sur l’Europe » et que vous subissez au quotidien en France et selon lesquels « les
anglais seraient un frein à la construction européenne ». C’est cette volonté de combattre les
préjugés sur l’Europe qui motive vos premiers travaux.
Du point de vue de votre trajectoire professionnelle, vous avez d’abord réalisé une thèse en
cinq ans, au CERAT de l’IEP de Grenoble (Centre de Recherche sur le Politique,
l’Administration, la Ville et le Territoire). Thèse sous la direction de Jean-Louis Quermone
(L'intégration
communautaire
face
au
territoire
:
les
fonds
structurels
et
les
zones
rurales
en
France,
en
Espagne
et
au
Royaume
Uni,
soutenue
en
1995,
publiée
dans
la
collection
Logiques
politiques
de
L’Harmattan).
La
thèse
repose
sur
une
enquête
comparée
(France
/
Espagne
/
Royaume-Uni).
Elle
étudie
un
aspect
précis
de
l’intégration
communautaire
:
l’approfondissement
des
actions
de
l’UE
en
faveur
du
développement
des
zones
rurales
dites
défavorisées.
Elle
repose
sur
l’hypothèse
que
les
actions
de
l’UE
n’impliquent
pas
seulement
des
transferts
d’argent,
mais
aussi
un
échange
d’idées
et
de
ressources
politiques.
Vous
concluez
à
«
un
processus
d’intégration
communautaire
producteur
des
territoires
»
(Ici
j’aimerais
vous
poser
une
question
générale
:
doit-on
se
dire,
lorsque
vous
parlez
de
«
la
2
production
des
territoires
»
que
vous
êtes
constructiviste
et
comment
justifiez
vous
votre
choix
de
parler
non
plus
de
la
fabrication
ou
de
la
construction
de
l’Europe
mais
de
l’intégration
européenne).
Après
avoir
été
chercheur
associé
au
CERAT,
vous
rejoignez
en
1996
le
CERVL
(Centre d’Etudes et de Recherche sur la Vie Locale) de
l’IEP
de
Bordeaux,
en
tant
que
chargé
de
recherche
FNSP.
En
1999,
vous
soutenez
votre
habilitation
à
diriger
des
recherches,
En
quête(s)
du
territoire
: un
itinéraire
de
recherche
Européen
(Univ.
Bx
4,
Sc.
Po
Bx).
Vous
devenez
Directeur de recherche à la Fondation Nationale des Sciences
Politiques, Chercheur en sciences politiques. Le
CERVL
change
de
nom
et
devient
le
SPIRIT
(Science
Politique
Relations
Internationales
Territoire).
Vous
en
êtes
l’actuel
directeur
adjoint.
En 2003, vous recevez la médaille de bronze du CNRS, qui « récompense le premier travail
d'un chercheur qui fait de lui un spécialiste de talent dans son domaine et représente un
encouragement du CNRS à poursuivre des recherches bien engagées et déjà fécondes ». En
2008, vous avez été nommé « Honourary Fellow » au sein de l’ « Europa Institute » de
l’Université d’Edimbourg (Royaume Uni).
Vous venez d’obtenir un financement de l'Agence nationale pour la recherche (programme
Gouverner et administrer) pour le projet GEDI « Le gouvernement des industries » (20092012).
Recherches
Vos
centres
d’intérêt
tiennent
dans
trois
mots
:
pouvoir,
action
publique,
territoire.
Votre
objet
de
recherche
de
prédilection,
c’est
l’Europe,
abordée
dans
ses
jeux
d’échelle
(c’est
également
une
notion
sur
laquelle
j’aimerais
que
vous
reveniez
car
elle
apparaît
tout
au
long
de
vos
travaux
mais
on
voit
mal
à
qui
vous
l’empruntez
et
si
elle
est
pour
vous,
synonyme
de
multi-niveau).
Vous
abordez
également
l’Europe
sous
l’angle
de
l’intersectoriel.
Vous
nous
dîtes
qu’il
faut
analyser
à
la
fois
les
secteurs
et
leurs
interactions,
leur
indépendance
et
interdépendances.
(A
ce
propos
3
pourriez-vous
nous
expliquez
vos
choix
sectoriels,
qui
se
portent
principalement
sur
la
défense
et
la
sécurité,
l’agriculture
et
l’industrie
?).
Il
me
semble
que
vous
les
choisissez
en
fonction
de
leur
degré
d’exposition
à
ce
que
vous
appelez
l’européanisation,
l’internationalisation et la décentralisation des politiques publiques (Là
aussi, j’aimerais que vous nous expliquiez comment vous utilisez ces termes, notamment celui
d’européanisation, qui fait l’objet d’une multitude d’utilisations et de tentatives de définitions
en sciences sociales. Concernant le concept d’internationalisations, j’aimerais que vous nous
parliez de votre rapport aux Relations Internationales).
Concrètement, vous avez enquêté dans différents domaines et sur plusieurs terrains : le
développement régional en Europe (France,
Royaume-Uni,
Espagne),
les instances de
l’UE (Commission et Conseil des ministres, Bruxelles), le sport et l’identité2 (supporters de
foot et de rugby, Devon, Midlands, Pays de Galle, Montpellier), les politiques militaires
comparées, la politique de sécurité intérieure de l’UE3 , les politiques industrielles et la
régulation sectorielle (le vin4 et l’agroalimentaire
-
Aquitaine,
Languedoc-Roussillon-,
aujourd’hui la pharmacie).
Le
politique
est
au
centre
de
votre
travail (j’aimerais que vous reveniez sur la place que
vous accordez au politique dans vos recherches). Vous dîtes par exemple que l’Europe n’est
pas simplement technocratique ou économique mais éminemment politique ; vous prônez le
retour du politique dans l’analyse des politiques publiques 5 ou encore dans celle des
phénomènes de régulation économique et incitez les approches du politique à se nourrir des
études d’économie 6 . (A
ce
propos,
comment
se
passe
dans
le
quotidien
de
vos
recherches,
le
dialogue
avec
les
autres
disciplines,
par
exemple,
avec
les
économistes
?).
2
Vous vous intéressez à travers l’objet rugby au néolibéralisme et au territoire (Smith, Andy, Comment le
néolibéralisme gagne sur le territoire. A propos de certaines transformations récentes du rugby, 2000, V 13, N 50,
Politix).
3
Joana, Jean, Smith, Andy (dir), Professionnalisation des armées et gestion de la ressource humaine : politiques et
acteurs en Europe (Espagne, France, Italie, Pays-Bas), 2005
4
Smith, Andy, Maillard de, Jacques, Costa, O., Vin et politique : Bordeaux, la France, la mondialisation, 2007
5
Joana, Jean, Smith, Andy, « Les commissaires européens : technocrates, diplomates ou politiques ? », 2002 ;
Smith, Andy, Le gouvernement de l'Union européenne. Une sociologie politique, 2004 ; Smith, Andy (dir.),
Politics and the European Commission: Actors, Interdependence, Legitimacy
6
Smith Andy, de Maillard Jacques et Costa Olivier, Vin et politique : Bordeaux, la France, la mondialisation,
Paris, Presses de Sciences Po, 2007, coll. « Gouvernances ». Jullien, Bernard, Smith, Andy, L'Union européenne et
la régulation des industries : vers une sociologie politique de l'économie, 2008 ; Bernard Jullien § Andy Smith,
Industries and globalization. The political causality of difference, 2008
4
En terme d’attachement disciplinaire, vous êtes donc sans conteste : interdisciplinaire. Au
croisement de la science politique, française et anglo-saxonne, des études européennes et des
relations internationales, de la sociologie,
de
l’histoire
et
de
l’économie.
L’un
de
vos
leitmotiv
:
privilégier
l’approche sociologique du politique Vous expliquez à ce sujet que
vous appréciez la recherche française parce que les chercheurs en sciences politiques peuvent
emprunter à la sociologie, ce qui est chose rare dans les autres pays7. En terme de méthode, vous revendiquez souvent votre attachement à l’empirique, à l’enquête
de terrain. Cependant vous ne pratiquez quasiment que l’entretien, vous ne faîtes presque pas
d’observation, du moins, vous n’en rendez pas compte. Vous faîtes de l’enquête qualitative
moins comme un ethnographe que comme un quantitativiste qui travaillerait sur de petits
échantillons : vous avez d’ailleurs recours au lexique des statistiques, vous parlez des
variables à expliquer et des variables explicatives que vous recoupez entre elles pour proposer
des analyses à partir de tableaux croisés, sans chiffre… Une pratique pour le moins atypique
(Pouvez-vous nous parler de votre rapport au qualitatif et au quantitatif, en expliquant votre
rapport à l’étude de cas et le glissement que vous êtes en train d’opérer vers les statistiques,
dans vos recherches les plus récentes sur l’Europe et l’industrie, avec Bernard Jullien ?).
Vous pratiquez la comparaison, entre secteurs, entre pays, ou entre régions.
I. Le second souffle de l’analyse des politiques publiques
Vous portez un regard critique sur l’analyse des politiques publiques, dans plusieurs pays
européens et proposez des solutions concrètes pour ce champ de recherche8. Vous nous livrez
un panorama analytique des différentes traditions en matière d’analyse des politiques
publiques (nationales : française, britannique ; européenne ; internationale). Vous expliquez
leur grandeur et leur déclin pour proposer là encore de nouvelles pistes.
7
Smith, Andy, « Vers une approche sociologique du gouvernement européen », 2000 ; Smith, Andy, Joana, Jean,
« Le mariage de la carpe et du lapin ? Une sociologie politique de la Commission européenne en chantier », 2000,
Cultures et conflits
8
Hassenteufel, Patrick, Smith, Andy, « L'analyse comparée des politiques publiques », 2000, Revue
internationale de politique comparée ; Smith, Andy, « Introduction. L'analyse comparée des politiques publiques,
une démarche pour dépasser le tourisme intelligent ? », 2000, V 7, N 1, Revue internationale de politique
comparée ; Hassenteufel, Patrick, Smith, Andy, « Essouflement ou second souffle ? L'analyse des politiques
publiques " à la française " », 2002, V 52, N 1, Revue française de science politique ; Smith, Andy, Hassenteufel,
Patrick, « Les approches nationales des politiques publiques », 2002, V 52, N 1, Revue française de science
politique.
5
Vous vous inscrivez dans le courant de réflexion engendré depuis une trentaine d’années par
les recompositions majeures de l’action publique (globalisation, internationalisation,
européanisation, intégrations régionales, intensification des liens commerciaux, dynamiques
de déterritorialisation) qui ont engagé une réflexion sur le devenir de l’Etat-nation en tant que
niveau privilégié de l’action publique. Ces réflexions, concernant la perte du monopole de
l’Etat national sur les politiques publiques, se sont notamment développées dans le cadre des
études sur l’intégration européenne (quel degré d’autonomie des institutions européennes et
quels impacts sur la politique des Etats membres ?). Les analyses se sont progressivement
intéressées à l’action d’acteurs globaux (institutions financières multilatérales, experts
transnationaux, firmes, ONG, etc.) et à l’affirmation d’un niveau local spécifique d’action
publique liées aux politiques de décentralisation. On parle alors de jeu multi-niveaux, on
s’intéresse aux interactions entre les différents niveaux, mais en pensant en terme de pression
du niveau supérieur vers le niveau inférieur.
Or, pour vous, ces pressions ne peuvent être réduites à de simples pressions exogènes au
système politique domestique telles qu’elles sont considérées dans l’analyse classique des
relations internationales, dans un rapport d’asymétrie de pouvoirs (dépendance). Selon vous,
la fragmentation provoque une transformation de l’Etat et un nouveau mode de légitimation
de l’action publique. La communauté politique qui produit les politiques publiques se trouve
élargie aux niveaux locaux et supranationaux auquel il faut ajouter les échanges
transnationaux. Le transnational ne peut être considéré comme un niveau de gouvernement,
mais il doit être considéré en tant que niveau qui se constitue en interaction avec le national et
le local et qui rétroagit sur les autres niveaux (interdépendance).
Mais l’analyse du multi-niveaux telle qu’elle est pratiquée ne vous satisfait pas et vous
remettez notamment en question le concept de multi-level governace9, puisqu’il place la
focale sur l’action des nouveaux lieux émetteurs de l’action publique, en oubliant de
considérer également les récepteurs (niveaux nationaux et / ou infranationaux). (Ici, donc je
renouvelle ma question sur l’utilisation que vous faîtes du mutli-niveau par rapport à la notion
de jeu d’échelle en vous invitant à nous parler plus précisément de la multi-level governance).
Vous vous intéressez aux trois échelons de la vie politique (local, national, européen) pour
montrer que l’on ne peut plus étudier l’action publique sans s’interroger sur ceux qui, dans
9
Smith, Andy, Studying multi-level governance. Examples from French translations of the structural funds,
Public Administration, 1997.
6
l’ombre, fabriquent les compromis. Vous vous intéressez aux « intermédiaires » ; aux « lieux
de passage » entre les milieux institutionnels. Vous proposez une analyse des jeux de
médiation entre institutions, une réflexion sur l’articulation des espaces institutionnels, de
faire de l’action transversale un objet de recherche : il s’agit de mener une réflexion sur les
configurations d’acteurs et les dynamiques d’échange qui relient différents univers
institutionnels enchâssés dans l’espace politique, aux niveaux local, national et européen.
L’échange politique est conçu d’une manière souple en tant que formes de communication, de
passage, de circulation de biens et d’idées entre univers institutionnels distincts. Vous parlez
ici de configurations d’acteurs et ailleurs vous regrettez l’utilisation molle qui est faite de
cette notion et préférez parler de « réseaux
d’acteurs
».
(Qu’entendez-vous
par
«
réseaux
d’acteurs
»
et
pourquoi
ne
parlez-vous
pas
en
terme
de
«
configurations
»
et
quel
rapport
entretenez-vous
avec
l’analyse
de
réseaux
?).
Ainsi, dans Le gouvernement du compromis, vous vous intéressez avec Olivier Nay (Nay,
Smith 2002) aux « importateurs » des politiques publiques (et pas seulement aux
exportateurs) : ces acteurs de la vie publique locale, nationale et européenne dont l’activité
professionnelle ou militante les conduit à jouer un rôle important dans les relations nouées
entre plusieurs univers institutionnels. Vous réunissez dans cet ouvrage des contributions
issues de travaux empiriques qui étudient des acteurs individuels dont la position et les
ressources les conduisent à jouer un rôle important dans les lieux variés où s’opèrent des
échanges transversaux. Vous adoptez un niveau microsociologique d’analyse pour saisir les
phénomènes institutionnels (analyse des biographies : trajectoire sociale, itinéraire militant,
formation intellectuelle, positions actuelles et antérieures dans les organisations, etc. / intérêt
pour les « contextes d’action » (sites) dans lesquels sont mises en œuvre des pratiques et des
décisions concrètes (pour les élus par exemple : conseil régionaux, parlement européens et
leurs « territoires politiques »). Vous distinguez alors deux types d’importateurs, deux figures
de la médiation qui dans la réalité se combinent : les généralistes et les courtiers. Le premier
groupe renvoie à la dimension cognitive de l’intermédiation : le généraliste construit du sens
commun entre des milieux institutionnels qui ne recourent pas aux mêmes savoirs et aux
mêmes représentations. Vous prenez l’exemple des commissaires européens que vous
étudiez10 et qui, je cite, « contribuent à produire des solutions cognitives capables d’intégrer
10
« La fabrique des compromis européens. Les commissaires européens comme interface entre les Etats et
l’Union européenne », in Nay (Olivier), Smith (Andy) (dir.) — Le gouvernement du compromis. Courtiers et
généralistes dans l'action publique, Paris, Economica, 2003
7
des visions du monde et des savoirs éclatés entre les milieux décisionnels nationaux et les
directions générales de la commission européenne ». Le second groupe renvoie à la fonction
stratégique ; c’est le cas par exemple des élus européens: « les courtiers détiennent les moyens
effectifs de susciter l’échange, l’entente et les compromis entre les différentes partis, le
courtier recherche les solutions acceptables entre des groupes éloignés ».
Vous vous concentrez sur le travail des acteurs généralistes, comme celui des commissaires
européens, pour analyser une dimension peu étudiée du fonctionnement des instituions de
l’UE : les arènes de débat et de négociations intersectorielles. Pour ce faire, vous étudiez huit
commissaires de deux périodes différentes (1989-1993 et 1995-1999) (Ici, j’aimerais que vous
nous expliquiez vos choix d’enquête). Vous vous intéressez à l’apprentissage des règles et des
normes dans l’exercice de leur fonction mais aussi à la part d’autonomie d’action de chacun.
Vous montrez en quoi les commissaires ont une activité de médiation transversale,
intersectorielle et multi niveaux, hautement politique. Vous déconstruirez ainsi la vision de la
détermination du rôle et de la conduite du Commissaire par le contenu de son portefeuille et
son origine nationale, etc. Vous nous mettez en garde de ne pas confondre la position
institutionnelle avec l’exercice concret de la médiation. L’activité d’intermédiaire est aussi
largement déterminée par des facteurs proprement individuels ou contextuels : vous pensez
par exemple à la diversité des attitudes professionnelles chez les commissaires européens. Les
situations institutionnelles qu’ils rencontrent à leur arrivée – notamment la façon dont le
commissaire précédent a géré le portefeuille – mais aussi leur trajectoire personnelle en amont
de leur nomination, peuvent expliquer que la façon dont ils mènent leur activité n’est jamais
totalement déterminée à l’avance par leur statut et leur fonction. Certains estiment qu’une
grande partie de leur activité doit être consacrée à la transmission d’informations entre leur
pays d’origine et la Commission. D’autres préfèrent endosser un rôle d’intercesseur au niveau
des institutions communautaires, entre le collège des commissaires et la direction générale
dont ils ont la responsabilité. D’autres encore s’approprient la fonction en recherchant la plus
grande neutralité entre le collège, les intérêts sectoriaux des directions générales et les intérêts
nationaux des Etats-membres. Vous concluez : « hauts responsables au service de l’intérêt
général européen, ils conçoivent l’exercice de leur mandat dans l’interdépendance que leur
confère leur statut » .
8
Enfin, vous vous intéressez à l’analyse des politiques et à celle des relations internationales11
qui voient aujourd’hui leurs programmes de recherche se rapprocher et obligent donc à
remettre en question la distance épistémologique entre ces deux parties des sciences du
politique. Deux séries de dynamiques observées dans chaque « sous-discipline » concourent à
leur convergence croissante : l’européanisation, l’internationalisation, transnationalisation de
l’action publique ; l’institutionnalisation des relations internationales, consolidation des
régimes internationaux et renouveau du multilatéralisme. Vous proposez la fusion des deux
sous-disciplines pour en créer une nouvelle : l’étude des politiques publiques internationales,
qu’il s’agisse des politiques étrangères des Etats ou de l’Union européenne, ou de l’action
publique multilatérale, produite par les grandes organisations internationales. Pour vous, il
faut utiliser les outils de l’analyse des politiques publiques pour analyser les relations
internationales et ceux de la science politique pour analyser les politiques publiques
internationales, notamment pour apporter un second souffle aux études européennes.
II. Vous apportez du sang neuf aux études européennes
Dès
1997,
vous
relancez
donc
avec
Christian
Lequesne
du
CERI
(Centre
d’Etudes
et
de
Recherches
Internationales
de
la
Fondation
Nationale
des
Sciences
Politiques
à
Paris)
le
débat
théorique
autour
de
l’intégration
européenne
comme
objet
de
la
science
politique12.
Dans le groupe de travail que vous créez puis dans le numéro de
Cultures et Conflits qui fait état de la réflexion, il s’agit de réfléchir à la manière dont on peut
interpréter et conceptualiser l’intégration européenne du point de vue des sciences sociales.
Vous avancez qu’il faut observer l’Union européenne à partir du bas13 et à travers d’autres
concepts par exemple que celui « d’espace public », trop aérien et qui
renvoie
selon
vous,
dès
lors
qu’on
l’applique
à
l’Europe,
à
une
vision
évolutionniste
et
déshistoricisée
du
processus
d’intégration
européenne.
11
Analyser les politiques publiques internationales, F. Petiteville et A. Smith, RFSP 2006, 3 vol. 56
12
Lequesne, Christian, Smith, Andy, « Union européenne et science politique : où en est le débat théorique ?,
Interpréter l'Europe », Cultures et conflits, 1997 ; Smith, Andy, « French political science and European
integration », 2000, V 7, N 4, Journal of European Public Policy.
13
Smith, Andy, L'espace public européen' : une vue (trop) aérienne, 1998, Critique internationale.
9
Au moment de vos premiers travaux, dans les années 90, les études européennes ne vous
semblent pas satisfaisantes14. A l’époque, elles sont encore largement divisées entre une école
intergouvernementaliste (qui met l’accent sur les actions entre Etats-nations) et une école
néofonctionnaliste issue des relations internationales (qui met l’accent sur l’émergence d’un
espace d’action politique dont les composants se situent au-delà des seuls Etats). Or, pour
vous, se poser la question de savoir si l’UE obéit à une logique intergouvernementale ou
supranationale revient à s’enliser dans une discussion sans fin15. Vous concevez l’UE comme
un gouvernement consubstantiel fortement fissuré (ce qui n’est pas sans incidence sur les
problèmes de légitimité de la « construction européenne »). Pour vous, il convient d’étudier
non seulement la manière dont les politiques communautaires déstabilisent les modes
nationaux d’intervention (mise sur agenda, mise en oeuvre…), mais aussi comment se
déplacent les modèles nationaux du politique (les configurations de pratique et d’institutions).
La
bonne
posture
de
recherche
consiste
donc
à
se
poser
la
question
de
l’impact de la
référence à l’Europe sur la formation des configurations d’acteurs et d’idées au sein des Etats
de l’Union européenne, ou pour le dire autrement, il s’agit d’analyser la manière dont les
dispositifs de l’UE modifient, déstabilisent, voire bouleversent les ordres politiques établis
(étude de l’endogénisation des normes communautaires par les acteurs locaux).
C’est pourquoi les analyses en terme d’européanisation ou d’européification du politique en
Europe ne vous satisfont pas. Entre autres parce qu’elles partent des politiques publiques
communautaires et qu’elles négligent le fait que la mise en œuvre des politiques
communautaires ne peut être étudiée en dehors de la prise en compte de modèles (patterns) de
gouvernance qui sont spécifiques à des territoires.
Pour ce faire, vous proposez :
-
D’analyser des formes d’action publique différenciées par territoire et par secteur
-
De travailler sur la recherche de compromis, sur les espaces de négociation (en cela
vous êtes proche des travaux de Marc Abélès et d’Irène Bellier du LAIOS).
14
Voir plus tard "French political science and European integration", Journal of European Public Policy, 7 (4), October,
2000.
15
Le gouvernement de l’UE
10
-
De s’intéresser à la question de la légitimation du système politique européen en
constitution, en réintroduisant le symbolique dans l’étude de l’action publique (là
encore vous êtes proche d’Abélès)
-
De ne jamais déconnecter la conceptualisation de l’intégration européenne de travaux
de terrain, partant des pratiques politiques des acteurs et de leur inscription sociohistorique (et non des directives politiques communautaires).
Enfin, selon vous, un tel changement d’optique ne peut se fonder que sur « une
conceptualisation plus forte de l’identité collective, de l’altérité et de leurs interconnexions ».
Vous
proposez
donc
une
vision
neuve
du
processus
d’intégration
européenne
en
proposant
de
travailler
sur
l’Europe
en
tenant
compte
aussi,
du
sentiment
d’appartenance
à
ce
territoire
en
formation.
*********************************************************************
III/ Identité et appartenance
En
fait
la
question
de
l’identité
est
au
cœur
de
vos
travaux, mais, bien sur, vous en
proposez une approche non réifiante. Selon
vous,
il
faut
travailler
sur
les
représentations
(dimension cognitive et symbolique du politique) et
les
pratiques
sociales
(le
territoire,
l’Europe,
à
l’instar
de
la
nation,
d’après
le
mot
de
Brubacker,
doit
plutôt
être
appréhendée
comme
une
«
catégorie
de
praxis
»).
Vous
revisitez
la
notion
à
la
lumière
des
concepts
de
représentation, de territoire, d’identité et d’altérité.
En 1998, vous commencez à vous intéressez plus directement à la question de l’identité
européenne et maintenez qu’il y a là un défi à relever pour les sciences sociales16. Au sujet de
l’UE, vous parlez « d’espace politique » et vous invitez à l’analyser comme l’élément décisif
de la construction des identités collectives aujourd’hui17 (Ici, j’aimerais comprendre si vous
distinguer UE et Europe). Vous dîtes « concernant l’Europe tout d’abord, à l’inverse
16
Belot, Céline, Smith, Andy, 1998, « Europe and Identity: A Challenge for the Social Sciences », in Hedetoft,
Ulf, Political symbols, symbolic politics: Europe between unity and fragmentation.
17
C. Belot et A. Smith, « Europe and collective identity : a challenge for the social sciences », dans U. Hedetoft
(ed.), Political Symbols, Symbolics Politics : Europe between Unity and fragmentation, Londres, Ashgate, 1998
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d’identités à proprement parler, ‘l’européanitude’ possède incontestablement peu de
fondements. Disons-le crûment, la notion d’une identité européenne est une absurdité
sociologique parce qu’elle ne s’appuie pas sur les pratiques sociales qui ont le même sens
pour les populations concernées ». (Ici je voudrais vous question concernant cette idée que
l’identité européenne est une aberration sociologique : est-ce une position que vous maintenez
aujourd’hui ou est-ce une remarque datée, qui tient à la conjoncture de vos recherches en ce
domaine ?).
Application concrète dans vos enquêtes : le rapport au territoire (football, rugby). A travers
une recherche auprès des supporters de foot et de rugby dans les Midlands en Angleterre et
dans le Bordelais et Montpellier en France, vous vous attachez à cerner le sentiment ordinaire
et populaire d’appartenance au territoire et par là, le rapport ) l’Europe et à une éventuelle
identité européenne. Vous interrogez les pratiques variées de supporterisme afin de mieux
comprendre comment cette partie de la vie quotidienne informe et révèle les découpages
mentaux de l’espace et du temps de « gens ordinaires »et de mesurer l’mpact de l’Europe sur
les pratiques sociales les plus ordinaires (Coupes d’Europe)18. Vous affirmez alors que le
socle des identités reste celui des « régions sociologiques » et introduisez la notion d’
« altérités contemporaines » pour montrer comment la perspective d’un continent plus intégré
déplace, sans forcément harmoniser, les visions du monde des individus. Jeux d’échelle : la
nation, l’Europe et les territoires des pratiques sociales. Vous constatez l’impact des identités
territoriales sur les découpages du monde de vos interlocuteurs et le rapport inextricable entre
les définitions de soi et celles de l’autre et vous remettez en question le mythe de la
convergence sociologique en Europe qui accompagnerait l’intégration européenne, vue trop
aérienne qui ne tient pas compte de la réception populaire du processus. Enfin, vous remettez
en question l’idée d’identités collectives multiples (appartenances locale, régionale, nationale,
européenne). Mais, vous dîtes que l’identité est mobile : « les identités se forment,
s’entretiennent et se déplacent plutôt ‘par le bas’ autour de pratiques sociales considérées
importantes ».
A ce moment, vous marquez la distance avec un outil politique et financé par l’Europe censé
informer sur ces questions : l’Eurobaromètre.
18
Voir notamment La passion du sport. Le football, le rugby et les appartenances en Europe, Rennes, PUR, 2002.
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Vous posez une question cruciale : Alors que les élites « construisent » le territoire européen
par le haut, pourquoi les populations ne suivent pas leurs leaders ? La question de la
légitimation du pouvoir doit être éclairée par l’étude de la réception sociale des constructions
territoriales. Prise de distance avec la notion d’instrumentalisation politique du territoire… qui
est le fil rouge de vos recherches
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IV/ Vous proposez un antidote à la « maladie conceptuelle » dont souffre la notion de
territoire
Cette maladie, vous nous dîtes qu’elle est incarnée dans la seule formule « construction du
territoire » (là encore, je vous renvoie à mon interrogation sur votre rapport au
constructivisme). Dans votre recension récente dans la RFSP, vous proposez de faire du
territoire un « concept intermédiaire », c’est-à-dire « outil analytique qui permet de faire la
médiation entre une problématique, la structuration des enquêtes empiriques et leur
interprétation ». Vous définissez ainsi le territoire comme :
-
un « espace géographique et social institutionnalisé, avec ses règles, qui au fil du
temps, ont fait l’objet d’une « régularisation » et d’une légitimation ».
-
un espace qui possède un ‘ordre institutionnel’ qui s’enchevêtre plus ou moins avec les
‘ordres institutionnels’ d’autres territoires d’une part, et les ordres intersectoriels
d’autre part. « Chacun de ces ordres institutionnels est tout à la fois un espace
d’acteurs, un espace régulé par les politiques publiques et un espace au sein duquel se
confrontent les représentations du ‘réel’ et du ‘réel souhaité’ ».
-
un espace dont l’histoire a produit des répertoires cognitifs et symboliques, mobilisés à
des fins légitimatrices par les acteurs qui composent ce territoire
-
un espace en mutation permanente, exposé au changement
Pour vous, toutes ces dimensions doivent être analysées pour qui veut faire de la sociologie
politique et appréhender, notamment la question du pouvoir.
Pour réconcilier sociologie de l’action, sociologie du pouvoir et territoire19 , vous vous
intéressez ainsi à la notion de leadership20 . Vous cherchez à saisir la manière dont les
19
Genieys, William, Smith, Andy, « Mobilisations politiques et modèles de leadership territorial », 1998, in
Négrier, Emmanuel, Jouve, Bernard, Qui gouvernent les régions d'Europe ? Échanges politiques et
mobilisations régionales ; Smith, Andy, Sorbets, Claude (dir.), Leadership et arrangements territoriaux, 2001 ;
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leaderships politiques construisent la catégorisation légitime du territoire. Vous introduisez de
la prudence à l’égard de la vision du territoire construit et inventé par les acteurs tels que les
leader politiques, en invitant à considérer que « cette catégorie mentale émerge et s’entretient
aussi par le bas, autour d’un sentiment d’appartenance, l’expression du lien social, qui se
compose autour de systèmes de représentations ancrés dans la vie quotidienne des individus
(langues, pratiques culinaires, festives, sportives) ». Il faut donc étudier les modalités de
construction politique du territoire (par le haut) tout en intégrant dans l’analyse le rôle actif
que joue le public (en bas) dans l’institutionnalisation et la légitimation du pouvoir.
Exemple : Concrètement, pour interroger la notion croisée de territoire et d’Union européenne,
vous vous intéressez aux commissaires européens que vous qualifiez d’élite sans territoire21.
Vous étudiez de manière comparée trois présidents de la Commission européenne22 (Delors,
Santer et Prodi) et mettez en évidence l’instabilité et l’incertitude qui frappe la présidence.
Enfin, vous expliquez en quoi elles sont en partie responsables des problèmes de légitimation
dont souffre l’UE en terme de pouvoir et de construction d’un territoire, encore loin d’être le
référent en terme de sentiment d’appartenance.
Smith, Andy, Sorbets, Claude (dir.), Le leadeship politique et le territoire : les cadres d'analyse en débat,
2003.
20
Vous mettez en garde contre la seule analyse biographique des leader et préférez une approche en terme de
leadership, entendu comme groupement de personnes constitué autour d’un individu et placé au centre d’une
configuration de rapports reliant le leadership à ses interlocuteurs, qu’ils soient des alliés ou des opposants.
21
Smith, Andy, Des élites sans territoire : les commissaires européens, 1997, V 7, Pôle Sud
22
« Who governs in Brussels ? une comparaison des configurations de leadership de Delors, Santer et Prodi
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