« CONCOURS FICTION HISTORIQUE » 2015

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« CONCOURS FICTION HISTORIQUE » 2015
« CONCOURS FICTION HISTORIQUE » 2015-2016
IL ETAIT UNE FOIS UN LAC…
Nino, classe 1895, saluait chaque nouveau jour avec les notes raffinées de son
inséparable violon que lui avait offert son père, un ex-pêcheur du lac de Fucino, qui
le portait toujours avec lui sur cette petite barque qui, tous les matins à l’aube, quittait
les bords de ce petit village avec l’espoir de pêcher quelques poissons pour nourrir sa
famille. Mais quand les terres émergèrent du lac, ce pêcheur devint un paysan qui
peinait pour bonifier les terres administrées par la famille Torlonia. Maintenant le son
du violon avait cédé la place au bruit métallique de la bêche contre les pierres. La
récompense pour ce dur travail ne suffit pas à payer le loyer de ces terres, mais il se
sacrifiait volontiers pour donner à son fils l’enfance heureuse dont il avait toujours
rêvé. De retour du travail, mort de fatigue, il enseignait toujours à son fils l'art de
jouer du violon, en lui racontant également les belles histoires de l’époque où il y
avait encore le lac. Mais la politique cruelle des Torlonia dans l’administration de ces
terres ne connaissait ni trêve ni respect pour la vie des paysans qui succombaient à la
fatigue particulièrement pendant les mois les plus froids, quand les maladies
frappaient ces corps déjà affaiblis par le travail et la faim. Quand son père fut à son
tour victime de ces conditions de vie, Nino lui promit que tous les matins, au lever du
soleil, il lui aurait dédié une sérénade, assis sur la colline de son pays à regarder ce
qui, autrefois, étaient les bords du lac.
12 janvier 1915
Cette nuit-là Lia n’entendait pas la tramontane: dans son cœur, dans son esprit il n’y
avait que Nino, l’homme qu’elle aimait et que, dans quelques jours elle épouserait.
Femme et mère heureuse, tel était le futur qu’elle imaginait. Nino aussi ne dormait
pas dans l'obscurité de sa chambre. Il ne pensait qu’à la future mère de ses enfants, en
l’imaginant dans sa robe de mariée blanche qu’elle aurait mise pour lui, le plus beau
jour de sa vie. Ils s’étaient connus le long du Corso Umberto de leur petit village. Ils
étaient voisins et ils pouvaient se rencontrer chaque fois qu'ils le voulaient. Ils
s’étaient jurés un amour éternel avec un tel transport que tout le village commentait
l’union imminente.
13 janvier 1915
À l’aube du nouveau jour, malgré le froid, Nino joua des notes gaies non seulement
pour son père mais aussi pour sa future femme. Ils s’étaient salués la veille avec un
baiser et une promesse: consacrer le lendemain aux préparatifs pour la cérémonie.
Lia, elle aussi, s'était levée tôt et, comme elle ne réussissait pas à regarder par les
vitres gelées, elle avait préféré retourner encore un peu sous les couvertures, en fixant
intensément le plafond.. Le vent semblait s’être calmé.
Ils n’eurent même pas le temps de se rendre compte que la nature folle était en train
de briser à jamais leurs rêves avec la force incontrôlable des éléments sur lesquels la
volonté de l’homme ne peut rien faire. Il était 7h 52 quand la secousse, comme une
main invisible et titanesque, marqua le destin d'un peuple et, en un instant
interminable, tout fut emporté.
Nino, recouvert de poussière, ressemblait à un fantôme qui errait hébété dans les
décombres t il creusait avec ses mains là où devait être la maison de Lia. Soudain, un
faible gémissement provenant d’un tas de pierre raviva en lui l'espoir ; le travail
incessant des volontaires sauva sa fiancée. Le destin leur réservait maintenant un
avenir de regrets et d'angoisse parce que dans ce climat de désolation douloureuse il
n’y avait place ni pour un mariage ni pour les notes d'un violon.
Les secours de l'Etat tardaient à arriver, la guerre était imminente et l’Italie se trouvait
dans une situation politique délicate. Le gouvernement rejetait donc les nombreuses
aides internationales. En effet l'Italie voulait y arriver toute seule, sans avoir aucune
dette de gratitude envers les étrangers qui pouvaient devenir ses ennemis. Malgré
tout, les aides s’étaient activées et les institutions publiques, les associations et les
citoyens ordinaires parvinrent à aider cette population désespérée. Il y avait aussi
quelques volontaires d'Autriche, nation contre laquelle l'Italie serait entrée en guerre.
Le caporal Muller, autrichien, travaillait sans relâche dans le petit village de Nino, il
s’occupait du nettoyage des décombres. Les deux jeunes hommes avaient le même
âge et devinrent rapidement amis. Pendant les très rares moments de repos, ils se
racontaient leur vie et leurs rêves pour l'avenir. Muller, un grand garçon aux cheveux
roux bouclés, avait lui aussi une fiancée qui l'attendait en Autriche et Nino espérait
sincèrement pour lui un avenir meilleur que celui qui se dessinait pour lui-même.
Parfois ils descendaient ensemble vers les terres de la plaine pour en contrôler les
conditions et parler avec les agriculteurs du problème du paiement du loyer exigé par
le propriétaire. Les premières émeutes se fomentaient déjà. Lia elle-même rendait
service, en s’occupant des enfants orphelins, en aidant les blessés dans les hôpitaux
de fortune, en cuisinant pour les personnes âgées. Elle était souvent fatiguée, mais
souvent elle allait endosser sa robe de mariée heureusement retrouvée dans les
décombres et conservée avec le violon que Nino lui avait confié. Elle rêvait encore
d'un avenir radieux.
Avril 1915
L'Italie, sur le point d’entrer en guerre contre les Habsbourg d'Autriche pour libérer
Trente et Trieste, rappelle sous les drapeaux les jeunes de la Marsica, ceux âgés entre
18 et 40 ans, épargnés par le tremblement de terre. Nino aussi ce matin-là, avec un
groupe de paysans, allait à Sulmona pour passer la visite militaire. Avant cette
catastrophe, se rendre dans la ville célèbre pour ses dragées représentait pour Nino
une occasion de joie et de plaisir, mais maintenant ce voyage était lourd de tristesse et
de préoccupations. À la gare Lia était là pour le saluer, le visage silencieux et pâle. Le
train s’éloignait lentement, elle fut encore une fois séparée de son futur mari par un
destin perturbé qui semblait avoir plaisir à jouer avec leurs vies.
Les futurs soldats espéraient terminer rapidement leur mission de combattants pour
devenir propriétaires de la terre qu'ils cultivaient, comme promis par les officiers.
Même les troupes et les volontaires étrangers, éparpillés dans les villes dévastées par
le séisme, reçurent l’ordre de rentrer dans leur pays. Le caporal Muller quitta ainsi le
petit village sur les rives d'un ancien lac. Il porterait toujours dans son cœur cette
expérience humaine. Reverra-t-il un jour son cher ami Nino?
23 Mai 1915
L’Italie déclara la guerre à l'Autriche, seulement quatre mois après l'événement qui
avait bouleversé la Marsica. Les jeunes paysans du Fucino, survécus au séisme,
vivant dans les tentes ou dans les baraques, durent partir pour le front, en laissant les
corps des êtres chers encore sous les décombres. Ils répondaient à un appel absurde,
pour un idéal qu’ils ne pouvaient pas partager, puisque eux-mêmes étaient très
éprouvés par la condition tragique qu’ils avaient laissée derrière eux. Certes l'esprit
nationaliste contribuait à faire accepter le sacrifice des hommes pour annexer à
l’Italie les territoires revendiqués à l'Autriche. Même si cet esprit pouvait être noble,
la violence de la guerre était-elle justifiée pour autant?
La guerre n'était pas rapide et victorieuse comme on l’avait espéré. Lia, restée sans
terres et sans ses parents, administrait maintenant la maison et la terre que lui avait
confiées Nino et travaillait également comme couturière dans un petit laboratoire créé
pour recoudre les vêtements militaires. Plus que le travail, c’est l’éloignement du
soldat qu’elle aimait qui lui pesait. Il était sa première pensée à l'aube et la dernière
quand elle allait se coucher. Nino, quand il le pouvait, lui écrivait des lettres dans
lesquelles il lui racontait la vie misérable dans les tranchées, le froid de la nuit qui
faisait dormir les soldats les uns contre les autres, l’impossibilité d’enterrer
dignement leurs compagnons morts au combat et ses états d'âme les plus profonds :
« Je pleure et je me désespère de savoir que tu es seule. Je t’embrasse avec tout mon
amour, ma lumière! ». Pour Lia, la violence de cette séparation était pire que la
guerre elle-même. Comment pouvait-elle vivre normalement avec toutes les idées qui
se pressaient dans sa tête et avec le risque réel de ne plus voir retourner son amour?
Mais malgré tout cela, elle sentait qu'elle pouvait encore faire quelque chose de bien.
Octobre1917
Ainsi Lia partit comme infirmière de la Croix-Rouge vers le camp de base de
Caporetto, avec d'autres infirmières et d'autres jeunes soldats pour porter un peu de
courage aux vétérans fatigués et démoralisés par ces années de conflit. Elle
n’imaginait pas y rencontrer Nino. Quand elle le vit, les yeux creusés par la terrible
expérience de la guerre et par les nuits sans sommeil, le corps amaigri, elle se jeta
dans ses bras et pendant un instant il lui sembla être rentrée chez elle. Mais
maintenant, dans ce contexte, bien que proches, ils ne pouvaient pas se voir parce que
chacun avait des tâches à accomplir. Le 24 octobre, l'armée autrichienne passa à
l'attaque et des divisions entières disparurent dans les explosions des bombes et des
grenades. Les réfugiés civils furent contraints à fuir de leurs maisons. Pour de
nombreuses personnes la vie passa comme un rêve fugace et le tonnerre des canons
ajouta d’autres destructions aux ruines pour compléter le projet de ceux qui
décidaient la guerre dans leurs bureaux, arrachant à leurs familles des hommes,
jeunes et moins jeunes, et en les envoyant mourir sur les champs de bataille. Des
milliers d’entre eux ne rentrèrent jamais. Aux yeux du soldat Nino se montra encore
une fois l'image d'une situation déjà connue, lorsque la nature avait détruit les
maisons de la Marsica. Mais maintenant le sang versé appartenait aux victimes
directes et indirectes de la guerre qui chaque jour perdaient leur vie pour un idéal
nationaliste. Un mois après la défaite de Caporetto, la division alpine à laquelle
appartenait Nino recevait l’ordre de se déplacer sur les montagnes de Vittorio Veneto.
Le destin des deux jeunes les séparait encore une fois.
1918 entre le 24 octobre et 4 novembre
L'avancée des soldats italiens sur les territoires austro-hongrois faisait voir enfin le
bout d'un tunnel sombre et désolant et beaucoup de gens recommencèrent à rêver le
baiser de leur mère ou de la femme aimée, sur le pas de la porte, quand ils allaient
travailler. Mais il fallait combattre la dernière bataille: dans les tranchées autour de
Vittorio Veneto les soldats s’étaient promis d'effacer la honte de la défaite de
Caporetto et désormais l'avancée vers Trente et Trieste était inévitable.
La jeune Lia, rentrée chez elle pour s’occuper de la situation dramatique qui trois ans
après le séisme était restée encore en suspens, vivait dans une baraque construite à
côté de celle de Nino, comme quand ils étaient enfants, mais elle savait que
maintenant l'insouciance de l'époque ne retournerait pas. Nino avait recommencé à lui
écrire des lettres presque tous les jours; il aimait écrire, même si les lettres ne
pouvaient pas être envoyées, parce que pour lui, c’était comme se retrouver en tête-àtête avec sa bien-aimée. Il ignorait encore une fois que le destin allait encore frapper.
Dans ces jours forcenés le commandement suprême de l’armée avait établi un service
de propagande patriotique entre les troupes et le succès de ce service avait produit
une amélioration du moral des soldats et des populations civiles des territoires
occupés par les armées : lors de la bataille historique, l'armée italienne repoussa les
attaques autrichiennes. Nino, de sa position, ne cessa de tirer et jeter des grenades,
déterminé à ne pas céder afin de ne pas être vaincu: après tout, cela était la logique
absurde de la guerre. Dans le chaos général ce soldat malchanceux ne se rendit pas
compte de jeter la dernière bombe juste dans la direction d'une tête aux cheveux roux
bouclés. Et ainsi la guerre mettait deux amis l’un contre l’autre sur des positions
opposées et elle décidait lequel d'entre eux devait vivre ou mourir. Le Caporal Muller
reconnut l'ami-ennemi qui lançait une bombe mais il fut heureux de mourir sous le
coup d’une main amie, également victime d'un destin ironique. Le soldat Nino, à
partir de ce moment-là, sut que sa vie n’aurait plus été la même: il savait que sa main
avait tué beaucoup d’hommes, mais maintenant cette mort l'avait tué à l'intérieur,
dans les profondeurs de son cœur. Ce jour là, le 3 Novembre 1918, restera gravé dans
sa mémoire à jamais, non pas pour leur victoire: Nino ne se considérait pas un
gagnant!
Il retourna dans son village du Fucino sans les jeunes soldats partis avec lui au début
de la guerre, heureux de respirer l'air de son pays natal, de retrouver sa bien-aimée
Lia, mais avec le poids d'un avenir encore incertain.
APRÈS-GUERRE
Les événements arrivés ne lui permettaient pas de reprendre son violon. Nino ne
considérait pas approprié saluer le nouveau jour avec une sérénade. Maintenant, il le
faisait avec une prière, qui était un salut à son père et aux victimes de la guerre, tandis
qu’il demandait pardon pour soi-même, conscient qu'il avait provoqué la mort de
nombreuses personnes. Il ne trouvait aucune consolation dans cet état d’âme, et les
faits qui se passaient autour de lui ne l’aidaient certainement pas. Il n'avait même pas
le temps de pleurer sur soi-même. Et Lia savait, dans son cœur immense, qu’elle
devait se mettre de côté , pour permettre à son éternel amour d’élaborer le deuil de
toutes ces années de douleur. Elle l’aurait toujours attendu. Maintenant elle ne
travaillait plus comme couturière mais elle continuait à se lever tous les matins à
l'aube, parce qu’on devait recommencer le travail des champs, penser au lendemain,
essayer de mettre de l'argent de côté pour recommencer à vivre. Elle songeait à tout
cela dans son cœur, mais il lui semblait égoïste de partager ses projets à Nino, qui
avait d’autres pensées dans sa tête.
Après la guerre, la crise économique qui s’était installée en Italie, et plus
particulièrement dans les terres où il y avait autrefois un lac était devenue encore plus
difficile. Les agriculteurs, pour s’opposer à la politique méprisable du propriétaire
terrien et dans une tentative de modifier les conditions qu'il imposait, s’unirent dans
un front unique dirigé par des groupes de socialistes et anarchistes plutôt actifs. Nino
aussi faisait partie de ce groupe qui voulait la gestion directe des terres et tous les
jours il allait de village en village pour participer à des réunions, et rentrait toujours
plus tard. À cette époque-là il pensait toujours à sa Lia et au brillant avenir espéré,
mais pour cette raison il savait qu'il fallait se battre encore une fois et qu’une autre
guerre était inévitable pour la revendication sociale des paysans qui réclamaient
justice. Conscient du risque de provoquer d’autres douleurs, d’autres morts, était- il
prêt à les accepter?
1922 Avènement du fascisme
Le cours des événements historiques n'aidait pas ces agriculteurs et quand le roi
s’adressa à Mussolini pour former le gouvernement, la situation précipita parce que
les escadres fascistes, nées après la naissance du gouvernement, avaient l’habitude de
réprimer les révoltes sous les coups de matraque. Ce furent des années difficiles.
Nino et Lia ne s’étaient plus mariés et dans le climat d’instabilité qui régnait leur
avenir semblait incertain. Tous deux étaient devenus un homme et une femme
conscients de la terreur qui régnait autour d’eux et des conditions misérables qui
conduisaient à une seule solution: l’émigration. Beaucoup de gens qui avaient tout
perdu, leurs biens et leurs êtres chers d’abord à cause du séisme ensuite sous les
coups de la guerre préférèrent émigrer, mais pas Nino. Il était un vétéran de la guerre,
il avait connu la solidarité, il avait enrichi sa propre expérience humaine et son
identité sociale, en devenant conscient des droits des plus pauvres. Quand la révolte
éclata, l'action des bandes armées fascistes, encouragées par la famille Torlonia, fut
brutale et les conflits les plus violents eurent lieu dans le village de Nino, parce que là
étaient concentrés de nombreux rebelles. Il y eut plusieurs actes de violence.
ÉPILOGUE
Dans cet après-midi de septembre, certains militants fascistes attaquèrent la maison
de Nino. Il avait déjà fui vers la colline pour ne pas être arrêté. Alors les fascistes
détruisirent tout ce qu’ils trouvaient devant eux. Lia, terrifiée par le bruit
insupportable et en imaginant ce qui était en train d’arriver, se préparait à fuir, mais
elle fut bloquée: ce que la violence de la nature n’avait pas réussi à détruire chez cette
jeune femme sortie vivante des décombres, fut provoqué par la main de ceux qui
utilisaient la violence sous de fausses apparences de justice. Ce jour-là le rêve de
Nino s’effondre à jamais: Lia ne sera plus ni sa femme ni la mère heureuse de ses
enfants, mais une jeune martyre de la force incontrôlable des hommes. Il la trouva
gisante par terre à moitié nue, avec un bras levé qui couvrait son visage et, dans une
main, un vêtement avec lequel elle avait essayé de se protéger dans une dernière
tentative de défense. Après l’avoir revêtue, il lui serra les mains pendant toute une
journée, le violon posé sur ses jambes, sans larmes et sans force. Il l'accompagna au
cimetière en jouant une sérénade poignante et la salua: «Bonne nuit ma chère Lia, on
se retrouvera bientôt. » Il répéta cette phrase pendant des années, et mille fois, assis
sur la colline de son village, il joua des notes tristes et mélodieuses à son éternelle
fiancée, en regardant le décor de toute cette violence, où, jadis, il y avait un lac ...
Sara Pecce classe 3^L EsaBac