Stratégie offshore
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Stratégie offshore
SERVICES INFORMATIQUES : UNE TROISIÈME JEUNESSE ? OFFSHORE : LES NOUVELLES STRATÉGIES PAR ARNAUD FORTIN, EUROCIF, ET MATTHIEU LAVAL, TRADITION SECURITIES & FUTURES (VIEL & CIE) DOSSIER Depuis quelques années, les entreprises ont engagé de nombreux programmes de réduction des coûts, contribuant ainsi à l’essor des délocalisations et de l’offshore en général. Ce mouvement, à l’origine industriel, s’est étendu au secteur informatique, dynamisant le développement de sociétés de services dans les pays à bas coûts et facilitant l’émergence de nouveaux acteurs, obligeant les prestataires informatiques occidentaux à réagir. Nous assistons aujourd’hui à de véritables stratégies croisées. 26 Arnaud Fortin, membre de la Sfaf, est associé fondateur de la société Eurocif, spécialisée en conseil en stratégie et évaluation d’entreprises. Il a débuté sa carrière en banque d’affaires avant de rejoindre en 1996 le cabinet de conseil en stratégie et organisation Eurogroup. Il a exercé le métier d’analyste financier en stock-picking au sein du département institutionnel de Consors, puis occupé le poste de responsable du secteur informatique et logiciels chez Aurel Leven avant de créer, début 2003, une structure indépendante. Eurocif est également membre de la Compagnie des analystes financiers indépendants. Désindustrialisation et délocalisation sont des termes souvent utilisés de façon indifférenciée dans le discours politique occidental pour évoquer la réorganisation du paysage économique au niveau mondial. La montée en puissance de la Chine et de l’Inde – grâce aux investissements étrangers opportunistes pour occuper ces vastes marchés en s’appuyant sur les réserves de main-d’œuvre qualifiée à bas coût et sur le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication – a créé une situation sans précédent pour nos sociétés industrielles, mais aussi pour les sociétés de services informatiques et les éditeurs de logiciels. OFFSHORE ET DÉLOCALISATION : DE QUOI PARLE-T-ON ? Les motifs de la délocalisation sont parfois plus complexes qu’on ne l’imagine : stratégie offensive ou défensive, stratégie horizontale ou verticale. À cette décision stratégique sont associés des éléments tels que les coûts salariaux, le choix de localisation, la barrière linguistique, la spécialisation technologique et, bien sûr, la productivité. Le mouvement d’externalisation et de délocalisation de la production et des emplois est bien réel et apparaît irrévocable. Dans les grandes entreprises industrielles européennes, il n’est pas rare de voir plus de 50 % des emplois délocalisés hors Europe de l’Ouest. Autrefois circonscrit à ces entreprises, le phénomène se répercute sur les sociétés de taille moyenne, dans un devoir de suivi de leurs donneurs d’ordres. Cette dynamique répond à la recherche d’une production à bas coût (stratégie défensive) permettant de rester compétitif sur un marché intérieur très ANALYSE FINANCIÈRE - N° 18 - JANVIER-MARS 2006 concurrentiel et/ou à un besoin de conquête de parts de marché à l’international (stratégie offensive). Dans ce dernier cas, il ne s’agit pas réellement de délocalisation puisque le nouveau centre de production est destiné à son marché d’implantation. Une délocalisation, d’après un rapport du Conseil d’analyse économique, est la fermeture d’une unité commerciale sur le territoire national suivie de l’ouverture à l’étranger d’une structure identique qui aura pour vocation d’approvisionner le territoire national ou de servir les mêmes marchés. L’offshore présente une définition plus large. Il consiste à confier tout ou partie d’un projet à des prestataires à l’étranger dans des structures qui ne sont pas forcément identiques et qui bénéficient notamment de coûts de main-d’œuvre extrêmement bas et de compétences et qualité de services équivalentes. Il s’agit dans ce cas d’une sous-traitance internationale, avec ou sans contrôle capitalistique, induisant des gains de productivité variables selon les options retenues. L’industrie n’est plus le seul secteur concerné. La banque et l’assurance ont en partie délocalisé ou externalisé leur back-office et le mouvement tendanciel s’étend aujourd’hui au secteur informatique et logiciel. LE SECTEUR INFORMATIQUE EN PROIE À L’OFFSHORE Les sociétés de services spécialisées en informatique et en recherche et développement (R & D) surfent déjà sur la vague de l’externalisation opérée par leur clientèle, avec pour conséquence la gestion clés en main de l’informatique, de la R & D, des centres d’appels, des composants logiciels, des télécoms, etc. « DES PRESTATIONS DE PROXIMITÉ » ENTRETIEN AVEC JACQUES TORDJMAN, PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL DE GFI INFORMATIQUE Sur quels pays avez-vous porté votre choix et pourquoi ? J. T. : Notre choix s’est dans un premier temps porté sur la province, avec des centres de services à Lyon, Nantes, Sophia- Antipolis, Lille. Puis il s’est étendu sur nos filiales en Europe où les coûts de main-d’œuvre sont attractifs – c’est-à-dire l’Espagne et le Maroc – et au Canada, où nous dominons les processus et les méthodes de bout en bout. Dans une optique de réalisation dans un pays plus lointain, nous intervenons en partenariat, par exemple aux Indes avec Wipro. Quelles sont les prestations concernées ? J. T. : Il s’agit essentiellement de prestations de tierce maintenance applicative forfaitaire récurrente (pluriannuelle). À horizon de cinq ans, quelle sera la part de vos prestations délocalisées ? J. T. : Le pourcentage du chiffre d’affaires sera probablement de l’ordre de moins de 15 %. sentiel des prestations de proximité. Le premier frein est méthodologique et organisationnel. Le client doit être mature en termes de forfaitisation et de demandes d’engagements mesurables, tout en laissant à son prestataire la responsabilité des moyens et des résultats. Le deuxième frein est culturel : la compréhension d’une procédure, d’un besoin, d’une méthodologie n’est pas toujours la même d’un pays à un autre. Il existe aussi un frein linguistique. Enfin, il ne faut pas oublier le frein économique, car la productivité ne dépend pas uniquement du prix de la journée mais aussi du nombre de jours nécessaires pour mener à bien le projet, et il y a partout des surcoûts cachés qui, au final, peuvent réduire les écarts. DOSSIER Pourquoi avez-vous initié le processus offshore ? Jacques Tordjman : L’objectif de ce type de processus est de fournir des prestations à nos clients dans des centres de services industrialisés pour les développements et la maintenance de logiciels avec des coûts de main-d’œuvre et d’infrastructure attractifs. Depuis plus de trois ans, nos clients sont très réceptifs à ce type de centres de services, qui offrent non seulement la meilleure qualité mais aussi et surtout le meilleur coût. Nos offres bénéficient de méthodologies éprouvées, certifiées ISO 9001 version 2000 et évaluées suivant les démarches CMM et ITIL. Quels sont, pour vous, les freins à l’offshore dans les services informatiques et logiciels ? J. T. : Les prestations de services informatiques restent pour l’es- Mais face à la pression permanente de ces mêmes clients, souhaitant sans cesse optimiser leurs charges externes, les SSII se trouvent à leur tour confrontées à des décisions d’externalisation, de sous-traitance et maintenant d’offshore. L’offshore ne doit pas être confondu avec la sous-traitance et l’externalisation, mouvements qui s’expliquent par la recherche d’efficacité, par le recentrage des entreprises sur leur cœur de métier en transférant à l’extérieur des services jusqu’alors intégrés. L’offshore informatique a d’abord débuté dans le hardware, à la grande satisfaction des donneurs d’ordres puisque les gains de productivité se sont traduits par une baisse des prix de vente à la clientèle. Ce mouvement s’est étendu aux sociétés de services et logiciels, qui absorbent les deux tiers des investissements informatiques. Des centres de compétences éloignés sont apparus (Bangalore et Mumbai en Inde, Montréal au Canada, Bucarest en Roumanie, etc.), mais les gains de productivité restent malgré tout à démontrer. La palette des services offshore des SSII s’élargit, passant du simple BPO (business process outsourcing) à la gestion des infrastructures techniques et à la TMA (tierce maintenance applicative). C’est aussi le cas des éditeurs de logiciels qui sont passés des simples développements à des projets innovants, tout en souhaitant conserver l’essentiel de la recherche fondamentale sur le territoire national (tel Ilog en France, Microsoft aux États-Unis, SAP en Allemagne). ANALYSE FINANCIÈRE - N° 18 - JANVIER-MARS 2006 27 SERVICES INFORMATIQUES : UNE TROISIÈME JEUNESSE ? OFFSHORE : LES NOUVELLES STRATÉGIES DOSSIER Le facteur coût devient essentiel. Poussé par la pression sur les prix, le marché français de la sous-traitance offshore (migrations, développement d’applications, saisie, TMA, hébergement, centres d’appels) va croître inexorablement. L’offshore ne représenterait que 2 % du chiffre d’affaires du marché des services en France et 2,5 à 3 % de la dépense totale en sous-traitance informatique dans le monde. D’après Syntec Informatique, 40 % du marché des services seraient potentiellement concernés par le phénomène offshore, en particulier l’ingénierie et la TMA. Le conseil nécessite une proximité avec le client dans sa réalisation, ce qui le protège des offres offshore. Par ailleurs, les grands acteurs de l’infogérance ne devraient pas subir de concurrence marquée de la part d’acteurs offshore en raison d’un manque d’expérience de ces derniers et de données sociales. En effet, le facteur clé du succès d’un bon contrat d’infogérance (hors TMA) réside dans la capacité du prestataire de services à reprendre l’ensemble du personnel informatique du client, à restructurer les équipes, améliorer la productivité et reclasser en interne sur d’autres projets les excès de ressources productives. Enfin, la France est encore préservée de la concurrence offshore par rapport aux pays anglo-saxons grâce à sa barrière linguistique, mais également par la présence d’acteurs dominants (notamment nationaux) expérimentés et détenant de fortes relations institutionnelles. UNE APPROCHE GÉOGRAPHIQUE DE L’OFFSHORE Matthieu Laval, membre de la Sfaf, est analyste financier stock-picker chez Tradition Securities & Futures (Viel et Cie) depuis 2004. Après une première expérience en gestion actions chez Groupama Asset Management en 1999, il rejoint le département institutionnel de Consors début 2000 où il a suivi les secteurs technologiques, média et télécoms en tant qu’analyste financier. Matthieu Laval est titulaire d’une MSG et du DEA 104 de finance de Paris-Dauphine. 28 Le débat sur l’offshore dans les entreprises high-tech semble avoir une portée plus limitée en Europe qu’aux États-Unis. Le mouvement est a priori plus fort en l’absence de barrière linguistique entre le pays à l’origine de l’initiative et son pays d’accueil (aux États-Unis, plus de 70 000 programmeurs américains ont été « délocalisés » entre 1999 et 2004). Cependant, la barrière sociale, le turnover élevé et la progression rapide des salaires sont autant de freins au développement des pays offshore. En France, les initiatives des grandes sociétés de services se limitent souvent au nearshore (Maroc, Tunisie, Roumanie) et à certaines régions françaises pour une partie des activités de help desk (assistance aux utilisateurs) ou programmation. D’autres acteurs ont choisi l’Inde et le Canada pour leurs relations étroites avec des grands donneurs d’ordres ou pour leur plateforme d’expertise. L’offshore peut ainsi être analysé selon quatre axes géographiques : les régions du sud (Maghreb), les pays d’Europe centrale et orientale (PECO), le ANALYSE FINANCIÈRE - N° 18 - JANVIER-MARS 2006 Canada et l’Asie avec l’Inde notamment. Cette segmentation s’analyse au regard des caractéristiques des pays d’accueil et des pays initiateurs du mouvement. Ainsi les pays anglo-saxons se sont orientés principalement vers le Canada et l’Inde, l’Europe occidentale vers l’Europe de l’Est et le Maghreb, mais ces distinctions tendent à s’estomper. ÉMERGENCE DES ACTEURS OFFSHORE : MENACES ET OPPORTUNITÉS Les prestataires de services offshore doivent leur succès à leur compétitivité inégalée en terme de prix mais également à la qualité des prestations proposées. Nous sommes en train de vivre une véritable rupture dans le secteur informatique avec des stratégies croisées entre les acteurs émergents de l’offshore (indiens principalement) et les SSII occidentales. Les SSII indiennes font preuve d’un dynamisme exceptionnel. D’après la chambre professionnelle indienne Nasscom du secteur informatique et télécommunications (IT), le chiffre d’affaires total du marché des logiciels et services informatiques à l’export (hors BPO) représente 12 Mds$ en 2004-2005, soit une croissance de 30,4 % sur un an. L’Amérique du Nord absorbe près de 70 % de ces exportations et l’Europe 22 %. Les secteurs prépondérants sont les banques et les services financiers (40 %), devant l’industrie (12 %) et les télécoms (9 %). Il existe 3 000 sociétés IT en Inde, mais le marché est concentré, le Top 5 (Tata Consultancy Services, Infosys Technologies, Wipro Technologies, Satyam Computer Services et HCL Technologies) représentant 47 % du chiffre d’affaires export. Notons également que le sixième acteur du marché n’est autre qu’IBM Global Services India. Les effectifs du secteur se sont considérablement accrus entre 2001-2002 et 2003-2004, passant de 242 000 à 697 000. Cette forte croissance a pour corollaire une augmentation du turnover et l’apparition de tensions salariales. Celles-ci sont en partie compensées par la diminution des coûts de communication. Les acteurs occidentaux n’ont pas fait l’impasse sur les offres offshore. Certains ont décidé de maîtriser leur développement et la gestion des exportations de leurs services à destination de leur clientèle finale (Atos Origin, Cap Gemini, Valtech, etc.). D’autres ont préféré agir par sous-traitance. Si, dans le premier cas, les SSII contrôlent toute la chaîne de valeur (y compris la partie offshore) et donc, in fine, maxi- « UN POUVOIR D’ATTRACTION AUTANT LIÉ AUX COÛTS QU’À LA QUALITÉ » ENTRETIEN AVEC JEAN-YVES HARDY, PDG ET PRÉSIDENT DU CONSEIL D’ADMINISTRATION DE VALTECH Quel est à ce jour votre retour d’expérience ? J.-Y. H. : Valtech travaille aujourd’hui pour plus de vingt clients européens et américains depuis son centre offshore de Bangalore. Cette activité occupe 400 personnes en Inde et 50 en Europe et aux États-Unis. Le niveau de satisfaction est très élevé parmi nos clients, ce qui confirme que l’offshore a un pouvoir d’attraction qui est autant lié aux économies de coûts qu’au niveau très élevé de qualité obtenu en Inde. Le coût de cette stratégie est élevé car nous avons investi 16 millions d’euros en trois ans, qui se répartissent entre les coûts d’acquisition de Majoris (9 millions d’euros), les investissements dans notre centre de développement de Bangalore (4 millions d’euros) et les pertes d’exploitation de l’activité offshore des exercices 2004 et 2005 (3 millions d’euros). Nous sommes cependant aujourd’hui satisfaits de ce choix stratégique, car il ouvre à Valtech un grand nombre d’opportunités qui sont structurellement plus récurrentes et plus rentables à long terme. Nous bénéficions aujourd’hui de coûts internes qui sont inférieurs de 30 à 40 % à ceux de nos concurrents locaux en Europe. Comment vos clients européens réagissent-ils ? J.-Y. H. : Nos clients européens expriment un besoin fort d’avoir accès à une offre d’externalisation offshore tout en restant dans le cadre d’une relation contractuelle avec un fournisseur local qui soit français en France ou allemand en Allemagne. L’offre de Valtech en matière d’externalisation est très bien reçue et devrait nous per- misent la relation commerciale avec leurs clients, le second cas peut être le prélude à un effritement de la position privilégiée de la SSII face au client final. En effet, dans le cas de la sous-traitance, le prestataire occidental conserve la fonction de coordinateur du projet sous-traité et la maîtrise du front-office, déléguant la production (back-office) à l’acteur offshore. La véritable menace serait de pousser un cran plus loin dans l’optimisation des coûts, le client final mettre de suivre une croissance organique sur cette activité de 50 à 60 % pour les trois années à venir. Peut-on tout « offshoriser » ? J.-Y. H. : La part « offshorisable » des budgets informatiques est principalement limitée aux prestations de développement, de tests et de maintenance d’applications informatiques. Cela représente entre 25 et 50 % de la dépense informatique moyenne des entreprises. La taille des projets est un autre facteur limitant, car la complexité de prestations délocalisées nécessite une taille d’au moins dix personnes pour apporter un niveau d’économie significatif. DOSSIER Quelles sont les raisons qui ont motivé votre acquisition en Inde ? Jean-Yves Hardy : Valtech a entamé en 2003 une réorientation de sa stratégie en faisant le choix de centraliser en Inde l’essentiel de ses activités d’externalisation des prestations de développement et de maintenance de projets informatiques. Une filiale détenue à 100 % a vu le jour fin 2003. Cette filiale a été renforcée en septembre 2004 par l’acquisition de la société indienne Majoris Ltd, afin d’atteindre plus rapidement une taille critique essentielle en matière de développement offshore. On entend dire que les SSII asiatiques sont parties à la conquête de l’Europe : est-ce une réalité ? J.-Y. H. : Les SSII indiennes ont déjà conquis une part importante du marché européen, en particulier au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Les SSII chinoises sont, elles, absentes de ce marché et ne semblent pas capables de rivaliser à court terme en raison des problèmes de langue et de retard dans l’industrialisation de leur industrie des services informatiques. s’adressant directement au prestataire offshore, supprimant de fait le maillon front-office de la chaîne, c’est-à-dire celui de la SSII occidentale. Cette vision est radicale, trop peut-être, mais réaliste. Elle nécessite une implantation des acteurs offshore à proximité de la clientèle finale. C’est exactement ce à quoi nous assistons depuis quelques années. Profitant d’une courbe d’expérience croissante dans leurs relations avec les clients occidenANALYSE FINANCIÈRE - N° 18 - JANVIER-MARS 2006 29 SERVICES INFORMATIQUES : UNE TROISIÈME JEUNESSE ? OFFSHORE : LES NOUVELLES STRATÉGIES taux, les prestataires de services offshore vont remonter la chaîne de valeur grâce à de petites acquisitions ciblées sur des niches de marché et se livrer probablement à une concurrence importante et directe avec les SSII occidentales. Les moyens financiers à disposition des leaders indiens, par exemple, leur permettraient de participer à la consolidation du secteur en Europe, de façon amicale ou non, même si, plus que dans toute autre activité, seuls les rapprochements amicaux sont voués à réussir. En effet, la trésorerie nette 2005 des cinq premières SSII indiennes atteint 2,2 Mds€. De plus, leur capitalisation boursière agrégée dépasse 40 Mds€ pour un chiffre d’affaires cumulé de 7,5 Mds€ estimé pour 2005 et une rentabilité opérationnelle moyenne de 25 %. Ces chiffres sont à mettre en parallèle avec ceux des deux principales SSII françaises (Atos et CapGemini), dont la capitalisation boursière cumulée atteint seulement 7,7 Mds€ pour un chiffre d’affaires agrégé de 12,4 Mds€ et une marge opérationnelle moyenne de 5 % en 2005. P OPÉRATEURS TÉLÉCOMS : DE NOUVEAUX CONCURRENTS DES SSII ? DOSSIER PAR ALAIN ARGILE, CRÉDIT AGRICOLE SA Le 24 août, le quotidien allemand Handelsblatt indiquait que, selon certaines rumeurs, T-Systems, filiale de Deutsche Telekom, envisageait d’acquérir Atos Origin. Un mois plus tard, c’est Belgacom qui jetait son dévolu sur Telindus. Ces mouvements faisaient suite à d’autres concernant TDC, qui a procédé à deux acquisitions en Suisse et en Suède, BT installant pour sa part avec beaucoup d’ambitions sa division Networked IT Services. Ces mouvements sont-ils spécifiques et sans lendemain ou au contraire les premiers signes d’une évolution majeure du secteur ? Alain Argile, membre de la Sfaf, a été coordinateur recherche technologie CLSE de 2000 à 2004. Il est, depuis 2004, responsable des secteurs technologies, télécoms et médias au sein du département Études industrie et services au Crédit Agricole SA. 30 La loi de Moore, qui rythme la progression exponentielle des performances des semi-conducteurs et la baisse concomitante de leurs prix, a permis la numérisation progressive de l’univers technologique. Le monde informatique, qui en a le premier bénéficié, envahit progressivement les autres secteurs, télécommunications et électronique grand public. Au total, l’univers numérique représente un marché de près de 3 500 milliards de dollars, dont plus de la moitié concerne les services de télécommunications et les services informatiques. LA CONVERGENCE NUMÉRIQUE Cette « grande convergence » a deux conséquences majeures : ANALYSE FINANCIÈRE - N° 18 - JANVIER-MARS 2006 • La chaîne de valeur est complètement modifiée. Le modèle d’intégration verticale qui prévalait se disloque (cas d’AT&T) et le modèle PC se généralise. L’industrie s’organise désormais horizontalement : fabricants de composants, éditeurs de logiciels, soustraitants de fabrication… ; les original equipment manufacturers (OEM) conservent la conception et utilisent la force de leur marque. La valeur ajoutée se concentre à l’amont dans les composants et le software et à l’aval dans les services et le contenu ; • Les frontières entre secteurs s’estompent. La généralisation des technologies « informatiques » et la nouvelle organisation « horizontale » de l’industrie permettent les migrations : les acteurs de l’électronique grand public investissent les terminaux portables (Samsung, Sony, LG…), ceux de l’infor-