Entretien avec - Groupe 25 Images

Transcription

Entretien avec - Groupe 25 Images
GR.25.I. : Les tournages de
certains épisodes peuvent-ils se
chevaucher ?
J. D. C. : Il peut arriver parfois que
nous fassions un jour « tandem »
durant lequel une deuxième équipe
interviendra. Mais nous n’utilisons
cette alternative que pour une
date de diffusion proche ou des
considérations financières.
Entretien avec
NICOLAS PICARD-DREYFUSS
Dominique Attal, Dominique Baron, Philippe Venault
GR.25.I.
:
Avez-vous
des
répétitions avec les acteurs avant
le tournage ?
J. D. C. : Nous faisons une lecture,
si le planning le permet, mais
rarement des répétitions autres
que celles du plateau technique.
John David Coles
Il s’agit plutôt d’un échange et, à moins qu’un point
les irrite particulièrement (comme trop de violence ou
de sexe), nous dialoguons et nous en sortons le plus
souvent par une entente à l’amiable.
GR.25.I. : A quel moment de l’écriture faites-vous
partie de l’équipe et comment ?
J. D. C. : Comme je l’ai dit, je joue un rôle important
dans toute la chaîne de création, œuvrant avec tous les
départements dès le début, déco, costumes, photo, etc.
Le diffuseur a toujours le dernier mot, mais les grands
axes restent définis par le créateur/auteur de la série.
L’écriture dépend de la façon dont la production est
montée. Généralement, je travaille sur des séries qui
sont tournées à New York, mais écrites par un pool
de scénaristes basé à Los Angeles. Mon implication
dans les épisodes dépend donc de la géographie. Si je
suis absent, je manque nombre de discussions. Sur
certaines séries, j’ai eu la possibilité d’échanger une
masse abondante de notes qui m’ont permis d’avoir
une vraie influence sur les scénarios. Cela varie avec
chaque projet.
LE TOURNAGE
GR.25.I. : Êtes-vous souvent présent sur le plateau ou
y dépêchez-vous un de vos adjoints ?
J. D. C. : J’essaie de rester le plus possible en dehors
du plateau en me concentrant sur la préparation de
la suite. C’est comme ça que fonctionne le dispositif :
j’aime que le réalisateur sache que le plateau reste son
territoire !
GR.25.I. : Supervisez-vous
post-production de la série ?
la
J. D. C. : Non, mais je regarde le montage des épisodes
et je transmets des notes aux réalisateurs.
GR.25.I. : Parlez-nous des choix de la musique ?
J. D. C. : Le choix des plages musicales est fait par le
monteur et le réalisateur au cours de leur montage. Puis
le compositeur travaille à partir de ces propositions.
GR.25.I. : Pour Elementary, quel budget avez-vous par
épisode ?
J. D. C. : La série revient à un peu moins de 4 millions
de dollars par épisode. (NDLR : à peu près 3 millions
d’euros…)
GR.25.I.: Quelle est l’importance de la première saison
pour une nouvelle série ?
J. D. C. : C’est là qu’il faut faire la différence… Ça passe…
ou ça casse, si vous n’y parvenez pas la première année !
J. D. C. : Pas vraiment ! Il faut avoir la chance de
décrocher un bon Audimat !
GR.25.I. : Est-ce que les producteurs et les scénaristes
travaillent déjà sur la deuxième saison d’Elementary ou
attendez-vous la diffusion ?
J. D. C. : Ils sont tous à fond sur l’écriture… du prochain
épisode ! Il y a sept scénaristes permanents et deux
consultants complémentaires. Mais la série se vend
partout et, bien entendu, nous réfléchissons à une
deuxième saison.
GR.25.I. : Combien de jours pour un épisode ?
J. D. C. : Huit jours de préparation pour huit jours de
tournage. (NDLR : les journées de tournage américaines
sont de 10 à 12 heures de plateau, hors déplacements.
Soit l’équivalent de 10 à 12 jours en « heures françaises »,
avec des moyens bien supérieurs, comme on le verra par
ailleurs…)
12 •
La Lettre des Réalisateurs n° 30
© Christophe Polin - Nicolas Picard Dreyfuss sur le tournage de Drôle de Noël
GR.25.I.: Y’a-t-il des « recettes » pour s’assurer d’une
seconde saison ?
Questionnaire réalisé par mail en avril 2012
Nicolas Picard-Dreyfuss a réalisé en 2001 un premier téléfilm très remarqué,
La Victoire des vaincus, où cinq enfants, en 1940, entrent en résistance à leur façon.
Quelques années plus tard, après son deuxième téléfilm, Drôle de Noël, Nicolas
a assuré la réussite des saisons 2, 3 et 4 de la série Nicolas Le Floch.
Il vient de réaliser les épisodes 5 à 8 de Candice Renoir (ép. 1 à 4 par
Christophe Douchand), une série policière créée par Robin Barataud,
Brigitte Peskine, Solen Roy-Pagenault, et produite par Boxeur de lune.
Cette équipe, renforcée d’un casting fort, dont l’excellente Cécile Bois dans le rôle
titre, a offert à France 2, un gros succès d’audience qu’elle n’avait pas rencontré
depuis Les Hommes de l’ombre, de Frédéric Tellier.
Membre du Groupe 25 Images, Nicolas Picard-Dreyfuss se confie :
www.groupe25images.fr
www.groupe25images.fr
La Lettre des Réalisateurs n° 30
• 13
GR.25.I. : Nicolas, quel a été ton parcours, en
dix points et en moins d’une minute (rires) ?
Nicolas Picard Dreyfuss : J’ai commencé
en 1984 au laboratoire Telcipro, où pendant
cinq ans je suis passé par tous les postes
techniques : du tirage au développement,
à la projection, au suivi des rushes. J’ai
ainsi eu la chance de rencontrer beaucoup
de réalisateurs, producteurs, directeurs
de la photo, ingénieurs du son. En 1989,
Nicolas Traube et Jean Bigot, de Hamster
Productions, m’ont proposé le suivi technique
d’une nouvelle série, en me disant : « Voilà,
on fait six épisodes, on te confie la postprod, si la série continue, on te garde, si elle
s’arrête on ne pourra pas. » J’en avais marre
du labo et je suis donc arrivé chez Hamster,
et la série c’était Navarro ! Je me suis ainsi
retrouvé pendant plusieurs années chez
Hamster Productions, où j’ai suivi plus de 40 Navarro
et 35 téléfilms en tant que responsable de post-prod.
C’était un temps où ça tournait très fort.
GR.25.I. : Vingt-cinq unitaires par an chez Hamster, à
l’époque.
N.P.D. : Oui, c’était énorme, Hamster Productions
tournait à plein régime. À cette époque-là, au
développement et à la production, en plus de Pierre
Grimblat, Nicolas Traube et Gaspard de Chavagnac, il
y avait beaucoup de monde qu’on a retrouvé plus tard
dans d’autres sociétés ou dans les unités de fiction des
chaînes, comme Jacques Salles, Sophie Révil, Martine
Chicot, Thomas Anargyros, Jean Bigot, Anne Holmes.
Certains sont aussi passés à la réalisation, Michaëlla
Watteaux ou Dominique Baron. C’est ce qui m’attirait
le plus : les tournages, la réalisation. Un jour, j’ai eu
l’opportunité de partir sur un plateau et j’ai travaillé sur
plusieurs séries et films unitaires en tant que régisseuradjoint et comme second assistant-réalisateur.
GR.25.I. : Avec un indispensable et énorme bagage
technique !
N.P.D. : Oui, disons avec certaines connaissances. J’ai
fait un peu comme le saumon, j’ai remonté le courant !
Et puis le réalisateur John Lvoff m’a proposé un film en
tant que premier assistant. Après John, j’ai enchaîné
avec Fabrice Cazeneuve, Maurice Frydland, Gérard Marx,
Patrick Jamain, Dominique Baron, Mickaël Perrotta.
J’essayais de changer de réalisateur assez souvent,
pour voir d’autres façons de travailler. En 2000, j’ai
recroisé par hasard Jean Bigot, qui venait de quitter
France 2 et retournait à la production. « Qu’est-ce que
tu deviens, Nicolas – Je suis assistant, j’ai un projet de
réalisation, est-ce que ça t’intéresse ? », et il me dit :
« Oui. » Je lui donne mon ébauche, une adaptation
de deux romans de Raymond Vuillemin. Cela lui plaît,
il le propose à Perrine Fontaine qui était à l’époque
responsable de la fiction de France 3. Elle demande à
voir mes courts-métrages. Et puis on est reçus avec
Jean par Perrine. Elle écoute mes arguments et me dit :
« OK, tu écris et tu tournes ! »
14 •
La Lettre des Réalisateurs n° 30
enfants en 1940 ! Je sais faire autre chose. J’ai été
assistant sur plein de films différents, des séries, des
polars, des films d’auteur, j’ai travaillé pour Arte, pour
toutes les chaînes. » Rien à faire, pendant six ans je n’ai
pas tourné. Donc au bout de deux-trois ans je me suis
retrouvé dans les problèmes de survie professionnelle
et familiale, qu’on a presque tous aujourd’hui.
GR.25.I. : Comment as-tu fait ?
N.P.D. : Je suis redevenu assistant. Je n’ai pas trouvé
ça trop dur parce que pour moi ce n’est pas le même
métier. J’adorais être assistant. C’est vraiment un job
que j’aimais beaucoup et j’y suis retourné avec plaisir
avec des réalisateurs que j’appréciais, et notamment
sur un gros 2 fois 90 minutes d’Euzhan Palcy qui se
tournait à La Réunion. Film d’époque, très intéressant
à faire, très lourd.
La Victoire des vaincus
Avec Lara Guirao, on a écrit cette adaptation des deux
livres qu’il fallait resserrer en une fois 90 minutes. C’est
devenu mon premier téléfilm, La Victoire des vaincus,
pour France 3 et le premier film de Jean en tant que
producteur indépendant. Ça se passe dans les années
40, dans un petit village, une histoire vraie où des
enfants veulent libérer leur village. On est en FrancheComté. C’est là que suis né, au cul des vaches, et je
retrouvais mon enfance dans ces romans, un peu dans
l’humeur de La Guerre des boutons.
GR.25.I. : Il y a une belle thématique, celles des enfants
dans la guerre, qui a été aussi déclinée en 2010 par
Jacques Fansten dans La République des enfants.
N.P.D. : Les enfants dans la guerre, c’était le premier
roman. Dans le deuxième tome, on retrouvait les enfants
à la fin de la guerre. Ils avaient grandi et rentraient tous
par des chemins différents dans la Résistance en se
rendant compte que la guerre n’était plus un jeu. J’ai
fait ce film en 2001. Je m’en souviens parfaitement
parce que je tournais le 11 septembre 2001. C’est une
date que personne ne peut oublier ! Ce jour-là, j’étais
dans une grange en Haute-Loire.
GR.25.I. : Les mariées de l’Isle Bourbon. On se souvient.
Tu étais premier assistant, réalisateur deuxième équipe
et un peu médiateur.
N.P.D. : Oui, c’était compliqué par l’ampleur. Tourner
des films d’époque à La Réunion, c’est difficile, même
avec la grande Euzhan aux commandes ! Et après ça,
je me suis dit : « Bon, maintenant, ça suffit, je dois
revenir à la réalisation ! ». France 3 m’a alors proposé
de reprendre SOS 18 en saison 5. C’était une série
que je connaissais bien parce que Dominique (Baron)
m’avait appelé pour faire ses secondes équipes dans
les saisons 1 et 2. C’était très agréable de revenir aux
commandes, même si ces épisodes se tournaient trop
rapidement. 52 minutes en sept jours et demi, sans
heures supplémentaires, à une époque où PJ avait dix
jours en studio ! Avec deux cascades ou catastrophes
par film, une petite et une grosse, il ne fallait pas mollir,
tenir son tournage et avoir de l’inventivité.
GR.25.I. : Après cela est venu Nicolas Le Floch, où ton
rôle a été primordial.
N.P.D. : Primordial, je ne sais pas, mais c’est
heureusement possible d’exercer son métier en
GR.25.I. : Loin des Twin Towers de New York.
N.P.D. : Loin de tout. Je me souviens aussi que mon film
a été diffusé à une autre date clé : la veille du deuxième
tour de 2002, le duel Chirac-Le Pen sans Jospin. Un
premier film marqué par des dates dont on se souvient,
et moi encore plus ! Le film a vraiment bien marché, la
première diffusion France 3 avait fait plus d’audience
que TF1 ! Depuis ils l’ont rediffusé deux fois. Ils étaient
contents, moi aussi et je me suis dit : « Enfin, me voilà
réalisateur ! » Eh bien non ! Après ça, pendant six ans,
je n’ai pas tourné. (rires)
GR.25.I. : La prime au succès !
N.P.D. : Je ne sais pas ce qui s’est passé. Les deux
premières années, j’ai rencontré beaucoup de
producteurs, à qui je disais : « Non, je ne suis pas un
réalisateur qui ne sait faire que des films avec des
www.groupe25images.fr
© Christophe Polin - Drôle de Noël, Lara Guirao, Michaël Cohen
www.groupe25images.fr
© Christophe Polin - Tournage de Drôle de Noël
apportant sa part de création, en trouvant sa place
et en respectant les règles du jeu. C’est de ça que je
veux parler. Mais avant Nicolas Le Floch j’ai fait un film
unitaire, Drôle de Noël. France Télévisions cherchait une
fiction pour Noël, et j’ai proposé un film écrit par Sylvie
Blotnikas. C’était l’adaptation d’une pièce de théâtre,
une comédie dont l’action se situe en lointaine banlieue,
le soir du réveillon de Noël. Plusieurs couples dont on
va suivre les aventures arrivent par le train du soir.
L’histoire dure jusqu’au lendemain matin, où un train
repart vers Paris et les couples qui sont arrivés ne sont
pas forcément les couples qui vont repartir. Il y a des
croisements dans les soirées. Un film avec beaucoup
de rôles ou j’ai eu envie de faire un casting à l’envers.
J’ai rencontré et proposé chaque
rôle à un seul comédien à la fois,
en expliquant à chacun que j’avais
très envie de tourner avec lui et que
si le rôle lui plaisait, il était choisi !
C’est comme ça que j’ai convaincu
Valérie Benguigui, Frédérique Bel,
Grégori Dérangère, Elodie Navarre,
Lara Guirao, Salomé Lelouch, Esther
Gorintin, Julien Rochefort, Michaël
Cohen, Pierre-Loup Rajot, JeanFrançois Garreaud.
Ils avaient tous quatre ou cinq jours,
dans un film choral tourné en vingt
et un. C’est une belle expérience,
mais c’est très lourd, parce que les
comédiens doivent tout donner en
cinq jours, et tu ne peux pas leur dire :
« Cette scène-là, je la tourne vite ! ».
Car chaque séquence est forte.
La Lettre des Réalisateurs n° 30
• 15
…ENTRETIEN AVEC NICOLAS PICARD-DREYFUSS…
pourquoi avait-il enlevé ça, ou pourquoi avait-il gardé
ça. ? Ça me passionnait. Quand on lit le scénario on se
dit : « Mais pourquoi ce personnage fait-il soudain cela ?
Quel était son chemin avant ça. et après ? Et pourquoi
disparaît- il ? » Pour moi, c’est vital de maîtriser les
récits et donc de travailler avec le scénariste.
GR.25.I. : Le premier assistant et le réalisateur
expérimenté que tu es peut donc, dès la première
lecture, savoir où il faut faire des propositions pour que
cela soit tournable ?
© Christophe Polin - Tournage de Drôle de Noël
C’est vraiment cinq histoires différentes et convergentes,
dont tu dois maîtriser l’écriture et la mise en scène.
Je parle de ça par rapport à l’éternel débat sur « Un film
de » et « Un film réalisé par ». Drôle de Noël, c’est « Un
film de », parce que j’en étais à l’origine. Et ce film a
également bien marché.
N.P.D. : Oui ! Tournable et valorisé aussi ! Par exemple,
je me rappelle qu’il y avait, dans un de mes premiers
épisodes, une séquence où Nicolas Le Floch tombait
dans une embuscade et j’ai dit à Pagan : « Mais ce
serait mieux, au lieu qu’il se fasse attaquer par un
seul homme, s’ils étaient plus nombreux. » Alors
Hugues m’a dit : « Oui, moi je veux bien, mais tu
trouves déjà que c’est trop lourd !.. » Je lui ai répondu :
« Oui, mais là, je me débrouille. Sur cette scène-là, tu
m’écris simplement : Nicolas Le Floch combat à un
contre cinq. » Et j’ai ajouté : « Je n’ai pas besoin de
détails. Fais-moi confiance. » C’était Michel Carliez qui
gérait les cascades. Et j’avais la chance d’avoir dans
le rôle principal Jérôme Robart qui, en plus d’être un
formidable comédien, monte très bien à cheval, peut
et veut faire les sauts, les chutes, fait de l’escrime !
Donc c’était un plus ! Et je suis vraiment allé dans ce
sens. En revanche, par rapport aux premiers épisodes
réalisés par Edwin, la demande était de faire quelque
chose de plus lumineux. Edwin avait tourné en hiver,
moi je tournais au printemps, et la production et la
chaîne voulaient un Nicolas Le Floch plus solaire, plus
Fanfan La Tulipe.
GR.25.I. : Très bonne comédie poétique. Pour en revenir
à Nicolas Le Floch.
N.P.D. : J’ai rencontré Jean Labib de Phares et Balises.
Il faisait une « sélection » de réalisateurs. Les deux
premiers épisodes avaient été réalisés par Edwin Bailly.
La première saison avait été tournée en 49 jours, 4
fois 52 minutes que France 2 a fait ensuite regrouper
en deux fois 90 minutes. Il y a eu donc plusieurs
réalisateurs sollicités et puis, assez vite, Jean Labib m’a
dit : « C’est toi ! Tu y vas ! » Quand j’ai repris, on est
passés à quarante-deux jours, soit vingt et un par film
de 90 minutes, toujours sur des adaptations d’Hugues
Pagan. C’était pour moi un lourd défi, parce que c’était
une grosse machine : film d’époque, combats, épées,
cavalerie. Pour le réalisateur, c’est un investissement à
400 % ! Tourner un film d’époque en vingt et un jours,
c’est du sport !
16 •
La Lettre des Réalisateurs n° 30
GR.25.I. : Hugues Pagan était d’accord sur cette
demande ou ça lui était indifférent ?
N.P.D. : C’était son navire amiral, à Pagan ! Ça ne lui
était donc pas indifférent ! Mais on a eu de longues
discussions. Hugues n’est pas forcément quelqu’un de
très solaire dans son univers. Mais il a accepté d’y aller,
et c’était vraiment plaisant ! Je crois qu’il a été très
content de mes deux premiers épisodes.
GR.25.I. : Tu veux dire qu’il l’a fait sous ton impulsion ?
Sans diktat ?
N.P.D. : Oui ! On a eu des vraies conversations et j’ai
passé plusieurs jours chez Hugues à discuter du matin
au soir, et c’était intérréssant de travailler avec lui,
parce qu’il maîtrisait bien son sujet. C’était parfois des
conversations hautes en couleur. On ferraillait bien, il
me disait : « Non, non et non ! ». Et puis le lendemain
matin il me disait « Pour ça, oui, tu n’as peut-être pas
tort, mais pour ça, non ! »
GR.25.I. : Professionnel.
N.P.D. : Assurément. Mais c’est vrai que pour moi,
la pré-production et la préparation, c’est vraiment
le moment où on peut tout se dire, jusqu’au dernier
moment. C’est indispensable.
GR.25.I. : Hugues Pagan est une référence, une
« pointure ». Tu as travaillé avec lui ?
N.P.D. : Oui, bien sûr. Je suis allé très vite chez lui et
on a parlé des scénarios. On a travaillé ensemble sur ce
qu’il était possible de faire, sur ce qui était trop lourd
dans des temps de tournage ramenés à vingt et un
jours. Hugues Pagan avait déjà écrit les premiers et
il maîtrisait tous les ressorts. Dans son adaptation,
© Bernard Barbereau-France 2 Tournage de Nicolas Le Floch, Jérôme Robard
J’ai donc essayé d’emmener Nicolas
Le Floch vers ce côté solaire.
GR.25.I. : Ça suppose d’intervenir très en amont. Sur
les séries, c’est sans doute devenu rare.
N.P.D. : C’est devenu trop rare. Mais est-ce que ça ne l’a
pas toujours été ?
© Bernard Barbereau - France 2 Nicolas Le Floch
www.groupe25images.fr
www.groupe25images.fr
GR.25.I. : La clé du problème, c’est aussi la volonté
commune d’y parvenir, sans doute. Ça rejoint l’interview
de Fred Tellier qui nous avait dit : « Plus le scénariste
est de haut niveau, plus la collaboration avec lui est
fructueuse. Pas forcément facile, mais fructueuse ».
N.P.D. : Oui, bien sûr. On ne tourne jamais qu’une
histoire écrite par un scénariste, et c’est quand même
la base de tout. Nous, on propose des changements.
Autre exemple, Hugues avait écrit une séquence où le roi
était assis devant la cheminée et il y avait quatre pages
de texte avec le roi planté là. Alors quand j’ai tourné
la scène, j’ai fait démarrer le roi dans une salle, puis
descendre les grands escaliers et il a fini par traverser la
moitié du château de Versailles !
GR.25.I. : Et Pagan ne t’a pas collé un procès (rires).
N.P.D. : Non, au contraire ! Il était content. Et c’est pour
ça que c’était assez plaisant. Mais c’est vrai qu’une fois
qu’on a le scénario en main et qu’on donne le premier
« Moteur ! », c’est à nous, réalisateurs, de faire des
choix. Et je peux comprendre que ça peut parfois être
assez violent pour un scénariste.
GR.25.I. : Bien sûr. Parce que tu es amené à modifier
son scénario par ta mise en scène. De même que les
acteurs interprètent les rôles. Nous, on interprète le
texte. Mais sans le trahir.
N.P.D. : Sans le trahir. Pour moi, ces discussions avec les
scénaristes sont essentielles. Je leur dis toujours que ce
qui m’importe, c’est la crédibilité de la situation et des
personnages. Et souvent, dans les premières lectures
avec Hugues Pagan, quand j’intervenais quelque part, il
en tenait compte.
La Lettre des Réalisateurs n° 30
• 17
tournage ! » Je me suis
sauvé ! Je suis parti dans les
rues du Mans et je me suis
dit : « Bon, allez, ne regarde
pas la montagne, tu sais
ce que tu dois faire dans
ta journée, tes séquences,
donc démarre ton premier
plan, et voilà. » Mais ça me
faisait peur ! Et je crois que
ça me fait toujours peur.
L’habitude n’y change rien.
J’ai travaillé avec Patrick
Jamain, qui a dû faire
120 films et épisodes de
séries et qui avait toujours
ses petites angoisses.
Et je me disais : « Mince, si
même lui a peur. »
© Bernard Barbereau-France 2 - Tournage de Nicolas Le Floch
Parce qu’il sait bien que dans son écriture, de temps
en temps, il a omis un petit truc. Et quand tu arrives
et que tu appuies dessus il se dit : « Il m’embête, là,
mais il a raison ! » Pour moi, ces conversations sont
primordiales parce que ça permet d’en savoir plus sur
les personnages et leurs trajectoires. D’où ils viennent
et où ils vont.
GR.25.I. : En même temps, ça suppose que le scénariste
laisse de la place au réalisateur. C’est un bon exemple,
le roi au coin de la cheminée pendant quatre pages !
Que fais-tu si un scénariste te dit : « Non, c’est écrit, il
est au coin de la cheminée et il n’est pas question qu’il
bouge ! »
N.P.D. : Si c’est justifié par des arguments
incontestables, pourquoi pas ? Mais j’ai peut-être eu de
la chance, je ne suis jamais tombé sur un scénariste qui
me dise ça.
GR.25.I. : D’où la nécessité impérieuse de ce dialogue
préalable à la dernière version de tournage. Est-ce qu’il
y avait une direction littéraire sur Nicolas Le Floch ?
N.P.D. : C’était Ariane Gardel qui s’occupait de la
direction littéraire. Et Jean Labib, avec qui je me suis
bien entendu, a vraiment joué son rôle de producteur. Il
y a quelques années, quand j’ai démarré, je me souviens
que Pierre Grimblat disait : « Nous on est producteurs,
il y a un diffuseur, on a choisi un scénariste, on a choisi
le réalisateur, alors laissons-le faire ! Qu’il fasse son
film ! ». Son discours mettait le réalisateur à sa vraie
place. Chez Hamster, j’ai vu beaucoup de réalisateurs
tourner ainsi en confiance, face à leurs responsabilités.
Que ce soit une série ou un film unitaire, c’est le même
engagement, le même travail, la même passion qu’il
nous faut. Je me souviens du premier jour de Nicolas
Le Floch, devant la cathédrale du Mans. Je suis arrivé
très tôt, il y avait déjà 150 figurants, 5 carrosses,
des chevaux et des camions partout et je me suis dit :
« Mais ce n’est pas possible, il doit y avoir un autre
18 •
La Lettre des Réalisateurs n° 30
GR.25.I. : Sur le plan du
dialogue, est-ce qu’on
peut dire que, au même
titre que le scénariste, plus
le producteur a d’envergure, plus il donne de liberté au
réalisateur ?
N.P.D. : Là, j’étais avec un producteur qui faisait vraiment
confiance, comme Pierre Grimblat, comme Jean-Pierre
Guérin. Ce n’était pas évident pour Jean Labib de dire au
début : « C’est Nicolas Picard-Dreyfuss que je veux. »
D’autres réalisateurs, beaucoup plus expérimentés,
avaient été pressentis pour faire la suite. Et il a décidé :
« Ce sera lui. » Il m’a vraiment fait confiance, il m’a
mis en contact avec Pagan, et m’a dit « Voyez-vous,
discutez ! » Il a fait son boulot de producteur. J’ai aussi
ce discours de dire aux productions : « Je vais travailler
avec vous, pas contre vous. On se dit les choses, on
échange. Je sais bien qu’on n’a pas les moyens de Harry
Potter, mais on a quand même de quoi bien faire ».
GR.25.I. : Le réalisateur d’expérience a une bonne
gestion des paramètres contradictoires que sont
argent, temps et création, et il est le mieux placé pour
résoudre ces problèmes de la meilleure façon possible.
Ça surprend beaucoup les gens de cinéma, qui parfois
regardent et apprécient nos films et disent : « Mais
comment vous avez fait pour faire ça en vingt et un
jours ? »
N.P.D. : Oui, et dans mon parcours, quand j’entends un
directeur de production, un régisseur ou un assistant
me dire : « On ne peut pas », je réponds : « Pourquoi
non ? Il faut que tu me dises pourquoi. Parce que si je
te dis qu’on peut, c’est que j’en suis sûr. » Après être
passé par ces postes-là, je sais si c’est possible ou non.
Parfois, sur Nicolas Le Floch, l’assistant me disait :
« Mais comment on va arriver à faire tout ça ? ». Je lui
répondais : « Eh bien, on va faire plusieurs châteaux
dans le même château. Et avec le directeur de photo,
on va anticiper, de manière que, quand j’ai fini un décor,
j’enchaîne sur l’autre. » Et quand je dis : « On fait la
mise en place, et moteur ! », tout est déjà prêt.
www.groupe25images.fr
GR.25.I. : Il est très important de dire que le
réalisateur est le plus à même de trouver les
solutions à un problème donné. Et que de nous exclure
de ce processus en nous disant : « Ça ne vous regarde
pas » est une énorme erreur en termes économiques et
artistiques ! Et c’est très important, ce que tu dis, parce
que c’est au cœur du processus, en télévision.
N.P.D. : Bien sûr ! Et cette participation le plus tôt
possible en amont d’un projet, même sur une série,
c’est vital pour moi. Parce qu’avant même d’entrer en
préparation on a imaginé des choses et on a déjà des
solutions à donner à l’assistant, au directeur de prod, à
la déco. Parce qu’on y a réfléchi.
GR.25.I. : Et puis parce qu’on l’a déjà fait 25 ou 50
fois, comme premier assistant, et surtout comme
réalisateur.
N.P.D. : Exactement. J’ai donc tourné la saison 2 de
Nicolas Le Floch, et pendant les finitions Jean Labib
m’a proposé de faire la saison 3 ! Et me voilà reparti
avec Hugues Pagan. Au final, ça m’a donné trois
années de travail non-stop. Trois ans au XVIIIe siècle,
c’était ultra-plaisant. Mais, au-delà
de tout l’aspect technique dont on
a parlé, et du miracle de réussir
à tourner des films d’époque en
vingt et un jours, il reste pour moi
une chose primordiale : quand on
tourne, on tourne une histoire, d’où
le travail avec les scénaristes, et
puis après, c’est le travail avec les
acteurs. Parce qu’on a beau avoir la
galerie des Glaces de Versailles ou le
château de Chantilly, ce qui reste,
ce sont les acteurs. Le plus plaisant,
le plus excitant, une fois qu’on a
démarré le tournage, c’est de voir
s’incarner les personnages, de les
voir évoluer, d’imaginer plein de
choses avec eux, et de s’amuser. J’ai
fait de belles rencontres d’amitié, et
trois ans, ce n’est pas rien ! On est
un peu dans une bulle, d’ailleurs,
parce que curieusement, sur les
films d’époque, tu n’as pas trop
d’interventions extérieures. Parce
que le tournage leur échappe. La
maîtrise des chevaux, des cascades.
Comment le réalisateur va-t-il faire
pour que deux carrosses, c’està-dire huit chevaux, puissent se
doubler au milieu de la forêt, sur
un chemin étroit ? La gestion des
perruques, des costumes, des
armes à poudre d’époque, etc., tout
ça les dépasse ! Pour tout ça on ne
vient pas t’embêter. Pas besoin de
showrunner ! (rires)
GR.25.I. : C’est pour ça que les
grands showrunners, dans une
économie américaine qui peut
www.groupe25images.fr
…ENTRETIEN AVEC NICOLAS PICARD-DREYFUSS…
les financer, ce qui n’est pas notre cas, sont souvent
des scénaristes, qui ont également réalisé, produit et
pratiqué tous les métiers de terrain.
N.P.D. : Ce n’est pas forcémént la même chose sur
des films contemporains, mais sur Nicolas Le Floch,
une fois qu’ils avaient donné leur accord sur le texte,
j’avais une paix assez royale. Même sur le casting, qui
était insolite, parce que j’avais besoin de comédiens
particuliers. Il y avait une langue d’époque que tous
les comédiens ne pouvaient pas utiliser. Et il y avait
les duels, l’équitation, même si certains acteurs ont dit
qu’ils étaient « Galop 4 » confirmés, alors qu’il étaient à
peine « Tapis de selle 2 ». (rires). Enfin, même si je suis
sorti au bout de trois ans un peu lessivé, ce travail avec
les acteurs était pour moi vraiment un grand plaisir.
Donc après trois saisons et d’un commun accord avec
Jean Labib, j’ai dit que j’arrêtais. C’était bien pour tout
le monde, pour Hugues, mais aussi pour les comédiens,
d’avoir un nouvel interlocuteur, d’avoir une autre vision
de réalisation. C’est Philippe Béranger qui a pris la suite,
et je sais qu’il est aussi allé travailler chez Pagan.
© Bernard Barbereau - France 2 Tournage de Nicolas Le Floch
La Lettre des Réalisateurs n° 30
• 19
GR.25.I. : On trouve tous que c’est une bonne idée.
Les téléspectateurs aussi, semble t-il.
N.P.D. : Et encore plus après avoir tourné avec elle. Elle
à vraiment pris ce rôle a bras-le-corps, elle l’habite, elle
est surprenante ! Sinon, les comédiens principaux ont
été choisis par Christophe Douchand, en accord avec
Carole Le Berre de France 2 et Caroline Lassa.
GR.25.I. : Tu as rencontré Christophe ?
N.P.D. : Je l’ai rencontré sur son tournage, pendant ma
préparation. La série se tournait à Sète, où Christophe
m’a très bien reçu. On a eu des conversations, bien
qu’il soit immergé dans son tournage, à la fin duquel
les comédiens se sont arrêtés quinze jours, avant ma
reprise. Je les avais à peine salués qu’ils sont tous
partis, sans que je puisse faire de lecture avec eux. Et
quand ils sont revenus pour moi : « Bonjour, moteur. »
Mais ils avaient déjà fait avec Christophe une solide
mise en place des personnages. Candice Renoir est
rejetée quand elle débarque dans ce commissariat,
mais à partir de l’épisode 5, son groupe commence à
reconnaître son travail et leurs relations évoluent.
GR.25.I. : Du point de vue faisabilité, comment astu travaillé avec la directrice littéraire, Solen RoyPagenault ?
© Bernard Barbereau-France 2 - Tournage de Nicolas Le Floch
GR.25.I. : C’est un peu notre cheval de bataille au
Groupe 25 images, d’affirmer qu’au sein des séries
le fait de renouveler les réalisateurs tous les 2 ou 4
épisodes, ça régénère et ça stimule. Ce qui n’empêche
pas de revenir plus tard. C’est un réel enrichissement.
Les Américains l’ont bien compris. Dans leurs séries,
tous les 2 ou 4 épisodes, ils changent.
N.P.D. : Oui et quand il y a un showrunner à la française
qui s’agite derrière un combo, à mon avis, tu n’es plus là
que pour régler la circulation des comédiens, pour leur
dire : « Tu avances, je panote et tu sors par la porte. »
GR.25.I. : Tu connais la célèbre réponse d’un puissant
showrunner américain à la question : « Qu’est-ce qu’un
réalisateur ? » « It’s a traffic cop. » Un flic qui règle la
circulation. (rires) Mais encore faut-il que la circulation
existe.
N.P.D. : Heureusement, je n’ai jamais vécu cela.
D’ailleurs, le combo m’énerve. Aujourd’hui, avec
les temps de tournage réduits, il faut souvent deux
caméras et tu es obligé de voir ce qu’il se passe sur les
deux, alors il y a les gros combos à distance derrière
lesquels il y a d’ailleurs toujours trop de monde. Quand
on est derrière des combos éloignés, à « Coupez ! »,
le comédien cherche ton regard, et tu n’es pas là ! Et
même avec un petit combo portatif, cela te rapproche
des caméras, mais ça ne règle pas le problème. Il m’est
arrivé une fois d’avoir un comédien cadré en place
par une caméra, et de lui parler machinalement dans
le combo ! Au bout d’un moment, je me suis rendu
compte que je parlais à l’écran (rires). Là je me suis
dit : « Ce n’est pas possible, cet appareil me rend fou. »
Mais je n’ai pas encore trouvé le bon truc pour gérer
20 •
La Lettre des Réalisateurs n° 30
cette rapidité des tournages à deux caméras et me
débarrasser des combos. Mon premier film, je l’ai fait à
l’ancienne, assis près de la caméra, avec les acteurs, et
ça, c’est la meilleure place.
GR.25.I. : Parlons maintenant de Candice Renoir.
Nouvelle série France Télévisions, gros succès à la
diffusion ! Une réussite. Alors, comment es-tu arrivé
sur la série ?
N.P.D. : Après mes aventures au XVIIIe siècle, j’ai pris
un peu de temps pour moi. Pas mal de producteurs
voulaient me connaître, même s’ils n’avaient pas tous
des choses à me proposer. J’ai ainsi rencontré Caroline
Lassa et j’ai aimé la façon dont elle me parlait de sa future
série Candice Renoir. Elle m’a proposé d’y participer
mais j’avais un autre projet. J’ai quand même lu ce qui
était écrit et j’ai appelé Caroline pour lui dire ce que ce
que j’aimais et comment je trouvais les personnages.
On s’est dit qu’on se reverrait sur d’autres aventures.
Et puis l’autre proposition ne s’est pas faite avec moi.
Et là, Caroline Lassa m’a appris que France Télévisions
lui en avait commandé 4 de plus qu’elle souhaitait me
confier. Comme j’avais aimé notre rencontre, la bible et
les épisodes écrits, j’ai dit oui.
GR.25.I. : Est-ce que le choix de l’actrice principale, la
délicieuse Cécile Bois, a influencé ta décision ? Est-ce
que tu y as participé ?
N.P.D. : La première fois que j’ai rencontré Caroline
Lassa, elle m’avait déjà parlé de Cécile Bois. Et je lui
avais dit : « C’est vraiment une bonne idée. » Je n’avais
jamais travaillé avec elle, mais par son jeu, son rire, son
physique, elle était le personnage, tel qu’on pouvait
l’imaginer.
www.groupe25images.fr
N.P.D. : Je crois qu’au départ il y a eu plusieurs
scénaristes sur cette série. Et puis Solen est arrivée,
amenée par Caroline. C’est elle qui a retravaillé les 4
premiers épisodes. Sur les 4 suivants que j’ai tournés,
il y avait des scénaristes différents sur chaque épisode.
Et Solen a effectivement assuré une direction littéraire
de l’ensemble.
GR.25.I. : Ce qui est légitime dans ce cas.
N.P.D. : J’ai rencontré certains scénaristes, mais c’est
avec elle que j’ai travaillé sur chaque histoire. Quand je
parlais, à propos de Pagan, de cette forme de violence
que peuvent être, pour les scénaristes, certaines de
nos remarques, je crois que Solen
la ressentait. Je comprends leur
souffrance, quand ils lâchent le script
pour le tournage. Je ressens la même
le dernier jour du mixage, quand je me
dis : « C’est fini, je ne peux plus agir
sur rien. »
GR.25.I. : De même que les acteurs
sont amenés à te surprendre, le
réalisateur est amené à surprendre le
scénariste et c’est bien pour le film. Moi,
ça ne m’est pas arrivé souvent, mais
un scénario que j’ai écrit a été tourné
par Philippe Triboit. Evidemment,
je ne l’aurais pas tourné comme ça.
J’étais le propre spectateur d’un truc
qui ne m’appartenait plus. Mais, à la
fin, le film est réussi et tu es surpris :
« Ah ben oui, ah ben non, ah tiens,
il a pris cet acteur ? Pourquoi pas ».
Tu t’es donc intégré rapidement dans
la série ?
www.groupe25images.fr
…ENTRETIEN AVEC NICOLAS PICARD-DREYFUSS…
N.P.D. : Bien sûr ! Que ce soit sur une série ou un
unitaire, j’ai la même implication. Au départ de Candice,
je me disais : « Reculer une voiture de police, ça va être
plus simple que de reculer un carrosse ! » Mais ce n’est
pas le cas. C’est plus rapide, différent, mais pas plus
simple. D’autant que je passais au 52 minutes, alors
que je venais du 90 minutes. Ce ne sont pas les mêmes
rythmes, pas les mêmes découpages. Dans Nicolas
Le Floch, tu as des décors sophistiqués, des scènes
longues, tandis que dans Candice Renoir, tu es dans des
scènes courtes, rythmées, avec des actions parallèles.
Donc c’est assez différent.
GR.25.I. : Comment se sont passées tes relations avec
les acteurs déjà installés ?
N.P.D. : Les premiers jours, les comédiens reviennent
après quinze jours de repos, ils ont changé de
réalisateur, tu ne les as pas choisis, ils sont sur une
série, on tourne vite et sur les premières scènes, c’est
normal, ils viennent un peu vers toi pour savoir qui tu
es, ce que tu veux. Alors je leur disais : « Vas-y, joue et
après on discutera ! » Je leur ai vraiment lâché la bride,
et je me suis beaucoup amusé avec eux. Avec Cécile et
« la bande », ça a vraiment été un grand plaisir humain
et artistique. C’est plus sur la technique qu’on a eu des
discussions serrées, par exemple sur le changement de
chef-opérateur.
GR.25.I. : Tu veux dire que vous avez changé de chefopérateur au milieu ?
N.P.D. : Oui, entre Christophe Douchand et moi. On m’a
alors objecté qu’il fallait une continuité, et j’ai répondu :
« Mais, vous changez bien de réalisateur ? C’est quand
même énorme par rapport au chef-opérateur ! » On
tourne dans un commissariat et on sait bien que le
nouveau chef-opérateur ne va pas jouer à faire scintiller
une boule à facettes au plafond !
GR.25.I. : Tu as eu raison de te battre là-dessus.
© Fabien Malot - Tournage de Candice Renoir
La Lettre des Réalisateurs n° 30
• 21
à ces fameux showrunners, a un
œil perpétuellement novateur. Il
apporte sa créativité et son énergie
au service du regard du futur
spectateur.
GR.25.I. : Est-ce que tu attaches
une grande importance au son, qui
est souvent le parent pauvre aussi
bien sur le plateau qu’en période de
finitions ? Parce qu’ils essaient de
réduire les temps de mixage, que
les chef-monteurs s’arrêtent avant
la fin, etc.
© Fabien Malot - Tournage de Candice Renoir
N.P.D. : Pierre Milon, avec qui j’ai travaillé, a rencontré
l’autre chef-op, ils ont discuté. Pierre a proposé d’autres
façons d’éclairer le commissariat, sans modifier
l’artistique, il avait d’autres techniques, d’autres
solutions. Et comme j’ai déjà travaillé avec Pierre, il sait
ce que je veux.
GR.25.I. : Et à la fin, les épisodes sont très cohérents
entre eux, comme sur Engrenages où on a toujours
changé de chef-op. Sur les séries américaines, les
réalisateurs et les chef-ops changent souvent. Et bien
malin celui qui saurait dire : « C’est lui qui a fait ça. »
N.P.D. : Sur les premières séries que j’ai suivies chez
Hamster, que ce soit Navarro ou L’Instit, ça changeait
sans cesse de réalisateur, de chef-opérateur, et d’une
partie de l’équipe.
GR.25.I. : Sur la série US Elementary (voir page 10), le
scénariste et le réalisateur changent à chaque épisode.
C’est un enrichissement pour la série. Et on ne devrait
pas à avoir à se battre pour ça.
N.P.D. : C’est vrai. Quand j’arrive, moi réalisateur,
sur une série comme Candice Renoir, j’y mets toute
mon énergie, toute mon expérience, j’arrive pour six
mois avec mes exigences et pour certaines personnes
timorées, je suis le gars qui va mettre le coup de pied
dans la fourmilière. Ils se disent « Mais de quel droit
demande-t-il ça, lui qui vient d’arriver ? » Mais on pose
des questions parce qu’on a notre expérience.
GR.25.I. : Oui, c’est-à-dire qu’on est dans la projection
de ce que va être le film terminé et on est donc le premier
regard du spectateur. Et quand on arrive sur un projet
dont on n’a pas participé à l’écriture, on est les seuls à
avoir la capacité de voir déjà les images terminées.
N.P.D. : Exactement, et je fais toujours attention à ma
première lecture, parce que c’est celle du spectateur.
Après, quand on travaille avec la scripte, le chef déco,
les costumes, on a lu cinquante fois le scénario,
avant de dire : « Moteur ! » C’est pour ça que le
réalisateur, par rapport au diffuseur, à la production,
22 •
La Lettre des Réalisateurs n° 30
N.P.D. : Bien sûr que le son est
essentiel. Quand tu as fait cinq ans
de post-production, tu le sais. Sur
Candice Renoir, c’est la première
fois que je n’ai pas mon ingénieur
du son habituel et c’est assez
dérangeant.
GR.25.I. : Et on sait qu’à deux caméras ce n’est pas
facile et ça va très vite.
N.P.D. : Ce n’est pas simple. Tu es un peu large sur
une caméra et serré sur l’autre et tu vois ton ingénieur
du son qui commence à transpirer. Deux caméras, deux
perchman, et parfois un gros bazar ! Il faut anticiper,
dès la préparatioN les moyens nécessaires et tenter
de laisser du temps au son. J’y fais très attention
et si l’ingénieur du son me dit qu’il a un souci, je ne
discute même pas, je refais une prise, c’est moins long
que la discussion. Et aujourd’hui, au-delà du talent,
les moyens techniques récents sont étonnants. Sur
Nicolas Le Floch, j’ai travaillé avec mon fidèle Yvan
Daquet, et je n’ai eu qu’une journée de post-synchro
avec les comédiens, sur deux fois 100 minutes de
film d’époque, dans le foutoir sonore de Paris et de
la région parisienne. Chapeau ! Donc quand Yvan me
dit : « Nicolas, on refait ? » Je refais. J’aime beaucoup
le son et je vais toujours voir les monteurs son, pour
discuter avec eux. Film d’époque ou non, j’aime faire
vivre l’extérieur et ne pas avoir un son réduit au décor.
Même si on est à l’intérieur du commissariat, j’essaie
d’avoir une vie à l’extérieur, pour donner plus de largeur.
J’aime quand il y a des surprises, quand c’est riche. Le
son est primordial, autant que l’image.
bonne, qui n’est pas encore prête parce qu’on
bataille pour son financement. Ce ne sont que
des maquettes. Alors que, quand j’étais à la postproduction d’Hamster, chaque réalisateur montrait son
film brut de décoffrage, ou sa copie de travail sans rien.
Aujourd'hui on te demande presque que la maquette
provisoire soit déjà un film terminé.
GR.25.I. : C’est ce que contestaient récemment
les monteurs et les compositeurs de musique à
une conférence à laquelle participait le Groupe 25
Images. Les monteurs regrettaient beaucoup de devoir
obligatoirement mettre des musiques provisoires, qui
sont hélas mémorisées et qui gâchent, ou pourrissent
parfois, le travail futur du compositeur.
N.P.D. : Moi, maintenant, je refuse. Si tu mets
provisoirement un morceau des Beatles, et qu’à la fin
on t’impose un morceau de Charlie Oleg, là c’est la
mort ! Après, ta séquence, tu ne peux plus jamais la
voir.
GR.25.I. : Oui, c’est exactement ce qu’ils disaient à ce
colloque. Et c’est terrible.
N.P.D. : Bien sûr, dans le cas de séries, au bout d’un
moment, tu disposes d’un portefeuille de musiques que
tu maîtrises. Elles sont en grande partie récurrentes
et à ta disposition pour les visionnages. Mais je suis
perplexe. Je ne sais pas pourquoi on accepte presque
tous ces maquettes musicales factices pour rassurer
les diffuseurs. Je pense qu’il faudrait revenir aux
présentations sans musique. Ou alors disposer des
compositions presque définitives. Ce qui veut dire
anticiper et financer suffisamment la musique. Et à
propos du montage, autre inquiétude : sur Candice
Renoir, c’est la première fois de ma vie professionnelle
que les monteurs, à la fin du montage image, me
disent au revoir. Pour moi, c’était très bizarre, cette
fois-ci, qu’ils ne soient pas là jusqu’à la fin. Tu n’arrêtes
pas de parler de tout avec eux pendant le montage, on
est obligés de monter très vite, et quand tu leur dis :
« Tiens, au bruitage il faudrait
faire ci ! », ils te répondent : « Mais
je ne serai pas là au bruitage »,
« Ah zut ! ». « Et au mixage ? »
« Non plus ! »
GR.25.I. : Et sur Candice Renoir ?
GR.25.I. : C’est désespérant,
parce que c’est pour économiser
une semaine ou deux de salaire !
Mais qu’est-ce qu’une semaine de
salaire d’un chef-monteur qui est
la mémoire du film, sur un budget
de 2 ou 4 millions d’euros ? Une
goutte d’eau ! Et on voit l’évolution
des génériques. Le chef monteur
a été rétrogradé monteur, et
maintenant monteur image.
N.P.D. : J’ai travaillé avec Vincent Stora, qui avait été
proposé par Christophe Douchand. Aujourd’hui, quand
on montre nos films à la chaîne, au premier bout-àbout ou au premier montage, on nous demande très
souvent de mettre de la musique, mais hélas pas la
N.P.D. : Et le réalisateur se retrouve
tout seul en post-synchro, au
bruitage. Sur Candice je ne suis
passé qu'au bruitage des épisodes
7 et 8, parce qu’il avait lieu en
GR.25.I. : Et la musique ?
N.P.D. : Les musiciens, c’est pareil, c’est essentiel. Il y
en a un que j’adore, Patrick Sigwalt, avec qui j’ai fait un
film unitaire, et j’ai aussi travaillé avec Marc Perrone,
avec Stéphane Moucha qui faisait tous les Nicolas Le
Floch. Ce sont des collaborateurs artistiques de haut
niveau, qu’il faut avoir avec soi en amont.
www.groupe25images.fr
www.groupe25images.fr
…ENTRETIEN AVEC NICOLAS PICARD-DREYFUSS…
même temps que le mixage des épisodes 5 et 6. Et là,
on me demande : « Comment il s’appelle, celui-là ? C’est
quoi son rôle ? » Ils avaient déjà bruité deux épisodes
sans pouvoir comprendre les personnages ! Pas de
chef-monteur pour les renseigner. Mais comment
faire ? Quand j’ai vu le planning post-prod de Candice,
j’ai dit à la responsable de Telfrance : « Mais dis donc, je
dois être au bruitage, à l’étalonnage et en post-synchro
la même semaine ? Comment je fais ? Parce que moi,
je ne peux pas être partout à la fois ! » Avant le chefmonteur était là pour nous seconder.
GR.25.I. : C’est délibéré de programmer ainsi les postprods. Pour livrer plus vite ?
N.P.D. : Sur Candice, j’ai terminé le tournage trois
mois avant la diffusion. C’était court ! Et pour avoir
fait beaucoup de post-prod, je peux comprendre
l’urgence du timing quand il n’y a pas le choix. Mais le
danger, pour nous, c’est de ne pouvoir être partout et
finalement d’être nulle part, si on ne peut plus déléguer.
Heureusement, le chef-opérateur est à l’étalonnage.
Donc, le soir, après ta journée de synchro ou de mixage,
tu y vas. Mais fatigué, tu n’es pas dans les meilleures
conditions de travail.
GR.25.I. : Il y a aussi ceux qui enchaînent les tournages.
Mais c’est un autre problème. Si un réalisateur veut
bien faire son job, au-delà de 2 fois 90 minutes par an,
ce n’est pas possible.
N.P.D. : Oui, hélas, je connais quelques réalisateurs
boulimiques, qui nous ont emmenés là où on en est
aujourd’hui. Mais les problèmes d’équipes techniques,
de temps de tournage, de temps de post-production
font partie de notre métier, surtout quand tu acceptes
de travailler sur une série. Quand j’ai rejoint Candice
Renoir, on m’a fait visionner une série US, Life, qui se
passe à Los Angeles, au soleil. Et comme on tournait
dans le sud, à Sète, on me l’a montrée pour ça.
© Fabien Malot - Candice Renoir, Grégori Derangère
La Lettre des Réalisateurs n° 30
• 23
Mais j’ai surtout retenu le bonus du DVD, avec les
commentaires du réalisateur, des acteurs principaux
et du producteur. Ils expliquent : « On a tourné le
premier épisode, 52 minutes, on l’a monté, mixé, mis
en musique, puis on l’a projeté à 500 personnes d’un
public choisi, et on l’a présenté à d’autres producteurs. »
pourrie de sortie AVID ! Ils détestent et la chaîne décide
que la série ne marchera pas ! Alors que Duo était une
série de comédie policière qui avait un vrai potentiel !
Résultat, ils l’ont « destockée » à minuit. Voilà, ça c’est
une étude à la française !
Haute Tension à 22 h 30, vous allez vous retrouver avec
des budgets très faibles. ». Et nous, déjà réalisateurs
de miracles budgétaires, ayant les idées et l’expérience
pour arriver à réduire les coûts, on va être obligés de
trouver comment les réduire encore plus.
N.P.D. : Mais on en est souvent là. J’en
ai parlé avec plein de réalisateurs et de
monteurs.
GR.25.I. : Sauf si l’écriture se fait en fonction. Les
exemples de collections tardives à succès ne manquent
pas ! Cinéma 16, V comme vengeance sur France
3, Caméra de chambre de l’INA, avec un lieu unique,
Les Petites Caméras d’Arte. La collection, pour nous,
c’est un regret. C’est une garantie de continuité
parce qu’il y a une thématique globale forte, avec des
histoires et des personnages différents. Les grandes
collections d’Hamster dont on a parlé l’ont prouvé.
Mais ils ne veulent plus en entendre parler ! « Ça ne
marchera pas ! Les collections, c’est dangereux, c’est
segmentant. » Le fameux mot qu’on entend partout.
GR.25.I. : Ça frise la téléréalité. Parlons
d’avenir. Que veux-tu faire maintenant ?
N.P.D. : Continuer à prendre du plaisir,
que ça soit sur des films personnels ou sur
des séries. Continuer à faire mon métier
de réalisateur. C’est-à-dire avoir des choix,
avoir des discussions artistiques avec
une production, des scénaristes, un chef
décorateur, une costumière, sentir cette
énergie formidable, au milieu des gens qui
s’impliquent et qui vont t’aider à raconter
ton histoire. Alors, peu importe si c’est la
tienne ou non. Même si tu sors toujours
lessivé d’un tournage, au bout d’un
moment sans plateau, sans ton équipe
et tes comédiens, tu te dis : « Aïe, il y a
quelque chose qui me manque ! » Cela doit
être très dur pour ceux qui ne tournent plus
du tout. Les unitaires me manquent aussi.
Moi qui ai connu la période des Collections
Hamster, Haute Tension, Sentiments,
Série noire, Série Rose, L’Ami Maupassant,
Les Mercredis de la vie de Prune Berge, sur
France 2. Tout ça manque aujourd’hui.
Je rencontre beaucoup de réalisateurs,
de scénaristes, qui ont de belles histoires
qui plairaient au public. Et le principe de
ces collections te garantissait toujours de
découvrir une histoire.
GR.25.I. : Il y a des bibliothèques entières
qui sont inexploitées, ou bradées !
© Fabien Malot - Candice Renoir, Cécile Bois
Et après les résultats du test, ils ont retourné plus de
la moitié du premier épisode ! Puis ils ont remonté,
remixé, et ce premier épisode a coûté en fin de compte
le prix de deux 52 minutes ! C’était du sérieux ! À la
fin, tout le monde était d’accord : « Allez, on lance la
série ! » Alors quand j’entends en France : « On va le
faire à l’américaine », un début de sourire me vient.
GR.25.I. : On peut faire beaucoup plus fort chez nous :
par exemple, un diffuseur montre à 15 spectateurs
inconditionnels de série américaine, deux épisodes de
la série Duo. Mais non mixé, sans musique, en image
24 •
La Lettre des Réalisateurs n° 30
N.P.D. : J’ai vu dernièrement le film
d’Olivier Langlois, Les Pirogues des hautes
terres, et Mon ami Pierrot, d’Orso Miret,
hélas bradés le samedi à 22 h 30. Mais
ils sont passés, ils existent ! Le problème
vient des choix des programmateurs. Ce
sont des gens qui évitent le contact avec
nous, réalisateurs. On essaie de faire nos films le mieux
possible, avec le plus d’envie, mais dès la fin du mixage,
le film nous échappe totalement. Les bandes-annonces
sont plutôt souvent bien faites, mais on ne peut surtout
pas discuter de la programmation.
GR.25.I. : Il y a des « goûteurs » qui choisissent. Sontils compétents ? Grande question.
N.P.D. : Alors est-ce que le fait d’être diffusé à 22 h 30,
c’est bien ou non ? Est-ce que c’est dommage pour
nos films ? C’est une conversation que pourrait avoir
le Groupe 25 Images avec les diffuseurs. Mais c’est sûr
qu’ils vont nous dire : « Si on installe une collection
www.groupe25images.fr
N.P.D. : Ils croient que les téléspectateurs ne s’attachent
qu’à un personnage récurrent, mais je ne suis pas sûr.
Ils s’attachent plus aux histoires. Je pense sincèrement
que le public est assez curieux et initié pour aller voir
autre chose, si on le lui propose. « Non, ça ne marchera
pas. » L’éternel refrain. Mais s’ils n’essaient pas, alors,
on ne saura jamais si ça plaît !
GR.25.I. : Dans une interview, tu as déclaré : « J’aime
travailler sérieusement, mais dans le plaisir. » Ça peut
être une bonne conclusion.
N.P.D. : Jamais dans la douleur, non, non ! Pour
moi justement, que ce soit avec la prod ou d’autres
personnes, le conflit nuit au projet. L’énervement est
néfaste.
GR.25.I. : C’est une énergie gaspillée qui ne se se
reporte pas ailleurs. Alain Resnais a dit récemment :
« Si vous saviez le temps que j’ai gagné sur la vie en
gardant mon calme. »
N.P.D. : On est là pour raconter des histoires, on n’a pas
les mêmes responsabilités que Barack Obama. It’s just
a movie ! Si tu te retrouves dans les conditions de séries
comme celles que j’ai connues sur Nicolas Le Floch ou
Candice Renoir, tout va bien ! Ce que je voudrais redire
pour conclure, c’est que sur ces séries, j’ai eu la chance
d’avoir des producteurs qui ont tenu leur place. C’est-àdire qui ont eu confiance en moi, m’ont laissé travailler,
et sont intervenus à bon escient, que ce soit dans mes
rapports avec la chaîne ou avec les scénaristes. Quand
chacun est à sa place et fait son métier avec envie et
passion, tout fonctionne. Mais quand d’un seul coup,
l’un veut prendre la place de l’autre ou le contrôler, ça ne
marche plus. Parce qu’on arrive au conflit.
…ENTRETIEN AVEC NICOLAS PICARD-DREYFUS
GR.25.I. : Oui mais comme tu l’as dit tout à l’heure, les
producteurs qui ont une vraie passion de la fiction ne
t’embêtent pas de cette façon-là.
N.P.D. : Oui, c’est une culture et une expérience.
GR.25.I. : Ce qui manque aujourd’hui, ce sont des
gens qui ont une vraie connaissance de leur métier et
des nôtres. Il y en a peu qui maîtrisent l’ensemble du
processus de fabrication d’un film. Avec en plus une
hauteur de vue suffisante.
N.P.D. : Absolument. Et le bon producteur qui a géré son
projet, série ou non, depuis deux ou trois ans, quand il
choisit son réalisateur, il lui accorde sa confiance. C’est
pour ça que je ne travaille pas contre, mais avec, et
que nous ne nous cachons rien, ni sur le budget, ni sur
l’artistique. Je sais aussi que les producteurs ont besoin
de faire vivre leur société, pour financer des projets.
À partir du moment où on te dit honnêtement : « Le
budget, c’est celui-là », tu fais tout pour le respecter.
En revanche si tu découvres qu’il y a tromperie, alors là
tu as le droit de dire : « Vous vous fichez de moi quand
même un peu ! » L’important est que les choses se
disent, même si ça n’est pas toujours avec un grand
sourire.
GR.25.I. : Tout cela rejoint un de nos grands entretiens
du Groupe 25 images, où Jean-Pierre Guérin nous
disait : « J’ai toujours travaillé en équipe parce que je
trouve que nos métiers sont faits pour ça et ne peuvent
s’en passer. Personne ne doit représenter à lui seul la
voix des autres ou se l’accaparer. Ma conviction s’est
encore renforcée aux Ateliers Fiction de La Rochelle, où
des Scandinaves et des Anglo-Saxons nous ont expliqué
que, chez eux, personne ne marche sur les platesbandes des autres. C’est-à-dire que le producteur fait
son boulot de producteur, le scénariste son boulot
d’écriture, le réalisateur, son boulot de mise en scène,
la chaîne, son boulot de diffusion, et tout le monde
est très content. Ça donne des films et des séries qui
marchent bien, puisqu’ils se vendent partout ! »
Voilà, tout est dit. Ça renforce ce que disait Pierre
Grimblat en son temps et ça confirme ce que nous
défendons tous. C’est une digne conclusion à tout ce
dont on a parlé, Nicolas.
Entretien réalisé à Paris le 25 avril 2013
MIAA www.miaa.fr
Le Mouvement d’Intermittents d’Aide aux Autres fonctionne toute l'année
et compte sur vous (Dons, maraudes, aide en cuisine)
CONTACT : [email protected]
www.groupe25images.fr
La Lettre des Réalisateurs n° 30
• 25