Les Misérables - biblio
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Les Misérables Victor Hugo Livret pédagogique correspondant au livre élève n° 28 établi par Charlotte Lerouge, agrégée de Lettres classiques, ancienne élève de l’École Normale Supérieure Sommaire – 2 SOMMAIRE A V A N T - P RO P O S ............................................................................................ 3 T A B L E DES CO R P U S ........................................................................................ 4 R ÉP O NSES A U X Q U EST I O NS ................................................................................ 5 Bilan de première lecture (p. 293).................................................................................................................................................................. 5 Chapitre VIII « L’onde et l’ombre » (pp. 55 à 57) ........................................................................................................................................... 6 ◆ Lecture analytique du chapitre VIII (pp. 83 et 84) ..................................................................................................................... 6 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 85 à 91) ................................................................................................................. 7 Chapitre X « Suite du succès » (pp. 99 à 102)............................................................................................................................................... 11 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 123 et 124) ...................................................................................................................... 11 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 125 à 130)........................................................................................................... 13 Chapitre V « La petite toute seule » (pp. 149 à 151).................................................................................................................................... 16 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 185 et 186) ...................................................................................................................... 16 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 187 à 191)........................................................................................................... 18 Chapitre III « Effet de printemps » (pp. 199 et 200)..................................................................................................................................... 22 ◆ Lecture analytique du chapitre III (pp. 206 et 207) ................................................................................................................. 22 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 208 à 212)........................................................................................................... 23 Chapitre XV « Gavroche dehors » (pp. 244 à 248)........................................................................................................................................ 27 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 250 et 251) ...................................................................................................................... 27 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 252 à 257)........................................................................................................... 28 Chapitre V « Nuit derrière laquelle il y a le jour » (pp. 269 à 282)............................................................................................................... 32 ◆ Lecture analytique du chapitre V (pp. 285 à 287).................................................................................................................... 32 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 288 à 292)........................................................................................................... 34 C O M P L ÉM ENT S A U X L ECTU RES D ’ I M A GES ................................................................ Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2004. 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15. www.hachette-education.com 38 Avant-propos – 3 AVANT-PROPOS Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…). Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Le roman Les Misérables, en l’occurrence, permet de travailler sur deux grands mouvements littéraires du XIXe siècle, le romantisme et le réalisme, tout en étudiant les procédés mis en place par l’auteur pour entraîner la conviction chez son lecteur. Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois : – motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ; – vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture. Cette double perspective a présidé aux choix suivants : • Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine compréhension. • Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe, notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus. • En fin d’ouvrage, le « dossier Bibliolycée » propose des études synthétiques et des tableaux qui donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte… • Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc), il comprend : – un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre ; – des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder en classe à une correction du questionnaire, ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte ; – des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire. Ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse des textes (et éventuellement de lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires. Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion. Table des corpus – 4 TABLE DES CORPUS Corpus Dénoncer l’injustice (p. 85) Peindre la misère (p. 125) L’enfance maltraitée (p. 187) Le récit de rencontre (p. 208) Le XIXe siècle et l’agitation révolutionnaire (p. 252) Faire mourir son personnage principal (p. 288) Composition du corpus Texte A : Chapitre VIII « L’onde et l’ombre » des Misérables de Victor Hugo (pp. 55-57). Texte B : Extrait de Claude Gueux de Victor Hugo (pp. 85-86). Texte C : Extrait du chapitre 12 de la quatrième partie des Mystères de Paris d’Eugène Sue (pp. 87-88). Document D : Lithographie de Daumier (pp. 88-89). Texte A : Extrait du chapitre X « Suite du succès » des Misérables de Victor Hugo (p. 99, l. 2 249 à p. 102, l. 2 335). Texte B : Extrait du chapitre V des Aventures d’Oliver Twist de Charles Dickens (pp. 125-126). Texte C : Extrait du chapitre X de L’Assommoir d’Émile Zola (pp. 126-127). Document D : Le Locataire de Théophile Alexandre Steinlen (p. 128). Texte A : Extrait du chapitre V « La petite toute seule » des Misérables de Victor Hugo (p. 149, l. 455 à p. 151, l. 517). Texte B : Extrait du chapitre X de L’Assommoir d’Émile Zola (pp. 187-188). Texte C : Extrait du chapitre I de L’Enfant de Jules Vallès (pp. 189-190). Texte A : Extrait du chapitre III « Effet de printemps » des Misérables de Victor Hugo (p. 199, l. 190 à p. 200, l. 208). Texte B : Extrait du chapitre VI du Rouge et le Noir de Stendhal (pp. 208-210). Texte C : Extrait de la première partie de L’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert (pp. 210-211). Texte A : Extrait du chapitre XV « Gavroche dehors » des Misérables de Victor Hugo (p. 244, l. 22 à p. 248, l. 108). Document B : La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix (pp. 252-253). Texte C : Extrait du Souvenirs de 1848 de Maxime Du Camp (pp. 254-255). Texte D : Extrait du chapitre XI – Juin de L’Année terrible de Victor Hugo (pp. 255-256). Texte A : Chapitre V « Nuit derrière laquelle il y a le jour » des Misérables de Victor Hugo (p. 279, l. 716 à p. 282, l. 796). Texte B : Extrait du Père Goriot d’Honoré de Balzac (pp. 288-290). Texte C : Extrait de la troisième partie de Madame Bovary de Gustave Flaubert (pp. 290-291). Objet(s) d’étude et niveau Démontrer, convaincre et argumenter (Seconde) Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques Question préliminaire Pourquoi les personnages des textes du corpus inspirent-ils la pitié ? Commentaire Comment Hugo procède-t-il pour que le lecteur s’identifie à Jean Valjean ? Un mouvement littéraire et culturel du XIXe siècle (Seconde) Question préliminaire Quelles sont les conséquences de la misère dans les documents du corpus ? Commentaire Quelles sont les étapes de la dégradation de Fantine ? Démontrer, convaincre et persuader (Seconde) Question préliminaire Comment connaît-on les sentiments des enfants des textes du corpus ? Commentaire Y a-t-il du surnaturel dans ce texte ? Le récit : le roman ou la nouvelle (Seconde) Question préliminaire Pourquoi chacun des textes du corpus est-il comique ? Commentaire Le personnage est-il conscient de ce qui lui arrive ? Un mouvement littéraire et culturel du XIXe siècle (Seconde) Question préliminaire En quoi consiste l’héroïsme des enfants des documents du corpus ? Commentaire Quelle stature prend le personnage de Gavroche à travers ce texte ? Le récit : le roman ou la nouvelle (Seconde) Question préliminaire Les personnages des textes du corpus meurent-ils dans la sérénité ? Commentaire La mort de Jean Valjean a-t-elle pour effet de faire comprendre son passé à Cosette ? Les Misérables – 5 R É P O N S E S A U X B i l a n d e Q U E S T I O N S p r e m i è r e l e c t u r e ( p . 2 9 3 ) Jean Valjean vient du bagne de Toulon. " Personne ne veut l’accueillir car il a un passeport jaune de bagnard libéré. # Mgr Myriel accepte de l’héberger. Cette rencontre change sa vie car elle lui permet d’accéder au Bien. $ Sous le nom de Monsieur Madeleine. % Fantine se retrouve à Montreuil-sur-Mer car c’est sa ville natale et qu’elle doit y chercher du travail, contrainte de quitter Paris par l’abandon de son amant. Dans les premiers temps de son installation, elle travaille. & Le secret de Fantine est qu’elle est fille mère. ' Fantine est couturière à domicile après avoir été chassée de l’usine. ( Elle est contrainte à se prostituer car la couture paie trop peu et que les Thénardier lui soutirent de l’argent pour Cosette. ) M. Madeleine assiste à la scène où un bourgeois glisse de la neige dans le corsage de Fantine ; il lui évite la prison (Fantine s’est battue contre le bourgeois) et la fait soigner. *+ Il lui promet d’aller chercher sa fille. *, Jean Valjean va chercher Cosette le 24 décembre. Il la rencontre dans la forêt. *- Cosette, à l’époque, vit chez les Thénardier. *. Elle est éduquée dans le couvent où Jean Valjean se cache. */ Jean Valjean et Cosette doivent se cacher car Javert les poursuit toujours et veut renvoyer Jean Valjean au bagne. *0 Cosette et Marius se rencontrent au jardin du Luxembourg. Marius est un jeune étudiant, fils d’un général d’Empire, élevé par un grand-père royaliste avec qui il est en rupture. *1 Gavroche est un fils des Thénardier, qui l’ont abandonné. *2 Jean Valjean est désespéré lorsqu’il comprend que Cosette aime Marius car il devine que cela signifie qu’elle va le quitter. *3 Marius, Gavroche et Jean Valjean se retrouvent sur la barricade. *4 Marius est sauvé par Jean Valjean qui le transporte sur son dos dans l’égout parisien et le ramène chez son grand-père. 5+ Jean Valjean est très malheureux après le mariage de Cosette car il est seul. ! Réponses aux questions – 6 C h a p i t r e V I I I « L ’ o n d e e t l ’ o m b r e » ( p p . 5 5 à 5 7 ) ◆ Lecture analytique du chapitre VIII (pp. 83 et 84) Le passage du temps est nettement marqué dans l’extrait. Au début du texte, dans le paragraphe 4, il est fait référence au « soleil » (l. 1 279) dont le naufragé, sur le bateau, avait sa part : sa chute a donc eu lieu en pleine journée. Victor Hugo évoque ensuite, ligne 1 301, « les lividités des nuages » : le soleil ne brille plus, ce qui indique au lecteur qu’un long moment s’est déjà écoulé. On apprend plus loin que « la nuit descend » (l. 1 310) et enfin que le naufragé est entouré par « l’obscurité » et « la brume » (l. 1 321), et que pour lui les « étoiles » sont « inutiles » (l. 1 327). La nuit est donc tombée – Victor Hugo évoque d’ailleurs, à la ligne 1 335, la « nuit sociale ». " Le naufragé, dans un premier temps, lutte contre les flots déchaînés ; il comprend ensuite qu’il ne peut se sortir seul de cette situation (l. 1 310-1 314) et implore Dieu et les éléments de venir à son aide. Il abandonne le combat lorsqu’il se rend compte que personne dans l’univers ne peut le secourir (l. 1 319-1 320). La mention du navire structure le récit car le naufragé garde les yeux attachés sur lui : au début, il pousse des cris en direction du navire qui s’éloigne ; le navire ensuite n’est plus qu’« à peine visible dans les pâles ténèbres de l’horizon » (l. 1 298-1 299) ; enfin, il « s’est effacé » (l. 1 312). Le navire symbolisant la présence humaine, le désespoir du naufragé s’accroît à mesure que le navire s’éloigne. # L’auteur indique que le naufragé perd sa qualité d’être humain dès qu’il est tombé dans l’eau en montrant qu’il se confond rapidement avec les éléments : « il sent qu’il devient abîme, il fait partie de l’écume » (l. 1 289-1 290). $ Hugo indique d’abord que l’univers dans lequel se trouve le naufragé est étranger à l’humain en employant l’adjectif « monstrueuse » (l. 1 282) : le monstre est, par nature, inhumain. Il explique ensuite que le naufragé entend des bruits « étrangers à l’homme qui semblent venir d’au-delà de la terre » (l. 1 303-1 304). L’usage des pronoms démonstratifs est également significatif : pour parler des oiseaux, élément non humain, mais familier à l’humain, Hugo utilise le pronom « cela » (l. 1 307). Ce pronom fait des oiseaux des choses, il les « dépersonnalise » totalement. De la même façon, ligne 1 318, « l’étendue, la vague, l’algue, l’écueil », qu’implore le naufragé, sont repris sous le pronom « cela », qui les confond en une seule entité abstraite : le naufragé cherchait à donner à ces éléments des sentiments humains en les implorant, l’usage de ce pronom montre d’emblée l’inutilité de ses appels. % On ne peut pas dire qu’il y ait du suspense dans ce passage car on sait rapidement que le naufragé n’a aucune chance de remonter sur le bateau : dès la deuxième ligne, Hugo signale que le bateau doit continuer sa route et qu’il ne s’arrêtera pas. Le paragraphe 4 se termine sur une phrase qui laisse peu d’équivoque : « il a glissé, il est tombé, c’est fini » (l. 1 280-1 281). Le texte doit donc être lu comme le récit d’une mort annoncée dès le début. & Les phrases décrivant les efforts du naufragé sont longues et constituées d’une juxtaposition de phrases simples séparées par des virgules : voir l. 1 270-1 274, l. 1 282-1 293 et l. 1 321-1 330 (abandon du naufragé aux flots). Ces phrases, par leur longueur et leur aspect heurté, évoquent d’abord le roulis de la mer, qui ballotte le naufragé à son gré. En revanche, les courtes phrases qui les constituent miment les gestes frénétiques et désespérés du naufragé, qui se débat comme un poisson pris dans un filet. Ces phrases font ressentir au lecteur les efforts que fournit le naufragé, comme si luimême vivait la situation. ' Les éléments naturels sont décrits du point de vue du naufragé. Cette description n’est pas réaliste mais marquée par l’horreur et presque par le fantastique : les vagues deviennent une populace en furie, les végétations tentent de l’attirer vers le fond… Le paysage, en outre, semble animé par une hostilité envers le naufragé : celui-ci prête des sentiments aux éléments, ce qui enlève à la description tout caractère réaliste. Nous nous trouvons face à une description subjective. ( Les phrases interrogatives et exclamatives, dans la majeure partie du texte, servent à rendre compte des pensées et des paroles du naufragé. Leur usage donne un aspect vivant au texte ; elles facilitent également l’identification entre le lecteur et le naufragé, dont on suit les mouvements intérieurs. À la fin du texte, les phrases exclamatives et la phrase interrogative finale servent, cette fois, à exprimer la pensée de l’auteur. Hugo, par une série d’exclamations, se lamente devant l’atrocité de la condition ! Les Misérables – 7 des condamnés ; à la fin du texte, il s’adresse directement au lecteur à travers une question qui ne peut que rester sans réponse. ) Le lecteur est supérieur au naufragé car il sait que ce dernier n’a aucune chance de s’en sortir. La conséquence en est l’aspect pathétique du texte : les efforts du naufragé n’ont pas de chance d’aboutir, ce qui les rend poignants pour le lecteur. *+ Le va-et-vient entre la description de la nature et celle du naufragé fait apparaître l’immense disproportion qui existe entre eux. Là encore, la disproportion donne au texte un aspect pathétique et inspire la pitié du lecteur. *, Le navire représente la société humaine qui « avance » : ceux qui sont sur le navire sont ceux qui réussissent à « suivre le mouvement ». *- La mer est identifiée à la « nuit sociale » (l. 1 335), c’est-à-dire à cette forme de société hostile et meurtrière dans laquelle on tombe lorsqu’on n’est pas parvenu à rester sur le bateau de la « bonne » société. Pour faire naître cette identification, Victor Hugo emploie le procédé de la personnification : lignes 1 282 à 1 293, il utilise un vocabulaire lié à l’humain (« haillons », « populace »), prête à la mer des actions et des sentiments humains (elle « crache » sur lui, les flots « s’acharne[nt] » à le noyer, « joue[nt] » avec lui ; l’océan est qualifié de « lâche » ; la mer est prise de « démence »…). Cette personnification n’est pas incompatible avec l’aspect inhumain de la mer (voir question 4) : la « nuit sociale » (l. 1 335) est tout simplement inhumaine. *. Victor Hugo, dans un premier temps, résout sa longue métaphore par une série d’exclamations qui donnent à son propos l’aspect d’une lamentation (voir question 8). Ce n’est que dans les deux dernières phrases qu’il explicite clairement les termes de la métaphore du naufragé, comme on résout une énigme (« la mer, c’est… », formule répétée deux fois). Son propos est alors démonstratif, presque pédagogique ; plus qu’une lamentation, il évoque maintenant un discours qui rappelle ceux que pouvait prononcer l’auteur devant les députés de son temps. Les deux registres, celui de l’émotion et celui de la conviction rationnelle, ont le même but : convaincre le lecteur. */ La métaphore se raccroche à l’histoire de Jean Valjean dans la mesure où l’histoire de celui-ci, pour le moment, est l’histoire d’une chute (c’est d’ailleurs le titre du livre dans lequel il apparaît pour la première fois) : Jean Valjean, après être tombé du bateau (il a volé et a été condamné au bagne), s’est enfoncé de plus en plus dans les ténèbres en devenant haineux et mauvais ; lorsqu’il sort du bagne, rejeté par tous, il ne semble avoir aucune chance de remonter à la surface et de retrouver le bateau. *0 La métaphore, située à cet endroit du récit, suggère fortement l’idée que Jean Valjean est condamné à tout jamais. L’intervention de Mgr Myriel et la transformation de Jean Valjean n’en apparaîtront que plus miraculeuses. La métaphore permet également à Victor Hugo de s’éloigner du cas particulier de Jean Valjean pour donner à l’histoire de ce dernier une dimension universelle et exemplaire. Le roman est ainsi l’occasion, pour l’auteur, de développer les conceptions qu’il cherche à faire accepter à son lecteur. ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 85 à 91) Examen des textes et de l’image ! Le pronom nous désigne d’abord l’auteur (nous de majesté). Ensuite, il représente les membres de la société humaine privilégiée, parmi lesquels l’auteur s’inclut lui-même et inclut ses lecteurs. " Victor Hugo associe le lecteur à son propos en lui signifiant d’abord, par l’usage du pronom nous, qu’il fait partie du même groupe que lui, et qu’il a donc, comme lui, des responsabilités face aux plus pauvres. Il s’adresse également à lui de manière directe, en lui posant des questions et en lui donnant des ordres (« réfléchissez »). # Le discours fictif s’adresse aux membres de la Chambre des députés. Il montre que Victor Hugo veut faire de son récit un réquisitoire contre le système pénitenciaire de son époque : par l’écriture comme par la politique, l’auteur cherche à transformer la société dans laquelle il vit. $ C’est le point de vue de l’avocat du notaire, ou en tout cas de ceux qui cherchent à le défendre. % L’ironie du texte apparaît dans le fait que l’auteur fait semblant d’adhérer au point de vue de la société de son époque, pour mieux en faire apparaître l’absurdité. Réponses aux questions – 8 Le contraste social entre le juge et le voleur s’exprime par leur apparence physique : robe et coiffe pour le juge, habit misérable et tête nue pour le pauvre. La chevelure du pauvre, en outre, est hirsute, et il porte une barbe mal taillée, alors que le juge est bien rasé et porte des favoris, selon la mode de l’époque. Le juge porte des lunettes, ce qui est un signe de richesse. Enfin, son visage est bien rempli, il a un « double menton » alors que le pauvre a le visage émacié. ' Outre son apparence physique (cheveux hirsutes, habits très usés), le pauvre de Daumier évoque et annonce le personnage de Jean Valjean tel qu’il se présente au début des Misérables par l’expression farouche et même haineuse qu’il porte sur le visage. Cet homme semble prêt à bondir sur le juge. De même Jean Valjean, au sortir du bagne, est plein de haine pour tous les hommes et se considère comme victime d’une injustice. & Travaux d’écriture Question préliminaire Hugo, Sue et Daumier, pour convaincre leur lecteur, font appel à sa pitié. Dans le texte tiré des Misérables, le pathétique naît de l’horreur de la situation dans laquelle se trouve le naufragé et de l’inutilité des efforts qu’il fournit, voués à l’échec puisqu’il n’a aucune chance de survie. Dans Claude Gueux : référence, dans le discours fictif, au fait que le peuple a faim et froid. Dans l’extrait d’Eugène Sue : peinture de la jeune fille innocente et pure qui est poussée à la honte et l’infortune. Chez Daumier enfin, la pitié provient du spectacle d’un pauvre bougre, qui a volé parce qu’il avait faim, qui apparaît encadré par un policier sévère et un juge totalement incompréhensif, et dont on devine qu’il va terminer en prison. Les auteurs mettent également en place des stratégies destinées à établir une complicité entre eux et leurs lecteurs : dans ses deux textes, Victor Hugo pose ainsi des questions au lecteur et l’interpelle directement. Hugo par ailleurs, dans Claude Gueux, fait usage du pronom nous, montrant qu’il appartient au même groupe que le lecteur. Chez Eugène Sue et Honoré Daumier, c’est l’ironie qui est un moyen d’établir une connivence entre l’auteur et le lecteur/spectateur. En riant, le lecteur montre qu’il est conscient, comme Eugène Sue, de l’absurdité de la société dans laquelle il vit, et qu’il regarde la société avec les mêmes yeux que lui. De même, Daumier, en faisant rire le spectateur, le pousse à s’identifier au pauvre, plutôt qu’au juge, et à reconnaître l’absurdité de la phrase que prononce ce dernier. Commentaire Le commentaire doit faire ressortir l’idée que, dans ce texte conclusif, Victor Hugo montre quelle était son intention en racontant l’histoire de Claude Gueux : mettre devant les yeux du lecteur les grandes questions que pose cette histoire, le faire réfléchir sur ces questions, et le faire aboutir aux conclusions qui sont les siennes. On peut adopter le plan suivant : 1. Une conclusion en forme de morale A. L’aspect récapitulatif du texte Dans ce texte qui se présente d’emblée comme la conclusion du récit, Victor Hugo récapitule rapidement l’histoire qu’il vient de raconter : – un homme bien né, bien doué ; – il finit par voler ; – une fois en prison, il tue. Récapitulatif qui fait ressortir la simplicité de l’histoire : quelques lignes suffisent. Cette simplicité donne à l’histoire de Claude Gueux l’aspect d’une fable : il faut donc en tirer la morale. B. La « morale » de l’histoire L’aspect conclusif du texte apparaît également à travers le fait que l’auteur y tire la morale de l’histoire qu’il a racontée. • Dès le début du texte, l’auteur exprime l’idée que l’histoire de Claude Gueux permet d’aborder les grandes questions du XIXe siècle : comme dans la fable, l’histoire particulière est donc l’occasion de soulever des problèmes bien plus importants. Les Misérables – 9 • La morale qu’il tire lui-même de son histoire apparaît à travers le récapitulatif qui, contrairement aux apparences, n’est pas neutre : si Claude Gueux vole, c’est que « la société est […] mal faite » ; s’il tue, c’est que « la prison est […] mal faite ». Victor Hugo fait donc passer les idées que lui inspire son récit, et dont il entend convaincre le lecteur. Dans ce contexte, la question « est-ce lui ? est-ce nous ? » est plutôt rhétorique… 2. Un texte qui doit déboucher sur de l’action Le rôle de l’auteur Dans sa conclusion, l’auteur montre qu’il entend donner à son récit un aspect efficace. Réflexion sur le but que s’attribue l’auteur : changer le monde dans lequel il vit. A. L’aspect prédictif L’auteur dans cette conclusion indique qu’il connaît l’avenir et qu’à travers son récit, il a cherché à le faire entrevoir au lecteur : cf. image du mage romantique. L’auteur se donne comme mission d’éclairer ses contemporains. Il ne s’arrête pas là cependant : il les pousse à prendre les décisions capables de transformer cet avenir et cherche donc à peser sur l’avenir. B. Récit et discours politique L’insertion d’un discours politique dans la conclusion montre que cette dernière a la même fonction qu’un discours : convaincre et faire agir. Pour parvenir à ses fins cependant l’auteur/orateur doit mettre en place toute une série de stratégies, visant à convaincre le lecteur. 3. Les stratégies mises en place pour convaincre le lecteur A. La complicité avec le lecteur Cf. usage du nous englobant auteur et lecteur dans le même groupe. B. Émouvoir et faire peur • Prédire l’avenir a aussi pour fonction de faire peur au lecteur. • Le discours fictif utilise le registre du pathétique, de la pitié – qui tranche avec le ton rationnel de tout le reste du texte. C. Le rôle actif du lecteur Victor Hugo enfin donne au lecteur un rôle actif : il entend lui faire tirer lui-même la morale de l’histoire. Voir question directe (« que lui a-t-il manqué ? »), adresse (« réfléchissez »). Aspect pédagogique du récit : après avoir raconté au lecteur une histoire, l’auteur le guide vers les conclusions qu’elle permet de tirer. Aspect logique, rationnel du texte (même si l’auteur est loin d’être neutre et influence le raisonnement : voir partie sur le récapitulatif !), qui donne aux conclusions l’aspect d’une vérité irréfutable. Le lecteur, étant arrivé aux conclusions par sa propre réflexion, est d’autant plus convaincu de leur véracité. Dissertation On peut adopter la démarche suivante : 1. L’inutilité du roman A. Le « romanesque » Il peut paraître surprenant de se demander si la fonction du roman est d’être utile alors que dans le langage courant, l’adjectif « romanesque », tiré du mot « roman », sert à qualifier une situation ou un récit très éloignés de la réalité. Effectivement, une des fonctions du roman est de distraire, de procurer de l’agrément au lecteur en l’éloignant de ses préoccupations quotidiennes. Cf., aux origines du roman, le roman grec ; au XIXe siècle, les romans de la « Bibliothèque bleue » : littérature romanesque populaire, très diffusée, qui raconte des histoires d’amour. De même, les romans d’aventure (exemple : Dumas), qui ne poursuivent aucun but utile ! B. Réalisme et inutilité Par ailleurs, le réalisme, courant important au XIXe siècle, n’est pas synonyme d’utilité. Réponses aux questions – 10 Balzac peint de façon réaliste et détaillée la société de son époque, mais ne cherche pas à faire œuvre utile ; Flaubert, qui décrit de façon très réaliste les paysans normands, ne cherche en rien à être utile. Il ausculte la misère (voir Un cœur simple) mais ne cherche pas à la résoudre. C. Le roman psychologique Roman français marqué par l’analyse psychologique : voir La Princesse de Clèves. Très grand réalisme psychologique, aucune utilité sociale. Voir aussi Flaubert, et Proust. Le roman est la forme qui permet le mieux d’explorer le psychisme humain ou de pratiquer l’introspection. Donc, par bien des aspects, le roman français s’écarte complètement de la recherche de l’utilité en matière sociale. Pourtant, le roman est également la forme qu’ont privilégiée les écrivains engagés, ceux qui cherchaient à transformer la société. 2. Le roman utilisé comme vecteur de transformation de la société A. Dénoncer une réalité à travers le roman De nombreux romanciers ont adopté la forme romanesque pour dénoncer une réalité de leur époque. C’est la cas des Misérables : les personnages ne sont pas l’objet d’une analyse psychologique, ils sont avant tout des types servant à décrire et à dénoncer une certaine réalité. Exemple : Gavroche, type du gamin de Paris. Voir aussi Zola, dans Germinal ou L’Assommoir. Dans les deux cas, les romanciers sont engagés en politique : ils accompagnent leur engagement littéraire d’une réelle implication dans les problèmes de leur époque. Pourquoi, cependant, ont-ils choisi la forme romanesque ? B. Utilité et agrément Le roman, qui est avant tout un récit, permet d’abord de faire passer ses idées d’une manière agréable. Ne pas négliger cette dimension ! Lire un roman est plus agréable qu’écouter un discours, et également beaucoup plus accessible. Victor Hugo, dans Les Misérables, ne néglige aucune des possibilités qu’offre la forme qu’il a choisie, maintenant son lecteur en haleine par toute une série de rebondissements qui l’accrochent à l’histoire, ce qui ne serait pas le cas s’il écrivait un ouvrage théorique sur la misère en France. Voir aussi, avant lui, Les Mystères de Paris : roman-feuilleton qui a passionné les lecteurs du Journal des Débats pendant toute une année, et était donc un bon moyen de faire passer les idées de l’auteur en matière sociale ! C. Le roman : un genre très ouvert Ce qui fait également la valeur de la forme romanesque, c’est son aspect multiforme. Un roman peut avoir les sujets les plus variés, faire intervenir des personnages de tous les milieux et leur faire parler tous les langages : cf. usage de l’argot dans Les Misérables. Le roman est la forme qui permet le mieux de peindre le monde tel qu’il existe car c’est un genre qui présente très peu de contraintes. Conclusion Il est impossible d’affirmer que la fonction du roman est d’être utile. Il est vrai, néanmoins, que le roman a été la forme d’expression privilégiée de ceux qui cherchaient à transformer leur société et donc à être utile. Cela s’explique par les ressources qu’il offre en matière littéraire. Il n’en reste pas moins qu’un auteur qui ne cherche qu’à être utile et n’utilise la forme romanesque que comme un prétexte pour faire passer ses idées ne peut écrire un roman réussi : le roman, pour être efficace, ne doit surtout pas négliger… le romanesque. Écriture d’invention On attirera l’attention sur le fait que le discours de l’avocat prend place dans un cadre judiciaire et s’adresse à des jurés : il doit donc être prononcé dans un langage soutenu, et mettre en place des stratégies de conviction. L’élève peut reprendre les arguments utilisés par Rodolphe dans l’extrait étudié, en les développant. Il peut également répéter les arguments de l’ennemi, pour en faire ressortir l’absurdité. Les Misérables – 11 C h a p i t r e X « S u i t e d u s u c c è s » ( p p . 9 9 à 1 0 2 ) ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 123 et 124) La venue de l’hiver renforce la pauvreté des ouvrières qui, comme Fantine, travaillent chez elles, car, les jours étant courts, elles ne peuvent travailler aussi longtemps qu’en été : il leur faudrait pour cela user de la bougie, ce qui coûte cher. En outre, comme il fait froid, soit elles se chauffent et s’appauvrissent, soit elles ne se chauffent pas, ce qui renforce la sensation de misère. " La déchéance physique de Fantine se marque d’abord par le fait qu’elle attente à sa beauté : elle accepte de se faire couper les cheveux. Elle parvient cependant encore à être jolie grâce à des bonnets ; à la fin du texte pourtant, on comprend qu’elle va se faire arracher les deux dents de devant, ce que, pour le coup, elle ne pourra pas cacher. Notre texte n’est donc que le début de la longue déchéance qui s’annonce. Fantine, en outre, est malade et elle tousse : nous comprenons également que ces signes ne vont faire que s’aggraver. Enfin, Fantine donne son corps à un homme qu’elle n’aime pas, signe qu’elle ne le respecte plus, et se fait battre, acceptant de subir une atteinte à son intégrité physique. Ces points annoncent également le futur et la prostitution de Fantine dans des conditions abominables. # Fantine, qui au départ avait, comme Jean Valjean, une bonne nature, s’estime, comme lui, victime d’une injustice, lorsqu’elle voit ce qui lui arrive (sur Jean Valjean, voir I, 2, 8, ch. « Le dedans du désespoir ») ; elle conçoit alors de la haine pour la société. Cette évolution, cependant, n’est pas le fruit d’une réflexion comme chez Jean Valjean. Fantine n’accuse pas la société de son époque et ne construit pas un système ; sa haine s’applique au monde qui l’entoure : les ouvrières de l’atelier et surtout le patron, M. Madeleine. $ Le vocabulaire lié à l’obscurité apparaît d’abord, au début du texte, pour décrire l’hiver : « point de lumière », « soir », « brouillard, crépuscule, la fenêtre est grise, on n’y voit pas clair. Le ciel est un soupirail. Toute la journée est une cave » (l. 2 250-2 252). Cette identification entre l’hiver et l’obscurité marque le point de vue des pauvres : pour eux, qui ne peuvent utiliser la lumière artificielle et qui habitent des logements bas de plafond et mal éclairés naturellement, l’hiver équivaut bien à une longue nuit. Le vocabulaire lié à l’obscurité apparaît également pour décrire l’évolution de la situation de Fantine : « tout devenait sombre autour d’elle » (l. 2 292). Il est associé à l’idée de chute (« plus elle descendait… », l. 2 292). Il y a donc une correspondance entre les conditions « climatiques » (l’hiver) et la dégradation de Fantine, décrite métaphoriquement comme une descente dans les ténèbres (la nuit sociale). Enfin, le vocabulaire de l’obscurité sert à qualifier l’évolution intérieure de Fantine : « travail ténébreux » (l. 2 277). On peut parler de « nuit morale ». Fantine s’enfonce dans trois nuits : la nuit de l’hiver, la nuit sociale, la nuit morale. Du côté de la lumière, on trouve les cheveux de Fantine (« ses admirables cheveux blonds », l. 2 264) et Cosette (« ce doux petit ange rayonnait dans le fond de son âme », l. 2 293). % Ces différentes personnes sont : les Thénardier, qui lui réclament de l’argent ; le barbier, qui lui coupe les cheveux ; son amant, qui la bat et qu’elle dégoûte ; le bateleur dentiste, qui lui propose de lui acheter ses dents ; la vieille édentée, qui l’envie de pouvoir vendre ses dents. Ces rencontres sont toutes désagréables et accélèrent sa chute. De la même façon, Victor Hugo dit au sujet de Jean Valjean : « Les hommes ne l’avaient touché que pour le meurtrir. Tout contact avec eux avait été un coup » (I, 2, 8). & Fantine rit d’abord lorsqu’elle passe devant la fabrique : ce rire lui sert à fanfaronner devant les ouvriers ; il est faux. Fantine rit ensuite lorsqu’elle pense à Cosette : ce rire est un rire de plaisir mais il ne survient que lorsque Fantine se réfugie dans son imagination ; il ressemble à du délire, d’autant qu’il est associé à la mention de la toux et des sueurs. Fantine « rit aux éclats » (l. 2 302) en recevant la lettre des Thénardier, puis rit dans la rue car ce rire est un rire de désespoir car devant l’absurdité de la demande des Thénardier, Fantine ne peut que rire. Il ressemble à de la folie. Enfin, Fantine rit, comme les autres, devant le bateleur dentiste. C’est un rire franc, normal, mais qui lui amène de la souffrance : il permet au dentiste de repérer ses dents. Dans le texte, le rire n’est donc jamais associé à la joie : en deux occurrences, il est un signe de douleur ; en une occurrence, il est lié à une joie imaginaire et paraît être un signe de délire ; en une occurrence, il la condamne à avoir les dents arrachées. ! Réponses aux questions – 12 Le lecteur sait que les lettres des Thénardier sont des mensonges et qu’ils maltraitent Cosette. Cette connaissance rend le martyre de Fantine plus pathétique encore car il est inutile. Le passage est celui dans lequel apparaît le contraste entre le sacrifice des cheveux de Fantine et l’absence de changement dans la situation de Cosette, exprimée brièvement par Victor Hugo : « La pauvre Alouette continua de frissonner » (l. 2 272-2 273). ( On pourrait qualifier l’histoire de Fantine de tragique (voir la définition de « tragique » dans le lexique). ) Les paroles de la vieille ouvrière semblent prophétiques. Fantine ne les entend pas, ce qui augmente encore la différence entre ce que sait le lecteur et ce qu’ignore Fantine. Le lecteur sait que Fantine n’a aucun espoir de s’en sortir. *+ La rencontre avec le bateleur dentiste offre un aspect cauchemardesque, d’abord, à cause de l’étrangeté du personnage : sa voiture est « bizarre » (l. 2 315), il est « vêtu de rouge » (l. 2 316), il parle une langue mélangeant différents langages et que Fantine ne comprend pas, lorsqu’il s’adresse à elle. C’est une sorte d’apparition pour elle : elle le rencontre par hasard et met quelque temps à comprendre qui il est. De plus, cet homme apparaît lié à la magie : il vend « des opiats, des poudres, des élixirs » (l. 2 318). Ces deux éléments donnent d’emblée un tour inquiétant au nouveau personnage. Par ailleurs, comme dans un cauchemar, les éléments s’enchaînent sans que le personnage puisse les contrôler : Fantine, qui est dans une situation désespérée, sort de chez elle sans intention précise (on ne sait où elle a l’intention de se rendre et il est probable qu’elle ne le sait pas elle-même). Elle tombe sur cet étrange personnage ; il la repère dans une foule compacte et, comme s’il savait qu’elle avait justement besoin d’argent, lui fait une horrible proposition, correspondant exactement à la somme dont a besoin la jeune femme. La voix de l’homme enfin, la poursuit alors qu’elle s’enfuit et elle ne peut s’empêcher de l’entendre. L’homme apparaît comme un instrument maléfique du destin, survenu juste au moment où elle « devait » le rencontrer et reparti sitôt sa mission accomplie (c’est un forain et on se doute qu’il repartira comme il est venu). *, La vieille édentée ressemble à une sorcière de contes pour enfants. *- La réaction de Fantine montre qu’elle n’est pas encore arrivée au point de désespoir où elle peut trouver naturel de vendre ses dents. Le fait qu’elle le fasse quelques lignes plus bas apparaîtra d’autant plus poignant. La réaction de la vieille est comique car, édentée, elle trouve que c’est une chance de pouvoir vendre ses dents… Elle est également tragique, car il est dramatique de considérer que c’est une chance de pouvoir vendre ses dents. *. Les lettres des Thénardier montrent que les enfants pauvres étaient mal vêtus – thème que l’on retrouvera souvent dans Les Misérables – et qu’ils étaient menacés par des maladies mortelles : cela explique la très forte mortalité infantile de cette époque. */ Fantine est en contact avec les Thénardier, qui lui soutirent de l’argent parce qu’eux-mêmes en ont constamment besoin ; l’homme auquel elle se donne est « mendiant », « oisif et gueux » (l. 2 289). Elle a pour voisine une vieille femme dont on sait, par les chapitres précédents, qu’elle vit elle aussi dans la misère. Enfin, alors qu’elle est rejetée par les ouvriers, Fantine est acceptée par une foule constituée essentiellement de « canaille » (l. 2 320). Le fait que le dentiste lui offre de lui acheter ses dents montre qu’il est habitué à profiter de la misère des gens et donc qu’il œuvre dans le monde des misérables. En vendant ses dents, Fantine apparaît comme une misérable parmi beaucoup d’autres. *0 La lettre des Thénardier est écrite dans un français oral, incorrect du point de vue syntaxique ; les paroles qu’adresse Fantine à sa vieille voisine, à une personne qu’elle rencontre dans la rue, puis au dentiste, sont prononcées dans une langue populaire ; la vieille édentée parle également une langue populaire. *1 En donnant ce niveau de langue à Fantine, Victor Hugo montre qu’elle fait partie du monde des misérables : le langage, dans Les Misérables, est très important pour déterminer le niveau social des personnages. Fantine apparaît ainsi comme un personnage réaliste, ancrée dans une réalité, et pas seulement comme un archétype de la mère martyre. ' Les Misérables – 13 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 125 à 130) Examen des textes et de l’image ! Charles Dickens annonce par certains signes la pauvreté de l’appartement que va découvrir Oliver Twist : la porte de l’immeuble est grand ouverte, il n’y a pas de lumière dans le couloir et l’entrepreneur, à cause de l’obscurité, se heurte à la porte de l’appartement. L’auteur fait également naître une attente chez le lecteur qui est impatient de découvrir l’appartement : le chemin pour arriver à la porte est assez long à parcourir, et l’on se demande quel type de logement vont trouver Oliver et son maître. " L’appartement est décrit du point de vue extérieur de quelqu’un qui y entrerait pour la première fois. La description se fait en deux temps. On distingue d’abord trois groupes : un homme et une vieille femme blottis auprès d’un poêle froid ; des enfants dans un coin ; une forme recouverte d’une couverture. L’auteur ne précise pas le nombre d’enfants, mais décrit seulement leur habillement : les enfants, dans cette description, ne sont pas individualisés mais désignés uniquement comme pauvres. L’auteur n’explique pas non plus, de prime abord, ce qu’est la forme mystérieuse : ce n’est que par la suite, en passant par le personnage d’Oliver, qu’il explique qu’il s’agit d’un cadavre. L’auteur, dans un second temps, offre une description plus précise des deux personnages principaux de la scène, la vieille femme et l’homme. Pour rendre plus évocatrice sa description, il passe, une fois de plus, par le regard d’Oliver, qui ne peut s’empêcher de voir une ressemblance entre ces personnages et les rats qui l’ont effrayé sur le chemin. # Les objets inanimés personnifiés sont : le mois de décembre (« ce gredin de décembre », qui entre par-dessous la porte et apporte tous les maux) ; le poêle, avec sa « mine lugubre » ; la neige, qui prépare un lit pour les malheureux avec des draps blancs ; le terme, qui « vid[e] le buffet et le poêle ». Ces personnifications ont pour effet de faire apparaître les éléments naturels et les choses comme hostiles et ligués entre eux pour faire souffrir les Coupeau. Toute la nature et tous les objets conspirent à leur nuire. $ C’est le fait que, la seconde année, les Coupeau ne puissent même plus se chauffer. % Tout le passage est écrit dans une langue familière, parfois comique. Les exemples sont nombreux : les hivers les « nettoyaient » ; les « danses devant le buffet » ; « ce qui leur cassait les jambes, ce qui les exterminait » ; « pas un radis à la maison » ; le « père Boche » ; « ses grandes pattes » ; « la fin des fins, la vie impossible » ; « faire huit jours au coin de la rue Belhomme ». Ce niveau de langage montre que le texte est écrit, en grande partie, du point de vue des Coupeau, et non d’un point de vue extérieur : il s’agit, en de nombreux passages, de style indirect libre. Les deux dernières phrases ressemblent à des ragots, à des informations glanées dans l’immeuble. L’ensemble donne au passage un effet de réel très saisissant. & Le jeu des regards est important dans le tableau, et les expressions des personnages sont variées. Ainsi, la mère, le petit enfant que le père tient dans ses bras, et l’enfant qui se tient debout regardent vers le spectateur du tableau. Ils ne sourient pas, leur expression au contraire est douloureuse : ils semblent prendre à témoin le spectateur de leur misère et presque l’accuser, dans leur silence. La mère, légèrement courbée, paraît écrasée sous le fardeau de sa pauvreté. Le père, dont l’expression est également empreinte de douleur, regarde, lui, dans le vague, comme si, honteux, il n’osait pas regarder le spectateur. Il a l’air résigné. L’enfant assis semble regarder ses parents, mais son expression n’est pas, comme celle des autres membres de sa famille, douloureuse : elle semble au contraire pleine de colère ; l’enfant paraît furieux de constater la situation dans laquelle se trouve sa famille. Le bébé enfin, celui que l’enfant debout porte dans ses bras, regarde son frère, assis par terre, avec une sorte de crainte. Le tableau illustre ainsi différentes attitudes possibles face à la misère : accablement, honte, résignation, colère. ' Les signes permettant d’identifier une famille pauvre sont nombreux. D’emblée, on constate que la famille est nombreuse (quatre enfants), réalité beaucoup plus répandue dans les milieux populaires que dans les couches élevées de la population. Le père porte une casquette, ce qui indique qu’il s’agit d’un ouvrier. Les enfants sont vêtus de tristes blouses noires et leurs cheveux sont mal peignés ; leur sexe n’est d’ailleurs pas clairement défini. La famille, enfin, a l’air d’être entassée dans un espace restreint. Réponses aux questions – 14 Travaux d’écriture Question préliminaire La peinture de la misère est rendue réaliste, dans les trois textes et dans le tableau, par l’attention aux détails dont témoignent les auteurs. Hugo explique ainsi qu’en hiver, le manque de lumière est gênant pour les pauvres, car ils ne peuvent se payer de la bougie en quantité suffisante ; Fantine doit même lire sa lettre à la lumière de la lucarne, dans l’escalier. Dickens signale que l’homme et la vieille femme sont installés autour du poêle, bien qu’il ne chauffe pas, détail poignant. Zola marque la différence entre la première et la seconde année en insistant sur le fait que, la seconde année, les Coupeau ne se chauffent plus, ce qui marque son intérêt pour les détails de la misère. L’expression des personnages, leur costume, leur coiffure (voir celle des enfants), dans le tableau de Steinlen, permettent également au spectateur, par leur réalisme, d’identifier immédiatement une famille pauvre Hugo, Zola et Steinlen ancrent fortement leurs personnages dans le monde ouvrier, marquant une réelle connaissance de ce dernier. Fantine souffre de l’hiver parce qu’elle est couturière et a besoin de lumière. Zola explique que les ateliers ferment en hiver, ce qui provoque du chômage chez les ouvriers. Le père de famille que représente Steinlen est coiffé d’une casquette, ce qui est typique des ouvriers. C’est un type de misère bien précis que connaissent les personnages des Misérables, de L’Assommoir ou des peintures de Steinlen : la misère des ouvriers, dans un environnement urbain. Le fait de faire parler Fantine dans un langage populaire, ou, chez Zola, d’utiliser la langue des pauvres pour décrire leur misère, sont enfin des éléments qui situent les personnages dans le monde des misérables. Commentaire On pourra s’inspirer du plan suivant : I. Une description réaliste de la misère 1. Une misère ouvrière et urbaine Zola dans le texte ancre la misère des Coupeau dans une réalité bien précise : – chômage des ateliers : on est bien dans le monde ouvrier ; – le maçon a volé son patron : monde ouvrier ; – les Coupeau vivent dans un immeuble peuplé de locataires pauvres : univers urbain ; – ils ont peur de dormir dans la rue : univers urbain ; – une femme se prostitue : la prostitution féminine apparaît dans les romans du XIXe siècle comme un des fléaux de la misère urbaine, voir aussi Les Misérables ! 2. Zola, documentariste Zola marque une grande attention aux détails « domestiques » – qui peuvent apparaître vulgaires à ses détracteurs. Il s’est beaucoup documenté sur l’univers qu’il décrit et marque avec lui une réelle familiarité : – détail du poêle qui ne chauffe plus la seconde année : cette attention au poêle, très concrète, marque un souci de vérité ; – attention portée au terme de janvier : idem, on ne sait pas, si l’on n’est pas pauvre, que le terme de janvier constitue une hantise ; – grande insistance sur le froid, évoqué par un réseau lexical très riche : on ressent en lisant le texte le froid dont souffrent les Coupeau. II. L’originalité du texte : le point de vue des personnages Zola s’efface en grande partie dans le texte pour laisser les personnages décrire leur propre misère. 1. La langue du peuple Nombreuses expressions populaires, certains passages en discours indirect libre : le peuple exprime luimême sa misère. Effet de réel très saisissant qui ôte à la scène tout caractère conventionnel (comparer avec les descriptions d’intérieur misérable dans Les Mystères de Paris ou dans Les Aventures d’Oliver Twist). Ce langage a été beaucoup reproché à Zola mais, pour lui, c’était très important : voir préface : « La forme seule a effaré. On s’est fâché contre les mots. […] N’importe, personne n’a entrevu que ma volonté était de faire un travail purement philologique, que je crois d’un vif intérêt historique et social ». Les Misérables – 15 2. Une vision du monde particulière • Nombreuses personnifications dans le texte (voir question 4) : vision d’un monde où humains, choses et éléments naturels se liguent contre la famille Coupeau (d’ailleurs, Zola dit plus loin que les Coupeau étaient responsables de leur chute mais qu’ils accusaient la malchance et le bon Dieu). • M. Marescot n’a comme caractéristique que d’être vêtu d’un bon manteau et de gants (contrairement à eux) et ne parle que « d’expulsion ». Ce personnage n’existe que par rapport aux Coupeau. III. La présence du narrateur Le narrateur cependant n’est pas absent, bien qu’il s’efface ; il cherche, à travers son texte, à dénoncer : 1. Le porte-parole du « pauvre monde » À la fin : extension du propos à toute la maison, et à tout le « pauvre monde ». Vision « d’en haut », qui vient plus de Zola que des Coupeau. Jugement dernier, écrasement du pauvre monde : images très fortes et qui sortent du cadre strict de la « cambuse » des Coupeau. 2. Une société inégalitaire M. Marescot symbolise l’injustice de la société. Sa venue paraît révoltante dans ce contexte. Les Coupeau vivent au jour le jour, sans aucune prise de conscience politique. Zola cherche à faire réagir le lecteur, qui ressemble probablement davantage à M. Marescot qu’aux Coupeau. Faux effacement. Dissertation On pourra adopter le plan suivant : I. Le roman, forme privilégiée du réalisme Au XIXe siècle, de nombreux auteurs recherchent le réalisme. La forme qu’ils adoptent de façon privilégiée pour traduire leurs ambitions est le roman : forme ouverte, qui peut accueillir des intrigues et des univers bien différents. Les romanciers n’ont cependant pas tous le même but. 1. Se faire l’historien de son époque • Certains veulent se faire « l’historien » de la société de leur époque, ou d’une catégorie bien particulière de cette société : voir Balzac et Flaubert. Leur but est de refléter le plus fidèlement possible le monde qui les entoure, de « promener un miroir » (l’expression est de Stendhal dans Le Rouge et le Noir). • Importance pour ces romanciers de la description, à laquelle le roman offre un cadre privilégié : ancrage de l’intrigue dans un cadre précis et aisément vérifiable (description balzacienne ; nombreuse documentation réunie par Flaubert pour Madame Bovary, connaissances en médecine…). La lecture de ces romans permet réellement de mieux connaître l’époque qu’ils décrivent, l’aspect documentaire pouvant encore être utilisé par les historiens. Madame Bovary s’inspire d’un fait divers réel. 2. Décrire pour dénoncer • Tendance chez certains à s’attaquer plus particulièrement à la description des milieux populaires : Sue, Dickens, Hugo, Zola (nombreux exemples). Évocation d’univers jusque-là absents de la littérature. • Intégration dans ces romans de la langue du peuple : argot chez Sue et Hugo, patois londonien chez Dickens, langue populaire chez Zola : effet de réel. Le roman donne la parole à ceux que l’on n’entend pas. D’ailleurs ces auteurs suscitent le scandale (en même temps : grand succès !). • Si ces auteurs utilisent la forme romanesque, c’est que cela plaît au lecteur et donc le touche plus facilement. Donc, le roman du XIXe siècle permet de décrire la société et est utilisé pour dénoncer une réalité. Ancrage dans le réel : les auteurs qui dénoncent sont souvent, par ailleurs, des auteurs engagés. II. Romanesque et réalisme : la contradiction fondamentale 1. Un univers recréé • Le monde décrit ne peut jamais être totalement fidèle (part de recréation). Exemple : la description de Paris par Hugo dans Les Misérables lorsque Jean Valjean et Cosette se réfugient dans le couvent du Petit Picpus est faussement réaliste : effet de réel, mais recréation romanesque. Réponses aux questions – 16 • De même, Flaubert s’est inspiré d’un fait divers pour Madame Bovary mais a complètement reconstitué l’histoire : création romanesque et non travail de « journaliste ». 2. Le schéma littéraire Création de schémas littéraires dans les romans réalistes qui dépeignent les milieux populaires, et romanesque très présent : Les Mystères de Paris = roman-feuilleton rocambolesque et peu crédible. De plus personnage de Fleur de Marie = type littéraire, qu’on retrouve chez Dickens (Nancy dans Les Aventures d’Oliver Twist). Argot, peinture de la pègre parisienne : pittoresque, mais bien différent de la réalité, peu de consistance historique ; or : évocation reprise dans Les Misérables ; Hugo se targue de faire œuvre de réalisme dans ces passages ; en fait, il faut surtout œuvre de romancier. 3. Le faux réalisme La tendance peut exister de partir d’un fait réel présenté comme tel, que le romancier arrange comme il veut pour faire passer ses idées : exemple de Claude Gueux, dont l’histoire n’a pas grand-chose à voir, à part quelques faits, avec celle du vrai Claude Gueux. Mais le roman est plus beau, plus frappant et plus convaincant que la réalité. III. Le jeu avec le lecteur Le lecteur, lorsqu’il prend un roman, sait et veut qu’on lui raconte une histoire (pacte romanesque). Il ne lit pas un journal ou un ouvrage historique, ce qui n’empêche pas que le roman peut faire malgré tout accéder à une vérité. 1. Une vérité plus large Madame Bovary : histoire recréée mais qui permet d’aborder la question de la psychologie d’une femme de province de la classe moyenne. Si l’histoire n’est pas vraie en soi, elle permet d’accéder à une vérité plus large et finalement plus importante. Idem : Claude Gueux. L’effet de réel peut tromper le lecteur mais l’essentiel est qu’il ait accédé au propos du romancier. 2. La forme romanesque comme vecteur Dans la littérature romanesque engagée, le lecteur se délecte de l’histoire, sait qu’il y a du « romanesque » mais la dénonciation passe malgré tout. Les Aventures d’Oliver Twist n’est pas très crédible mais permet de poser la question de la condition des orphelins de l’Hôpital. L’histoire sert à accrocher le lecteur, qui est capable ensuite de se détacher de l’intrigue pour s’intéresser aux problèmes dénoncés. Écriture d’invention L’élève devra faire attention au fait que ce sont deux personnes du peuple qui discutent, et leur faire parler un langage adapté. C h a p i t r e V « L a p e t i t e t o u t e ( p p . 1 4 9 à 1 5 1 ) s e u l e » ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 185 et 186) La scène se déroule « au fond d’un bois, la nuit, en hiver » (l. 485) ; Cosette est épouvantée d’être « seule dans le bois, la nuit » (l. 500-501) ; elle n’est « pas encore sortie de la forêt » (l. 501-502). Cet univers évoque les contes pour enfants : voir, par exemple, Le Petit Poucet. " La Thénardier évoque une ogresse. Elle est d’ailleurs désignée comme ogresse dans le portrait que Hugo fait d’elle (II, 3, 2). # Cosette ressent d’abord une peur panique impossible à nommer, étrange, qui la conduit à se sentir saisie par « cette énormité noire de la nature » (l. 455). Une fois qu’elle est sortie de cet état, elle ressent une peur « naturelle » (l. 468), peur de la nuit et de la forêt, qui la pousse à s’enfuir à toutes jambes. Elle se souvient alors de la Thénardier et est envahie par « l’effroi » (l. 472). Dans la suite du texte, elle ressent ces deux peurs mêlées : la peur de la Thénardier, la peur de la forêt et de la nuit. ! Les Misérables – 17 La « terreur » (l. 456) ; « quelque chose de plus terrible même que la terreur » (l. 456-457) ; « ce frisson qui la glaçait jusqu’au fond du cœur » (l. 458-459) ; « effrayait » (l. 463) ; la « peur » (l. 468) ; « l’effroi » (l. 472) ; l’« angoisse » (l. 500) ; « épouvante » (l. 500). Le mot « peur » est utilisé indifféremment pour désigner le sentiment que ressent Cosette face à la Thénardier, et celui qu’elle ressent face à la forêt et la nuit. L’« épouvante » est réservée au sentiment éprouvé à l’idée d’être seule dans la nuit, l’« effroi » et l’« angoisse » au sentiment éprouvé à l’idée d’être battue par la Thénardier. % Un enfant dans cette situation s’enfuierait et pleurerait. Cosette a envie de s’enfuir mais le souvenir de la Thénardier l’en empêche. De même, elle a envie de pleurer mais se retient, poursuivie par l’image de la Thénardier. & Ce récit peut évoquer un cauchemar en raison du contexte dans lequel il se déroule, mais aussi du fait que Cosette y apparaît comme impuissante, paralysée. Elle voudrait courir mais ne le peut pas et avance tout doucement, comme cela arrive dans certains rêves. Elle voudrait pleurer mais n’ose pas, émettant seulement « une sorte de râlement douloureux » (l. 491), comme dans certains rêves où l’on cherche à parler mais où l’on n’émet que des sons inarticulés. De même, alors que Hugo précise, dans le chapitre précédent, qu’il n’y a que « sept à huit minutes » entre la source et la lisière de la forêt, ici, Cosette calcule qu’il lui faudra plus d’une heure pour rentrer. Le temps s’allonge de façon démesurée, comme dans un cauchemar qui n’en finit pas. Le cauchemar cependant se transforme à la fin du texte en rêve agréable : de façon inexplicable, le seau s’allège car un homme mystérieux s’en est emparé. ' Hugo éveille la pitié du lecteur à travers une série de détails descriptifs : les bras de Cosette sont « maigres » (l. 481) ; ses « petites » (l. 482) mains sont gelées et engourdies ; ses jambes sont nues, et elle reçoit sur les jambes de l’eau froide. Cosette est comparée à « une vieille » (l. 480), ce qui est particulièrement pathétique puisqu’elle n’a que huit ans. ( Les verbes sont d’abord au passé simple : « elle fit » (l. 475), « elle fut forcée » (l. 476), « elle respira » (l. 476), « elle enleva » (l. 477), elle « se remit » (l. 477), « il fallut » (l. 478), « elle repartit » (l. 479) ; les verbes passent ensuite à l’imparfait (tous les verbes jusqu’à « de la forêt »). En passant du passé simple à l’imparfait, l’auteur inscrit l’action dans la durée : on passe d’une série d’actions ponctuelles et courtes (voir les indications de temps dans le paragraphe au passé simple : « un instant » (l. 476-477), « un peu plus longtemps » (l. 478), « quelques secondes » (l. 479)) à un récit descriptif s’étendant sur une période de temps plus longue, où les actions décrites précédemment comme ponctuelles deviennent répétitives (« de temps en temps elle était forcée de s’arrêter » (l. 482-483) ; « cela se passait […] la nuit » (l. 485) ; « elle allait bien lentement » (l. 496)). Le lecteur ressent ainsi la durée du calvaire de Cosette. Le retour au passé simple, après « de la forêt » (l. 502), indique qu’un événement survient, qui brise cette monotonie : Cosette, en effet, fait une halte plus longue, et pousse un cri. Cet « événement » est inquiétant : il montre que Cosette ne peut plus continuer comme elle l’avait fait jusque-là. Après cette irruption du passé simple, le lecteur se demande comment Cosette va pouvoir continuer son chemin et pressent que quelque chose va arriver. Le passé simple permet de passer de la description au récit. ) Le narrateur exprime sa pitié pour l’enfant : il décrit son calvaire comme une « chose triste » (l. 487) ; il s’écrie « hélas » (l. 488) et indique que l’événement dont il fait le récit est de nature à faire ouvrir les yeux de Fantine dans son tombeau. Il désigne enfin Cosette comme un « pauvre petit être désespéré » (l. 506). Le narrateur, loin d’être en retrait, est donc très présent dans son récit et fait comprendre au lecteur qu’il lui décrit une situation révoltante et anormale. *+ Le narrateur, dans la mesure où il décrit cette scène, s’octroie la place de Dieu : selon lui, en effet, « il n’y avait que Dieu en ce moment qui voyait cette chose triste » (l. 486-487). *, Hugo crée une « ambiance » surnaturelle en évoquant la mère de Cosette dans son tombeau, et en plaçant la scène sous le regard de Dieu. Cosette, bien que la forêt soit vide, est accompagnée, sans le savoir, de deux puissances surnaturelles qui l’observent et dont on peut penser qu’elles interviendront. *- Jean Valjean, qui n’est pas nommé, arrive alors que Cosette vient de s’écrier « Ô mon Dieu ! » (l. 507). Cette circonstance contribue à l’identifier à Dieu, un Dieu secourable qui répond à l’appel de la pauvre petite. L’identification de Jean Valjean avec Dieu est accentuée par le fait qu’il semble, à la fillette, avoir une main « énorme » (l. 509), et qu’il est « grand » (l. 510) : Jean Valjean a des dimensions surhumaines. Si Jean Valjean est Dieu, son intervention apparaît, en outre, comme un miracle. $ Réponses aux questions – 18 L’arrivée de Jean Valjean est décrite du point de vue de l’enfant. Le récit est décomposé selon ses sensations : Cosette sent d’abord le seau s’alléger, puis elle distingue une main énorme, et enfin une « grande forme noire » (l. 510-511). Le lecteur ne comprend pas tout de suite de quoi il retourne, comme l’enfant, qui n’a pas de la scène une vision synthétique. L’ensemble produit un effet de surprise, reproduisant la surprise éprouvée par Cosette, mais donne également à la scène un aspect mystérieux. */ Le mystère est éclairci grâce à l’intervention du narrateur qui abandonne le point de vue de l’enfant et, grâce à son statut de narrateur omniscient, explique au lecteur ce que c’est que cette « grande forme noire » (l. 510-511). La scène qui vient d’être décrite est « relue » d’un autre point de vue, plus explicite. Le mystère cependant n’est pas totalement éclaici car le lecteur ne comprend pas comment il peut y avoir un homme dans cette forêt, la nuit. Hugo ne le raconte que dans le chapitre suivant. *. ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 187 à 191) Examen des textes ! L’auteur parvient à créer d’emblée une tension dramatique parce qu’il ouvre son récit en le présentant comme un exemple de la férocité des ivrognes : on ne peut donc lire qu’en tremblant le récit de la scène agréable qui suit, car – contrairement aux personnages – on sait qu’elle sera interrompue et qu’une scène violente suivra. L’entrée du père fait monter la tension d’un cran. Comme les enfants, on se demande ce qui va se passer. Le fait que Bijard ne frappe pas la petite fille ne fait pas baisser la tension, bien au contraire. L’attitude de Bijard paraît lourde de menace. Comme en outre il est muni d’un fouet, on se doute qu’il va s’en servir, et on attend l’occasion qui va provoquer sa violence. Dans ce contexte, le bris de la tasse augmente brusquement la tension : on comprend que va commencer à se déchaîner la violence que l’on attend depuis le début du texte. " Lalie, qui fait semblant de saluer un personnage fictif devant ses « enfants », joue devant eux une petite scène de théâtre. Le père, dans ce contexte, apparaît comme le personnage qui arrive brusquement sur la scène, alors qu’on ne l’attendait pas et dont l’irruption vient transformer la situation mise en place. Zola emploie d’ailleurs une expression liée au théâtre : « alors, la scène changea ». Le fait que le père entre alors que Lalie était justement en train de faire semblant d’introduire un personnage dans la pièce accentue l’effet « coup de théâtre ». Bijard semble avoir « préparé son coup », être entré au moment où son irruption provoquerait la plus grande émotion. Toute la scène est d’ailleurs très visuelle et, par l’intérêt porté à la gestuelle des personnages, fait penser à une représentation théâtrale : les petits « tombèrent sur leur derrière », Lalie reste figée au milieu d’une révérence… # En décrivant précisément le fouet de Bijard, Zola attire sur ce sinistre objet l’attention du lecteur, qui comprend qu’il est amené à jouer un rôle central dans le récit. Qu’il s’agisse d’un fouet de charretier, destiné à fouetter les chevaux, rend particulièrement cruelle son utilisation contre une petite fille. Enfin, l’aspect neuf du fouet contraste avec la pauvreté de la famille Bijard : le père a fait cette dépense par pur sadisme. $ L’intérêt porté aux couleurs donne aux souvenirs d’enfant un aspect réaliste : lorsqu’on est enfant, on fait attention aux couleurs des objets qui nous entourent et parfois on se souvient de détails qui par la suite paraissent anodins (la couleur des motifs décorant les assiettes dans le texte). Le rouge du sang est par ailleurs particulièrement choquant pour un enfant. Des années plus tard, le narrateur se souvient, comme par flashs, des couleurs qu’avaient les objets au moment de cette scène. On doit noter le contraste entre les couleurs vives d’avant l’accident, et le « noir » de l’escalier dans lequel est jeté l’enfant, qu’on enferme ensuite dans un cabinet dont on s’imagine, également, qu’il est noir. % Les passages au style indirect libre dans le texte sont de deux sortes : dans l’un d’entre eux, le narrateur reproduit les paroles qu’il prononçait pour qu’on lui ouvre la porte : voir « Pourquoi ne me laisse-t-on pas entrer pour savoir ? On me battra après si l’on veut ». Dans les autres, il reproduit le cours de ses pensées : « Ce n’est pas ma faute, pourtant ! Les Misérables – 19 Est-ce que j’ai forcé mon père à faire ce chariot ? Est-ce que je n’aurais pas mieux aimé saigner, moi, et qu’il n’eût point mal ? » ; « C’est que maman aime tant mon père ! Voilà pourquoi elle s’est emportée » ; « … ma mère a bien fait de me battre ». & Ce texte a un effet comique parce que l’auteur fait comprendre au lecteur que l’accident de son père n’avait aucun caractère de gravité (« ce n’est rien, vient dire ma cousine »), tout en exprimant la peur immense qu’il ressentit lors de cet événement. La disproportion entre l’événement et les frayeurs de l’enfant prête à rire. Ce rire cependant est mêlé de pitié : si l’enfant a tellement peur, c’est qu’on lui fait croire que l’accident est très grave et qu’on lui reproche de l’avoir provoqué. Le passage, qui mélange une vision distanciée et ironique des événements et l’expression des émotions de l’enfant au style indirect libre, est, comme tout le reste de l’ouvrage, à la fois triste et comique. Texte d’écriture Question préliminaire Dans les trois textes, les enfants inspirent d’abord de la pitié par la situation dans laquelle ils se trouvent du fait des adultes : seule au fond des bois la nuit pour Cosette ; prête à être battue pour Lalie qui s’offre spontanément au coup de pied paternel et dont on devine qu’elle sera fouettée ; frappé et jeté dehors alors qu’il ne le mérite pas, pour Jacques. Dans les trois cas, les enfants apparaissent avant tout comme des victimes, qui subissent une injustice et ne peuvent s’y soustraire du fait de leur faiblesse. Dans les textes de Zola et de Vallès, le sentiment de révolte que l’on ressent devant les violences subies par les enfants est d’autant plus grand que celles-ci surviennent après une scène idyllique, brusquement interrompue : on ne laisse pas les enfants être des enfants. Les trois auteurs, en outre, décrivent les émotions ressenties par les enfants, ce qui est propre également à inspirer la pitié : le réseau lexical de la peur est ainsi très fourni dans le texte tiré des Misérables. Zola, de même, écrit que Lalie est « terrifiée », qu’elle est « épouvantée », « abêtie sous ce regard, les membres travaillés peu à peu d’une telle peur… ». Vallès, enfin, décrit la terreur qu’il avait ressentie comme enfant (« avec ma terreur d’enfant ») en reprenant son point de vue de l’époque : il rappelle ainsi qu’il voyait la main de son père pendre « tout hachée », qu’il s’imaginait être un parricide. Cela rappelle à chacun les terribles peurs que l’on peut éprouver enfant. Les auteurs enfin font entendre leur voix, dans les scènes qu’ils décrivent. Voir Hugo (« cette chose triste », « hélas ! », « ce pauvre petit être ») ; Zola (il explique que la petite ne prend du plaisir que « le 36 de chaque mois ») ; Vallès (l’auteur n’exprime pas directement son point de vue mais use de l’ironie pour montrer à quel degré était montée sa peur, et combien il était cruel de lui laisser ainsi croire qu’il avait tué son père). Ils poussent ainsi le lecteur à éprouver de la pitié. Commentaire On pourra s’inspirer du plan suivant : I. Un récit raconté du point de vue du narrateur 1. La projection dans le passé • Temps des verbes : au présent, du début à la fin. Il n’y a donc pas la distanciation que suppose le passé simple, temps normal du récit. Le narrateur replonge dans le moment où s’est déroulée la scène et entraîne le lecteur avec lui. • La succession des événements, dans toute la première partie du texte (jusqu’à l’accident), suit la façon dont le narrateur les a perçus : le phénomène est décrit avant son explication, pas de reconstitution a posteriori (comme à la fin de l’extrait des Misérables). Exemple : le père « lève sa main pleine de sang. Il s’est enfoncé le couteau dans le doigt » ; « un coup violent m’arrête ; c’est ma mère qui me l’a donné ». • L’intérêt pour les couleurs reflète aussi le point de vue d’un petit enfant (cinq ans), marqué par les couleurs vives et qui retient certains détails que les adultes ne remarquent même pas. 2. Une structure qui suit le point de vue du narrateur • Le récit commence pas une scène idyllique, en tout cas vécue comme telle par le narrateur : intérieur domestique paisible, couleurs chaudes (jaune du bois), douceur : soyeux du bois, bois frais, comparaison avec des rubans. Réponses aux questions – 20 • Irruption de la violence vécue comme telle également par l’enfant, car l’accident n’est pas très grave mais exagéré, aggravé par les yeux d’un enfant qui voit le sang (sa mère profite de sa terreur pour le faire souffrir encore plus). • Ensuite, on ne sait pas ce qui arrive au père, puisque l’enfant est jeté dehors. Comme nous voyons par ses yeux, nous sommes nous aussi privés de la scène où l’on soigne le père ; on ne fait qu’entendre. Alors que l’attention, au début du texte, est concentrée sur le père et le chariot, à la fin, elle est concentrée sur l’enfant et ce qui se passe à l’intérieur de lui. Le sujet du texte a glissé. II. Le jeu sur le point de vue ; pathétique et ironie 1. La focalisation interne Usage du discours indirect libre : accès aux paroles et aux pensées de l’enfant ; cela excite la pitié du lecteur qui se rend compte de la souffrance que l’enfant éprouve. Effet de pathétique. 2. La distanciation • Cependant, quelques interventions du narrateur – « avec ma terreur d’enfant » – expriment la distanciation chronologique. Le narrateur s’adresse là à un lecteur qui se souvient ce que sont les terreurs d’enfant ; lorsqu’il était enfant, il n’a pu formaliser de cette façon les sentiments ressentis. Donc, on admet une distance chronologique. Le but est de faire comprendre au lecteur ce qu’il a ressenti et de créer une complicité avec lui pour le faire compatir. Distanciation aussi par l’ironie : « je […] me crois un parricide ». Le verbe « se croire » implique une prise de distance vis-à-vis des sentiments éprouvés à l’époque + utilisation du terme « parricide » qui ne peut avoir été employé par l’enfant de cinq ans se révèle comique si on l’imagine employé par cet enfant. Ironie aussi car, grâce à l’intervention de la cousine, on sait que l’accident n’est pas grave (« ce n’est rien »). Du coup, la main hachée, le parricide, les cris de l’enfant sont disproportionnés et provoquent le rire. Ironie du narrateur à l’égard de lui-même lorsqu’il était enfant. • Mais l’ironie n’est pas incompatible avec le pathétique et, tout en riant, le lecteur a pitié de cet enfant auquel on fait tellement peur. La distanciation chronologique et ironique aboutit, malgré tout, à l’empathie et à la compassion. Le but est que le lecteur soit révolté par le traitement infligé à l’enfant. III. Un cri de révolte Dénonciation d’un système d’éducation qui ne passe pas par un discours mais se lit dans la façon dont le souvenir d’enfance est raconté. 1. La violence Insistance sur la violence maternelle : « un coup violent » ; « elle me chasse […], en me cognant encore le front contre la porte » ; « ma mère me pousse dans le cabinet… ». Insistance aussi sur la violence des manifestations de douleur de l’enfant : « je crie », « je sanglote, j’étouffe », « je m’égratigne les mains »… Peinture d’une éducation fondée sur la violence physique. Elle apparaît révoltante car en contraste avec la scène idyllique du début. De plus, elle est totalement sans objet. 2. La culpabilité enfantine • Discours indirect libre : on se rend compte que l’enfant a intériorisé et trouve normale l’éducation qu’on lui inflige : voir « on me battra après si on veut », « maman a bien fait de me battre ». Vallès provoque ainsi la révolte du lecteur qui a le recul nécessaire pour comprendre que l’enfant n’a aucune raison d’être battu. La mention du livre de lecture dénonce un système qui inculque la culpabilité à l’enfant dès ses premières années. • Le discours indirect libre provoque également le rire : « C’est que maman aime tant mon père ! Voilà pourquoi elle s’est emportée ! ». La distance ironique montre l’absurdité de ce discours et la soumission totale de l’enfant qui y adhère. Vallès excite la pitié mais il fait également rire à ses dépens, pour mieux susciter la révolte chez son lecteur. C’est une littérature destinée à convaincre. Les Misérables – 21 Dissertation On peut s’inspirer du plan suivant : I. Émouvoir pour convaincre 1. Accrocher le lecteur Le pathétique offre d’abord une ressource à l’auteur qui cherche à convaincre car il lui permet d’attirer l’attention du lecteur. Celui-ci aime les histoires tristes, aime ressentir de la pitié. Un récit pathétique l’intéresse davantage qu’un discours. Exemple : au début des Aventures d’Oliver Twist de Dickens, la peinture des conditions effroyables dans lesquelles vivent les enfants à Londres est plus vivante à travers l’exemple d’un petit personnage que si l’auteur se livrait à une description « scientifique » de l’Hôpital. 2. Révolter le lecteur Inspirer la pitié, particulièrement à travers des personnages fragiles comme des femmes ou surtout des enfants, permet de susciter la révolte chez le lecteur : exemples de Fantine et de Cosette dans Les Misérables ; exemple de L’Enfant de Vallès. La révolte est le premier pas vers l’action, vers la volonté de changer la situation qui a été décrite. II. L’insuffisance du recours au pathétique 1. Le pathétique ne sert pas toujours à illustrer une thèse Si le pathétique est très présent dans le roman du XIXe siècle, il ne sert pas toujours à illustrer une thèse : il y a aussi le plaisir du récit pour le récit. Voir l’esthétique du roman-feuilleton : tenir le lecteur en haleine juste « pour le plaisir » ; exemple de l’histoire d’amour d’Éponine pour Marius et du récit de sa mort dans Les Misérables. 2. Le pathétique ne suffit pas à appuyer une thèse L’histoire triste doit accompagner une démonstration plus vaste, mais ne se suffit pas à elle-même. Sinon, c’est juste une histoire qui n’a aucune valeur de conviction. L’histoire de Gervaise dans L’Assommoir est incluse dans tout un système démonstratif ; l’histoire de Fleur de Marie dans Les Mystères de Paris fait d’elle un type littéraire mais elle n’est pas réaliste. En fait, le pathétique seul ne suffit pas ; il est efficace s’il s’accompagne d’autres types de discours. III. Les conditions de l’efficacité du pathétique 1. Pathétique et réalisme Le pathétique convainc si « on y croit » : voir l’analyse de la chute de Fantine ou celle de l’enfoncement des Coupeau dans la misère dans L’Assommoir de Zola. 2. Pathétique et expression d’une thèse Hugo, dans Les Misérables, après avoir raconté l’histoire des personnages, se livre à une analyse généralisante, montrant que cette histoire particulière n’est que l’illustration de la condition de nombreuses personnes : par exemple, analyse de l’histoire de Fantine ou de celle de Jean Valjean. Le pathétique est donc un des moyens visant à convaincre le lecteur, surtout au XIXe siècle, où les auteurs prennent conscience de la misère sociale et veulent faire réagir leur public. Pour qu’il ne soit pas une simple technique visant à plaire au lecteur en lui arrachant des larmes, il faut cependant qu’un certain nombre de critères soient présents. Écriture d’invention – L’élève devra donner des éléments permettant d’expliquer la présence de Jean Valjean dans le bois la nuit de Noël. – Il faudra aussi décrire les sentiments de Jean Valjean (révolte, pitié) mais aussi questionnement : que faire de cette petite, comment la récupérer ? – La description de la petite par Jean Valjean devra rester extérieure : Jean Valjean n’est pas un narrateur omniscient. Son récit est un point de vue. Réponses aux questions – 22 C h a p i t r e I I I « E f f e t d e p r i n t e m p s ( p p . 1 9 9 e t 2 0 0 ) » ◆ Lecture analytique du chapitre III (pp. 206 et 207) Il s’agit de l’indication temporelle « un jour » (l. 190) : ce type d’indications est une des marques du récit. " Le passage de la mise en situation au récit se marque par le passage de l’imparfait, temps de la description, au passé simple, temps de la narration. # Les passages qui font progresser le récit sont : – « … il passa près de ce banc […] rencontrèrent » (l. 194-196) ; – « Ce fut un étrange éclair » (l. 198-199) ; – « Elle baissa les yeux, et il continua son chemin » (l. 200) ; – Le dernier paragraphe (l. 222-228). Ils se caractérisent par l’emploi du passé simple, temps de la narration. $ La transformation se marque par le fait que, dans le premier paragraphe, Marius s’aperçoit « pour la première fois » (l. 223) de l’état de ses vêtements : il a subi une sorte d’envoûtement de type magique (voir l’expression « pouvoir magique », l. 219) et une métamorphose s’est opérée en lui. % La rencontre entre les deux personnages se situe au tout début du texte (l. 195-196). La conséquence de cette situation est que tout est dit dès le début, et que le lecteur, très rapidement, n’attend plus le récit de la rencontre. Cela donne la possibilité à Hugo d’analyser longuement le phénomène qu’il vient de mentionner : il se débarrasse du factuel, pour se livrer à la réflexion. & Le premier paragraphe est constitué d’une suite de propositions indépendantes courtes, enregistrant une suite d’informations, parmi lesquelles la rencontre entre Marius et Cosette. La conséquence en est que cette rencontre apparaît comme un phénomène simple, banal, presque mécanique : il passait par là, elle était là, leurs yeux se sont croisés, il n’y a pas besoin d’en dire plus. Pour Hugo, les circonstances de la rencontre importent peu, parce que le coup de foudre entre une toute jeune fille et un jeune homme est un phénomène presque « médical », dont les causes dépassent complètement les personnes en question. Il suffit de mettre en contact un jeune homme avec une jeune fille à l’âge où elle est prête pour l’amour et où son coup d’œil est ravageur, pour que l’alchimie fonctionne et que l’amour se « déclenche ». ' Le récit est très simple et très court. Marius passait ; Cosette leva les yeux sur lui ; leur yeux se rencontrèrent. Elle baissa les yeux et il continua son chemin. Le soir, Marius décida que le lendemain il changerait de vêtements. Cette sécheresse du récit s’explique par les mêmes causes que celles mentionnées plus haut (voir question 6) et montre que Hugo a largement privilégié l’analyse du phénomène par rapport au récit des circonstances. ( Le narrateur ne donne aucun accès à l’intériorité des personnages au moment de la rencontre ; il ne décrit que leurs gestes. La seule indication est que Marius « n’eût pu […] dire » (l. 198) ce que contenait le regard de la jeune fille, ce qui prouve qu’il est troublé, mais incapable d’analyser ce qu’il ressent. Peut-être même ne comprend-il pas que c’est le regard de Cosette qui est cause de ce trouble. ) C’est à la fin du texte que Hugo adopte le point de vue d’un des personnages, Marius. Cela se marque par l’usage du discours indirect libre : « … il avait la malpropreté, l’inconvenance et la stupidité… » (l. 223-224). Les guillemets autour de « tous les jours » (l. 225) montrent qu’Hugo prétend transcrire la pensée de son personnage. L’effet comique tient dans la disproportion entre les termes employés par rapport à la « faute » commise par Marius, qui consiste à mal s’habiller, ainsi que dans l’accumulation de ces termes. Il tient aussi dans le fait que Marius ne comprend pas qu’il est tombé amoureux : il est amusant de voir le personnage s’en prendre à ses vêtements sans savoir pourquoi – alors que nous, lecteurs, le savons. *+ Plusieurs signes montrent que les personnages ne comprennent pas ce qui leur arrive et sont mûs par des forces qu’ils ne maîtrisent pas : – « Marius n’eût pu le dire » (l. 197-198) ; – « une âme qui ne se connaît pas encore » (l. 206) ; – « … qui se révèle au hasard » (l. 212) ; – « … à son insu » (l. 213). ! Les Misérables – 23 • L’attitude de Marius à la fin du texte (voir question 9) : sa psychologie reste très superficielle. Tout ce qu’il pense, c’est que ses vêtements ne sont pas beaux, et il n’établit pas de rapport entre cette constatation et le coup d’œil de Cosette. Marius, comme Cosette, est « agi ». Le fait que les personnages soient mus par des forces qui les dépassent donne à ce texte une valeur universelle : Marius et Cosette ne sont que des exemples de ce qui se passe lorsque deux jeunes gens se rencontrent. *, Le présent, dans tout ce passage, a une valeur généralisante. Hugo énonce des vérités générales. *- L’accumulation de métaphores (+ une comparaison : « comme l’aube dans le ciel », l. 207) s’explique par le fait que Hugo n’arrive pas à expliquer précisément le phénomène qu’il décrit : il avance une série de métaphores en espérant s’approcher le plus possible de la réalité. Cette réalité ne peut être décrite de façon scientifique, elle demeure en partie incompréhensible. *. Les formulations sont : « quelque chose de rayonnant… » (l. 207-208) ; « rien ne saurait rendre… » (l. 208) ; « c’est une sorte de… » (l. 211-212). Elles témoignent de l’incapacité du langage à rendre compte de la réalité. */ La lumière : « éclair » (l. 199) ; « l’aube dans le ciel » (l. 207) ; « l’éveil » (l. 207) ; « rayonnant » (l. 208) ; « lueur inattendue qui éclaire vaguement… » (l. 209) ; « rayon » (l. 218). Le danger et l’obscurité : « gouffre mystérieux » (l. 202) ; « ténèbres » (l. 210) ; « (charme) dangereux » (l. 208-209) ; « piège » (l. 213) ; « (rayon) fatal » (l. 218) ; « fleur sombre, pleine […] de poisons » (l. 220-221). Ce contraste montre que Hugo considère l’amour à la fois comme un bienfait, un sentiment positif, et comme un danger. ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 208 à 212) Examen des textes ! Julien est décrit du point de vue de Madame de Rênal, et cette dernière du point de vue de Julien. Voir, pour la description de Julien, les deux premiers paragraphes, puis la mention de la couleur de ses joues. Pour celle de Mme de Rênal : l’étonnement de Julien lorsqu’il la voit et son insistance sur le fait qu’elle est bien vêtue et qu’elle a le teint éblouissant. Ces descriptions nous renseignent sur les personnages décrits, mais également sur ceux qui les décrivent : ainsi, Mme de Rênal, âgée d’une trentaine d’années et décrite, dans le chapitre précédent, comme très maternelle, remarque surtout l’aspect « enfantin » de Julien. Cela, en effet, la touche particulièrement. Elle a, en outre, l’esprit « romanesque », ce qui la conduit à voir en Julien une fille déguisée… La façon dont elle voit Julien est révélateur de sa propre personnalité et de son histoire. Quant à Julien, issu d’une famille pauvre, il est particulièrement enclin à remarquer la beauté de Mme de Rênal – que, précédemment, Stendhal n’avait décrite que comme « assez belle » : son manque d’habitude des femmes du monde le rend particulièrement impressionnable. Il remarque, en premier lieu, ses beaux vêtements et son teint éblouissant, deux signes de richesse (les paysannes ont le teint hâlé). La façon dont chacun des personnages voit l’autre nous permet donc de connaître celui qui voit autant que celui qui est vu. " • Mme de Rênal doit répéter sa première question. • Après la réponse de Julien, elle reste « interdite », « rit » et « enfin », pose une seconde question. • Julien « réfléchit un instant » avant de répondre. • La dernière réplique de Mme de Rênal est prononcée « après un petit silence ». # Le ressort comique de la scène repose sur l’inadéquation entre les questions que Mme de Rênal pose à Julien et la situation dans laquelle se trouvent les deux personnages : elle devrait l’accueillir poliment et le faire entrer dans la maison. Or, elle éclate de rire et lui demande s’il sait vraiment le latin. Le lecteur connaît les raisons de l’attitude étrange de Mme de Rênal mais Julien ne les connaît pas et il est comique d’imaginer à quel point il doit être étonné. L’aspect comique du texte, à un second niveau, réside dans le fait que Julien, lui aussi, a des réactions à contre-temps : plutôt que de se froisser parce qu’elle lui demande s’il connaît vraiment le latin, il ne retient de sa phrase que le mot « monsieur ». En réalité, chacun des deux personnages est enfermé dans son propre monde, dans son Réponses aux questions – 24 intériorité, et n’a pas accès à celle de l’autre. Le lecteur, sachant ce qui se passe dans la tête de l’un et de l’autre, rit de voir ces deux personnes aux prises l’une avec l’autre. $ Le réseau lexical de la vue est très fourni : – « apparition » ; – « distingua » ; – « l’éblouissement que lui envoyèrent ses yeux » ; – « il la regarda » ; – « il affectait d’observer » ; – « jamais il n’avait vu… » ; – « Il considérait » ; – « Leurs yeux se rencontrèrent ». La description de Mme Arnoux est incomplète car elle ne concerne que son aspect physique. Bien qu’elle parle, le narrateur ne décrit pas le son de sa voix ; il ne lui prête non plus aucun sentiment. Sa description ne contient aucune notation de type psychologique. Mme Arnoux n’est qu’un pur objet de regard, qui se prête ainsi à tous les fantasmes. % Le texte est comique lorsqu’il décrit les stratagèmes de Frédéric pour observer Mme Arnoux (il fait plusieurs tours pour « dissimuler sa manœuvre »… ; on peut comparer cette scène avec les manœuvres de Marius pour approcher Cosette au jardin du Luxembourg, à la suite du passage étudié). Frédéric apparaît également un peu ridicule de « considérer avec ébahissement » le panier à ouvrage de la femme aimée. & On voit Frédéric se livrer à son imagination à la fin du texte, lorsqu’il spécule sur l’origine de la femme, et l’imagine se roulant dans son châle en pleine mer : il bâtit un véritable roman. Flaubert emploie alors le style indirect libre (« elle avait ramené des îles cette négresse avec elle » ; « Elle avait dû, bien des fois… »). La réalité reprend ses droits lorsque le châle tombe à l’eau, ce qui tire brusquement Frédéric de sa rêverie. L’apparition de M. Arnoux, être plutôt grossier qui adresse à sa femme des paroles banales, bien éloignées des fantasmes construits par Frédéric, confirme le retour à la réalité et la sortie du rêve. Travaux d’écriture Question préliminaire La description occupe une place et des fonctions bien différentes, dans chacun des textes envisagés. • Chez Hugo, sa place est très faible. Hugo plante rapidement le décor, au début de son récit, décrivant une nature idyllique préparant le lecteur à une scène d’amour. Aucun des deux personnages cependant n’est décrit. Cela n’a rien d’étonnant, car ils nous ont été amplement présentés auparavant. On peut penser cependant que, si Hugo choisit de ne pas décrire les jeunes gens au moment de leur rencontre, c’est pour donner à cette dernière son caractère universel : si Cosette et Marius sont tombés amoureux, ce n’est pas parce qu’elle est blonde et lui brun, mais parce que deux jeunes gens amenés à se rencontrer au moment précis où ils l’ont fait devaient, fatalement, tomber amoureux. D’ailleurs, Marius a déjà vu Cosette depuis qu’elle est devenue belle, et il n’est pas pour autant tombé amoureux d’elle. • Chez Stendahl, la description des personnages est faite du point de vue de chacun d’entre eux ; elle a ainsi pour fonction de nous renseigner tant sur les personnages décrits – qui cependant, eux aussi, l’ont déjà été – que sur ceux qui les décrivent : la description, ici, donne au lecteur des informations sur la psychologie des personnages. • Chez Flaubert enfin, la description occupe la place la plus importante du texte. Cette description est réaliste et a pour fonction de transmettre des informations factuelles, qui ne trahissent pas uniquement le point de vue du personnage (le chapeau, la couleur des cheveux, le motif de la robe…). Si Flaubert décrit Mme Arnoux avec une telle précision, c’est aussi pour montrer que l’amour que conçoit Frédéric pour Mme Arnoux est uniquement provoqué par l’aspect physique de cette dernière. Le personnage est une pure enveloppe charnelle et semble dépourvu de toute intériorité ; aucune indication n’est donnée, par exemple, sur le ton de voix qu’elle adopte envers sa fille : agacée ? tendre ? sévère ? Dès la scène de la rencontre, apparaît un élément très important de la relation qui va se nouer entre les deux personnages : la part importante qu’y occupe le fantasme – chez Frédéric, en tout cas. Les Misérables – 25 Commentaire On pourra s’inspirer du plan suivant : I. Une scène de rencontre réduite à son minimum 1. La rencontre repoussée • Flaubert joue avec les conventions de la scène de rencontre : la rencontre à proprement parler n’a lieu qu’à la fin du texte. Tout le reste du texte est consacré à la description de Mme Arnoux, mais il n’y a aucun contact entre les deux personnages. 2. Une ébauche de rencontre • Scène très courte : elle dit quelques mots et échange un regard avec Frédéric. Aussitôt : irruption de la réalité représentée par M. Arnoux, qui vient interrompre l’échange ébauché. Frustration du lecteur qui correspond à la frustration de Frédéric. • Les mots prononcés sont très simples, juste une formule de politesse. • L’auteur ne donne que des indications très factuelles, qui ne permettent en rien de caractériser l’échange qui a eu lieu : rien sur le ton de voix de Mme Arnoux ou sur son regard, aucune analyse psychologique de la rencontre. • Peut-on vraiment considérer cette scène comme une scène de rencontre ? II. Madame Arnoux : un pur objet de regard 1. Une longue observation • Importance du réseau lexical de la vue (voir question 4). • Madame Arnoux n’est caractérisée par aucun autre élément que par son aspect physique. Absence totale des autres sens. • Aucun accès à la psychologie de Mme Arnoux. Pure enveloppe charnelle. 2. Texte et peinture Aspect pictural du texte : • voir l’importance des couleurs dans la description de Madame Arnoux, cf. également son châle ; • « Toute sa personne se découpait sur ce fond bleu » : expression qui évoque un tableau. Immobilisme de Mme Arnoux : scène figée très picturale ; • doigts traversés par la lumière : évoque également la peinture, penser aux tableaux de Georges de La Tour ; • scène avec la nourrice et l’enfant : petite scène de genre qui, elle aussi, pourrait être fixée sur un tableau. III. Fantasme et réalisme Aspect complexe d’un texte mêlant réalisme et fantasme, ce qui correspond à l’état d’esprit du personnage principal. 1. Le réalisme Mme Arnoux est comme une apparition mais n’en est pas moins précisément décrite, avec des détails réalistes. De même, la négresse et la petite fille. Texte bien ancré dans une réalité. 2. Le fantasme Pourtant, l’observation réaliste ne mène le personnage qu’au fantasme ; la réalité est un prétexte à l’imagination. Ainsi : • il imagine qu’elle est créole, à cause de la négresse ; • du coup, il l’imagine sur un bateau, en pleine mer, enroulée dans son châle : construction d’un véritable petit roman ; • usage du discours indirect libre ; on passe insensiblement de la réalité à l’imaginaire, pas de frontière nette. Réponses aux questions – 26 Dissertation On peut s’inspirer du plan suivant : I. La description : une nécessité pour l’artiste démiurge 1. La création d’un univers Écrire un roman, c’est créer un univers capable de concurrencer le réel, pour créer l’adhésion chez le lecteur. Pour cela, il faut décrire un cadre et des personnages. C’est la fonction première de la description. Mais la description n’occupe pas toujours la même place, dans cette œuvre de création. 2. Planter le décor… Dans certains romans, la description est réduite à son minimum : évocation rapide des lieux et des personnes. On s’en débarrasse rapidement car l’intérêt est ailleurs. Exemple : dans La Princesse de Clèves, l’héroïne n’est décrite que comme très belle, mais sans détail. Idem pour la Cour de France, qui est louée mais pas décrite. L’intérêt est dans l’exploration psychologique et il suffit de « planter le décor ». Autre exemple : dans le roman-feuilleton, les personnages doivent immédiatement pouvoir être rattachés à un type, il n’y a aucune exploration psychologique et les caractéristiques physiques sont stéréotypées. Pas besoin de longue description dans ce cas. 3. … ou imiter le réel Dans d’autres romans, et particulièrement dans le roman réaliste, la description a pour fonction de copier le réel pour ancrer très fermement l’intrigue dans la réalité. Dans ce cas, ce sont de longues descriptions, minutieuses et documentées. Voir la description de la pension Vauquer au début du Père Goriot, ou les nombreuses descriptions de Paris dans L’Assommoir. Attention, on peut faire semblant de copier le réel, faire semblant d’être réaliste, et inventer au gré de sa fantaisie. Description des personnages dans ce type de roman : doit être très fouillée, du point de vue psychologique et physique, pour que les personnages n’aient pas l’air de créations romanesques mais évoquent précisément des types observés dans la réalité. Exemple de Gervaise dans L’Assommoir, dont on suit précisément la dégradation physique au cours de la lecture. II. Description et récit Dans les cas analysés ci-dessus, la description apparaît comme une pause dans le récit, pause nécessaire et importante, mais pause tout de même. Il semble pourtant que la description ne doive pas toujours être considérée comme un temps d’arrêt dans le récit. 1. La description des personnages comme moyen de faire avancer l’action Dans certains romans, et particulièrement dans le roman-feuilleton, la description physique des personnages permet immédiatement de cerner leur personnalité. La description fait alors partie intégrante du récit, elle n’est pas un temps d’arrêt mais permet d’imaginer les rebondissements : exemple des personnages dans Les Mystères de Paris. 2. La description du paysage comme reflet de la psychologie des personnages Parfois, la description des lieux ou des choses se fait du point de vue des personnages et offre alors des renseignements sur la psychologie de ce personnage. Exemple de Gervaise : nombreuses descriptions de Paris de son point de vue, en lien avec l’évolution de son histoire et de sa psychologie. Donc, là encore, la description fait partie intégrante du récit. La description est donc une nécessité pour le romancier dont le but est de concurrencer le réel. Elle permet, en outre, lorsqu’elle est faite du point de vue d’un des personnages, de cerner son état d’esprit. Il est intéressant pour le romancier de multiplier les points de vue. Écriture d’invention – Marius ne comprend pas vraiment ce qui lui arrive : cela devra apparaître dans son récit. – La lettre de Marius devra comporter une description de Cosette (point de vue différent de celui de Hugo). – Marius est un étudiant et un jeune homme exalté : il est important que ces traits psychologiques transparaissent dans sa lettre. Les Misérables – 27 C h a p i t r e X V « G a v r o c h e d e h o r s » ( p p . 2 4 4 à 2 4 8 ) ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 250 et 251) La description produit sur le lecteur un effet inquiétant et oppressant. La tonalité du passage est sombre (« sombres lignes », l. 25 ; « obscurcissement », l. 26-27 ; « blêmissait », l. 27) et Hugo insiste sur l’aspect resserré de la rue (« gorge de montagnes », l. 23 ; « escarpements à pic », l. 24 ; « fumée resserrée », l. 24 ; « hautes maisons », l. 25), ce qui provoque une sensation d’étouffement. La comparaison avec les montagnes a cependant pour effet d’élargir considérablement les dimensions du lieu dans lequel se déroule l’action et d’offrir donc à l’héroïsme de Gavroche un cadre plus proche de celui de l’épopée. Dans cette description, l’immensément petit (la rue) se mêle à l’immensément grand (les montagnes), ce qui annonce la tonalité générale du texte. " La première partie du texte s’arrête à « transparent » (l. 45) : c’est le moment où Gavroche agit sans être vu par les soldats. La seconde partie s’arrête à « pichenette » (l. 93) : c’est le jeu entre les soldats, qui cherchent à atteindre Gavroche, et ce dernier, qui leur riposte par des chansons. La troisième et dernière partie raconte la dernière péripétie précédant la mort du garçon, puis cette mort elle-même. # Le second paragraphe de la seconde partie est à l’imparfait, ce qui inscrit l’action (le jeu entre Gavroche et ses ennemis) dans la durée (voir d’ailleurs : « cela continua ainsi quelque temps », l. 77 ; « chaque fois que la face… », l. 92). La troisième partie est marquée par le passage au passé simple, signe qu’un événement perturbateur intervient et vient rompre cette continuité. Les actions décrites dans cette troisième partie sont des actions courtes, qui se succèdent à un rythme rapide. $ L’exploit de Gavroche consiste en un exploit militaire parce que l’enfant ramasse les cartouches des ennemis, ce qui se révèlera ensuite très utile. Ce n’est donc pas un exploit gratuit. Hugo rappelle à plusieurs reprises que l’héroïsme de Gavroche est utile : ainsi, après avoir chanté son premier couplet, il explique qu’il « ramassa son panier, y remit, sans en perdre une seule, les cartouches qui en étaient tombées, et, avançant vers la fusillade, alla dépouiller une autre giberne » (l. 63-65). Dans la seconde partie, il apparaît que, tout en bondissant, disparaissant et reparaissant, il « pillait les cartouches, vidait les gibernes et remplissait son panier » (l. 85-86). % Les amis de Gavroche ne sont jamais désignés individuellement. Au début du texte, ils sont désignés par un « on » : « de la barricade, on n’osait lui crier de revenir… » (l. 39-40) ; ils apparaissent ensuite comme « les insurgés » (l. 86-87) puis, deux fois de suite, comme « la barricade » : « la barricade tremblait » (l. 87-88) ; « la barricade poussa un cri » (l. 96). Les amis de Gavroche apparaissent donc toujours comme un groupe, une collectivité à laquelle s’oppose la solitude du héros. & Bien que les ennemis de Gavroche soient clairement désignés (les tirailleurs de ligne et les tirailleurs de banlieue), ils s’effacent au point que l’ennemi de Gavroche dans le texte semble être, plus que les hommes, les balles des fusils. Ces balles sont personnifiées et semblent agir de leur propre volonté : ainsi, une balle « frappa le cadavre » (l. 51), une deuxième balle « fit étinceler le pavé » (l. 53), une troisième « renversa son panier » (l. 54), une quatrième « le manqua encore » (l. 65-66), une cinquième « ne réussit qu’à tirer de lui un troisième couplet… » (l. 71-72). « Les balles couraient après lui, il était plus leste qu’elles » (l. 90-91) ; « une balle, mieux ajustée ou plus traître que les autres, finit par atteindre… » (l. 94-95) ; « une seconde balle l’arrêta court » (l. 106-107) : cette dépersonnalisation de l’ennemi augmente encore la solitude de Gavroche. ' Ce récit d’un exploit individuel évoque le genre de l’épopée : dans l’épopée homérique par exemple, de longs passages sont consacrés à décrire l’exploit accompli par tel ou tel des héros. ( Ce qui empêche de considérer ce récit comme une scène de bataille, c’est le fait qu’il n’y ait pas de combat : Gavroche esquive les balles mais n’y riposte pas. ) La seule arme de Gavroche est la chanson. Il chante toujours en riposte aux balles qu’on lui envoie : « il répondait à chaque décharge par un couplet » (l. 80-81). *+ Les termes appartenant au réseau lexical du vol sont : « dévaliser » (l. 33) ; « débarrasser [de ses cartouches] » (l. 50) ; « dépouiller [une autre giberne] » (l. 65) ; « piller » (l. 85). Tout le texte peut d’ailleurs être interprété comme la confrontation entre des gendarmes et un voleur, qui finit par se faire attraper. L’héroïsme de Gavroche consiste, finalement, en un vol. Cela n’est pas étonnant : la mort de Gavroche n’est que la continuation de sa vie, pendant laquelle il volait pour survivre. ! Réponses aux questions – 28 Plusieurs jeux sont évoqués dans le texte. Il s’agit d’abord de la chasse : les soldats sont les chasseurs et Gavroche le moineau ; puis de la balle au prisonnier : il s’agit pour Gavroche de ne pas être atteint par la balle, sauf qu’il ne s’agit pas d’un ballon, cette fois, mais d’une balle de fusil ; d’un jeu de cachecache enfin, entre Gavroche et la mort. La mention de ces deux derniers jeux, jeux enfantins traditionnels, rappelle que Gavroche est encore un enfant. Gavroche cependant n’a pas le droit de jouer comme les enfants de son âge : la seule fois où il y joue, c’est pour mourir. *- Hugo se situe du point de vue du narrateur omniscient. Il décrit les soldats lorsqu’ils se montrent Gavroche, geste que ne peuvent percevoir les insurgés et que le narrateur est le seul à pouvoir rapporter. Il décrit enfin Gavroche, que tous voient. Son point de vue cependant ne se confond pas complètement avec celui des autres spectateurs de la scène : seul le narrateur en effet peut entendre les paroles que prononce Gavroche lorsqu’il prend la poire à poudre, ou que la première balle touche le cadavre qu’il dévalise. *. Le regard est important dans le texte car tous ont le regard fixé sur Gavroche : la mort de Gavroche ressemble à un spectacle (terme employé dans le texte) dont les soldats, amis ou ennemis, sont spectateurs. Ainsi, au début de la deuxième partie, les tirailleurs « se montrèrent soudainement quelque chose qui remuait dans la fumée » (l. 48-49) ; les ennemis ensuite « vis[ent] sans cesse » (l. 81) Gavroche ; les insurgés l e « suiv[ent] des yeux » (l. 87). Enfin, « on vit Gavroche chanceler… » (l. 95-96). La dimension visuelle est donc essentielle dans le texte. */ Le narrateur ne pénètre jamais l’intériorité de Gavroche. On peut noter une formule telle que : « il avait l’air de s’amuser… » (l. 79). Ce refus de dépasser les apparences donne à l’acte héroïque de Gavroche un aspect mystérieux : on ne sait pas, finalement, quels sont les mobiles profonds qui l’animent. *0 Les deux phrases imitant par leur syntaxe les attitudes de Gavroche sont : dans la première partie, « il rampait à plat ventre… » (l. 35) jusqu’à « ouvre une noix » (l. 38) ; dans la seconde partie, « il se couchait, puis se redressait… » (l. 83) jusqu’à « son panier » (l. 86). *1 Gavroche est d’abord comparé à « un singe ouvrant une noix » (l. 37-38), puis à un moineau. Les verbes employés pour le décrire évoquent également des animaux : il « rampait » (l. 35), « galopait à quatre pattes » (l. 35), « glissait, ondulait, serpentait » (l. 36). Les êtres surnaturels sont : « un étrange gamin fée » (l. 89) ; « le nain invulnérable de la mêlée » (l. 89-90) et le géant Antée. Le recours à ces réseaux d’images montre que Gavroche n’appartient pas au commun des mortels et ne peut être décrit comme eux. Il est à la fois un animal et un être merveilleux, un nain et un géant. Sublime et d’aspect dérisoire, héroïque et voleur, Gavroche combine l’infiniment grand et l’infiniment petit. La dernière phrase du texte évoque d’ailleurs sa « petite grande âme » (l. 108). *, ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 252 à 257) Examen des textes et de l’image ! Il s’agit du bonnet phrygien et du drapeau tricolore, symboles hérités de la Révolution et qui, depuis cette époque, évoquent la Liberté. " Ce genre de peinture porte le nom d’allégorie. # Dans l’arrière-plan, on aperçoit Notre-Dame. Cette représentation de la cathédrale fait écho au goût romantique pour le Moyen Âge (Notre-Dame de Paris est publié en 1831, l’année où le tableau de Delacroix est présenté) et sert à rappeler que la scène décrite se situe à Paris. $ La description de Maxime Du Camp évoque La Liberté guidant le peuple parce qu’il montre une femme à moitié dévêtue, derrière laquelle se masse le peuple, et qui est suivie d’un enfant. Du Camp cependant rend cette femme ridicule en décrivant ses « chaussons éculés » et ses bas tombés en spirale. En outre, elle ne brandit pas un drapeau mais un « coutelas de boucher ». Enfin, elle est indécente : les hommes se jettent sur elle et elle ne s’en rend même pas compte. Quant à l’enfant, il inspire lui aussi la moquerie puisqu’il est monté pieds nus sur un cheval d’officier et que sa tête est caché par un grand chapeau. Cependant, il provoque également la crainte, car il est associé à l’idée de violence : il est en effet muni d’une arme terrible, et a manifestement volé son cheval et son chapeau à des officiers du roi, peut-être après les avoir tués. Les Misérables – 29 Les héros de Maxime Du Camp ne sont pas les insurgés, mais les soldats qui défendent le PalaisRoyal. & Victor Hugo marque son mépris pour les soldats en les appelant « voyous » et en disant qu’ils ont peur d’un enfant (v. 10-11). Il les méprise également parce qu’ils rient après avoir tué (v. 15). ' Victor Hugo affirme, dès le début de son adresse au héros, ne pas comprendre les motivations de sa présence sur les barricades, et ne pas savoir distinguer le bien du mal, dans ces événements (v. 21). Il lui dit également qu’il ne « répond pas de ce qu’on lui fit faire » : ce qui est une manière de condamner les adultes qui l’ont entraîné sur les barricades. S’il admire l’enfant, ce n’est donc pas pour son engagement dans la Commune, c’est parce qu’il ne recule pas devant le danger et préfère accompagner ses amis dans la mort plutôt que de les abandonner, alors qu’il en a la possibilité. % Travaux d’écriture Question préliminaire Les figures de héros qui apparaissent dans les documents ont pour point commun de ne pas reculer devant la mort. Gavroche nargue ses ennemis, les soldats décrits par Maxime Du Camp ne se rendent qu’au tout dernier moment, et le jeune héros du poème de Victor Hugo vient se livrer à ses bourreaux. Dans le tableau de Delacroix, la Liberté et ses compagnons s’avancent sans hésiter, alors qu’à leurs pieds gisent un grand nombre de morts, ce qui indique qu’ils risquent eux aussi de se faire tuer (les Trois Glorieuses ont fait un millier de morts). Dans les quatre documents, apparaît d’ailleurs une très grande violence : nous avons affaire à de véritables tueries. Commentaire On peut adopter le plan suivant : I. La violence d’une époque Hugo dans son recueil de poèmes L’Année terrible cherche à peindre une période bien précise, celle de la fin de la guerre contre la Prusse et de la Commune : sa poésie lui sert à restituer les événements qui se sont produits cette année-là et à exprimer les convictions qu’ils lui ont inspirées. Le poème qui suit, à l’image du recueil tout entier, est donc fortement ancré dans une réalité. 1. Un contexte bien précis Le contexte est posé dans les trois premiers vers : la barricade, les pavés et la répression par l’armée. Hugo n’a pas besoin de donner davantage de précisions car le phénomène de la barricade est familier à ses contemporains et ils ont encore tous en tête les événements de la Commune. Les quelques indications des premiers vers suffisent donc à évoquer une situation bien précise. 2. La violence • Dès le vers 2, évocation du sang, répété deux fois dans une structure de chiasme. • V. 5-6 : violence de la situation dans laquelle se trouve l’enfant, qui doit « attendre son tour » pour se faire fusiller. • V. 6-7 : évocation de la fusillade massive des compagnons de l’enfant. La violence de l’acte luimême est seulement suggérée (l’enfant voit « des éclairs briller », c’est-à-dire les fusils se lever), mais aucun de ses compagnons n’échappe à la mort (v. 7). • Violence beaucoup plus grande au vers 15, avec l’évocation des râles des mourants qui viennent se mêler au rire des soldats. Noter l’allitération en « r » du vers, qui imite le râle des mourants. Victor Hugo fait donc bien apparaître dans son poème la violence qui a accompagné la fin de la Commune. II. L’héroïsme d’un enfant Sur ce fond de violence, le poème raconte l’histoire d’un enfant qui se comporte en héros. 1. Un enfant… Le caractère enfantin du personnage est bien marqué : – constamment appelé « l’enfant », huit fois dans le texte ; – un certain comique dans l’assurance avec laquelle l’enfant, au vers 3, dit faire partie des hommes qui se sont fait prendre, employant le pluriel de majesté (« nous en sommes ») ; – attachement à sa mère ; – formules de respect envers l’officier, normales dans la bouche d’un enfant qui s’adresse à un adulte. Réponses aux questions – 30 2. … qui se révèle héroïque à travers ses actes En raison de ces traits enfantins, et du fait que l’enfant demande à aller chez sa mère juste après avoir vu ses compagnons fusillés, on ne peut savoir, à la première lecture du poème, quelle sera la fin de l’histoire qu’il nous conte. Le lecteur, pendant un temps, est dans la situation de l’officier qui rit devant ce stratagème grossier. La véritable figure de l’enfant ne se révèle qu’au vers 18. Remarquer que Hugo maintient le « suspense » en retardant l’arrivée du verbe principal (« vint s’adosser au mur ») par le vers 17, uniquement descriptif. Ce vers cependant est bien mis en valeur : double diérèse dans le second hémistiche. Cela montre toute l’importance qu’il a : il est, en effet, le point où bascule le poème et où l’héroïsme apparaît. Seconde partie du poème : célébration par l’auteur de l’héroïsme de l’enfant : – âme sublime ; – bon et brave ; – superbe, vaillant. III. Le poème comme moyen pour l’auteur d’exprimer ses convictions 1. Hugo hostile aux bourreaux des insurgés… Les soldats sont décrits de façon très péjorative : – ils tuent un enfant pour la simple raison qu’il a fait partie des insurgés, sans se poser de question ; – Hugo les appelle « voyous » et condamne leur lâcheté ; – ils rient au milieu des râles, sans même s’en rendre compte. Les soldats sont donc coupables d’une immense violence et ce sont des brutes. Hugo pourtant ne se dit pas du côté de l’enfant. 2. … mais aussi aux Communards • Second paragraphe : Hugo est cette fois présent par le « je » : « je ne sais point », v. 20, « je dis », v. 22 : le poème est bien pour lui un moyen d’exprimer ses convictions ; • Exprime sa difficulté à juger de la Commune, mais aussi sa conviction qu’il y a des « bandits » dans ce mouvement. 3. La célébration d’un acte individuel Le poème, dès lors, ne doit pas être lu comme un hymne aux héros de 1871, mais plutôt comme la célébration d’un acte individuel, isolé et sublime. Voir toute la seconde partie qui s’adresse exclusivement à l’enfant. Dissertation On pourra s’inspirer du plan suivant : I. La littérature comme reflet de son époque La littérature peut être utilisée par les historiens comme source historique, à divers degrés (on peut lire à ce sujet Mona Ozouf, Les Aveux du roman, Paris, 2001). 1. L’auteur-historien Certains auteurs affirment leur ambition d’écrire l’histoire de leur temps à travers leurs œuvres : c’est le cas des grands romanciers du XIXe siècle. • Balzac affirme qu’il cherche à « faire concurrence à l’état civil » : ses romans sont fortement ancrés dans la société de la Restauration et, à travers les histoires des différents personnages, se lit l’histoire d’une période donnée. Voir par exemple l’évocation des aristocrates de la Restauration dans Le Cabinet des Antiques. • Hugo : Les Misérables également cherche à peindre les différents visages d’une époque donnée : pauvres/nostalgiques de l’Ancien Régime : Gillenormand/républicains idéalistes… • Zola : son œuvre est l’histoire d’une famille « sous le Second Empire », et cette indication chronologique indique qu’il cherche également à faire l’histoire de cette période. Voir par exemple, dans plusieurs de ses romans (L’Assommoir, La Curée) l’histoire de l’évolution architecturale de Paris sous Napoléon III ; voir aussi Germinal, aperçu sur les conditions de vie des mineurs à cette époque bien précise. Plus récemment, Philip Roth ne peut-il être considéré comme l’historien des États-Unis de son époque ? Les Misérables – 31 • Hugo ne se fait pas historien seulement dans ses romans mais aussi à travers sa poésie : voir L’Année terrible, Les Châtiments. Ces ouvrages sont lus par les historiens et utilisés comme sources de renseignements. Voir M. Ozouf, Les Aveux du roman, introduction, p. 24 : les romans du XIXe siècle nous renseignent mieux sur le passage entre l’Ancien et le Nouveau Monde que les ouvrages proprement historiques. • Décrire une époque ne signifie pas forcément reconstituer les événements historiques de cette époque : Madame Bovary, L’Éducation sentimentale sont l’histoire d’une époque à travers des cas particuliers, la grande histoire est présente seulement en arrière-fond. 2. L’auteur, historien malgré lui Même lorsque l’auteur ne se proclame pas historien, son œuvre peut être utilisée comme un témoignage sur l’état d’esprit de son temps. Exemple : par son traitement de la relation maître/ serviteur, Le Mariage de Figaro est considérée comme une œuvre pré-révolutionnaire qui annonce ce qui va se produire peu de temps après et permet de juger l’état de la société d’avant 1789. La Princesse de Clèves est une analyse psychologique mais aussi source de connaissances sur les mentalités d’une époque. Il faut pourtant prendre garde au fait que littérature et histoire ne peuvent totalement se confondre : la littérature ne peut avoir pour unique but de peindre une époque, sous peine de ne plus être de la littérature. II. Histoire et exigences littéraires 1. L’histoire ne peut pas être le seul but d’un auteur littéraire Balzac, Hugo, Zola : leur romans ne sont pas uniquement des prétextes pour peindre une époque. Balzac cherche à décrire la comédie humaine ; les analyses qu’il mène sur ses personnages sont intemporelles et vraies pour toute époque. Hugo : Les Misérables bien plus qu’un roman qui décrit une époque atteint, lui aussi, des universels humains. Zola : idem. L’épaisseur des personnages empêche de voir en eux les simples représentants de leur classe sociale. De plus, le projet naturaliste vise également à dégager des lois universelles sur l’évolution des individus, projet très ambitieux qui dépasse l’histoire. Donc l’histoire ne peut être le seul but recherché. Peindre son époque doit s’accompagner, pour que l’œuvre littéraire puisse être considérée comme telle, d’un projet plus vaste. Voir la différence entre Les Misérables et Choses vues, du même auteur : dans la seconde œuvre, Hugo cherche réellement à faire œuvre d’historien, et cela donne un résultat bien différent de ce que sont Les Misérables ! Voir aussi la différence entre L’Éducation sentimentale et les Souvenirs de 1848 de Maxime Du Camp : tous deux sources de renseignements sur 1848, mais aucune prétention littéraire chez Maxime Du Camp, qui fait œuvre d’historien (engagé). 2. Exigences romanesques et exigences historiques Les exigences romanesques peuvent être incompatibles avec les exigences historiques : danger alors de considérer le roman comme source historique ! Ainsi, le monde des voleurs dans le Paris des Misérables est une création littéraire inspirée du romanfeuilleton ; les historiens ne peuvent s’en servir comme source. Idem pour Germinal qui peint un monde qui, en réalité, ne présente pas encore ce visage sous le Second Empire mais plutôt sous la Troisième République. La nécessité de concentrer l’histoire dans une période donnée oblige le romancier à des distorsions historiques. 3. La nécessité du point de vue de l’auteur Si l’histoire a pour but l’objectivité (même si l’objectivité historique n’existe pas), l’œuvre littéraire au contraire ne peut être que le fruit d’un regard : convictions personnelles, volonté de démontrer sont forcément présentes, parfois clairement exprimées (voir le poème de Hugo cité dans les lectures croisées). Il arrive que les convictions de l’auteur ne soient pas toujours repérables dans l’œuvre. Exemple : l’œuvre de Zola cherche à démontrer un principe d’évolution et l’histoire se plie à ces exigences. Réponses aux questions – 32 Donc : – Les œuvres littéraires sont une source très importante pour l’historien : soit l’auteur s’assigne comme but de peindre son époque, soit il le fait presque malgré lui. L’auteur qui cherche à peindre son époque peut le faire à travers des cas de personnages, sans verser dans la fresque historique. Modalités différentes. – Cependant littérature et histoire ne peuvent se confondre. L’auteur a des exigences littéraires et un point de vue qui s’opposent aux exigences de l’historien. S’il les oublie, l’œuvre risque de tomber dans l’académisme et ne peut plus être considérée comme de la littérature. Écriture d’invention – Les officiers rient, s’amusent avec Gavroche : cela doit apparaître dans le récit qui doit être fait sur le mode humoristique. – Il ne faut pas oublier que l’officier a intérêt à ce que ses camarades paraissent héroïques : il pourrait donc exagérer la force de Gavroche, pour se mettre en valeur. C h a p i t r e V « N u i t d e r r i è r e l a q u e l l e i l y a l e j o u r » ( p p . 2 7 9 à 2 8 2 ) ◆ Lecture analytique du chapitre V (pp. 285 à 287) Les signes qui indiquent que Jean Valjean a déjà un peu quitté la vie sont : – le fait qu’il confonde le passé, le présent et le futur, et passe d’une époque à l’autre sans transition : ainsi, au début du texte, il parle d’abord au présent, puis envisage le futur, et soudain évoque le passé, reparlant de son expérience d’industriel. Un peu plus loin dans le texte, il évoque toute une série de souvenirs de Cosette enfant, sans lien avec ce qui précède. À la fin de son discours, tout à coup, il évoque une période beaucoup plus récente, celle qui précède immédiatement sa mort (il explique à Cosette pourquoi il n’est pas venu la voir). Cette confusion chronologique s’explique par le fait qu’il ne reste plus beaucoup de temps à Jean Valjean et qu’il veut dire tout ce qu’il a dans la tête ; – le fait qu’il parle de son expérience d’industriel avec un vocabulaire technique que Cosette et Marius ne peuvent pas comprendre (« ardillons », l. 723 ; « grosse », l. 693…) montre qu’il laisse libre cours à ses souvenirs mais ne se rend plus compte que ses interlocuteurs ne peuvent pas le suivre ; – les changements continuels d’interlocuteurs : Jean Valjean s’adresse d’abord à Cosette, puis aux deux jeunes gens, puis à Marius, puis à Cosette de nouveau. Tout à coup, il évoque Cosette à la troisième personne, ce qui laisse supposer qu’il s’adresse à Marius. Ensuite, il s’adresse à Marius directement. Dans le long passage où il évoque ses souvenirs de Cosette, il s’adresse à elle ; ses dernières paroles enfin s’adressent aux deux jeunes gens. On doit remarquer, de plus, que Jean Valjean qui, dans tout le texte, tutoie Cosette, la vouvoie tout à coup, en une occurrence, et l’appelle Mademoiselle (« Ah, vous aviez les mains rouges dans ce tempslà… », l. 756-757). " Jean Valjean n’attend pas de réponse de Cosette, lorsqu’il s’adresse à elle. Victor Hugo ne nous explique pas quelles sont les réactions de Cosette mais il semble clair qu’elle ne répond rien, parce qu’elle est étouffée par les sanglots et que, de plus, elle a oublié son passé. Elle ne se souvient plus de Montfermeil ni de la robe noire. Jean Valjean, en fait, se parle à lui-même. Cela est particulièrement clair lorsqu’il dit : « Ce sont là des choses du passé… » (l. 765) jusqu’à « Voilà où était ma bêtise » (l. 769). Il tire les leçons de sa vie mais elles ne sont intelligibles qu’à lui-même. # La partie la plus ancienne de sa vie à laquelle Jean Valjean fait allusion est l’épisode des chandeliers (« je ne sais pas si celui qui me les a donnés est content… », l. 735). Il passe complètement sous silence, au moment de mourir, les années qui ont précédé le bagne, et le bagne lui-même. Sa vie semble avoir commencé après la rencontre avec Mgr Bienvenu. ! Les Misérables – 33 Jean Valjean évoque le passé avec Cosette sous des couleurs beaucoup plus riantes qu’il ne l’était probablement. Toute l’enfance de Cosette avec Jean Valjean s’est déroulée dans un sombre couvent, et lui évoque les cerises qu’elle se mettait dans les cheveux, les jeux sur le ruisseau, les promenades dans les arbres… comme si la petite avait eu une enfance normale, libre, dehors. Jean Valjean enjolive le passé parce que, pour lui, c’était une période de bonheur total, grâce à la simple présence de Cosette. % Le rappel du passé est source de tristesse, parce que ce passé est définitivement envolé et n’a plus aucune réalité : c’est ce que dit Jean Valjean lorsqu’il déclare « … c’est de l’ombre. Je m’étais imaginé que tout cela m’appartenait. Voilà où était ma bêtise » (l. 768-769). Ces paroles sont particulièrement poignantes. & Cosette et Marius ne peuvent pas comprendre les paroles de Jean Valjean au sujet des chandeliers ; ces paroles n’ont de sens que pour lui, et pour le lecteur. Elles rappellent en effet au lecteur que tout le sens de la vie de Jean Valjean remonte à l’épisode crucial des chandeliers. ' En fait, les dernières paroles de Jean Valjean n’ont de sens que pour le lecteur. Pour Marius et Cosette, elles ressemblent probablement à un délire : elles doivent leur paraître embrouillées et totalement absurdes. Comme ce sont, en outre, des personnages sujets à l’aveuglement (Marius ne comprend que très tard la vérité sur son beau-père, Cosette ne se pose aucune question sur son passé et se contente d’être aveuglée par son amour pour Marius), il est évident qu’ils ne seront pas capables de reconstituer la vérité à partir des quelques lambeaux que leur livre ici Jean Valjean. Celui-ci part dans la tombe avec son secret. Le dernier chapitre des Misérables confirme d’ailleurs que les jeunes gens n’ont pas compris qui était Jean Valjean et que ses dernières paroles sont restées obscures pour eux. ( Jean Valjean, finalement, n’apprend pas grand-chose à Cosette sur sa mère : il lui donne son nom et lui dit qu’elle a souffert. Cela ne permet en rien à Cosette de reconstituer son histoire. La référence à Fantine n’est touchante que pour le lecteur qui se remémore, au moment de quitter le roman, la triste histoire par laquelle il commençait. ) Jean Valjean rappelle le procédé qui lui a permis de devenir riche parce que cela lui permet de justifier sa fortune : Marius et Cosette pourront en profiter sans craindre qu’il s’agisse d’argent volé. *+ Les recommandations de Jean Valjean aux jeunes gens sont surprenantes, car elles sont à l’opposé de la vie que mène l’ancien forçat. Elles montrent qu’il ne méprise pas l’argent, mais le tient comme la source du bonheur : il est vrai que toute son histoire a commencé par un manque d’argent. Il est donc normal que Jean Valjean soit conscient du fait que l’on ne peut être heureux qu’avec de l’argent. Si lui-même a une vie de pauvre, c’est parce qu’il attend d’être racheté et mène une vie de martyre. *, Jean Valjean recommande à Marius et Cosette de lui donner une pierre tombale très modeste, mais aussi, à plusieurs reprises, de penser à lui et de ne pas l’oublier (« tu me pleureras un peu… » (l. 720) ; « Si Cosette veut venir un peu quelquefois… » (l. 739-740) ; « pensez un peu à moi… » (l. 784)). Ces recommandations sont rendues pathétiques par la fin du roman car on y apprend que la pierre tombale est complètement laissée à l’abandon et que, probablement, Cosette a rapidement oublié son « père ». *- C’est à Jésus que fait penser Jean Valjean : voir le message évangélique « Aimez-vous les uns les autres ». Jean Valjean est une figure christique ; il vit dans la pauvreté et l’humilité, se sacrifie pour les autres (Cosette), obtient le rachat par la mort. *. Ce geste évoque une bénédiction ; Jean Valjean dit d’ailleurs à Cosette et Marius : « vous êtes des êtres bénis ». */ Au moment de sa mort, Jean Valjean rappelle Mgr Bienvenu. On peut rapprocher ce texte de celui dans lequel Mgr Bienvenu est décrit dans son sommeil, alors que Jean Valjean s’apprête à lui voler ses chandeliers : I, 2, ch. 11. L’évêque a le visage pâle, éclairé seulement par un rayon de lune, de même que la face de Jean Valjean est blanche, éclairée par les chandeliers. La tête de l’évêque est renversée en arrière, comme celle de Jean Valjean ; il « contemple un ciel mystérieux », de même que Jean Valjean « regard[e] le ciel » (l. 792) ; Hugo, dans les deux textes, insiste sur les mains des personnages. Jean Valjean, au moment de sa mort, se transfigure pour devenir celui qui lui a permis de devenir un homme et de se racheter. $ Réponses aux questions – 34 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 288 à 292) Examen des textes ! C’est un vocabulaire de type médical. La mort du Père Goriot est vue du point de vue médical, comme si elle était décrite par le personnage de Bianchon. Cela entraîne une certaine froideur : la mort spirituelle, c’est-à-dire le moment où Goriot perd définitivement la tête et n’est plus vivant que corporellement, est décrite comme le moment où « sa sensibilité […] sembl[e] se retirer au centre inconnu d’où partent et où s’adressent nos sympathies… » À la fin du texte, le Père Goriot n’est plus qu’« une machine qui n’a plus cette espèce de conscience cérébrale d’où résulte le sentiment du plaisir et de la douleur pour l’être humain ». " La passion que le Père Goriot éprouve pour ses filles est assimilée à une maladie. Balzac parle d’une « joie maladive ». # Ce mensonge consiste en ce que Bianchon et Rastignac, malgré eux, passent aux yeux du mourant pour ses deux filles. Il est involontaire, mais vient à la suite d’autres mensonges par lesquels les étudiants faisaient croire à Goriot que ses filles allaient arriver. D’un certain point de vue, il est donc dans la continuité de leur attitude envers le Père Goriot. $ Le premier et le second paragraphes présentent un contraste car dans le premier paragraphe, Emma se regarde dans le miroir et se met à pleurer, comme si le spectacle qu’elle voyait la désolait. Dans le second, sa maladie la défigure complètement, et ses larmes précédentes semblent bien hors de propos. % Flaubert parvient à recréer l’ambiance qui règne dans la pièce en prêtant une grande attention à la description physique des personnages, ainsi qu’aux bruits qui règnent dans la pièce (voir la correction du Commentaire composé, I, 2). & L’humour n’est pas absent : voir le personnage de M. Canivet qui, au dernier moment regarde, gêné, par la fenêtre. Cet humour rend la mort d’Emma encore plus terrible : à ses derniers instants, Emma est entourée de gens ridicules et médiocres (voir la correction du Commentaire composé, II, 3). ' Le contenu des paroles n’est évidemment pas anodin : ce sont des paroles gaies et légères, ce qui crée un terrible contraste avec la situation d’Emma Bovary. De plus, ce sont des paroles d’amour. Or, Emma a cherché, toute sa vie, à ressentir les sentiments que l’on trouve exprimés dans les romans ou dans ce type de chanson : il y a donc une ironie cruelle à ce que les paroles de cette chanson soient les derniers mots qu’elle entende. Travaux d’écriture Question préliminaire Dans les trois textes du corpus, les circonstances de la mort du personnage confirment les traits essentiels de sa personnalité, telle qu’elle était apparue dans le roman. C’est ainsi que Jean Valjean réalise sa dimension christique : il meurt par amour pour Cosette (il meurt en effet de ne plus l’avoir vue pendant un moment) et réclame l’humilité absolue, comme s’il était un pauvre d’entre les pauvres. Sa vie est également ce qui permet à Cosette d’être heureuse, puisqu’elle profite de la fortune qu’il a amassée. Le Père Goriot, quant à lui, meurt dans l’erreur, croyant être entouré de ses filles : il est aussi aveugle à l’instant de sa mort que pendant toute sa vie. Cette dimension est d’autant plus frappante que quelque temps avant de mourir, il a un sursaut de lucidité et se rend compte du calvaire que ses filles lui ont fait endurer. Cette conscience disparaît rapidement et il meurt comme il a vécu. Enfin, juste avant de mourir, Madame Bovary, se regarde dans le miroir, retrouvant la vanité désespérée qui l’a conduite à se ruiner en achats coûteux. Elle entend en outre la voix du mendiant qui l’a terrorisée dans le passé, et qui chante des chansons d’amour, un amour comme celui qu’elle rêvait de vivre. Toute sa vie « repasse » donc dans ses derniers instants. Les Misérables – 35 Commentaire I. Une description réaliste 1. La description clinique Le texte se situe à la fin de l’agonie d’Emma et les manifestations les plus terribles de la mort par empoisonnement ont déjà eu lieu. Ici cependant, la description des derniers moments est très réaliste : langue qui sort, yeux qui roulent en arrière, côtes qui se soulèvent et halètent. • Cruauté de cette description qui se situe juste après qu’Emma s’est regardée une dernière fois dans le miroir, cherchant en vain une beauté disparue. • Remarquer que les différentes parties du corps d’Emma sont animées d’une vie propre et que la jeune femme a totalement perdu le contrôle d’elle-même : la langue sort d’elle-même, les yeux roulent, les côtes sont soulevées par un souffle qui est comme étranger au corps. Flaubert dit d’ailleurs : « comme si l’âme eût fait des bonds pour se détacher » : l’âme s’est déjà séparée du corps et, comme un élément étranger, elle fait des bonds pour essayer de sortir. Le mort ne concerne plus que le corps. • L’aspect clinique de la description n’empêche pas Flaubert, qui se place alors du point de vue des spectateurs de la scène, de caractériser le « spectacle » qu’il décrit : « effrayante accélération », « souffle furieux ». Donc, c’est une description clinique et précise. Cependant, Flaubert ne reste pas totalement froid, comme le serait un médecin : il qualifie la scène qu’il décrit. Volonté de faire comprendre au lecteur la souffrance qu’endure la jeune femme et l’aspect terrible que prend son agonie. 2. Une scène de genre • Le réalisme ne concerne pas que la description de la mort : pour le lecteur, le spectacle ne se trouve pas seulement sur le lit de mort d’Emma, il se trouve également dans la pièce. Élargissement du spectacle, de la mourante à tous les spectateurs de la scène. L’attention ne se concentre de nouveau sur la jeune femme que lorsque la chanson de l’aveugle se fait entendre. • Flaubert parvient à recréer très précisément l’ambiance qui règne dans la chambre : d’abord, description très précise de la position dans laquelle se trouve chacun des personnages ; aspect pictural de cette description, on pourrait en faire un tableau. Voir notamment la description de Bournisien : sa position dans la chambre, la position de son corps, son habit. Scène très vivante, ce qui est paradoxal pour un récit de mort ! • Ensuite, remarquer l’intérêt pour les sons, ce qui contribue à recréer précisément l’ambiance : le râle devient de plus en plus fort, Bovary fait entendre des sanglots étouffés, « et quelquefois tout semblait disparaître dans le lourd murmure des syllabes latines, qui tintaient comme un glas de cloche ». • Le réalisme enfin tient également dans l’humour, cruel dans cette circonstance, mais très flaubertien : voir M. Canivet qui regarde par la fenêtre, gêné, alors que la mourante est en pleine convulsion. On note aussi une certaine ironie aussi envers le prêtre, qui tente d’accorder le rythme de ses prières aux râles d’Emma, ce qui le pousse à une accélération. Réalisme dans la description des petits ridicules des spectateurs d’une scène terrible. II. Une mort à l’image de la vie d’Emma 1. Vanité et enfermement sur soi La scène du début, lorsqu’Emma se regarde dans le miroir, peut signifier que, dans un dernier accès de coquetterie, Emma se regarde et pleure de se voir si laide. Cela est dans la lignée du roman, où l’on voit Emma se ruiner par coquetterie. Le fait qu’Emma se regarde et meure juste après montre aussi qu’Emma, jusqu’au bout, ne reste centrée que sur elle-même, sans intérêt pour les autres. Elle ne regarde pas son mari, par exemple ; c’est comme si elle ne se disait adieu qu’à elle-même. Scène donc qui est dans la lignée du roman tout entier. 2. Le lien avec le passé • L’aveugle : sa voix survient tout à coup, avec un aspect fantastique, comme une apparition. Cela rappelle la première fois où Emma voit l’aveugle, dans la diligence : il surgit brutalement, horrible et effrayant. Lien très fort avec le passé. • Emma voyait l’aveugle lorsqu’elle rentrait de chez son amant : l’entendre lui rappelle forcément cette époque. Réponses aux questions – 36 • De plus, les paroles de la chanson de l’aveugle sont romantiques et mièvres. Elles rappellent les romans que lisait Emma dans sa jeunesse. Il y a une ironie cruelle à ce qu’au moment de sa mort, Emma entende ces paroles qui, d’une certaine façon, sont cause de cette mort. Emma meurt parce qu’elle n’a pas supporté que sa vie ne ressemble pas à un roman ou à une chanson d’amour. Remarquer le va-et-vient, à la fin du texte, entre Emma et les paroles de la chanson, qui s’achève avec la mort de la jeune femme. 3. Solitude et incompréhension • Enfin, la mort d’Emma ressemble à sa vie dans la mesure où, jusqu’à son dernier instant, la jeune femme est incomprise : personne ne peut savoir pourquoi elle réagit violemment lorsqu’elle entend l’aveugle, personne ne saisit l’ironie cruelle que revêtent les paroles de la chanson que l’on entend. Emma, bien qu’entourée, meurt solitaire et incomprise : comme dans la vie – mais à jamais, cette fois. Analogie avec la mort de Jean Valjean, sur ce point. • De plus, les personnages qui l’entourent sont ridicules et médiocres, comme ceux qu’elle a connus tout au long de sa vie ; sa mort est bien à l’image de sa vie. Conclusion Le récit des derniers instants de Mme Bovary marque un refus très prononcé du lyrisme : la description de la mort d’Emma est réaliste, clinique dans sa description. Le réalisme concerne également la description des réactions des différents spectateurs de la scène, qui est parfois comique. Ce réalisme finit par créer du pathétique : Emma meurt entourée de personnages médiocres. Le récit de la mort d’Emma doit, en outre, être lu dans la continuité du roman tout entier. Comme le récit de la mort de Jean Valjean, il est autant la fin d’une vie que la quasi-fin d’une œuvre. La mort d’Emma est en cohérence totale avec toute sa vie, telle que nous l’a racontée Flaubert. Dissertation Sujet, en fait, sur la liberté d’interprétation du lecteur par rapport aux personnages qui lui sont présentés. On pourra s’inspirer du plan suivant : I. Le romancier-démiurge 1. La biographie du personnage Le romancier maîtrise la vie de son personnage dans la mesure, d’abord, où il est le maître de sa biographie : il a sur lui droit de vie et de mort. Personne ne pourra empêcher qu’Emma Bovary se suicide. Or, sa fin tragique a un impact considérable sur l’image que l’on se fait d’elle : donc, puissance du narrateur-démiurge sur l’image de ses personnages. 2. Le narrateur omniscient La puissance du narrateur réside aussi dans le fait qu’il a accès à l’intériorité de son personnage, il peut donc décortiquer sa psychologie et nous faire connaître les mobiles de ses actes. Pas de mystère, donc, et pas de place pour l’interprétation. Toujours parce qu’il est omniscient, le narrateur, en outre, peut multiplier les points de vue sur un personnage, pour tenter d’en donner l’image la plus complète possible. Dans Les Misérables, Jean Valjean, à plusieurs reprises, est décrit du point de vue des autres personnages, ce qui nous donne une idée de l’impression qu’il donne. 3. La vérité du personnage L’auteur cherche souvent, à travers la vie de son personnage, à illustrer une théorie, à donner un exemple : il existe une vérité du personnage et on ne peut pas lui faire dire n’importe quoi. Il existe dans un but précis. Voir par exemple le personnage de Rastignac, dans les romans de « La Comédie humaine » : exemple de ce que devient, à Paris, à une époque donnée, un jeune homme ambitieux venu de province. Voir aussi les personnages de Zola. II. La liberté du lecteur 1. La multiplicité des interprétations Même lorsque l’auteur se fait le plus précis possible, il ne peut empêcher que l’on donne aux actes de son personnage diverses interprétations. De plus, les interprétations changent selon les époques. Ainsi, Les Misérables – 37 on ne peut plus comprendre La Princesse de Clèves à notre époque comme on le faisait au XVIIe siècle. Naissance notamment au XXe siècle de l’interprétation en termes psychanalytiques : ainsi, l’amour de Jean Valjean pour Cosette et son « fétichisme » de la petite robe noire ne peuvent résister à une interprétation psychanalytique, à laquelle Hugo n’a évidemment pas pensé. Le romancier ne peut pas colmater toutes les brèches. 2. Le jeu avec le lecteur L’auteur peut aussi faire appel consciemment à l’imagination du lecteur, en ne lui livrant pas les clefs d’un ou plusieurs de ses personnages. Charge à lui d’imaginer ce qu’il veut. Ainsi, dans Les Misérables, Hugo reste très extérieur à Gavroche, au moment de sa mort, et ne nous explique pas les mobiles de son attitude. À nous de comprendre ce que l’on veut. Certains auteurs refusent aussi la psychologie et se contentent de présenter au lecteur les actes d’un personnage, sans prendre parti. Au lecteur de donner le sens qu’il veut à ce qui lui est raconté. On peut prendre pour exemple L’Étranger de Camus : l’auteur se contente de décrire le geste du personnage, sans en proposer d’interprétation. Donc : l’auteur peut maîtriser plus ou moins l’image de son personnage, en donnant plus ou moins d’indications au lecteur. Une partie cependant de la vie de son personnage lui échappe : aucun auteur ne peut empêcher l’interprétation. Écriture d’invention – On peut imaginer que Jean Valjean raconte à Cosette l’histoire de sa vie, et que celle-ci en soit bouleversée. – On peut imaginer également qu’il ne lui dise rien et qu’il aille vivre chez Marius et Cosette sans rien révéler. – Le texte de l’élève devra contenir une part de récit et une part de dialogue entre Jean Valjean et les deux jeunes gens. Compléments aux lectures d'images – 38 COMPLÉMENTS AUX LECTURES D’IMAGES ◆ Photographie de Victor Hugo (p. 4) L’auteur L’auteur de la photographie ici reproduite est Nadar (1820-1910). Nadar – de son vrai nom Félix Tournachon –, jeune homme fréquentant les milieux romantiques parisiens, commence sa carrière comme journaliste. À partir de 1846, il devient caricaturiste et constitue sa « Galerie des gens de lettres », publiée en 1854 sous le titre de Panthéon Nadar. En 1853, il découvre la photographie et ne tarde pas à devenir un maître du portrait. Devant son objectif défilent les grandes figures du romantisme. Nadar, lié avec Victor Hugo, lui rend plusieurs visites à Guernesey, à l’occasion desquelles il réalise des portraits de lui (l’une de ses photos les plus connues est celle de Hugo sur son lit de mort). Les portraits de Nadar sont célèbres pour leur sobriété – aucun décor – et leur recherche de la vérité intime du personnage photographié. Nadar préférait d’ailleurs photographier ses amis et ses intimes plutôt que des inconnus. L’œuvre La photo date de 1860 ; Victor Hugo est donc âgé de 58 ans. On note tout d’abord la grande sobriété de ce portrait, réalisé sans aucun accessoire ni mise en scène (chaise…). On est frappé également par le fait que Hugo fixe l’objectif, ce qui donne l’impression au spectateur que l’écrivain le regarde dans les yeux. Cette impression est d’autant plus forte que le regard de Hugo est d’une grande intensité. Ces deux éléments – sobriété, intensité du regard – donnent au portrait un accent de vérité très fort, ce qui était le but de Nadar : il souhaitait capter l’intimité de son sujet. Cela ne signifie pas que le portrait recherche le naturel. Au contraire, Hugo, en fixant l’objectif, montre qu’il est conscient de la présence du photographe ; sa pose est elle aussi très étudiée et statique (voir la position de la main). Cet aspect évoque les portraits peints. Hugo, comme ceux qui, dans les siècles passés et encore au XIXe siècle font réaliser leur portrait, cherche à fixer une image de lui pour l’éternité. Le contexte dans lequel la photo est prise est ici important : Hugo, au début des années 1860, se croit gravement malade et pense que sa fin est proche. On doit noter d’ailleurs la très grande tristesse de son regard. On peut penser enfin qu’à travers ce portrait d’homme vieillissant, barbu et sérieux, Hugo confirme l’image de prophète, de figure tutélaire des Français qu’il cultive depuis qu’il est en exil. Travail proposé Essayez de trouver d’autres photographies de Victor Hugo et comparez-les entre elles. ◆ Photo tirée du film de Jean-Paul Le Chanois (p. 5) L’œuvre Cette photo est tirée de l’adaptation cinématographique des Misérables réalisée en 1957 par Jean-Paul Le Chanois. Elle correspond au chapitre 4 du livre 3 de la deuxième partie des Misérables, chapitre intitulé « Entrée en scène d’une poupée ». On y voit Cosette en train d’admirer la poupée qui trône sur l’étal d’un marchand en plein air devant lequel elle passe pour aller chercher de l’eau. L’illustration choisie ici est en réalité un détail de l’image : on ne voit pas l’objet qu’admire Cosette, on ne voit que Cosette elle-même. Toute l’attention est ainsi concentrée sur la petite fille. On doit remarquer que la lumière qui éclaire le visage de Cosette provient de l’objet qu’elle regarde ; cette lumière forme un contraste avec l’arrière-plan sombre et encombré d’objets. L’image fait apparaître également la pauvreté de Cosette : elle est en haillons, pieds nus ; les objets qui l’entourent sont sordides. On a donc d’un côté le monde sombre et pauvre d’où vient Cosette, de l’autre le monde lumineux et riche que la petite fille contemple. Les Misérables – 39 L’attitude et l’expression de Cosette sont très évocatrices. Cosette a les mains jointes et croisées, comme si elle faisait une prière : elle éprouve une véritable vénération pour l’objet qu’elle contemple. Son expression cependant est triste, résignée : elle sait que jamais elle n’aura accès à ce monde qu’elle admire. L’image inspire donc la pitié chez le spectateur. Relations avec le texte et les autres œuvres proposées – Le pathétique de cette image est fidèle au pathétique des descriptions de Cosette dans l’œuvre. – On peut comparer la représentation de Cosette avec celle de Gavroche et ses frères, page 221. Travail proposé Imaginez une autre représentation possible de Cosette dans cette scène. ◆ Caricature de Cham (p. 34) L’auteur Cham est le pseudonyme d’un caricaturiste français du XIXe siècle, Amédée de Noé (1818-1879) qui, à partir de 1843, publia dans divers journaux plus de 40 000 dessins prenant pour cibles les hommes de lettres, les hommes politiques ou les mœurs de son époque. Il parodia également des œuvres littéraires, comme Les Mystères de Paris et, on le voit ici, Les Misérables. L’œuvre La caricature ici reproduite est tirée du Journal Amusant, journal satirique publié à partir de 1855 et remplacé en 1867 par le Petit Journal pour rire. De nombreux illustrateurs ont publié leurs dessins dans ce journal, comme Daumier, Gustave Doré ou Cham. Cette caricature date de 1862, date de publication des Misérables. Elle présente de façon comique la lutte entre le bien et le mal telle qu’elle apparaît dans le roman à travers l’histoire de Jean Valjean. La partie gauche de l’image représente le monde du mal : un diable observe la scène d’un air intéressé, semblant se demander s’il va récupérer Jean Valjean. Les feuilles de l’arbre portent des noms tels que « crime », « vol ». La partie droite représente le monde du bien : un ange se tient dans le lointain, les feuilles de l’arbre portent des noms de vertus. Au milieu, on voit Jean Valjean et Mgr Myriel agrippés à l’arbre, le second tentant de faire passer le premier du côté du monde du bien. Jean Valjean est fermement accroché à une branche portant le nom de « crime ». Le comique vient de la posture des personnages ainsi que des efforts acharnés de Mgr Myriel, que Jean Valjean n’a pas l’air du tout disposé à suivre. Relations avec le texte et les autres œuvres proposées – Le dessin traduit bien le manichéisme que l’on peut déceler dans Les Misérables : Jean Valjean, une fois sa « conversion » effectuée, est tout entier du côté du bien. – On doit observer le réalisme de la représentation de chacun des deux personnages : leur tenue, leur aspect physique sont conformes aux descriptions de Hugo. – Comparez la représentation de Jean Valjean avec celle de la page 74. Travail proposé Connaissez-vous d’autres caricatures d’œuvres littéraires ? ◆ Dessin de Gustave Brion (p. 74) L’auteur Gustave Brion est un illustrateur français (1824-1877) originaire des Vosges. Il fut embauché par Hetzel, l’éditeur de Victor Hugo, pour illustrer les œuvres de ce dernier : il illustre ainsi l’édition des Misérables de 1865, puis, en 1865 également, celle de Notre-Dame de Paris. Compléments aux lectures d'images – 40 L’œuvre L’image illustre la rencontre entre Jean Valjean et le petit Savoyard, dans Les Misérables (I, 2, 13). La composition est simple : deux personnages se détachent sur un fond très sobre. On est frappé de premier abord par le contraste entre l’attitude de Jean Valjean et celle du petit Savoyard : Jean Valjean est immobile ; l’enfant au contraire est saisi en plein mouvement, alors qu’il commence à courir et lève les bras dans un geste de protection. L’attitude de l’enfant ainsi que l’expression de son visage marquent la peur qu’il éprouve. Jean Valjean par ailleurs est effrayant : on ne voit pas ses yeux ; le reste de son visage présente un aspect farouche. Immobile, il semble pourtant prêt à faire usage de son bâton. On doit remarquer également le réalisme dans la représentation des personnages : voir la tenue du petit garçon (ses sabots, son sac, son bonnet), probablement très fidèle à celle que portaient les petits ramoneurs ; la tenue de Jean Valjean est fidèle à la description du roman. Relations avec le texte et les autres œuvres proposées À quel moment exact de la rencontre entre Jean Valjean et le petit Savoyard correspond cette illustration ? Travail proposé Essayez de trouver des éditions des Misérables illustrées par d’autres dessinateurs et comparez les représentations de la rencontre entre Jean Valjean et le petit Savoyard. ◆ Dessin de Daumier (p. 89) L’auteur Voir la présentation de Daumier, page 88 du livre de l’élève. L’œuvre Le dessin ici reproduit est tiré du Charivari, quotidien illustré qui parut de 1832 à 1892. Pour une analyse de l’œuvre, on peut reprendre les questions qui se trouvent dans le livre de l’élève page 90, et les corrigés qui se trouvent dans le livret pédagogique. Relations avec le texte et les autres œuvres proposées Mettez cette image en relation avec les passages du roman relatifs à Jean Valjean à sa sortie du bagne. Comparez cette image avec celle représentant Fantine au poste de police, page 112. Travail proposé Essayez de reconstituer l’histoire du voleur ici représenté par Daumier, en vous inspirant de l’histoire de Jean Valjean. ◆ Caricature de Daumier (p. 106) L’auteur Voir la présentation de Daumier, page 88 du livre de l’élève. L’œuvre La lithographie d’Honoré Daumier ici reproduite représente une scène de saisie. La pauvreté de l’homme dont les affaires sont saisies se marque par l’aspect rudimentaire de son mobilier : chaise, murs nus. Les Misérables – 41 Les trois hommes sont habillés sensiblement de la même façon ; c’est surtout le chapeau haut-deforme que l’on remarque. Cela laisse à penser que le pauvre n’appartient pas à la même catégorie que celui du dessin précédent de Daumier. Il doit s’agir, non d’un pauvre ignorant et délinquant comme le premier, mais d’un homme ruiné, peut-être un petit fonctionnaire. La rupture entre lui et les huissiers est beaucoup moins marquée que dans le dessin précédent. L’homme ici représenté est à la marge des deux mondes. On reconnaît l’homme saisi à sa maigreur (qui contraste avec le ventre proéminent de l’huissier) et surtout à son expression triste et hagarde. Il a l’air totalement désespéré. Ses deux compagnons sont d’une indifférence totale par rapport à son malheur : le premier note d’un air concentré sur son registre, le second récupère d’un air dégoûté un objet indéfinissable. Comme dans toutes les caricatures de Daumier, les expressions des visages sont bien marquées et donnent une réelle psychologie aux personnages. Relations avec le texte et les autres œuvres proposées Quels points communs l’histoire de cet homme peut-elle présenter avec celle de Fantine ? Travail proposé Connaissez-vous d’autres œuvres picturales représentant des intérieurs pauvres ? Comment cette pauvreté se marque-t-elle ? ◆ Dessin d’Alphonse de Neuville (p. 112) L’auteur Alphonse de Neuville (1835-1885) est un peintre et illustrateur français, qui réalisa de nombreuses illustrations pour les publications de l’éditeur Hetzel. L’œuvre L’image est d’une composition assez complexe : les personnages sont nombreux. L’attention cependant est centrée sur Fantine, illuminée par la bougie et sur laquelle les regards de tous les personnages sont tournés. On remarque d’emblée le contraste entre la tenue de Fantine et celle des policiers, qui portent tous des uniformes stricts. On ne voit pas l’expression de Fantine mais son attitude indique nettement la supplique. L’expression des policiers en revanche est très claire : ils sont goguenards. L’un d’entre eux a une pose nonchalante, la jambe légèrement pliée, l’autre a un poing sur les hanches… Ils sont au spectacle et ne manifestent aucune pitié pour la malheureuse. Javert se distingue des autres policiers par son costume. Il porte un manteau et non un uniforme, son chapeau est un simple haut-de-forme. Son expression est impitoyable mais pas goguenarde : il accomplit son travail mais ne s’amuse pas. On doit noter l’aspect animal de son visage, qui contraste avec la délicatesse de Fantine et fait apparaître d’emblée les efforts de cette dernière comme inutiles. Relations avec le texte et les autres œuvres proposées – Javert est souvent comparé à un animal dans le roman : l’illustrateur se montre ici très fidèle à l’œuvre. – La représentation de Fantine semble-t-elle réaliste par rapport à la description que donne Hugo dans le chapitre qu’illustre ce dessin ? Travail proposé Peut-on établir un parallèle entre ce dessin et le dessin de Daumier reproduit page 89 ? Compléments aux lectures d'images – 42 ◆ Peinture de Steinlen (p. 128) L’auteur Voir la présentation de l’auteur, page 128 du livre de l’élève. L’œuvre Pour une analyse de l’œuvre, on peut reprendre les questions qui se trouvent dans le livre de l’élève page 129 et les corrigés qui se trouvent dans le livret pédagogique. Relations avec le texte et les autres œuvres proposées On peut comparer la peinture de la misère enfantine telle qu’elle apparaît dans ce tableau avec les représentations de Cosette, page 132, et de Gavroche et ses frères, page 221. Travail proposé Comparez ce tableau avec les descriptions de la misère des familles d’ouvriers telle qu’on la trouve chez des auteurs comme Eugène Sue ou Charles Dickens. ◆ Dessin d’Émile Bayard (p. 132) L’auteur Émile Bayard (1837-1891) est un peintre et illustrateur français ; c’était l’illustrateur préféré de Victor Hugo. Ses portraits de Fantine, Éponine, Javert et Jean Valjean sont célèbres, mais c’est son portrait de Cosette, ici reproduit, qui est le plus connu : c’est lui en effet que l’on trouve sur l’affiche de la comédie musicale Les Misérables (1980). L’œuvre Cette image de Cosette est l’exemple même de l’illustration pathétique. Le fait le plus marquant est la disproportion entre Cosette et son balai, tellement forte qu’elle n’est pas réaliste. Cette disproportion souligne le jeune âge et l’aspect chétif de la petite fille. Le pathétique naît également de la représentation des haillons et du fait que la petite fille marche pieds nus, alors que l’on voit nettement que le sol est mouillé. L’expression de l’enfant inspire aussi la pitié du spectateur. On doit noter la présence menaçante du seau, derrière Cosette : il est très grand, très robuste et rempli d’eau. On a du mal à imaginer qu’une petite fille puisse le porter : cette illustration apparaît donc comme un présage effrayant de la scène très célèbre de Cosette dans la forêt. Relations avec le texte et les autres œuvres proposées En quoi cette image vous semble-t-elle représentative des Misérables ? Travail proposé Quelle autre scène du roman, selon vous, pourrait-on choisir pour la couverture des Misérables (quasiment toutes les scènes du roman ont été dessinées au XIXe siècle) ? ◆ Représentation des Thénardier par Gustave Brion (p. 142) L’auteur Voir le texte concernant le dessin de Gustave Brion (p. 74). L’œuvre On se trouve ici face à un véritable portrait : les deux personnages regardent le dessinateur. Par conséquent, ils ne sont pas saisis dans l’action mais immobiles, un peu figés. Les Misérables – 43 On doit observer le réalisme du cadre dans lequel ils sont représentés : on voit une table sur laquelle se trouve un gobelet, des chopes suspendues au mur, des clefs, un tableau qui semble un peu médiocre… La tenue des aubergistes est également précisément représentée : Thénardier porte une sorte de tablier muni d’une grande poche, typique d’un aubergiste. L’expression des personnages est très travaillée. Thénardier a l’air méfiant et en même temps rusé ; on peut lire une certains sournoiserie sur son visage. Sa femme ne sourit pas, son visage est revêche, et on comprend qu’elle puisse effrayer une enfant. On remarque qu’elle se tient assise, en retrait de son mari : position conforme à la description du roman, selon laquelle elle est soumise à son mari. On peut regretter, peut-être, que le côté « ogresse » (chevelure hirsute, par exemple) ne soit pas davantage mis en valeur. Relations avec le texte et les autres œuvres proposées Mettez cette représentation en parallèle avec celle de Cosette : qu’en concluez-vous ? Travail proposé Imaginez un autre type de représentation des Thénardier. ◆ Dessin de F. Flameng (p. 201) L’auteur François Flameng (1831-1911) est un peintre et graveur français. L’œuvre Trois personnages sont visibles sur cette image : Cosette, Marius et M. Leblanc. Le personnage principal est cependant, sans aucune hésitation, Cosette. Elle est en effet la seule dont on voit le visage en entier. Marius est tourné à demi, M. Leblanc n’est vu que de profil et a, en outre, le visage un peu baissé. La tenue de Cosette est de couleur claire, alors que les deux hommes sont habillés en sombre. Enfin, la lumière du soleil semble dirigée sur elle. Le cadre de la promenade de M. Leblanc et sa fille est précisément dessiné : on aperçoit une statue, des grilles, et Marius est assis sur un banc : on est bien dans un jardin public, le jardin du Luxembourg en l’occurrence. M. Leblanc, avec son chapeau et son visage baissé, semble vouloir se cacher, se soustraire aux regards. Cela est conforme à son personnage. Il semble en revanche plus jeune qu’il ne l’est dans le roman : il n’a pas l’air d’avoir les cheveux blancs. Seule une canne vient rappeler qu’il est déjà assez vieux. Marius, lui, ne porte pas de chapeau, et on devine sur son visage un léger collier de barbe ; un livre est posé à côté de lui. L’ensemble fait de lui l’exemple type de l’étudiant. Relations avec le texte et les autres œuvres proposées Comparez cette illustration avec le texte relatant la rencontre entre Cosette et Marius au jardin du Luxembourg : pourquoi selon vous l’illustrateur a-t-il choisi de représenter la scène en inversant la position respective des personnages ? Travail proposé Connaissez-vous des tableaux représentant des personnages dans un jardin public ou un parc ? ◆ Dessin de Gustave Brion (p. 221) L’auteur Voir le texte concernant le dessin de Gustave Brion (p. 74). Compléments aux lectures d'images – 44 L’œuvre L’illustration est d’une composition simple : trois enfants sont représentés, en ordre de taille décroissant. Le décor est quasi inexistant ; on observe seulement que le sol est pavé, ce qui indique que l’on se trouve dans une ville – à Paris en l’occurrence. La pauvreté de Gavroche est visible ; la manche de sa blouse est trouée, il a une reprise au genou. Il porte encore autour du cou le châle qu’il va bientôt donner à une petite mendiante. Les deux petits sont mieux vêtus et le plus jeune porte encore sa montre à son cou – ce qui est conforme à la réalité du roman, à ce moment-là du moins – mais ils ont l’air effrayés et malheureux. La représentation de Gavroche est assez étonnante : il est souvent représenté comme un gamin au sourire moqueur, gouailleur. Sur cette image, il a l’air doux et un sourire presque maternel. Il paraît aussi plus grand, plus mûr que sur d’autres illustrations. Cela met en valeur le jeune âge de ses protégés, et le rôle de protecteur qu’il joue auprès d’eux. Relations avec le texte et les autres œuvres proposées Comparez cette représentation de Gavroche avec celle de la page 246, et avec les descriptions que donne Victor Hugo dans le texte. Travail proposé Quelles sont les caractéristiques de la représentation de la misère enfantine au XIXe siècle ? ◆ Dessin de Gustave Brion (p. 229) L’auteur Voir le texte concernant le dessin de Gustave Brion (p. 74). L’œuvre L’image représente l’éléphant des Misérables, entouré d’une palissade, comme l’indique Hugo. Une maison en arrière-plan ainsi que, de l’autre côté de l’éléphant, des silhouettes d’immeubles, rappellent que l’on est dans un cadre urbain – ce qui fait ressortir l’incongruité de la présence de l’éléphant. L’éléphant semble d’une taille immense : il a l’air plus haut que les maisons, ce qui est peu vraisemblable. Cela suggère l’aspect fantasmagorique que lui prête Hugo dans le roman. On doit noter cependant qu’il a l’air plus propre, en meilleur état, que dans le texte où il est décrit comme une maquette en train de se délabrer peu à peu. Ici, sur cette image, des bijoux lui ornent le front, sa trompe est recourbée… Ce qui lui donne un air soigné. Il ressemble plus à un éléphant des Mille et Une Nuits qu’à celui de Hugo… Relations avec le texte et les autres œuvres proposées À quel autre type de représentation pourrait-on s’attendre pour cet éléphant ? ◆ Scène du film Les Misérables (p. 245) L’œuvre La scène représente Gavroche au milieu des cadavres de soldats, en train de récupérer des poires de poudre. Gavroche est en mouvement : son agilité contraste avec l’immobilité des soldats qui jonchent le sol. Il ressemble bien à un singe qui ouvre des noix, selon la description de Hugo. Gavroche est vêtu de la tenue typique du gamin parisien, avec sa casquette et sa blouse. On ne se doute pas, en voyant cette image, que Gavroche est en danger de mort, visé sans répit par les soldats : on est immergé dans la scène en même temps que Gavroche, qui ne tient aucun compte des soldats et chantonne en accomplissant sa mission. L’image rend donc bien compte de cette scène étrange où l’enfant brave la mort en la narguant, en quelque sorte. Les Misérables – 45 Relations avec le texte et les autres œuvres proposées Comparez cette scène avec le tableau de Delacroix, La Liberté guidant le peuple, représenté page 253. Travail proposé Essayez de vous procurer d’autres versions filmées des Misérables et comparez entre elles les scènes de la mort de Gavroche. ◆ Tableau de Delacroix (p. 253) L’auteur Voir la présentation de Delacroix dans le livre de l’élève, page 252. L’œuvre Pour une analyse de l’œuvre, on peut reprendre les questions qui se trouvent dans le livre de l’élève, page 257, et les corrigés qui se trouvent dans le livret pédagogique. Relations avec le texte et les autres œuvres proposées Quelle relation voyez-vous entre ce tableau et Les Misérables ? Travail proposé Cherchez d’autres représentations de scènes de révolte populaire, à différentes époques de l’histoire. ◆ Scène du film Les Misérables (p. 274) L’œuvre La photo est tirée de l’adaptation cinématographique des Misérables réalisée en 1957 par Jean-Paul Le Chanois. La scène représente les derniers moments de Jean Valjean. Trois personnages sont présents : Jean Valjean, Cosette et Marius. Le jeu des regards est très intéressant : Marius regarde Jean Valjean, qui regarde Cosette, qui ellemême regarde dans le vide. Elle a la tête appuyée sur les genoux de Jean Valjean et elle a l’air à la fois très triste et un peu absente, consciente que plus rien n’est possible et qu’elle va perdre son « père ». Celui-ci la regarde d’un air triste mais également un peu réprobateur, ce qui n’apparaît pas dans le roman. Marius, on le voit, essaie d’établir un contact avec Jean Valjean : il le regarde et lui touche l’épaule. Jean Valjean cependant ne prête pas attention à lui car il est totalement absorbé par Cosette. Marius garde donc une certaine extériorité par rapport à Cosette et Jean Valjean. Relations avec le texte et les autres œuvres proposées Comparez cette représentation de Jean Valjean avec celle que l’on trouve page 281. Travail proposé Quels éléments indiquent que le film dont est tirée l’image ici reproduite date des années 1950, et que la reconstitution du XIXe siècle est une reconstitution datée ? Compléments aux lectures d'images – 46 ◆ Dessin d’Alphonse de Neuville (p. 281) L’auteur Voir le texte concernant illustration d’Alphonse de Neuville (p. 112). L’œuvre Nous assistons ici à la mort de Jean Valjean. Jean Valjean, ici représenté comme un vieillard, gît sur un fauteuil. La lumière des chandeliers l’illumine, ce qui fait de lui le personnage principal de la scène. Il est en blanc et couvert d’un drap blanc ressemblant à un linceul. Le fait que la chambre soit sombre et que les chandeliers soient la seule source de lumière donnent à ces derniers une grande importance, conforme à ce que l’on retrouve dans le roman. On aperçoit un crucifix posé sur la table des chandeliers, signe que Jean Valjean est mort dans la religion. Les deux jeunes gens, Marius et Cosette, sont agenouillés. Leur désespoir est rendu visible par le mouvement de leur corps : Marius a la tête posée sur la main de Jean Valjean, Cosette semble prête à se relever pour étreindre son « père ». Pourtant, l’aspect mortuaire du visage de Jean Valjean ne laisse aucun doute sur le fait qu’il est mort. Les jeunes gens sont vêtus de noir, ce qui renforce l’ambiance de deuil. On doit noter enfin que la scène est loin d’être sereine : le défunt a une expression triste, amère, et les deux jeunes gens sont en larmes. Relations avec le texte et les autres œuvres proposées Comparez cette illustration avec le passage des Misérables racontant la mort de Mgr Myriel. Travail proposé Cherchez d’autres représentations de la mort d’un vieillard. ◆ Dessin de Gustave Brion (p. 284) L’auteur Voir le texte concernant le dessin de Gustave Brion (p. 74). L’œuvre Cette image est la toute dernière des Misérables. Elle donne une impression mélancolique, conforme au dernier chapitre du roman. La tombe est entourée de ténèbres. Elle est sur le point d’être dévorée par des broussailles et des herbes folles. Elle ne semble pas être située dans un cimetière, mais dans un endroit isolé : cela donne une impression de très grande solitude. L’inscription que l’on devine est déjà à moitié effacée et illisible. On doit noter que la tombe semble lumineuse : elle est éclairée, non par le jour, qui ne passe pas à travers les branches, mais de l’intérieur. Par là, l’illustrateur cherche à traduire la sainteté de l’homme qui habite cette tombe, son aspect exceptionnel. Relations avec le texte et les autres œuvres proposées L’aspect désolé et mélancolique de la tombe transcrit très fidèlement la fin du roman. Travail proposé À quel mouvement culturel vous semble se rattacher cette représentation d’une tombe solitaire et mangée de broussailles ?