- 1 - RÉPÉTITION, TRANSFERT ET SOMATOSE Elsa Rappoport de

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- 1 - RÉPÉTITION, TRANSFERT ET SOMATOSE Elsa Rappoport de
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RÉPÉTITION, TRANSFERT ET SOMATOSE
Elsa Rappoport de Aisemberg1
Je suis très heureuse d’être à Berlin et de partager dans cette ville fascinante
ce panel avec mes prestigieuses collègues: Evelyne Sechaud et Marilia
Aisenstein de Paris, Lila Kalinich de New York et Peter Wegner de Tübingen,
Allemagne. Dans le cadre de ce Congrès, nous essaierons de transmettre nos
idées sur les concepts de “Répétition, transfert et somatose” provenant de
différentes régions d’IPA.
Je considère que le concept de répétition occupe une place centrale dans la
théorie psychanalytique, puisque cette formulation est liée aux caractéristiques
de l’inconscient et de la pulsion, de même qu’au transfert.
Notre tâche, l’analyse, fonctionne lorsque commence la répétition dans le
transfert.
Mais qu’est-ce qui se répète ? Qu’est-ce qui lutte pour sortir ? La réponse n’est
pas univoque. Il existe différentes répétitions.
En général, les auteurs qui ont écrit sur le sujet, notamment André Green,
Michel de M’Uzan, René Rousillon, ainsi que ceux avec qui j’ai eu l’occasion
d’en parler : Madeleine Baranger, Stefano Bolognini, Fernando Riolo et
Norberto Marucco, parmi d’autres, signalent qu’il est nécessaire de distinguer
les différents types de répétition, avis que je partage.
Ainsi, je pense que :
a) Il s’agit, à l’origine, d’une quête de répétition du plaisir de l’expérience de
satisfaction avec l’objet primaire, répétition qui se transformera en structuration
du désir et de l’Inconscient refoulé. C’est sans doute ce fonctionnement qui est
à la base du transfert positif et qui donne lieu à l’installation du traitement.
1
Membre Titulaire de l’Association Psychanalytique Internationale et l’Association Psychanalytique
Argentine. Adresse: Av. Callao 1801, 9º (C1024ADE), Ciudad Autónoma de Buenos Aires, Rép.
Argentine. Courrier électronique: [email protected]
-2b) On répète ce qui n’a pas de représentation-mot, contrairement au souvenir.
On répète ce qui lutte pour sortir, nous supposons qu’il s’agit de
l’investissement de la représentation-chose, séparée de l’affect et/ou de la
représetation-mot, par effet de refoulement et des autres défenses névrotiques
qui se produisent face au conflit œdipien et l’angoisse de castration. Il s’agit de
la mise en scène de la rivalité œdipienne, aussi bien des désirs érotiques ou
agressifs des dimensions hétéros ou homosexuelles, que d’injures narcissiques
ou déficit de confirmation narcissique au carrefour œdipien, qui donneront lieu à
l’amour de transfert ou à des transferts négatifs ou hostiles. Il s’agit du Freud de
1914.
c) On répète aussi des symptômes, des inhibitions, des traits de caractère, des
défenses ancrées dans le caractère, résistances qui rendent difficile l’accès aux
dérivés de l’inconscient.
d) Dans les items mentionnés plus haut, il y a répétition dans le principe du
plaisir, mais ce qui pose le plus de problèmes c’est qu’il y a aussi répétition audelà du principe du plaisir. Ce dernier cas comprend la compulsion de répétition
de traces sensorielles, primitives, traumatiques, qui s’expriment en différents
court-circuits : dans le corps, les somatoses ; dans l’acte, les conduites ou les
accidents ; et dans l’esprit, les hallucinations. C’est le Freud de 1920 et 1937.
Ces énoncés renvoient à deux lignes fondamentales :
I. La répétition bénigne ou désirable, qui rend possible le traitement, qui fait
partie du Principe du plaisir, du domaine du fonctionnement psycho névrotique,
de l’Œdipe, de l’Inconscient refoulé, et qui est le produit de l’investissement des
représentations.
II. La répétition démoniaque, qui se trouve au-delà du Principe du plaisir,
répétition du fonctionnement non névrotique ou narcissique, dans le domaine
de l’Inconscient non refoulé ou l’Inconscient à proprement parler.
Ce dernier champ de la répétition est lié à Thanatos, à l’anxiété face à
l’abandon, aux traumas précoces ou pré-psychiques, non transformés en
structures psychiques, mais qui maintiennent les traces sensorielles primitives,
clivées, l’Inconscient absolu. Ces traces, quand elles sont investies, entrent en
scène et sont l’objet d’exploration des extensions de la psychanalyse ou sont
plutôt la psychanalyse contemporaine comme je me plais à l’appeler.
-3Notre défi actuel est l’exploration des mises en scène des traces/marques de la
« mémoire amnésique », pour reprendre les termes d’André Green, de ce qui
jamais ne fut conscient, de l’Inconscient à proprement parler ou l’Inconscient
absolu avec ses racines dans le soma, du Ça de la deuxième topique, comme
le décrit Freud dans sa Conférence 31 en 1933.
Parmi les court-circuits possibles : acte, soma ou hallucination, notre objet
d’étude sont les somatoses, expressions de l’investissement des traces
perceptives qui n’ont pas pu encore être transformées en tissu psychique, mais
qui étant investies par la pulsion apparaissent dans le soma « en attente» d’être
construites par l’interlocuteur.
Notre pratique clinique et théorique actuelle nous exige de créer quelque chose
de nouveau entre patient et analyste lorsque nous travaillons avec des
structures non-névrotiques. Cela ressemble assez à ce que l’artiste réalise
dans son œuvre, capable en solitude de transformer en figurations ses traces
traumatiques primitives.
Cela requiert une approche à partir de la construction (Freud 1937), la
construction du souvenir produite dans l’esprit de l’analyste, ce qui nous pose le
problème de la conviction chez le patient, c’est-à-dire, si cette formulation
correspond à sa vérité ou si elle lui appartient.
Répétition et pulsion
Comme j’ai déjà signalé, la répétition est l’une des caractéristiques de la
pulsion, ce qui nous permet de penser qu’elle favorise la survie psychique,
puisqu’elle contribue à maintenir vivante la pulsion. La répétition peut aussi
conduire à l’émergence de la créativité et du nouveau.
La pulsion telle qu’elle fut décrite par Freud en 1915, constituée par la
représentation et l’affect, correspond à la pulsion érotique et/ou au mélange des
deux pulsions (1920) devenu sado-masochisme. En revanche, une autre
formulation freudienne de pulsion de 1915 aussi, se pose comme un concept à
la limite entre psyché et soma, provoqué par l’excitation endosomatique, produit
des perceptions internes et externes du rapport avec l’objet, excitation qui sera
traduite à représentant psychique de la pulsion (1923), donnant lieu à la
structuration de l’appareil et au fonctionnement psychonévrotique.
-4En outre, lorsque cette quantité d’excitation endosomatique entre le soma et la
psyché ne réussit pas à accéder à sa transformation psychique, à mon avis,
elle correspondraient aux névroses actuelles décrites par Freud au début de
ses théories.
Je considère que cette quantité non représentée, non liée, désobjectalisée, est
plus proche de l’idée de pulsion de mort, pulsion de mort qui va investir les
traces pré-psychiques qui produiraient la répétition démoniaque, dont la
somatose est l’un des destins.
Ces réflexions m’amènent à penser qu’Éros et Thanatos sont différents dans
leur essence : Éros est une pulsion organisée, représentée dans le psychisme,
mais Thanatos est une quantité désorganisée, pré-psychique ou dans les
limites entre le soma et la psyché. L’une traverse les vicissitudes du
fonctionnement psycho-névrotique, tandis que l’autre prédomine dans les
fonctionnements non-névrotiques.
Répétition et mémoire
Nous, psychanalystes nous nous devons encore une théorie sur la mémoire
spécifique à notre champ.
Face au fonctionnement psycho-névrotique, notre but est de récupérer la
mémoire oubliée ou refoulée du conflit œdipien, tandis que notre défi actuel, la
psychanalyse contemporaine, inclut le fonctionnement non névrotique qui vise à
« construire une mémoire », à mettre en évidence des expériences primitives
précédant la parole, qui ne furent jamais conscientes, ce que Green appelle la
« mémoire amnésique ».
Dans le domaine des somatoses, Joyce Mc Dougall, déjà en 1995, appelait
« mémoire corporelle » les marques primitives, à l’origine d’un court-circuit au
soma.
Il est possible de trouver des antécédents de ces idées chez Pollock avec sa
description de la réaction anniversaire, de même qu’avec le très intéressant
fragment d’autoanalyse sur ce sujet que nous raconte Engel.
Je veux aussi inclure en souvenir d’un maître de notre association, José Bléger
qui, déjà en 1967, avait signalé, à propos des aspects primitifs déposés dans le
cadre, qu’ils ne sont pas refoulés mais clivés et qu’en interprétant « on crée le
processus secondaire. On n’interprète pas sur des lacunes mnésiques, mais
-5sur ce qui ne fit jamais partie de la mémoire ». La richesse et l’actualité de cet
énoncé renvoient au fonctionnement primitif préverbal, qui ne s’est pas
transformé en tissu psychique et qui doit être construit en situation analytique.
Répétition et transfert
La répétition la plus importante pour les psychanalystes est celle qui a lieu dans
le transfert, puisque c’est celle qui nous permet de réaliser notre tâche.
Vu la classification incontournable des trois registres du fonctionnement
psychique/pré-psychique : pulsion, narcissisme et l’archaïque, je pense que la
pulsion (érotique ou mélangée) constitue le domaine qui donnera lieu à
l’inscription de la représentation qui s’exprime dans le transfert à la parole; que
le
narcissisme
(secondaire)
devient
des
identifications :
primaires
ou
secondaires, structurantes ou déstructurantes, ces dernières sont celles qui
doivent se transformer en représentation.
Le transfert à la parole renvoie au domaine de la pulsion, tandis que le transfert
à l’objet renvoie au domaine du narcissisme.
Pour finir, l’archaïque, à partir des traces précoces perceptives, est ce qui
émerge comme passage à l’acte ou au soma et qui doit être construit sur le
terrain analytique.
C’est le registre archaïque, quasi-mythique, des marques sensorielles qui je
suppose seraient entre le soma et la psyché, qui n’ont pas d’existence
psychique et qui ne l’acquièrent qu’avec sa transformation en tissu psychique
par la construction de la remémoration réalisée entre patient et analyste en
situation de transfert-contretransfert.
Répétition et remémoration
La remémoration désigne en psychanalyse l’action psychique qui provoque
l’apparition d’un ou plusieurs souvenirs, accompagnés d’affects, dans la
situation analytique.
C’est l’un des buts à atteindre lorsque nous travaillons sur le fonctionnement
psycho-névrotique, en essayant, par l’interprétation, de favoriser l’émergence
des souvenirs refoulés. Mais quand nous nous trouvons sur le terrain du
fonctionnement non névrotique, comme dans le cas des somatoses, il nous faut
construire les souvenirs : il s’agit d’une remémoration élargie. Dans ce cas,
-6nous essayons de la construire à partir de la répétition dans le transfert et le
contre-transfert.
Dans cette tâche à deux, entre patient et thérapeute, qui nous a intéressés en
tant que psychanalystes, pendant la deuxième moitié du XXème siècle, on
remarquera deux groupes d’auteurs qui ont aussi travaillé à deux : César et
Sara Botella à Paris avec leurs apports sur la « figurabilité », et Willy et
Madeleine Baranger, à Buenos Aires avec leurs formulations sur le « champ
analytique ».
Je tiens aussi à inclure de M’Uzan et sa magnifique idée de « chimère », et
Bion, avec son précieux concept de rêverie. Ils mettent tous en évidence la
communication entre deux psychismes dans la situation analytique.
La conviction
L’emploi de la construction nous amène au problème de la conviction du
patient. Il s’agit d’obtenir que ce dernier puisse s’approprier la construction de
l’analyste et la sentir comme sienne.
Freud, en 1937, mentionnait l’importance de la conviction chez le patient, sujet
que César et Sara Botella ont développé remarquablement dans leurs textes.
Je pense que la conviction possède au moins deux sources de confirmation :
l’une, le vécu de la répétition dans le transfert contre-transfert, que l’analyste
avec ses hypothèses constructives essaiera de transformer en représentation ;
l’autre, l’émergence de rêves, indicateurs de la transformation des traces
traumatiques en tentative de réalisation de désir, comme signale Freud en
1932. La production de rêves est un signe de transformation de traces
sensorielles en tissu psychique, en appareil à penser, en fonctionnement
psycho-névrotique et contribue à ce que le patient éprouve la conviction qu’il
s’agit de sa vérité ou d’un matériel qui lui appartient.
Répétition et somatose
Quelques ponctuations comme synthèse.
1) La somatose renvoie à un autre fonctionnement psychique, non-névrotique,
qui coexiste avec le fonctionnement psychonévrotique.
-72) La somatose est une expression de l’Inconscient absolu ou proprement dit,
tandis que le fonctionnement psychonévrotique est une expression de
l’Inconscient refoulé.
3) La somatose est la mise en scène des traces sensorielles potentiellement
traumatiques, qui n’ont pas subi de transformation, qui se trouvent peut-être
entre le soma et la psyché et qui, investies par l’excès d’excitation
endosomatique, produit de la perception extéro et intéroceptive, n’arrivent pas à
se traduire en pulsion et font court-circuit au soma. Il s’agit de la quantité qui, à
mon avis, serait l’essence de Thanatos.
4) Ces marques sont des expériences primitives qui précèdent la parole, qui
n’ont jamais été conscientes et qui à partir d’un trauma ou un deuil actuel se
mettent en mouvement.
5) La répétition dans le transfert est une occasion d’acquérir du sens, de
transformer les traces en représentations, en tissu psychique, de transformer
l’Inconscient absolu en Inconscient refoulé, ainsi que de déployer la créativité et
le nouveau.
Pour finir, j’espère avoir pu vous transmettre dans ce texte pourtant bref
l’importance théorique-clinique de la somatose dans la psychanalyse
contemporaine.
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