numéro 14 - Blancpain
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numéro 14 - Blancpain
NUMÉRO 14 3 Cher amateur d’horlogerie, J’ai le plaisir de vous présenter le quatorzième numéro des Lettres du Brassus. Quelle ampleur doit revêtir le développement d’une grande complication horlogère ? Pour Blancpain, il ne s’agit pas uniquement de confectionner un garde-temps particulièrement compliqué, mais de faire progresser l’art de l’horlogerie de manière substantielle afin de repousser les anciennes limites et de donner naissance à une réalisation qui n’a jamais vu le jour auparavant. Cette vocation est ambitieuse et elle exige un intense engagement. À chaque fois que nous nous lançons dans un projet d’une telle envergure, j’ai le sentiment que nous nous embarquons pour une aventure dont nous ne savons jamais quand et où elle se terminera. Aussi, il est évident que chaque année ne voit pas la présentation d’un accomplissement d’une telle nature. Cependant, Blancpain a dévoilé en 2013, lors du salon de Bâle, deux grandes complications qui sont des premières mondiales, le Brassus Tourbillon Carrousel et le Brassus Carrousel Répétition Minutes Chronographe Flyback. Ces deux garde-temps extrêmement compliqués comprennent le carrousel volant une minute exclusif à Blancpain – une construction qu’aucune autre marque horlogère n’a été en mesure d’égaler. J’espère que vous aurez plaisir à lire dans ce numéro les articles consacrés à l’audacieuse voie créative que nous avons suivie dans le développement de ces deux grandes complications. Vous pourrez également lire, dans les pages suivantes, le récit d’une autre aventure, celle de Laurent Ballesta et des périlleuses plongées qu’il a réalisées afin de découvrir, étudier et photographier l’une des créatures les plus rares et les plus anciennes de notre planète, le cœlacanthe préhistorique. Nous sommes fiers d’avoir eu le privilège de parrainer cette importante étude scientifique. Je vous souhaite une agréable lecture ! A. Hayek Marc A Président et CEO de Blancpain 4 | Sommaire Numéro Issue 14 13 22 6 38 6 22 Le Brassus PÉTRUS TOURBILLON CARROUSEL Une première mondiale, un carrousel et un tourbillon réunis dans une montre-bracelet. Quelles caractéristiques font de Pétrus le vin le plus révéré, apprécié et recherché de Pomerol ? 38 Le Carrousel GRANDE COMPLICATION Télécharger gratuitement l’application Blancpain pour iPad. Rechercher Blancpain dans l’App Store d’Apple. En couverture : Le Brassus Tourbillon Carrousel. ISSUE 14 Le nouveau Brassus Carrousel Répétition Minutes Chronographe Flyback fait son entrée dans le panthéon des Grandes Complications de Blancpain. 5 52 72 86 52 86 Expédition GOMBESSA ROUES et PIGNONS Le cœlacanthe, une plongée vers nos origines. Si elle est connue des horlogers, l’impérieuse nécessité de recourir à des roues et à des pignons de la meilleure qualité échappe généralement aux collectionneurs. 72 Le retour aux classiques : MICHEL ROSTANG Il y a une joie profonde à redécouvrir les délices offertes par les grands standards de la cuisine française. 6 | Dans l’air du temps 7 PAR JEFFREY S. KINGSTON Le Brassus TOURBIL LON CARROUSEL Une première mondiale, un carrousel et un tourbillon réunis dans une montre-bracelet. 8 | Dans l’air du temps 9 Les indications données, en 2009, par Marc A. Hayek semblaient ne laisser aucune place au doute. « Étudions la possibilité de réaliser une montre qui réunisse un tourbillon et un carrousel. » Réunir ? Qu’entendait-il donc par ce terme ? Cette question serait tranchée par les horlogers de Blancpain. Ils venaient de recevoir une liberté de création illimitée afin d’élaborer des propositions qui associeraient les concepts du tourbillon et du carrousel, d’une manière qui corresponde à l’une ou à l’autre des nombreuses acceptions du verbe « réunir ». L’annonce de cette mission a donné des ailes à leur imagination. « Pourquoi ne pas intégrer un carrousel à un tourbillon ou inversement ? », mais cette première idée n’a pas résisté à un examen détaillé. L’élément central du tourbillon est constitué par une roue fixe autour de laquelle gravitent les composants de la montre responsables de la mesure du temps, alors que le principe du carrousel repose sur le pivotement de ces mêmes éléments en l’absence de roue fixe. De ce fait, il n’existe aucun moyen d’intégrer ces deux dispositifs dans une seule construction. Logiquement, l’attention des horlogers s’est donc portée sur le développement d’un garde-temps totalement inédit, qui comporterait tout à la fois un tourbillon et un carrousel, réunis par leur double présence dans une seule montre. Comme pour tout projet novateur, les prochaines étapes pouvaient prendre de nombreuses directions. Si un tourbillon et un carrousel sont disposés sur la même montre, un seul barillet doit-il alimenter les deux mécanismes et, en ce cas, quelle doit être la disposition de ces trois éléments à l’intérieur du boîtier ? Le barillet sur le haut avec le tourbillon tandis que le carrousel est logé quelque part au-dessous, ou le carrousel en haut et le tourbillon sur le bas, à moins qu’il ne soit préférable de les disposer de part et d’autre du barillet ? Chacune de ces configurations faisait l’objet d’une étude approfondie jusqu’à l’instant où une meilleure idée est apparue : doter le tourbillon et le carrousel de barillets séparés. En effet, des barillets distincts offraient la possibilité de parvenir à une disposition harmonieuse par l’alignement vertical du tourbillon et du carrousel. Une fois retenue, cette décision a ouvert la voie aux phases ultérieures. Cette constatation n’implique nullement que l’inventivité s’est arrêtée à ce point, pas plus qu’elle n’avait débuté en 2009 par les indications délivrées par Marc Hayek. Dévoilée lors du salon de Bâle de 2013, la Tourbillon Carrousel est le fruit d’inventions qui ont marqué le début des années 1980 et se sont continuellement poursuivies pendant le quart de siècle suivant. En tout état de cause, la Tourbillon Carrousel conjugue trois domaines essentiels où s’est illustrée la force d’innovation de Blancpain. En premier Le développement de la Tourbillon Carrousel était un PROJET ENTIÈREMENT INÉDIT. 10 | Dans l’air du temps lieu, la création du premier tourbillon volant une minute du monde. En second lieu, la réalisation du premier carrousel volant une minute du monde et, enfin, le développement des moyens nécessaires à réunir ces deux avancées capitales dans un seul garde-temps. Avant de retracer un cheminement qui s’est étendu sur quatre années pour associer ces deux constructions, il n’est pas inutile de remonter un instant le cours du temps afin d’examiner en détail les deux membres de cette union, car chacun incarne un achèvement horloger majeur. Le Tourbillon Volant Une Minute de Blancpain. Comme tous les tourbillons fabriqués depuis l’invention de ce dispositif breveté en 1801 par Abraham-Louis Breguet, le Tourbillon Volant Une Minute est conçu pour compenser les écarts de marche dus aux changements dans les positions verticales. Indépendamment du soin apporté à sa réalisation, il est inévitable qu’une montre mécanique avance ou retarde légèrement dans les différentes positions verticales (généralement définies par les expressions « couronne en haut », « couronne en bas », « couronne à droite », « couronne à gauche »). L’idée fondamentale à l’origine du tourbillon consiste à faire tourner constamment les composants responsables de la mesure du temps, de sorte que les erreurs de position provoquées par la gravité s’annulent réciproquement. Sur tous les tourbillons, ces éléments sont disposés dans une cage qui tourne autour d’une roue fixe sur une base périodique (une rotation par minute est la norme la plus fréquente sur les montres modernes). Telle était l’essence du brevet octroyé en 1801 et elle demeure de nos jours le cœur d’une construction de tourbillon. Mis au point au début des années 1980 par une équipe pilotée par Vincent Calabrese, le tourbillon original de Blancpain a été développé à partir du principe sur lequel reposent les habituelles constructions de tourbillon. L’usage en vigueur pendant les 180 années précédentes consistait à maintenir la cage en rotation entre deux ponts (l’un en haut, l’autre en bas) et à placer le balancier au centre de la cage. Vincent Calabrese et Blancpain ont considéré qu’il serait possible d’optimiser la conception classique en supprimant le pont supérieur et en décentrant légèrement le balancier. Ces améliorations ont apporté des avantages considérables. Premièrement, le retrait du pont supérieur a permis d’accroître la visibilité sur le mécanisme du tourbillon, car aucun obstacle ne s’interpose plus dès lors entre le tourbillon et l’œil de l’observateur. Cette construction à pont unique est appelée « tourbillon volant », puisque l’unique support pour la cage en rotation est situé sur la partie inférieure du mécanisme. Cette disposition confère à la partie supérieure l’apparence d’une cage « volant » dans l’espace. Deuxièmement, en décentrant le balancier, Vincent Calabrese était en mesure de réduire de manière significative l’épaisseur de la cage et de créer ainsi le tourbillon le plus mince du monde. La création d’un TOURBILLON VOLANT doté d’un balancier décentré était infiniment plus complexe que l’adaptation de constructions existantes. 11 12 | Dans l’air du temps 13 l’absence de roue fixe alors que deux trains de rouages sont employés, l’un pour faire tourner la cage et l’autre pour alimenter en énergie le balancier et l’échappement. Le carrousel est une invention de Bahne Bonniksen, un horloger danois qui s’était établi en Angleterre. Il avait pour intention de développer une montre précise qui contournerait le brevet déposé par Breguet. De manière subsidiaire, il espérait que sa construction serait plus économique que celle d’un tourbillon. Il est parvenu avec brio à remplir son premier objectif, mais il a échoué à atteindre le second. Si les montres de poche à carrousel ont démontré une précision supérieure aux performances affichées par les garde-temps équipés d’un tourbillon, leur fabrication s’est révélée plus coûteuse en raison de leur complication additionnelle et d’un nombre de composants plus important. Ces deux innovations de Blancpain ont rendu la réalisation d’un tourbillon incomparablement plus complexe qu’elle ne l’était pour les conceptions alors habituelles. À elle seule, la description du tourbillon volant révèle la difficulté additionnelle qu’elle présuppose : un pont au lieu de deux pour supporter la cage en rotation. Sa concrétisation a requis la mise au point d’un système de roulement à billes pour la cage sur le pont inférieur, qui a été perfectionné au fil des années par le recours à la céramique. À quel point la construction de la première montre-bracelet équipée d’un tourbillon volant était-elle révolutionnaire ? Blancpain n’avait pas uniquement réussi un achèvement exceptionnel, mais présentait au monde horloger le premier tourbillon volant une minute dans un garde-temps de toute dimension – qu’il soit de poche ou de poignet. Le Carrousel Volant Une Minute de Blancpain. L’idée fondamentale du carrousel est identique à celle du tourbillon, la rotation constante des éléments responsables de la mesure du temps afin d’annuler les écarts provoqués par la gravité sur la marche de la montre en position verticale. La différence essentielle entre le carrousel et le tourbillon réside dans les moyens adoptés pour parvenir à cette rotation. Sur le tourbillon, les horlogers recourent à une roue fixe dont la rotation est utilisée pour délivrer l’énergie requise par l’échappement et le balancier. Un carrousel se caractérise par Malgré leur production plus onéreuse, les montres de poche à carrousel inspirées par Bahne Bonniksen suscitaient un vif engouement à Coventry, la ville de résidence de l’horloger, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. En 1904, en effet, 38 des 50 meilleures montres soumises au concours de précision organisé par l’observatoire anglais de Kew étaient des carrousels, qui ont ainsi largement dominé la compétition. Malheureusement pour l’univers horloger, comme les carrousels étaient exclusivement construits outre-Manche, l’effondrement de l’industrie horlogère anglaise a également sonné le glas des carrousels et, par voie de conséquence, entraîné leur disparition complète. Ainsi, au moment où Blancpain a recomposé une équipe, de nouveau dirigée par Vincent Calabrese, pour intégrer le premier carrousel à une montrebracelet, il s’agissait de faire revivre un art en grande partie oublié. Comme il l’avait fait pour le tourbillon, le team de Blancpain ne s’est pas contenté de recréer des mécanismes existants, il a mis au point une construction innovante sous de nombreux aspects. Lors de sa présentation au salon de Bâle en 2008, le carrousel de Blancpain n’était pas uniquement le premier carrousel inséré dans une montre-bracelet, mais aussi le premier carrousel volant une minute jamais réalisé et le carrousel qui offrait la plus longue réserve de marche de toute l’histoire de l’horlogerie. 14 | Dans l’air du temps L’autre domaine dans lequel le carrousel de Blancpain a ouvert une nouvelle voie peut être considéré avec un certain amusement. Sur le tourbillon volant de Blancpain, c’est le balancier décentré qui confère à cette réalisation sa singularité. L’architecture inverse est utilisée sur le carrousel. Alors que les constructions historiques de montres de poche à carrousel comportaient un balancier décentré, Blancpain a résolu de faire figurer le balancier au centre de la cage. La réunion. Les problèmes soulevés par la présence d’un barillet pour les deux constructions et la disposition des éléments n’étaient que les premiers défis posés par l’incorporation de deux mécanismes emblématiques de Blancpain dans une même montre. L’une des difficultés abordées initialement peut sembler banale, voire triviale. S’il y a deux barillets, le premier pour le tourbillon et le second pour le carrousel, comment doivent-ils être remontés ? Par l’entremise d’une seule couronne, assurément. Cependant, comme le tourbillon et le carrousel sont placés verticalement dans la montre, les deux barillets ne peuvent être situés l’un à côté de l’autre, mais doivent nécessairement se trouver face à face. L’interrogation fondamentale résidait dès lors dans la détermination d’une méthode pour remonter simultanément deux barillets disposés à quelque distance l’un de l’autre. La solution a pris la forme d’une grande bague de remontage qui entoure le mouvement. Dotée de dents sur son bord interne, cette grande bague peut engager simultanément les roues de remontage des deux barillets. Malgré sa forme de « bague », les constructeurs de Blancpain préfèrent lui donner le nom de « couronne », car son objectif consiste à remonter les deux barillets. La réalisation de cette pièce était tout sauf simple. Le problème se concentrait sur la manière de fixer la « couronne d’armage ». De nombreux composants ont été conçus pour maintenir cet élément en place. Afin d’assurer sa fixation latérale, quatre coussinets en rubis ont été répartis autour du mouvement, à des emplacements stratégiques. Trois d’entre eux aux points où s’exercent les contraintes les plus fortes, proches des Une bague extérieure reliée à la couronne remonte simultanément les deux barillets. 15 16 | Dans l’air du temps 17 deux roues de remontage pour les barillets et à proximité de la tige. Un tenon en acier est situé sur la surface supérieure de chaque coussinet en rubis pour fournir un appui vertical. Dans l’autre direction, la couronne d’armage est maintenue à la hauteur requise par un tenon chassé dans le pont. La couronne est extrêmement difficile à produire. Sa forme complexe et la disposition interne de la denture exigent que chacune de ses dents soit taillée individuellement. Au-delà d’un remontage unique, un autre aspect de cette « union » réside dans la conception commune de certains éléments du tourbillon et du carrousel. Les balanciers et les spiraux de chaque ensemble ont connu une évolution semblable. Pour la première fois, Blancpain a confectionné en silicium les spiraux du balancier pour le tourbillon et le carrousel. Ils s’accompagnent d’une autre innovation sous la forme d’une construction inédite pour le balancier qui possède des vis en or destinées au réglage de l’inertie. Ce dispositif, qui est une caractéristique de tous les Les BALANCIERS ET LES SPIRAUX sont identiques. L’inertie des premiers est réglable alors que les seconds sont confectionnés en silicium. 18 | Dans l’air du temps récents calibres de Blancpain, offre une plus grande précision pour l’ajustage de la montre et une résistance supérieure aux chocs. Sur la Tourbillon Carrousel, les balanciers sont creusés à l’emplacement des vis de réglage. Ces découpes permettent d’insérer dans les cages des balanciers au diamètre légèrement plus grand. Dans chacune de leurs caractéristiques – spiral en silicium, réglage de l’inertie, dessin du balancier – le tourbillon et le carrousel sont identiques. Les collectionneurs horlogers avisés se demanderont sans doute à ce point comment les informations en provenance des deux ensembles sont associées dans un seul affichage. La réponse se présente sous l’apparence d’un différentiel qui, en ce cas, comporte deux roues externes, chacune entraînée par un pignon, l’une depuis le tourbillon, l’autre depuis le carrousel. Le pignon est monté sur un dispositif appelé « satellite ». À son tour, l’aiguille des minutes de la montre est reliée à un axe qui tourne avec le satellite. Si le tourbillon et le carrousel suivent un rythme identique, la position relative du pignon du satellite ne changera pas et il tournera à la vitesse commune des deux systèmes. À l’inverse, s’il y a une différence dans le rythme des deux ensembles, le satellite tournera à la moyenne de marche entre les deux systèmes. Même si la construction est complexe, son fonctionnement est simple à comprendre. Pour deux entités distinctes, les résultats de l’une et de l’autre se compensent. Ainsi, prenons pour hypothèse que le tourbillon avance de 2 secondes par jour et que le carrousel retarde de 2 secondes par jour, il en résultera une précision parfaite, avec une absence totale d’écart, soit 0 seconde par jour. Un autre exemple : si le tourbillon n’accuse ni retard ni avance à 0 seconde par jour et que le carrousel avance de 2 secondes par jour, la montre affichera une avance de 1 seconde par jour. En réalité, le mécanisme de la Tourbillon Carrousel est équipé de non moins de trois différentiels. En plus du différentiel conçu pour faire converger les informations en provenance des deux systèmes et déterminer une marche moyenne, il existe un différentiel pour l’affichage de la réserve de marche, disposée sur le fond de la montre, et un autre pour la correction de l’indication de la date. Les deux barillets SONT REMONTÉS SIMULTANÉMENT par l’entremise de la « couronne d’armage » qui entoure le mouvement. 19 20 | Dans l’air du temps Un dernier détail relatif à la construction du mouvement a retenu l’attention des horlogers, soucieux d’assurer une heureuse union. Dévoilé en 2008, le carrousel original de Blancpain possédait une réserve de marche de 100 heures, qui représentait un record du monde pour un garde-temps à carrousel. En établissant également de nouvelles normes au moment de leur présentation, les tourbillons de Blancpain ont porté la réserve de marche à 8 jours. Comme les deux, évidemment, fonctionnent de concert, les constructeurs de Blancpain ont fixé la réserve de marche à 7 jours et conçu un nouveau barillet plus grand pour le carrousel afin qu’il atteigne la même valeur. La décoration du mouvement reflète le raffinement de sa construction. Le côté cadran de la montre Tourbillon Carrousel est ajouré afin de dévoiler la platine au regard de l’observateur. Pour la première fois sur l’un de ses calibres, Blancpain a gravé à la main un motif de guillochage connu sous le nom de « flinqué ». À travers le fond transparent, les ponts présentent une finition sablée rhodiée. Il existe divers traitements entre la bordure de la finition sablée et le bord poli brillant de l’anglage qui souligne la beauté des deux décorations. Mentionnons enfin deux derniers ornements : l’affichage de la réserve de marche recourt à un contraste entre un fond au fini sablé et un poli spéculaire pour illustrer l’état du remontage. Un anneau est disposé autour de l’ouverture du carrousel et il a été guilloché à la main comme la partie supérieure du mouvement. Le cadran de la montre a été confectionné en émail grand feu. Pour lui conférer une profondeur supplémentaire, des couches successives d’émail sont déposées, chacune soumise à une cuisson avant l’application de la suivante. Les élégants index en or sont inhabituels sur un cadran émaillé. La Tourbillon Carrousel est dotée d’un boîtier en or rouge au diamètre de 44,6 millimètres. • 21 22 | Art de vivre Le vignoble de Pétrus avec le village de Pomerol au loin. 23 PAR JEFFREY S. KINGSTON PÉTRUS Quelles caractéristiques font de Pétrus le vin le plus révéré, apprécié et recherché de Pomerol ? 24 | Art de vivre 25 La viticulture sur le domaine de Pétrus REMONTE À 1745. « C’est la colline. » Olivier Berrouet, qui a pris la succession de son père au titre d’œnologue à Pétrus, désigne à grand renfort de gestes une ondulation à peine perceptible dans le vignoble qui s’étend en face du chai de Pétrus. Pour un esprit davantage habitué aux montagnes de l’Idaho et aux sommets suisses, il est presque impossible de déceler cette faible élévation à l’horizon. Pour l’exprimer sous une autre forme, rien ne pourrait indiquer au plus novice des cyclistes qu’il serait avisé de changer de braquet avant de s’élancer à l’assaut de la pente. Assurément, il est difficile d’imaginer que cette « colline » puisse être perçue comme telle si elle était située au cœur de Lavaux plutôt que dans le Libournais. Olivier Berrouet expose les caractéristiques qui distinguent le domaine de ses voisins de Pomerol et font du Pétrus un vin prestigieux, ardemment convoité et, de surcroît, le plus cher de la région. Loin d’être un tertre qui se dresse au-dessus du sol, cette « colline » est essentiellement un phénomène géologique qui se déroule sous la surface. Dans les autres parties d’un vignoble connu à Bordeaux sous la dénomination « rive droite », qui comprend notamment les appellations Saint-Émilion et Pomerol, la Dordogne a abandonné il y a environ un million d’années des couches de graviers sur un sol qui composait le fond d’un océan 39 millions d’années auparavant. Ces alluvions se sont déposées partout, à l’exception de la colline de Pétrus. Le gravier s’est réparti tout autour, mais il a épargné le sommet. Ainsi, la glaise qui, ailleurs, disparaît sous les alluvions, s’élève vers la surface à Pétrus. Et c’est cette terre, de couleur bleuâtre, qui donne sa force et son caractère spécifique au Pétrus. Si les explications d’Olivier Berrouet attirent sans conteste l’attention sur un facteur de qualité essentiel, l’histoire du domaine et la philosophie particulière qui préside à l’élaboration de ses vins ouvrent également d’intéressantes perspectives. À Pétrus, les débuts de la 26 | Art de vivre viticulture remontent à 1745 avec la plantation de premières vignes par le proche Vieux Château Certan. À la fin du XVIIIe siècle, la famille Arnaud, qui s’était avisée de la remarquable qualité du vin produit par le Vieux Château Certan, acquit la parcelle située sur la colline et les vins portèrent dès lors la désignation de Château Pétrus Arnaud. Cependant, le succès ne vint véritablement qu’avec la médaille d’or remportée par la famille Arnaud lors de l’Exposition universelle de 1878. Sous son égide, les vignobles se transformèrent. Autrefois composés d’une large variété de cépages, ils furent complètement replantés au cours des décennies 1880 et 1890 de merlot, qui demeure aujourd’hui l’unique cépage encavé à Pétrus. En 1925, Mme Edmond Loubat commença à acquérir des parts de la propriété. Son pourcentage s’est accru régulièrement, de sorte qu’à la veille de la Seconde Omis dans la CLASSIFICATION DE 1855 , car il était situé près de Libourne, Pétrus a acquis sa renommée grâce à sa dévotion à la qualité. Guerre mondiale, elle en devint la seule propriétaire. Elle ne doutait pas que les vins de Pétrus en particulier et les crus de Pomerol en général n’étaient pas appréciés selon leur mérite et, donc, vendus à un prix inférieur à leur valeur. En effet, Pomerol et Saint-Émilion n’étaient alors pas regardés comme des vins de Bordeaux, malgré leur relative proximité avec la ville du même nom. Ils s’étendaient en effet de l’autre côté de la rivière, près de Libourne. Même si Pomerol et Saint-Émilion sont souvent considérés comme des vins de la rive droite, alors que la plupart des appellations bordeaux (Saint-Estèphe, Pauillac, Saint-Julien, Margaux et Graves) sont situées sur la « rive gauche », il importe de préciser que Pomerol ne figure pas sur la rive opposée de la même rivière. Les vins de la rive gauche bordent la Garonne tandis que Pomerol se trouve sur la rive droite de la Dordogne, qui se jette dans la Gironde. Ainsi, selon la conception en vigueur en 1855, Pomerol et Saint-Émilion étaient des vins du Libournais. En conséquence, leur absence de la classification n’était pas liée à un quelconque défaut de qualité, mais simplement à une considération géographique restrictive. À toute occasion, Mme Loubat s’efforçait de remédier à cette omission et d’accroître la renommée de Pétrus. Elle décida de privilégier la qualité par rapport à la quantité au cours du processus de vinification et démontra la force de son engagement à l’issue du terrible hiver de 1956. Contrairement à la plupart des autres viticulteurs de la région, elle procéda à un « recépage » du domaine, par des tailles successives qui cantonnèrent presque les vignes au niveau du sol. Destinée à préserver les racines des anciens ceps, cette technique sacrifia deux ans de récolte, mais permit d’améliorer la qualité du vin de manière substantielle. Son inépuisable énergie et sa dévotion à augmenter la renommée de Pétrus comportaient une indéniable part d’audace mâtinée d’une touche de génie en marketing. En 1947, alors que le maire de Londres se trouvait en visite officielle dans la région, Mme Loubat fit un pas en avant et offrit deux magnums de Pétrus au magistrat anglais en guise de cadeau de mariage pour Ci-contre, vue aérienne de Pétrus vers 1950. 27 28 | Art de vivre 29 la princesse Elisabeth. Non seulement le présent fit largement parler de lui, mais l’intrépide Mme Loubat fut conviée au gala qui précéda le mariage. Une saine compréhension du marketing l’avait déjà incitée en 1940 à retirer le mot « Château » et à se contenter de la simple désignation de « Pétrus ». Aujourd’hui, seuls deux autres châteaux de Bordeaux ont suivi son exemple, tous deux situés sur la rive droite. Parallèlement au rajeunissement de Pétrus par Mme Loubat, la famille Moueix étendait son empire, fondé en 1937 par JeanPierre Moueix. Il commença par ouvrir une maison de négoce, en achetant et en vendant des vins de la rive droite, et noua l’une de ses principales relations commerciales avec Pétrus et Mme Loubat. C’est par son entremise que le domaine se forgea une renommée flatteuse aux États-Unis. Il fut l’un des premiers à déceler l’importance de ce marché et entra en contact avec Henri Soulé, le propriétaire du Pavillon, un Pétrus est l’un des TROIS SEULS bordeaux à ne pas utiliser le mot « Château » sur son étiquette. En haut à gauche, le père et le fils : Jean-Claude et Olivier Berrouet. restaurant new-yorkais à la mode, et le persuada de promouvoir ses vins. Pétrus devint le bordeaux de prédilection de la plupart des célébrités qui fréquentaient son établissement, des Kennedy à Aristote Onassis. Mme Loubat disparut en 1961. Trois ans plus tard, JeanPierre Moueix se porta acquéreur de la moitié des parts de la propriété. Dans le même élan, il engagea Jean-Claude Berrouet comme maître de chai. En 1969, il racheta l’autre moitié des parts. Depuis lors, Pétrus appartient entièrement à la famille Moueix alors que la gestion du domaine et l’élaboration des vins sont assurées par la famille Berrouet. Aujourd’hui, une nouvelle génération a repris le flambeau. Âgé de 27 ans, Jean Moueix, le petit-fils de Jean-Pierre, est le membre de la famille le plus engagé dans le domaine alors qu’Olivier Berrouet, 37 ans, fils de Jean-Claude, assume les fonctions de directeur et d’œnologue. Sans nul doute, la « colline » joue un rôle prépondérant dans la position occupée par Pétrus au sommet de la pyramide mondiale des vins. Elle ne le cède cependant en rien à la minutieuse attention au détail qui se retrouve sur le domaine comme dans le chai. Contrairement à la plupart des vignobles qui présentent des rangées dans une seule direction, les vignes de Pétrus sont plantées dans différentes orientations en fonction de leur situation. Cette disposition permet de tirer le meilleur avantage du sol d’argile bleue. Lorsqu’elle est arrosée par la pluie, l’argile gonfle rapidement et forme une barrière presque imperméable qui prévient toute absorption ultérieure. L’eau additionnelle ruisselle naturellement plutôt que de détremper le sol. Cette spécificité est essentielle à la qualité des vins, car elle diminue la dilution du fruit consécutive aux chutes de pluie. Pourtant, la contribution de l’argile s’étend à d’autres aspects de la vinification, car elle n’apporte pas uniquement de la minéralité au raisin, mais empêche également la vigne de croître avec une vigueur excessive. Olivier Berrouet rejette les méthodes artificielles pratiquées par d’autres viticulteurs. Il ne croit pas aux bénéfices de la « vendange en vert » qui consiste à cueillir certains fruits à peine formés afin de réduire 30 | Art de vivre 31 À Pétrus, L’APPROCHE DE LA VITICULTURE rejette les méthodes artificielles pratiquées par d’autres vignobles. la récolte et d’accroître la concentration. En effet, il considère que la « vendange en vert » augmente la dilution dans chaque grain de raisin résiduel, même si elle diminue la récolte globale. Il n’est guère partisan non plus de favoriser artificiellement la vendange tardive. Si cette technique permet de produire des vins capiteux et flatteurs, à tout le moins dans un premier temps, elle altère ultérieurement le développement du vin qui ne parvient plus à déployer son potentiel aromatique. Olivier Berrouet présente clairement sa philosophie vinicole. Il ne recherche pas les coups d’éclat, il ne travaille pas pour susciter une forte impression immédiate, triompher dans les concours de dégustations qui opposent des vins jeunes ou confectionner des bombes fruitées. Son horizon temporel embrasse une période d’une vingtaine d’années et ses décisions sont dictées par l’objectif d’élaborer des vins qui ne cesseront de se bonifier avec l’âge. Un autre témoignage de cette absence d’intervention est donné par sa volonté d’éviter les pesticides et de les remplacer par des solutions aussi intelligentes que biologiques, à l’exemple de l’utilisation de phéromones naturelles qui induisent les insectes en erreur au moment de la reproduction et en diminuent ainsi le nombre. À ses yeux, le défi ultime consiste à identifier les situations dans lesquelles il est préférable de ne rien entreprendre, plutôt que de mettre en œuvre des manipulations hasardeuses, et de laisser la nature suivre son cours afin d’obtenir un meilleur résultat. Le bien-fondé de ces principes s’est notamment manifesté en 2003, alors qu’une vague de chaleur s’était abattue sur la France et avait soumis le vignoble à des températures supérieures à 40 degrés. Confiant dans la capacité de la vigne à supporter la canicule, Olivier Berrouet s’est abstenu de toute intervention et il en a été récompensé par un millésime magnifique. Le tri du raisin à l’arrivée au chai. 32 | Art de vivre Jean Moueix et son père Jean-François ainsi que les Berrouet père et fils prennent part au processus de dégustation qui décide du moment de la récolte. À l’évidence, les techniques de vinification modernes exigent des analyses chimiques du raisin afin de déterminer la teneur en sucre, l’acidité et d’autres variables. Toutefois, pour le Pétrus, la chimie ne s’impose pas face à des palais experts. L’équipe de testeurs valide les indications fournies par la chimie alors qu’ils goûtent le raisin pour en évaluer la maturité et l’acidité. De manière regrettable, l’acidité est aujourd’hui trop souvent sacrifiée. Pourtant, elle représente un élément primordial au bon vieillissement du vin. Comme pour d’autres bordeaux haut de gamme, le tri impitoyable du raisin est une condition essentielle de la qualité. Sur le domaine de Pétrus, la vendange récoltée manuellement (une obligation pour tous les vins de l’appellation Pomerol) est contrôlée par une machine de sélection optique, qui procède en quelque sorte au scannage des grains. Ce procédé est plus rapide que l’ancien contrôle manuel et permet ainsi à Olivier Berrouet de réduire le laps de temps pendant lequel le raisin demeure en attente. Pour les amateurs de chiffres précis, les 50% de la récolte sont rejetés et utilisés pour des vins de moindre prestige que le Pétrus. Dans le chai, Olivier Berrouet se laisse guider par les mêmes convictions empreintes de délicatesse qu’il met en pratique sur le vignoble. Comme il est convaincu que le merlot est un cépage sensible, il procède à son refroidissement avec un grand luxe de précautions. Ce processus est important, car il retarde le début de la fermentation au cours de laquelle un léger remontage est opéré pour intensifier l’extraction de la couleur, des tanins et des composés aromatiques (lors de la fermentation, les peaux et les autres substances solides flottent au-dessus du liquide en formant un « chapeau ». Le remontage, comme son nom l’indique, consiste à pomper le jus situé sous le chapeau pour le déverser par-dessus). Simultanément, Olivier Berrouet évite une extraction excessive qui produirait un déséquilibre dans le vin. Pendant tout ce temps, il tente de minimiser le contact avec l’oxygène. Sous de nombreuses formes, cette approche souligne la différence entre le merlot de Pétrus et le cabernet, qui est le cépage dominant pour les vins de la rive gauche. Dans le cas du cabernet, aux tanins plus forts, l’oxygène est nécessaire pour favoriser leur fragmentation, tandis que le merlot mûr avec ses tanins plus doux doit être préservé d’un contact prolongé avec l’oxygène, qui risquerait de diminuer le potentiel de vieillissement du vin. En haut à droite, Olivier Berrouet, directeur et œnologue. Même si Pétrus rejette ces techniques que certains considèrent comme des innovations modernes, à l’instar de la « vendange en vert » et de l’emploi de Le choix du MOMENT DE LA VENDANGE ne dépend pas uniquement des analyses et des mesures, mais de la dégustation du raisin. 33 34 | Art de vivre 35 pesticides, il est un aspect sous lequel le domaine se distingue par des idées novatrices. L’association d’une production limitée et d’une demande insatiable a grandement augmenté le prix du Pétrus sur le marché. Lorsque Jean Moueix a constaté que l’inflation semblait ne jamais connaître de fin, il a craint que nombre d’amateurs ne disposent plus de la possibilité de déguster ce vin. C’est ainsi que son programme « Carte sur table » a vu le jour. En compagnie de neuf autres prestigieux châteaux de Bordeaux, il a pris contact avec six restaurants parisiens afin de leur soumettre un projet audacieux. Il accepte de leur vendre du Pétrus à une fraction du prix du marché à condition que le vin figure sur la liste des vins avec une modeste majoration et qu’il soit uniquement proposé en accompagnement d’un repas. De ce fait, une bouteille de Pétrus peut ravir les palais pour un montant approximatif de 500 euros. Cette initiative a été saluée par un extraordinaire succès et acclamée tant par les gourmets que par les restaurateurs, enthousiasmés par la nouvelle accessibilité d’un vin naguère hors de prix. Le nombre de restaurants s’élève désormais à douze et Jean Moueix envisage l’extension de Carte sur table à d’autres établissements à Paris et ailleurs. Pour les connaisseurs, toute occasion qui s’accompagne d’une bouteille de Pétrus se transforme en un souvenir impérissable. Son caractère, sa finesse, sa complexité et son incontestable majesté sont à tel point fascinants que Pétrus devient le centre de l’attention et de la conversation lors de tout événement auquel il est associé. Les dégustations de vin ne font pas exception à la règle et toutes les manifestations qui incluent du Pétrus sortent du lot. • Toute occasion ACCOMPAGNÉE D’UNE BOUTEILLE DE PÉTRUS se transforme en un souvenir impérissable. En haut à gauche, Jean Moueix et Olivier Berrouet. 36 | Art de vivre Notes de DÉGUSTATION Les notes de dégustation ci-dessous associent les expériences accumulées au cours des trois dernières décennies par le Dr George Derbalian, l’expert en vin des Lettres du Brassus, et votre serviteur. 1953 (DÉGUSTÉ PAR JK ET GD EN 1983). 1970 (DÉGUSTÉ PAR GD EN 1999). Un vin exceptionnel. Une couleur pourpre intense. Puissant et troublant, doté d’une structure imposante. Légendaire. Charnu et généreux. D’une belle ampleur en bouche. Superbe. Grand vin. 1973 (DÉGUSTÉ PAR JK EN 2013). 1961 (DÉGUSTÉ PAR GD EN 1991). Dégusté avec tous les géants du millésime. Au sommet avec Latour. Splendide bouquet, accents de baies sucrées, arômes saturés. Il survivra probablement à tous les autres vins de ce millésime vénéré. Monumental. 1964 (DÉGUSTÉ PAR GD EN 1999). Dans une dégustation verticale de Pétrus qui a fait date, à parité avec l’exceptionnel millésime 1966. Voluptueux, proche d’un bourgogne dans son caractère. Rondeur soulignée par de superbes vagues fruitées. Comment ne pas faire de ce vin votre favori ? Monumental. Comment Pétrus y est-il parvenu ? Avec un millésime désastreux à travers tout le Bordelais qui a produit de pauvres vins, il charme par des tanins désormais entièrement déployés et un fruit d’une belle vivacité. S’il n’est pas inoubliable, il réjouit néanmoins le palais. 1975 (DÉGUSTÉ PAR JK ET GD EN 2013). Surprenant. Une robe pourpre intense sans aucune nuance de brique. Dense et puissant avec des vagues de cassis, soulignées par des accents minéraux et des notes de chocolat. Il prend appui sur une structure sous-jacente. Grand vin. De l’avis des dégustateurs, le meilleur bordeaux du millésime. 1966 (DÉGUSTÉ PAR GD EN 1999). À égalité avec le millésime 1964. Pérenne, linéaire, élégant et pur. Avec un fruit qui n’est pas encore entièrement développé. Longueur exceptionnelle. Monumental. 1978 (DÉGUSTÉ PAR GD EN 1999). Proche d’un médoc par son caractère, moins riche que le millésime 1975. Lors de récentes dégustations, ce vin a gagné en substance et en richesse. 37 1986 (DÉGUSTÉ PAR JK ET GD EN 1989). 1993 (DÉGUSTÉ PAR GD EN 1999). Dégustation à l’aveugle avec un Pomerol de 1986. Ferme et troublant dans sa jeunesse. Pas aussi charnu que les millésimes 1989 ou 1990, mais assurément un vin appelé à prendre de l’âge. En attente de sa maturation complète. Moins concentré que le millésime 1990. Équilibré et entier comme le millésime 1990, mais dans une plus faible amplitude. Tanins ronds et charnus. Un vin surprenant pour un millésime peu considéré. 1989 (DÉGUSTÉ PAR GD EN 1999). Un vin dense, substantiel, structuré. Notes de fruits doux. Un vin prometteur, destiné à se bonifier. 2012 (DÉGUSTÉ PAR JK EN 2013). Dr GEORGE DERBALIAN Remarquable. Étonnamment ouvert et accessible. Couleur pourpre sombre avec un nez de mûres. Texture à la consistance affirmée soulignée par des notes de groseilles. Tanins parfaitement mûrs et pleins. Somptueux final. Le Dr George Derbalian, est l'expert en œnologie des Lettres du Brassus. En fondant la société Atherton Wine Imports établie en Californie septentrionale, il n’est pas seulement devenu l’un des principaux importateurs de grands vins aux États-Unis, mais il a également acquis la renommée parfaitement méritée de figurer parmi les meilleurs connaisseurs en vins du monde. Tous les ans, George Derbalian se rend dans les principaux vignobles d’Europe et des États-Unis afin de rencontrer les viticulteurs, les propriétaires des grands domaines, les chefs de chai et autres personnalités incontournables de l’univers vinicole. Au cours d’une seule année, George Derbalian goûte plusieurs milliers de crus, des premières productions de la nouvelle récolte aux anciens millésimes. 1990 (DÉGUSTÉ PAR GD EN 1999). Diplomatique, racé, gouleyant. Séduisant avec des tanins superbement mûrs. Il sera surpassé à long terme par le millésime 1989, mais possède une longueur d’avance dans son jeune âge. Monumental. Gi ro nd e France Saint-Estèphe Pauillac Saint-Julien L’Isle Margaux Pomerol Libourne Saint-Émilion Bordeaux Ga Dord ro ogne nn e 38 | Dans l’air du temps dimensioning 39 Le Carrousel GRANDE COMPLICATION PAR JEFFREY S. KINGSTON Le nouveau Brassus Carrousel Répétition Minutes Chronographe Flyback fait son entrée dans le panthéon des Grandes Complications de Blancpain. 40 | Dans l’air du temps Pour Blancpain, UNE GRANDE COMPLICATION doit être innovante sous chacun de ses aspects. Une proposition logique. La création d’une montre à grande complication, qui par définition doit offrir une combinaison de complications, peut se produire en suivant l’une de deux voies. La première consiste à réunir des complications classiques, réalisées selon la tradition, de sorte que la « créativité » se résume simplement, si vous me permettez l’expression, à l’assemblage d’un kit. L’autre se présente sous un jour plus ambitieux. Faites preuve d’imagination dans la conception de chaque complication, puis poursuivez l’innovation à l’instant de les réunir ! Avec le Brassus Carrousel Répétition Minutes Chronographe Flyback, Blancpain a sans conteste choisi la seconde option. Chaque élément essentiel de cette montre à grande complication témoigne d’une inventivité et d’une créativité exceptionnelles. Pour souligner la dimension de ces avancées, il suffit de relever qu’aucune montre-bracelet n’a offert à ce jour une telle association de complications. Comme sur tout garde-temps, le cœur du Brassus Carrousel Répétition Minutes Chronographe Flyback est incarné par l’élément central de la régulation du temps, en ce cas le carrousel. Ainsi que nous l'avons vu plus en détail dans l’article consacré au Tourbillon Carrousel en page 6, Blancpain est la première manufacture à avoir développé un carrousel pour une montre-bracelet. Cette performance horlogère s’est accompagnée de nombreuses premières mondiales : le premier carrousel volant dans une montre, le premier carrousel volant une minute dans n’importe quel type de garde-temps, la plus longue réserve de marche pour tout carrousel et le premier carrousel doté d’un balancier au centre. Même si le Brassus Carrousel Répétition Minutes Chronographe Flyback s’inscrit dans le sillage de cette construction au palmarès enviable, il présente néanmoins de subtiles optimisations. Le carrousel original de Blancpain recourait à un spiral plat, tandis que sur la nouvelle réalisation le balancier est associé avec un spiral doté d’une « courbe terminale Breguet ». Cette forme particulière fut inventée par le célèbre horloger Abraham-Louis Breguet en 1795. Avec un ressort plat habituel, l’extrémité interne du spiral est attachée à proximité de l’axe de balancier alors que son extrémité externe est fixée à un bras. Cette disposition ne permet pas d’obtenir une concentricité et un centrage parfaits, car la partie du Figure A. Le balancier et son spiral à courbe terminale Breguet. Figure B. La cage du carrousel, le balancier et l’échappement. 41 A B 42 | Dans l’air du temps spiral attachée au bras n’est pas équilibrée par un élément opposé équivalent. Abraham-Louis Breguet a réalisé que, si la partie extérieure du spiral était tournée à la fois vers le haut et vers l’intérieur pour s’étendre au-dessus de la partie principale du ressort, le centrage et la concentricité seraient notablement améliorés et, ainsi, la précision de marche de la montre. Comme sur la plupart de ses récents mouvements, Blancpain a donc opté pour un spiral caractérisé par la présence d’une courbe terminale Breguet. Sa confection est particulièrement exigeante, car le coudage supérieur et intérieur de chaque ressort doit être minutieusement exécuté à la main. Par l’adjonction d’un chronographe au carrousel, Blancpain inscrit une nouvelle première mondiale à son riche palmarès. En effet, cette combinaison n’avait pas encore vu le jour sur une montre-bracelet. Le chronographe intègre également une fonction flyback qui permet de commander par une seule action, au lieu de trois, l’arrêt, la remise à zéro et le redémarrage du chronographe. L’association d’un chronographe flyback et d’un carrousel dans une montre-bracelet représente donc une authentique « double première mondiale ». De la même manière que le carrousel symbolise le cœur de la mesure du temps sur cette grande complication, le mécanisme d’embrayage vertical est le centre névralgique du chronographe. Même si Blancpain a puisé son inspiration dans une expertise de près de trois décennies dans la construction de chronographes à embrayage vertical, sa conception sur le Brassus Carrousel Répétition Minutes Chronographe Flyback dénote une importante évolution. Dans toutes les collections de la marque, le compteur des minutes du chronographe est situé dans un sous-cadran à 3 heures. Sur ce modèle, les ingénieurs et les designers de Blancpain ont choisi une solution complètement différente pour le décompte des minutes. Elle prend la forme d’une grande aiguille au centre et d’une échelle disposée sur le rehaut du cadran principal. Le déplacement de cette indication au centre du cadran n’a pas uniquement requis un changement de roue. Comme l’aiguille est considérablement plus grande que celle utilisée sur un petit totalisateur, cette modification a exigé de repenser entièrement le rouage du compteur des minutes. Au moment où l’aiguille des secondes passe le repère « 60 », il incombe à l’aiguille des minutes d’avancer, avec autant de célérité que d’élégance, sur la prochaine minute. Pour assurer une progression harmonieuse, en l’absence de toute saccade ou tressaillement malvenu, les constructeurs ont réalisé qu’il convenait de se tourner vers une forme de rouage différente de la conception précédemment utilisée dans les chronographes de Blancpain. Plutôt que d’adopter le profil classique de dents pleines, la réponse s’est présentée sous la forme de dents munies d’une « fente », essentiellement destinée à absorber les chocs et à réduire les jeux. Cette configuration ne garantit pas seulement la parfaite progression de l’aiguille des minutes, mais prévient son tremblement redouté lorsque le garde-temps est soumis à des chocs. Les roues dotées de ce profil particulier répondent en tous points à l’objectif recherché. Toutefois, la méthode pour le concrétiser a suivi une approche qui s’est largement écartée de la tradition. Habituellement, les dents sont taillées dans les roues à l’aide d’une fraise. D’un point de vue scientifique, ce procédé entre dans la catégorie des techniques fondées sur la soustraction – ou le retrait – de matière : la dent est formée par l’usinage du matériau. Même si les procédés utilisés Vue du mouvement côté cadran. 43 44 | Dans l’air du temps 45 de nos jours pour tailler les dents sont étonnamment précis, ils ne l’étaient pas suffisamment pour confectionner le type de dents fendues souhaité par Blancpain. Aussi les constructeurs se sont-ils tournés vers la direction opposée et ont retenu un procédé fondé sur l’ajout de matière. Plutôt que de découper le matériau dans un disque afin de tailler les dents d’une roue, une méthode additive génère peu à peu la roue, molécule par molécule. Selon ce principe, les roues et les dents voient simultanément le jour. À l’évidence, ce choix fait appel à des technologies à la pointe du progrès. Même si elles sont plus complexes et onéreuses à fabriquer que les habituelles dents taillées, ces roues obtenues par addition sont incomparablement plus précises et peuvent comporter des dents au profil plus élaboré. Lors du développement du chronographe, LES CONSTRUCTEURS DE BLANCPAIN ont opté pour des technologies de pointe. Blancpain avait déjà recouru à une technique par adjonction de matière dans la montre de plongée X-Fathoms. Comme sur la nouvelle grande complication, les exigences posées par le profondimètre mécanique avaient conduit les ingénieurs à confectionner l’une de ses roues, dont la forme particulièrement complexe exigeait une exactitude extrême, en adoptant un processus de fabrication molécule par molécule. Le Brassus Carrousel Répétition Minutes Chronographe Flyback comporte deux roues confectionnées selon cette solution de pointe : la première à 3 heures et la seconde au centre. Elles font toutes deux partie du rouage du compteur des minutes du chronographe. Si les roues de forme particulière garantissent la parfaite progression de l’aiguille du compteur des minutes, l’embrayage vertical assume, pour sa part, la responsabilité du déplacement harmonieux de l’aiguille des secondes du chronographe. À l’exception de quelques rares réalisations qui recourent à un dispositif séparé, doté d’un barillet indépendant, afin d’assurer la mesure de brefs intervalles temporels, tous les chronographes utilisent une forme ou une autre d’embrayage pour des motifs simples à comprendre. Lorsque l’enclenchement du chronographe est commandé, son mécanisme est associé – ou couplé – au rouage habituel de la montre. De semblable manière, lors du déclenchement, le rouage du chronographe est déconnecté du rouage de la montre. Dans une perspective historique, la plupart des chronographes étaient munis d’un embrayage horizontal pour piloter l’enclenchement et le déclenchement du chronographe. Toutefois, ces réalisations, fondées sur l’engagement soudain de deux roues au début d’une mesure, comportent d’importants inconvénients. Idéalement, deux roues devraient procéder à leur engrènement à l’instant où les dents de l’une tombent dans les creux de l’autre. Cependant, l’actionnement du chronographe est une manœuvre aléatoire et la rencontre des roues ne se produit pas nécessairement dans une configuration où les dents d’une roue se trouvent en face des creux de l’autre. Il peut survenir en effet qu’une dent entre d’abord en contact avec une autre dent. Cette circonstance entraîne un saut non souhaité dans le 46 | Dans l’air du temps mouvement de l’aiguille des secondes. En outre, ces constructions emploient un ressort pour assurer l’ébat indispensable à l’engagement des dents dans les creux et éviter le tressaillement de l’aiguille des secondes alors qu’elle commence sa progression autour du cadran. Même si ce ressort confère une souplesse additionnelle au mouvement de l’aiguille, la tension qu’il provoque altère la précision de marche de la montre lorsque le chronographe est enclenché. Finalement, comme les dents des roues sont extrêmement fragiles sur ces chronographes haut de gamme, en raison de leur forme de triangle effilé destinée à réduire l’usure, il est généralement recommandé au propriétaire d’éviter de laisser fonctionner le chronographe pendant une période prolongée. marche de la montre. Enfin, comme il ne recourt pas à des roues munies de fines dents triangulaires qui s’usent les unes contre les autres à chaque engagement, le chronographe peut être enclenché en permanence, si tel est le bon vouloir de son propriétaire. En bref, la construction de Blancpain dote ce chronographe des performances requises pour apparaître de plein droit sur une véritable grande complication. L’intégration d’un chronographe dans la nouvelle grande complication recelait cependant un autre défi. Une répétition minutes figure au catalogue de ses complications et ses timbres, qui se présentent sous la forme de lamelles d’acier, entourent le mouvement. La disposition usuelle des poussoirs du chronographe pour l’enclenchement, le déclenchement et le retour à L’embrayage vertical conçu par Blancpain a balayé ces inconvénients. Plutôt que de reposer sur la rencontre de deux roues, l’enclenchement du chronographe presse deux disques l’un contre l’autre. Le début de la mesure se déroule à chaque fois de manière parfaitement uniforme, sans le moindre risque de saut. En outre, ce dispositif rend superflue la présence de tout ressort supplémentaire. De surcroît, en l’absence de ressort, l’enclenchement du chronographe n’exerce pratiquement aucune influence sur la précision de B Figure A. Le mécanisme de l’embrayage vertical avec le chronographe déclenché : les deux bras préviennent tout contact entre le disque de l’aiguille des secondes et le disque inférieur. Figure B. Le mécanisme de l’embrayage vertical avec le chronographe enclenché : la roue à colonnes a écarté les deux bras permettant ainsi aux disques de l’embrayage d’entrer en contact l’un avec l’autre. A 47 48 | Dans l’air du temps 49 zéro aurait provoqué une interférence entre leurs tiges et les timbres. Blancpain n’avait ainsi d’autre choix que de développer une méthode pour abaisser les tiges des poussoirs, en sorte qu’elles passent sous les timbres circulaires de la répétition. Ce léger décalage a entraîné à son tour le déplacement de la couronne, afin qu’elle soit située à la même hauteur que les poussoirs sur la carrure du boîtier. Deux plateaux ont été substitués à la tige droite qui relie directement le mouvement à la couronne. Le premier est attaché à la tige depuis le mouvement, alors que le second est fixé à la couronne abaissée et à sa tige séparée. Lorsque la couronne est retirée ou pivotée, cette action est transférée par un rouage à la tige séparée du mouvement. Les deux plateaux servent ainsi de supports aux deux tiges. Le mouvement est surmonté d’un CADRAN À L’ÉMAIL GRAND FEU. Le chronographe possède deux grandes aiguilles. L’une, achevée par une pointe rouge pour le compteur des minutes, l’autre, plus longue, pour les secondes. Quel que soit l’angle sous lequel elle est considérée, il ne peut exister de « répétition minutes standard ». La production d’un son riche à la pureté cristalline à partir d’un mécanisme de sonnerie est une prouesse artistique qui ne sera jamais accolée à l’épithète « standard ». Cette observation est d’autant plus pertinente que la répétition minutes de la nouvelle grande complication intègre plusieurs innovations remarquables. Depuis longtemps, Blancpain a opté pour des constructions de mouvement sûres. Pour les constructeurs de la manufacture, la sécurité implique de protéger le mouvement contre les erreurs de manipulation. Assurément, il existe toujours l’expédient d’insérer des mises en garde, généralement imprimées en caractères gras, dans le manuel d’instructions. Toutefois, Blancpain prétend à juste titre qu’un mécanisme bien étudié incarne une valeur supérieure et une sécurité accrue par rapport à une liste d’activités interdites. Pour une répétition minutes, le risque réside dans la tentation de régler l’heure pendant la sonnerie de la répétition. Si d’autres marques horlogères se bornent à interdire formellement cet ajustement, Blancpain ne se contente pas de cette solution. Lorsque le verrou de la répétition est actionné afin de décompter les heures, les quarts et les minutes, la couronne se déconnecte du mouvement. Dès lors, si le propriétaire essaie de régler l’heure pendant la sonnerie ‒ un geste qui briserait le mécanisme de la répétition sur d’autres garde-temps ‒ aucun événement fâcheux ne se produit et la couronne tourne simplement dans le vide. Le Brassus Carrousel Répétition Minutes Chronographe Flyback comprend une seconde innovation capitale pour la répétition sous la forme d’un barillet aux dimensions très généreuses. Sur toutes les répétitions minutes, l’énergie nécessaire à l’indication acoustique de l’heure est délivrée par l’actionnement d’un verrou situé sur le flanc du boîtier. Ce mouvement arme le barillet de la répétition qui transmet la force nécessaire à la frappe des marteaux sur les timbres. Selon une pratique usuelle de l’industrie horlogère, les barillets des répétitions minutes sont habituellement remontés d’un tour et demi lorsque le verrou est repoussé. Cependant, et de manière regrettable, 50 | Dans l’air du temps 51 l’énergie emmagasinée est presque complètement épuisée avant d’égrener les notes d’une longue sonnerie, par exemple 11 h 59, qui requiert 11 indications pour les heures, 3 pour les quarts (dont chacune consiste en deux notes) et 14 pour les minutes. En conséquence, le volume est généralement plus faible et, dans de nombreux cas, le tempo se ralentit tristement vers la fin de la sonnerie. Pour résoudre ce problème, Blancpain a muni la répétition d’un barillet extrêmement grand qui se remonte de non moins de cinq tours à chaque actionnement du verrou. Ainsi, loin d’être entièrement désarmé après 1,5 tour, le barillet de Blancpain possède encore une réserve d’énergie de 3,5 tours une fois émises les dernières notes de la plus longue des indications. Grâce à cette ingénieuse disposition, le volume et le rythme de la sonnerie demeurent constants en toutes circonstances. Les timbres représentent la troisième caractéristique essentielle de la répétition minutes du Brassus Carrousel Répétition Minutes Chronographe Flyback. D’une longueur inhabituelle, ils ne se contentent pas d’entourer le mouvement, mais décrivent un tour et demi autour du mécanisme de la montre. Cette longueur supplémentaire, qui leur vaut l’appellation de « timbres cathédrale », confère à la sonnerie une richesse et une plénitude accrues. Pourtant, tous ces efforts de construction seraient vains si le son n’est pas transmis correctement de l’intérieur du mouvement vers l’extérieur du boîtier. Afin d’en améliorer la propagation, Blancpain a fixé les timbres cathédrale aux parois en or rouge de la boîte elle-même. L’absence d’élément intermédiaire augmente de manière significative le volume et la clarté sonores. Comme il se doit, ces innovations s’accompagnent d’une élégance raffinée. Pour souligner la complexité de son mouvement, les principaux composants du Brassus Carrousel Répétition Minutes Chronographe Flyback se présentent sous la chaleureuse nuance de l’or rouge. La platine principale et les ponts sont façonnés en or rouge massif. Les ponts sont gravés à la main dans l’atelier des grandes complications du Brassus. La décoration de leurs faces exige un jour complet d’un minutieux travail manuel pour chacun d’eux. Un travail tout aussi précis est requis pour conférer aux bords un anglage manuel réalisé à la lime et au brunissoir ainsi que pour perler les surfaces, même si elles ne sont pas visibles. Tous les autres composants sont également décorés à la main, anglés, brossés et polis. L’échelle des minutes sur le cadran est confectionnée en émail grand feu. Enfin, comme la grande complication est équipée d’un mouvement à remontage automatique, la masse oscillante luit de l’éclat de l’or rouge 22 carats. Une grande complication incarne l’expression ultime de l’art horloger. Considérées séparément, les complications du Brassus Carrousel Répétition Minutes Chronographe Flyback – le carrousel volant, le chronographe flyback, les timbres cathédrale de la répétition minutes – sont autant d’avancées décisives dans le champ de la haute horlogerie. Cependant, le tout est ici bien plus que la somme des parties, car elles sont intégrées dans un mouvement dont la beauté et la fonctionnalité transcendent chacun de ses composants individuels afin d’offrir à son propriétaire la joie unique de posséder une grande complication qui n’avait jamais été réalisée auparavant. • 52 | Art de vivre 53 PAR LAURENT BALLESTA Expédition GOMBESSA Le cœlacanthe, une plongée vers nos origines. RAIS RA ISE E AW WAR AREN EN NESS, ESSSS,, TRA RANS NS N SMIT MIT O MI OU UR PA PASS SS SION, IO ON N,, HEL E P PR PROT PROT OTECT TH T E OCEAN 54 | Art de vivre 55 Au fond de la mer, on se sent seul, profondément seul, MAIS CETTE SOLITUDE N’EST POSSIBLE QUE PAR LE SOUTIEN DES AUTRES. Cette histoire commence la veille. La plongée du jour est déjà derrière nous, la mer aussi. La route serpente à travers l’immense dune richement arborée. La piste crache des tonnes de sable derrière le passage de notre pick-up. Entre le véhicule et le nuage de poussière, il y a le bateau sur la remorque et nous encore au-dessus. Le matériel déborde : 14 bouteilles de plongée et 400 kilos d’accessoires pour seulement 4 plongeurs. Quarante minutes pour arriver au camp de base à 15 km de la mer, il est 15 h 30. Notre précieux matériel de plongée high-tech est installé sous les eucalyptus, dans un garage du bout du monde, où toute machine du XXe siècle peut être réparée. C’est qu’ici, perdu dans le bush, le luxe c’est d’être autonome. C’est là que l’on entretient matin et soir nos précieux scaphandres recycleurs. Vider et remplacer la chaux sodée qui a épuré le CO2 de nos expirations durant la plongée, démonter les six bouteilles de gaz comprimé qui sont connectées à la boucle dans laquelle chacun respire. Les cocktails doivent être refaits chaque jour très précisément. Il faut savoir que chaque gaz n’est respirable qu’à certaines profondeurs et se tromper peut engendrer, dans le meilleur des cas, une énorme ivresse des profondeurs, dans le pire des cas, convulsions et syncopes. Tout cela nous amène jusqu’au repas du soir. Un bref moment de répit. Le reste de la journée, chacun a joué son rôle au sein de l’équipe. L’équipe… c’est le paradoxe de la plongée profonde : au fond de la mer, on se sent seul, profondément seul, mais cette solitude n’est possible que par le soutien des autres. Les autres, c’est Jean-Marc et Éric, d’une bonne quinzaine d’années mes aînés, et une grande culture sur l’art expérimental de la décompression ; je leur demande de planifier les plongées à ma place afin que mon obsession ne prenne jamais le dessus sur la raison. Ils sont les modérateurs. Cédric, formidable logisticien, nécessaire pour trouver les solutions à la bonne marche de notre aventure ; aventure, ce synonyme sexy pour dire galère. Il est aussi le plongeur qui transporte pour moi un ou deux caissons photos « en plus, au cas où… » ; tout comme Tybo et Florian, tous deux plongeurs techniques aguerris, calmes et enthousiastes à la fois (un cocktail rare) qui tour à tour joueront les porteurs, les éclairagistes et même les opérateurs des caméras scientifiques, avec toujours cette même envie inaltérable d’aller voir en bas ce qu’il s’y passe. Enfin Yanick, physiquement increvable, jamais fatigué et d’humeur égale en toute circonstance, il est le chef opérateur caméra, c’est lui qui par 120 m doit filmer l’événement, la première fois au monde où l’on verra sur une même image un homme et un cœlacanthe. Son flegme devant un tel challenge me rend admiratif ou m’agace carrément, c’est selon. 56 | Art de vivre VINGT MINUTES de navigation nous amènent sur zone, nous sommes à 3 MILES au large, mais nous sommes encore loin de nous mettre à l’eau. 57 Après dîner, je dois encore bosser sur mes caissons d’appareils photos qui souffrent énormément de la trop grande pression. Tout bien graisser, vérifier tous les joints toriques d’étanchéité, etc. Je ne parlerai même pas de la nuit blanche passée au chevet du caisson dont le hublot a implosé par 111 m de fond à la suite d’un choc malencontreux. Après la plongée, dure épreuve pour le moral : un D3s complètement foutu, le boîtier Nikon le plus perfectionné du moment, d’une sensibilité jusqu’à 100 000 ISO, irremplaçable si je veux immortaliser les faibles mais si particulières lueurs sous-marines qui survivent par plus de 100 m de profondeur... On se couche tôt entre 21 et 22 h. Les journées sont si intenses que seules les nuits m’off rent le temps du recul, le luxe de réaliser ce que je suis en train d’accomplir. Mes journées, elles, ne sont que décisions et actions dans une oscillation tendue entre planification et improvisation… Réveil 5 h 30. Trente minutes de gym pour se remettre le dos en place. 6 h 15, après un petit déjeuner rapide, retour à nos scaphandres, remontage des pièces maîtresses et check-list : étanchéité du circuit fermé, contrôle des batteries, calibrage des analyseurs d’oxygène, contrôle des paramètres de la décompression, dévidoirs et bouées ascensionnelles, etc. 7 h 30, chargement du pick-up et départ avec notre embarcation semi-rigide de 7 m en remorque. 8 h 00, arrivée à la plage, une immense plage sans cesse remodelée par l’estuaire d’une rivière d’eau rouge et par le gros tracteur qui prend la relève du pick-up dans le sable mou. Départ. À bord du bateau, tout doit être solidement amarré, le passage des vagues de la plage est un moment critique : chaque année, à cet endroit précis, plusieurs bateaux se sont retournés. Vingt minutes de navigation nous amènent sur zone, nous sommes à 3 miles au large, mais nous sommes encore loin de nous mettre à l’eau : GPS et sondeur sont allumés, il faut localiser les lieux. Je suis à l’avant en compagnie de Peter Tim, la seule personne qui peut nous amener à la verticale du lieu le plus susceptible d’héberger des cœlacanthes. C’est lui le premier qui, en 2000, lors 58 | Art de vivre 59 d’une incursion à grande profondeur, a découvert un cœlacanthe dans une grotte du canyon. Gagner sa confiance ne fut pas chose simple, il a fallu faire bonne impression, le rassurer sur nos intentions pour qu’il accepte de retourner là où, dix ans auparavant, il avait amené deux plongeurs désireux de relever ce défi… deux plongeurs qui sont morts ce jour-là. Aujourd’hui, le courant est assez fort, la décision est donc de se jeter à l’eau à 150 m en amont du courant par rapport au point d’arrivée choisi. Mes trois partenaires et moi-même nous équipons, encore un moment un peu pénible, le temps d’endosser environ 70 kilos d’équipement. Dernière vérification des afficheurs électroniques, tout le monde est prêt et le bateau est repositionné sur le point de largage. Depuis le réveil, une boule au ventre m’empêche de sourire, un peu comme la peur d’oublier quelque chose ‒ je dois penser à tout avant d’agir ‒ et de ne plus penser à rien. Le moment le plus important approche et paradoxalement me libère. Le changement d’état opère avec la bascule arrière du zodiac. Plus le temps de se poser des questions : nous occuper de descendre chasse nos préoccupations, fini la réflexion, place aux réflexes, terminé l’appréhension, il est temps d’appréhender ! La descente est violente, la plus verticale et la plus rapide possible, les oreilles n’ont qu’à bien se tenir, heureux que la béance tubaire volontaire de mes trompes d’Eustache fonctionne bien, en d’autres termes que mes oreilles s’équilibrent sans que j’intervienne. Cela me permet de descendre plus vite encore. En moins d’une minute, je suis à 50 m de profondeur en pleine eau. Arrivé à ce point, je ralentis un peu, me retourne pour voir si mes compagnons sont là, reprends ma boussole pour affiner le cap à suivre. 60, 70 m, je maintiens mon axe et ma vitesse de descente. 80 m, je commence à guetter le bord du canyon. 90 m, ça y est, je vois nettement le contraste entre la roche verticale et obscure du canyon d’un côté et la plaine de sable blanc de l’autre ! La descente, à la fois éprouvante et libératrice, s’est bien déroulée. C’est une étape délicate qui m’obsède depuis le réveil : ne pas rater l’atterrissage. Si ce dernier est mal géré, c’est toute l’exploration qui est annulée et impossible de retenter une plongée le jour même… 100 m, j’arrive sur le haut du tombant, les gorgonesbalais et le corail noir sont là, les poissons ananas, les poissons barbiers à pois mauves et le poisson savon à lignes d’or aussi, autant d’indices vivants qui me font savoir, si je ne le savais pas encore, que j’ai dépassé 100 m et pénétré l’univers biologique aphotique, la zone crépusculaire où parvient moins de 1% de la lumière du soleil. Une autre planète. Et pourtant… 100 m seulement nous séparent de cette autre planète, une couche opaque et lourde. 100 m d’eau, 100 m de haut, rien du tout finalement : vu de l’espace, un mince ruban presque négligeable. 100 m, c’est comme un seul pas à faire, à peine quelques coups Fini la réflexion, place aux réflexes, terminé l’appréhension, IL EST TEMPS D’APPRÉHENDER ! 60 | Art de vivre de palmes à donner, et pourtant je change de monde : une véritable porte spatiotemporelle digne des meilleurs romans de science-fiction : ma « Stargate » à moi. Un extraordinaire passage qui, en quelques minutes, est censé me transporter devant un animal qui, prétendument, n’aurait pas eu de visite depuis 65 millions d’années… De la science-fiction, vous dis-je. 120 m, devant nous la paroi rocheuse et sa rangée de grottes horizontales. La recherche commence, et le chronomètre tourne. Ici le temps se compte en minutes, là où pourtant, croyez-moi, je me construis une éternité de souvenirs. Chaque grotte, chaque surplomb, est balayé par nos lampes. Ce jour-là, la chance nous sourit très vite. À la deuxième grotte, je le vois ! Posté à l’entrée, toutes ses nageoires pédonculées en action, l’imposant cœlacanthe est là, impassible. Notre descente a duré moins de trois minutes. Comment croire que cette autre planète n’est qu’à trois minutes de la nôtre ? Le temps n’a plus la même valeur. La preuve ? Le chemin aller dure trois minutes, le chemin retour dure cinq heures. Doucement, je me rapproche de lui, je m’approche d’un dinosaure. De plus en plus près, l’émotion est forte, je sais que je dois la mettre de côté et me concentrer. Bien observer, bien illustrer, jamais un photographe naturaliste ne s’est trouvé face à lui. Je garde mes distances, peur de lui faire peur. Comment le cœlacanthe réagit-il devant un plongeur ? Nul ne le sait vraiment. Le comble serait, après tant de préparation, d’effrayer la légende vivante, la voir disparaître et remettre alors en question la conviction que je défends depuis si longtemps : celle où j’affirme que, partout où nous irons physiquement, nous ferons mieux que des robots. Première émotion : je sais qu’il nous a vus, il tourne sa tête vers moi mais ne se réfugie pas au fond de son antre ! De la curiosité pour nous ? Non, je ne pense pas, et puissent rester loin de moi ces puérilités mystiques ! De l’indifférence ? Oui, je crois et j’en suis heureux : cette scène inédite si souvent rêvée, cet instant de nature enfin offert à mes yeux, je le voudrais « comme si je n’y étais pas », intact, sauvage, naturel. Contre toute attente, il sort de sa grotte et remonte le long de la paroi. Nous le suivons. Pour les déplacements lents, il semble n’utiliser que sa nageoire annale et sa deuxième dorsale qui tournent comme des hélices au ralenti. Il est énorme, près de 2 m je pense. J’aperçois nettement les courtes épines blanches qui recouvrent les rayons bleus de sa nageoire dorsale. À chacun de ses mouvements, je vois se chevaucher délicatement ses énormes écailles primitives, elles aussi recouvertes de minces épines, je distingue les plaques osseuses de son crâne, son spiracle à l’extrémité de ses grands opercules, les petites dents coniques qui débordent de ses mâchoires charnues, À peine quelques coups de palmes à donner, et pourtant JE CHANGE DE MONDE. 61 62 | Art de vivre 63 64 | Art de vivre 65 66 | Art de vivre 67 les trous profonds sur le museau de son système de sensibilité aux champs électriques... Difficile de décrire la joie vécue, elle est grande mais introvertie. Un mélange addictif : l’expérience de la beauté et la griserie du privilège. Mais il y a plus que cela : à ce moment précis, mes espoirs, mon acharnement de ces quatre dernières années, mes convictions tellement défendues, mes doutes tellement dissimulés, toutes ces émotions se trouvent cristallisées dans cette extraordinaire rencontre. Nous nageons à côté de notre dernier ancêtre aquatique, dans son univers propre, et nous sommes les premiers à le faire. Il existe davantage d’êtres humains qui ont marché sur la Lune que nagé avec un cœlacanthe. Il est temps pour nous de payer l’addition de ce privilège, je regarde ma console : 235 minutes de décompression obligatoires avant de pouvoir sortir à l’air libre. Si je rajoute à cela le temps au fond et les aléas de la remontée, je sais que nous sortirons de l’eau cinq heures après y être entrés. La lente ascension commence. Les paliers de décompression sont ainsi, de plus en plus longs au fur et à mesure que l’on se rapproche de la surface. Et finalement, la moitié de la plongée se passera entre 12 m et la surface. Depuis peu, il y a aussi un requin aileron blanc très agressif qui calme très vite nos fous rires. Il est jeune L’instant vécu est fort, mais il faut rester concentré dans son travail de naturaliste. Cruel dilemme : je voudrais admirer, mais je dois observer. Je ne dois pas perdre un instant. Les minutes passent, 34 exactement, quand le cœlacanthe rejoint enfin le bord du canyon, s’y engouffre et disparaît dans le noir sous mes palmes. « Pouvoir le suivre encore… » Je suis certain que nous avons tous eu cette même idée grisante, obsédante, mais suicidaire… Il existe davantage d’êtres humains qui ont marché sur la Lune QUE NAGÉ AVEC UN CŒLACANTHE. 68 | Art de vivre 69 On vient de sortir de l’eau et pourtant L’ÉVÉNEMENT S’EST PRODUIT IL Y A PLUS DE QUATRE HEURES. (moins de 2 m), impétueux et énervé à cause, je présume, des deux énormes hameçons qui lui abîment la mâchoire et les quelques mètres de nylon qui suivent et le blessent aux nageoires. Chaque jour, il nous harcèle dès le début de notre remontée et jusqu’à 15 m, soit une bonne heure et demie durant laquelle il faut le surveiller : à trois reprises, j’ai dû repousser ses avances et même lui cogner sur le pif... En fouillant dans ma mémoire, je me rends compte que c’est la seule fois de ma vie où un requin est venu jusqu’au contact sans qu’il y ait aucun stimulus alimentaire, étonnant… Bref, pour l’instant, pas le temps pour s’ennuyer et puis nous sommes très affairés à vérifier le bon fonctionnement de nos scaphandres dans cette phase physiologique critique qu’est la décompression. On contrôle en permanence que notre mélange gazeux se transforme bien comme il faut : progressivement, l’hélium est remplacé par de l’oxygène, pour finir avec de l’oxygène pur vers 6 m de la surface, là où nous passerons les deux dernières heures. La dernière heure est souvent inconfortable. Le poids de nos scaphandres commence à se faire sentir. La houle nous secoue juste assez pour que chacun se plaigne des lombaires à la sortie de l’eau. Arrivent enfin les cinq dernières minutes. Chacun tourne son moulinet une dernière fois tout doucement jusqu’à la surface. Le bateau est là, il dérivait avec nous. Une fois à bord, je peux lire sur les visages, enfin libres de masque et d’embout, cet émouvant mélange de traits : ceux de la fatigue et ceux de la satisfaction. Épuisés mais contents, et enfin diserts. Après plus de quatre heures, chacun peut enfin parler, raconter SON histoire, toujours un peu variable de l’un à l’autre, preuve qu’à ces grandes profondeurs, tous nos sens sont un peu déformés et entraînent des impressions différentes. Sentiment bizarre, on vient de sortir de l’eau et pourtant l’événement s’est produit il y a plus de quatre heures. « C’était génial, mais c’était il y a longtemps… » C’est presque déjà loin dans nos mémoires. Preuve encore une fois que nous revenons d’une autre planète… La tension est enfin tombée, mais la journée n’est pas finie. Retour à la plage, déchargement du matériel, chargement du pick-up, attelage du bateau, etc., et ça recommence comme la veille. On se prépare déjà pour le lendemain. Quarante jours de la sorte vont se succéder. Pour moi, c’est un aboutissement, j’espère une étape, en tout cas, un grand moment de ma vie. 70 | Art de vivre Les lignes qui précèdent sont celles du récit d’une journée idéale, celle où tout s’est bien passé et où le cœlacanthe était là. Mais ça n’a pas toujours été le cas. En fait, le plus souvent, il n’était pas au rendez-vous, parfois même un incident survenait, essoufflement, égarement, problème de matériel, problème de caméra ; bref, une plongée pas vraiment réussie, voire carrément ratée. Ces jours-là, il était difficile de garder son enthousiasme quand toutes ces heures de préparation ne suffisaient pas à sublimer les quelques dizaines de minutes passées au fond. « Tout ça pour ça ?! » est une idée sournoise qui nous guettait chaque soir. Les plongées profondes sont ainsi, parfois inoubliables mais toujours ingrates. Si je consulte le logbook de mon ordinateur de plongée, je lis que, toutes plongées cumulées, j’ai passé exactement 160 minutes aux côtés du cœlacanthe. 160 minutes à nager avec le plus vieux poisson du monde. 160 minutes de son intimité pour 185 heures de plongées cumulées ! C’est dérisoire et plus qu’espéré à la fois. Au cours de la dernière mission, nous avons exécuté toute une série de protocoles scientifiques, complexes et audacieux, compte tenu de la profondeur où tout cela s’est passé. Les résultats sont encore en cours de dépouillement et notre impatience est grande d’en savoir un peu plus sur le plus mythique poisson du monde. Je vous promets de les partager avec le plus grand nombre très bientôt !... • www.andromede-ocean.com www.coelacanthe-projet-gombessa.com CENT SOIXANTE MINUTES de son intimité pour 185 heures de plongées cumulées ! C’est dérisoire et PLUS QU’ESPÉRÉ À LA FOIS. Durant trente jours en 2010, puis quarante jours en 2013, nous avons appris beaucoup de choses sur lui, mais chaque découverte nous posait plus de questions encore. Après tout, que savons-nous du cœlacanthe ? Presque rien à part qu’il existe ! 71 72 | Art de vivre 73 PAR JEFFREY S. KINGSTON Le retour aux classiques : MICHEL ROSTANG Il y a une joie profonde à redécouvrir les délices offertes par les grands standards de la cuisine française. 74 | Art de vivre 75 Les enseignements d’Escoffier PEUVENT ÊTRE CONSIDÉRÉS COMME FRAIS, AUDACIEUX ET MÊME NOVATEURS dans un monde submergé Il est indéniable que les découvertes s’accompagnent généralement d’une émotion particulière. Les gastronomes et les critiques s’enthousiasment pour des créations novatrices, des ingrédients exotiques, des transformations moléculaires ou toute autre marotte éphémère qui apparaît dans ces théâtres naguère appelés restaurants. Mais qu’en est-il si la « découverte » n’est pas au dernier cri de la mode, qu’elle ne se compose pas d’herbes sauvages récoltées dans des forêts norvégiennes ou que sa préparation ne recourt pas à un accélérateur de particules ? Qu’en est-il si elle était déjà là et qu’elle est simplement tombée dans l’oubli dans notre quête frénétique de nouveautés extravagantes ? En bref, la redécouverte de grands classiques, préparés avec amour et élevés à la perfection, ne serait-elle pas de nature à faire surgir pareille émotion ou un sentiment plus fort encore ? Il est impossible de répondre à cette question autrement que par un « oui » enthousiaste, encore renforcé par une récente visite au restaurant parisien de Michel Rostang, rue Rennequin, qui a pleinement réaffirmé le pur plaisir et la joie qui sont depuis toujours les piliers traditionnels de la cuisine française avec le réconfortant rituel d’une présentation sur une desserte disposée à côté de la table. par la cuisine moléculaire. À la bonne heure, nous ne sommes pas seuls à entreprendre ce voyage aux sources de la cuisine française classique. Pour les personnes promptes à envisager l’évolution de la gastronomie comme une progression constante sur une trajectoire toujours plus audacieuse, les récents développements de la cuisine semblent sans doute s’enrouler sur eux-mêmes comme un ruban de Mœbius. Le New Yorker, un magazine renommé pour sa capacité à humer l’air du temps, a récemment consacré l’un de ses articles de fond à la recréation de trois points de référence vénérés de la cuisine française à partir de recettes élaborées par Escoffier – une chartreuse, un koulibiac de saumon et un canard au sang. Les résultats n’ont pas uniquement représenté des révélations en soi, mais leur préparation étonnamment difficile s’est également apparentée à une aventure. Surprise ! Loin de paraître surannés, les enseignements d’Escoffier sont apparus frais, novateurs, audacieux, voire comme un phénomène de mode dans un monde envahi par la cuisine moléculaire. 77 Canette « Miéral » au sang, servie saignante en deux services, sauce au vin rouge liée de son sang et au foie gras, salade de cuisses en fricassée. Pour Michel Rostang, il ne saurait être question de redécouverte ou de réinvention, car il ne s’est jamais détourné de la plupart des grands classiques. Il préside aux cuisines du restaurant qui porte son nom depuis la décennie 1970, soit depuis 33 ans sans interruption. Pendant tout ce temps, il a fermement maintenu sa loyauté aux mets révérés de la gastronomie, une fidélité récompensée par deux étoiles au guide Michelin. Ses racines sont anciennes et elles s’inscrivent dans une lignée ininterrompue de grands chefs. Michel est le représentant de la cinquième génération (et de la troisième à avoir reçu les honneurs du Michelin). Son épouse Marie-Claude, qui accueille les convives, est aussi issue d’une famille de chefs. Leurs deux filles, Sophie et Caroline, prêtent main-forte à leur mère et étendent à six générations la tradition culinaire de la famille. Michel Rostang s’est forgé un profond respect pour les principes essentiels de la grande cuisine française : la conception unitaire d’un apprêt, des sauces fondées sur des réductions et, en opposition aux modernistes d’aujourd’hui, une absence totale d’appréhension face au beurre et à la crème. Le rite de la présentation, du découpage et du service à côté de la table, longtemps célébré, mais tragiquement presque oublié, s’inscrit en parfait accord avec les principes qui soutiennent sa créativité. La passion de Michel Rostang pour la tradition est si vive qu’il collectionne précieusement les livres de cuisine du XVIIIe siècle, débusqués avec bonheur dans les derniers recoins du Marché aux Puces. Néanmoins, le regard du chef n’est pas uniquement dirigé vers le passé, son évolution est perceptible et elle l’a conduit à modifier les approches de ses recettes à travers le temps. À l’image de nombreux chefs, Michel Rostang a commencé sa formation à l’âge de 16 ans, à une époque où la nouvelle cuisine se propulsait sur le devant de la scène. L’apprentissage de Michel Rostang a cependant pris une autre direction. Il a longuement séjourné chez Lasserre et Lucas Carton à Paris, avant de rejoindre La Marée à Biarritz, autant d’établissements qui étaient les tenants d’une école classique. Avec une sensibilité et une inspiration héritées de son père Jo, Comme pour le ruban de Mœbius où la recherche de l’extrémité nous ramène à notre point de départ, il est sans doute avisé de s’interroger sur les autres lieux dans lesquels le gourmet peut déguster des apprêts authentiques, qui observent les principes essentiels de la grande cuisine française et sont présentés avec élégance et savoir-faire aux convives. À cette aune, alors que les tenants de la modernité rivalisent d’ingéniosité pour sortir du lot avec des créations toujours plus 78 | Art de vivre 79 audacieuses, Michel Rostang, fermement attaché à ses convictions, a atteint l’unicité, l’objectif dont tant d’autres rêvent désespérément, car il est presque le seul dans la capitale française, si ce n’est dans le monde, à offrir un si large éventail de délices gastronomiques inspirées par la tradition. La dévotion de Michel Rostang aux grands rituels de la cuisine française a conduit en 2012 à la création d’un nouveau forum. L’occasion en a été donnée par le centenaire des Dîners d’Épicure fondés par Escoffier en 1912 à Paris. Cette rencontre hautement symbolique était célébrée sous le mot d’ordre « de la cuisine à la salle, le geste et la parole ». Pour la première fois, ce repas d’exception était préparé par quatre chefs qui œuvraient de concert : Michel Rostang, Michel Troisgros, Pierre Hermé et Jean-Pierre Biffi. La soirée, qui se déroulait dans le restaurant de Michel Rostang, a suscité une ruée frénétique parmi les amateurs de bonne chère afin de s’assurer l’un des sièges tant convoités dans la salle à manger. Chacun des chefs était invité à préparer l’un des plats. Pour sa part, Michel Rostang a présenté son canard au sang, qui s’harmonisait parfaitement avec le thème retenu, car L’une des GRANDES SPÉCIALITÉS DE MICHEL ROSTANG est la perfection de sa préparation et de son service sous les yeux des convives. Araignée de mer relevée de gingembre, crémeux de courgettes en impression de caviar Osciètre. ce mets requiert de la précision en cuisine, un découpage expert et la préparation de la sauce en salle, sous les yeux des dîneurs, sur une desserte disposée à côté de la table. Une récente visite à la rue Rennequin a confirmé que ce monde apparemment oublié recelait de précieuses vérités. En opposition avec de nombreux restaurants qui suivent les tendances de la mode non seulement sur l’assiette, mais également dans le décor, Michel Rostang s’en tient avec circonspection à des valeurs couronnées par le temps. Dès qu’il franchit la porte, le gourmet est rasséréné par des parois boisées aux teintes chaleureuses, encore adoucies par des tapisseries, des œuvres d’art et une majestueuse vitrine où trônent des poupées de porcelaine. Les tables sont disposées de manière généreuse et chacune d’elles est située à une agréable distance des autres. Une petite armada de hors-d’œuvre accompagne la traditionnelle Coupe de champagne : des sandwichs miniatures garnis d’une savoureuse mousse à la sardine, des madeleines au jambon, un toast avec un disque de homard surmonté d’une unique cuillérée de piment et, finalement, une intense et classique mousse de pigeon disposée sur un sablé croquant. Ces parfaits compléments au champagne présentent aussi l’avantage d’alléger la lecture de l’une des meilleures cartes des vins de Paris. Riche et diversifiée, la sélection est particulièrement impressionnante par sa profondeur et ses choix avisés et abondants en bourgognes. Elle est l’œuvre du sommelier Alain Ronzatti, qui préside aux destinées de la cave depuis 1987. Il ne possède pas uniquement des connaissances encyclopédiques sur son contenu, mais se délecte également à les partager. Les Ravioles de Romans cuites au bouillon de volaille, cerfeuil frais, qui figurent toujours au répertoire, rappellent notre première visite dans le restaurant de Michel Rostang au début des années 1980. Des raviolis miniatures à la légèreté éthérique farcis d’une mousse de fromage accentuée par le cerfeuil flottent dans un fond de poulet et de cerfeuil à la double intensité. Soyeux et aérien, cet apprêt incarne une parfaite ouverture aux mets qui vont suivre. 80 | Art de vivre Les crustacés sont une spécialité de la maison et leur préparation imposante ne possède aucun équivalent à Paris et probablement ailleurs dans le monde. La Salade de homard « bleu » cuit au moment servi entier, jeunes poireaux en vinaigrette, crémeux de homard et jus de la presse à la betterave en est un excellent exemple. À ce point, gageons que les gourmets passionnés s’interrogent sur la véracité de cette déclaration aux accents audacieux. Cependant, il est aisé d’estomper leurs doutes par une description complémentaire. Un chariot doté d’une planche à découper supportant un homard de Bretagne est avancé à proximité de la table et devient le théâtre de l’action. Michel Rostang est un fervent partisan de la présentation dans la salle à manger et sa préparation de homard démontre avec éloquence son élégance et le savoirfaire requis pour mener cette délicate opération à bien. Sans la moindre hésitation, le maître d’hôtel Bruno Grimault se défait avec aisance de la carapace afin d’extraire intact chaque morceau de homard tiède. Dans quel autre établissement un homard est-il présenté et « découpé » à table ? Cependant, la progression dramatique ne s’arrête pas en si bon chemin. Une fois retirée de la carapace, la chair cuite au point de devenir translucide est incorporée à la salade et répartie dans les douze compartiments d’un grand plat, chacun contenant les autres ingrédients : des poireaux, une riche purée de betteraves, la sauce au homard. Dans ce mets, l’alliance inattendue est la juxtaposition de morceaux de homard et de purée de betteraves. Nullement écœurantes, les betteraves délivrent un accent délicat qui amplifie la douceur naturelle du crustacé. Sous chacun de ses aspects – une cuisine précise, un mode de présentation unique et son association raffinée avec les éléments de la salade – ce mets mérite à lui seul un pèlerinage à Paris. L’Araignée de mer relevée de gingembre, crémeux de courgettes en impression de caviar Osciètre de Michel Rostang est une nouvelle démonstration de son talent pour apprêter les crustacés. Dans des mains moins adroites, l’araignée de mer est souvent source de déception. Sa chair est extrêmement délicate et sa saveur parfois étouffée par les accompagnements. Elle exige retenue et raffinement, deux qualités précisément incarnées par Michel Rostang. La courgette prend la forme d’une mousse qui enveloppe la chair du crustacé comme un cannelloni, mais se distingue cependant sur sa surface par la présence de délicats cercles de caviar. Une autre spécialité pourrait aussi provoquer un rush sur le prochain vol à destination de Paris-Charles de Gaulle, le Sandwich tiède à la truffe fraîche, pain de campagne grillé et beurre salé. Pensez simplement à un panini au fromage grillé avec une modification essentielle : adieu le fromage, bonjour les truffes. Ce mets incarne l’apogée d’un aliment aussi luxueux que délicieux, simple, intense et incomparablement décadent. Michel Rostang a mis au point une astuce dans la confection d’un apprêt qui pourrait paraître comme simplement trivial. Il parfume le beurre et le pain avec les truffes pendant trois jours avant de griller et de servir le sandwich, de sorte que le pain toasté et le beurre ne servent pas uniquement de support à la truffe, mais contribuent à la création de cette saveur et de cet arôme grisants. Le restaurant apaise le dîneur AVEC SES PAROIS BOISÉES AUX TEINTES CHALEUREUSES. 81 82 | Art de vivre Le Tronçon de turbot rôti, jeunes carottes et morilles fraîches, coques d’oignons glacés et jus des arêtes au vin de syrah est plus léger et plus habituel selon les conventions actuelles. Simplement rôti, le turbot, d’une fraîcheur étincelante, est disposé à côté d’une « barque » de pois frais qui supporte les carottes, les oignons et les champignons. En haut, Quenelle de brochet soufflée à la crème de homard. À droite, Tronçon de turbot rôti, jeunes carottes et morilles fraîches, coques d’oignons glacés et jus des arêtes au vin de syrah. L’un des fondamentaux presque complètement oubliés de la grande cuisine française a conservé sa position prééminente rue Rennequin, la Quenelle de brochet soufflée à la crème de homard. La première bouchée fait inévitablement surgir des cascades de regrets pour les décennies pendant lesquelles le monde gastronomique a banni les classiques quenelles des menus. À l’évidence, cet apprêt est riche. Et il l’est même de manière provocante. Toutefois, ne nous rendons-nous pas dans les grands restaurants pour échapper à notre vie de tous les jours et céder à un plaisir coupable ? D’une certaine manière, l’idée que tout repas, même servi lors d’une occasion particulière, doit se rapprocher des principes diététiques observés dans un centre de remise en forme a réussi à se frayer un chemin dans l’esprit des propriétaires d’établissement et des chefs. Ces quenelles, qui adoptent en réalité l’apparence d’une seule grande quenelle soufflée et s’accompagnent d’une intense sauce au homard, d’un goût prononcé et parfaitement mis en évidence par une cuisson avec la carapace, bannit définitivement toute velléité de cuisine politiquement correcte qui tenterait de s’infiltrer dans les pensées du dîneur. Aucun décodage, aucune réflexion n’est requise par ce mets dont chaque morceau déclenche des vagues de plaisir. L’art et la virtuosité de Bruno Grimault apparaissent pleinement avec la Canette « Miéral » au sang, servie saignante en deux services, sauce au vin rouge liée de son sang et au foie gras ; salade de cuisses en fricassée, l’apprêt qui vaut à Michel Rostang une considération véritablement universelle. Rares sont les restaurants qui ont conservé le savoir-faire requis pour la cuisson et le découpage en salle d’un canard entier rôti. La précision millimétrique de la cuisson, qui atteint le point de perfection, et le découpage irréprochable du volatile à la couleur d’acajou n’en sont que plus remarquables. Toutefois, cette opération, réalisée devant les convives, ne constitue que le premier acte d’une pièce qui en comporte deux, car il est suivi par la préparation de la sauce. La pleine réussite de cette seconde partie dépend d’un appareil qu’il est presque impossible de se procurer de nos jours, une presse à canard en argent. Lors de la première étape de la confection de la sauce, la carcasse du canard est disposée dans la grande presse afin d’en extraire le précieux jus. En travaillant rapidement, les sucs sont incorporés et réduits à grand feu. Il en résulte une sauce épaisse, forte, sombre, épicée et intense. Un changement est intervenu dans la présentation au cours des dernières années. Auparavant, les magrets de canard étaient découpés en tranches presque aussi fines que du papier, de l’avant à l’arrière de la poitrine, et déposées sur l’assiette d’une façon qui n’était pas sans évoquer un carpaccio. Afin de donner davantage de consistance à chaque bouchée, Michel Rostang propose désormais les magrets dans des tranches plus épaisses, découpées de l’extérieur vers l’ intérieur. Pour avoir savouré l’une et l’autre au fil des années, je peux affirmer que les deux se valent. Selon les deux méthodes, le canard est éthéré, tendre avec la consistance précise que Michel Rostang voulait obtenir en modifiant 83 84 | Art de vivre 85 le découpage et il baigne dans une sauce à la suprême richesse. Ce n’est pas le fruit du hasard si Escoffier spécifiait en détail la préparation d’un canard au sang, sans oublier la presse en argent, car sans sa contribution à la sauce, tout l’éclat de la recette serait perdu. Il se présente avec une évidence d’autant plus forte que son incorporation au centenaire des Dîners d’Escoffier était autant nécessaire qu’obligatoire, car ce mets incarne l’un des piliers fondamentaux de la grande cuisine française. Afin de ponctuer le message et d’assurer au convive qu’il ne dîne pas dans un spa, mais qu’il célèbre une véritable fête, le canard est accompagné d’un scandaleux gratin de pommes de terre. La Noix de ris de veau croustillante aux écrevisses, fanes de navets farcies d’une crème de persil et champignons de Paris produit une forte impression. Pour ses ris de veau, Michel Rostang ne déroge pas au classicisme. Ce plat permet systématiquement de tester la maîtrise de la technique en cuisine. S’il est préparé correctement, un vœu rarement exaucé, il présente un surprenant contraste de textures entre un extérieur croustillant et un intérieur délicat et velouté. Michel Rostang parvient parfaitement à ce résultat et l’association avec la sauce aux écrevisses est tout à la fois traditionnelle et sublime. Le Soufflé chaud au caramel beurre salé, sorbet aux « poires Williams » est un dessert pérenne chez Michel Rostang. Même si la description semble emprunter un chemin familier, le chef l’enrichit de nouvelles contributions de son invention. La base de caramel salé gagne en consistance et en profondeur par l’adjonction de noisettes. Proposé en accompagnement, le sorbet de poires recèle d’autres surprises avec le poivre de Sichuan qui lui apporte une note exotique pleine de verve. Pour les fans de sauce au caramel salé, cette préparation mérite un service généreux. Depuis trois décennies, la rue Rennequin est l’une de mes destinations parisiennes de prédilection. Il est réconfortant de constater que Michel Rostang honore les mêmes valeurs qui l’ont rendu célèbre au début de sa carrière. Pour les fervents de la grande cuisine française comme pour les amateurs qui l’ont délaissée au profit d’élans modernistes et souhaitent combler leur retard, l’oasis parisienne de la rue Rennequin exerce une attraction irrésistible. • En haut, Soufflé chaud au caramel beurre salé, sorbet aux « poires Williams ». À gauche, Noix de ris de veau croustillante aux écrevisses, fanes de navets farcies d’une crème de persil et champignons de Paris. 86 | Dans l’air du temps 87 PAR JEFFREY S. KINGSTON ROUES ET PIGNONS Si elle est connue des horlogers, l’impérieuse nécessité de recourir à des roues et à des pignons de la meilleure qualité échappe généralement aux collectionneurs. 88 | Dans l’air du temps Commençons par quelques propos fl atteurs, qui seront hélas suivis d’une douche glacée pour la plupart d’entre nous. Il apparaît presque comme une simple évidence qu’un grand nombre des lecteurs des Lettres du Brassus sont des collectionneurs horlogers d’une distinction extrême, qui évoluent avec grâce dans un aréopage raffiné où ils brillent par leur compréhension étendue des subtiles décorations qui ornent de prestigieux garde-temps. Certains, sans le moindre doute, ont acquis une véritable stature en la matière qui leur vaut d’être recherchés par leurs pairs en raison de leurs « conseils horlogers ». Toutefois, quel que soit leur niveau d’érudition, combien sont-ils à consacrer les mêmes études minutieuses, qui les ont conduits à se pencher sur les ponts, les platines ou les masses oscillantes, aux roues et aux pignons qui incarnent pourtant les composants essentiels de tout gardetemps mécanique ? À l’exception naturellement de nos lecteurs qui sont eux-mêmes des professionnels, cette proportion demeure extrêmement faible. D’emblée, une précision s’impose : les horlogers ne s’intéressent pas uniquement avec une attention soutenue aux roues, pignons et mobiles, qui sont une combinaison des deux, mais sont véritablement obsédés Roue Pignon par ces composants indispensables à toute construction mécanique pour un juste motif : la précision de marche ainsi que les performances de la montre tout au long des années dépendent de leur qualité. Les roues, les pignons et les mobiles de Blancpain sont fabriqués à la Vallée de Joux, à quelques centaines de mètres à peine des ateliers du Brassus, par une manufacture spécialisée qui porte le nom de François Golay et appartient au même groupe que Blancpain. Depuis sa fondation en 1855, la maison Golay se consacre à la fabrication de roues, de pignons et de mobiles. Elle livre presque toutes les grandes marques horlogères, qu’elles soient établies à la Vallée de Joux, à Genève, à La Chaux-de-Fonds ou en Allemagne. Il est intéressant 89 90 | Dans l’air du temps 91 Le cuivre-béryllium CONFÈRE UNE QUALITÉ SUPÉRIEURE au mouvement. de relever à ce propos que même si Golay est le fournisseur de nombreux opérateurs de l’industrie horlogère, tous n’exigent pas le même degré de qualité. Pour ses roues et ses pignons, Blancpain impose le niveau le plus élevé. Chaque montre Blancpain est équipée de composants qui entrent dans la catégorie supérieure, définie par Golay sous l’appellation « haut de gamme ». Blancpain ne souhaite pas seulement la meilleure qualité, mais le choix des matériaux utilisés pour leur confection lui confère également une situation particulière. En règle générale, trois types d’exécution sont proposés : en laiton, en maillechort ou dans un alliage de cuivre-béryllium. La grande majorité des marques horlogères recourent au laiton pour les roues. À l’inverse, Blancpain a sélectionné l’option la plus onéreuse, le cuivre-béryllium, pour presque toutes ses collections. Pourquoi ce matériau plutôt qu’un autre ? Parce qu’il apporte une plus-value au mouvement en raison de sa plus grande dureté, d’un plus faible coefficient de friction et d’une meilleure résistance à l’usure que le laiton ou le maillechort. Même s’il est essentiel, le choix d’un niveau de qualité et d’un matériau ne révèle qu’une petite part du savoir-faire indispensable à la fabrication et à la décoration des composants de chaque montre Blancpain. Une journée passée dans les ateliers Golay à la Vallée de Joux pour suivre les processus de production des roues, des pignons et des mobiles permet de s’en forger une image plus complète. Pour les roues, le travail débute avant l’arrivée de la première livraison de matériel. En effet, l’étape initiale consiste à fabriquer les outils personnalisés qui serviront à la production des roues. Chacune d’elles requiert sa propre « étampe », construite par les spécialistes de Golay. D’une certaine manière, la réserve d’outils de l’atelier ressemble à une bibliothèque ou, plus précisément, à une salle d’archives où les étampes de chaque roue jamais produite par la manufacture sont minutieusement disposées sur de longues étagères. Une fois l’étampe réalisée, la fabrication d’une roue peut commencer. Le matériel nécessaire à cet effet arrive sous la forme d’une bande enroulée, dont l’apparence n’est pas sans rappeler un gigantesque rouleau 92 | Dans l’air du temps de ruban adhésif. Dans le cas des roues de Blancpain, il s’agit d’un rouleau de cuivre-béryllium. Après avoir fixé l’outil personnalisé sur une machine à étamper, la forme du centre et les bras de la roue sont découpés dans la bande de métal. Pour nombre de nouveaux mouvements de Blancpain, il est aisé de repérer la production de leurs roues, car le profil des bras arbore une forme distinctive, dite « à jantes », inspirée par les roues des automobiles de compétition. La machine à étamper utilisée pour cette phase initiale varie selon l’épaisseur et le diamètre de la roue qui est en cours de fabrication. La plus petite réalise l’étampage avec une force de 6 tonnes alors que la plus grande effectue cette opération avec une pression de 30 tonnes. Pour la plupart des roues, l’étape suivante est représentée par le perçage de précision du trou central. Dans ce domaine également, l’utilisation du cuivrebéryllium, le matériau le plus noble, présente des avantages. Sur une roue en laiton ou en maillechort, le trou doit nécessairement être alésé. Inévitablement, une petite bavure se formera pendant l’opération de perçage sur le bord inférieur du trou. Inversement, il est possible d’étamper le trou sur le cuivre-béryllium. Cette technique se caractérise par deux atouts importants. Premièrement, elle peut être réalisée avec une plus grande précision (de l’ordre de 3 microns). Souvenez-vous que la précision est le commandement suprême qui préside à la fabrication de ces composants. Plus le degré de précision est élevé, plus la marche de la montre sera exacte. Deuxièmement, contrairement au résultat obtenu par le procédé de l’alésage, le trou ne comportera aucune bavure sur sa partie inférieure. La prochaine opération recèle une incontestable part de romantisme, car l’appareil utilisé à cet effet a été conçu à l’origine pour un domaine très éloigné de l’horlogerie, les médailles de piété. De provenance italienne, cette machine était conçue pour produire des médailles frappées d’un portrait de la Vierge. Sur les roues de montre, elle est employée pour réaliser l’anglage des bras. Les roues passent à deux reprises à travers la machine afin d’angler les deux côtés des bras. À l’issue de ce traitement, les roues sont polies au tonneau dans du brou de noix avant de recevoir un polissage et un brillant de précision. Tout au long des étapes que nous venons de décrire, les roues demeurent dépourvues de dents, car d’autres décorations doivent être apportées avant qu’elles ne soient taillées. Sur la majorité des roues à bras, l’opération suivante consiste à appliquer un grenage extrêmement fin appelé « cerclage » sur leurs surfaces supérieure et inférieure à l’aide d’un papier abrasif. La finesse du grain est également une question de choix, Blancpain sélectionne systématiquement les grenages les plus subtils. Cependant, sa finesse connaît une limite naturelle : l’acuité visuelle. Si le grenage est trop fin, Il y a une part de ROMANTISME dans l’une des opérations de finition effectuées avec une machine initialement conçue pour réaliser des médailles de piété. 93 94 | Dans l’air du temps 95 Un examen au microscope révèle la DÉCORATION RAFFINÉE D’UN COUVERCLE DE BARILLET. 96 | Dans l’air du temps sa présence ne sera pas décelée à travers un fond de montre transparent. De ce fait, le cerclage idéal est le plus fin qui soit perceptible à l’œil nu. D’autres étapes de décoration sont requises pour Blancpain. La plupart des roues possèdent un chanfrein sur le trou de centre. En outre, elles comportent un travail supplémentaire sur une étroite bande qui entoure le centre et adopte l’aspect d’un poli spéculaire. Cette dernière opération est réalisée à l’aide d’outils « diamant ». Certaines pièces, tel le barillet, reçoivent une ornementation différente. Dans le cas de Blancpain, la décoration prend la forme de délicats rayons qui partent du centre et composent un motif de « soleillage », gravé dans le tambour du barillet. Les travaux de décoration sont désormais achevés, les roues – toujours démunies de dents – sont prêtes pour la pose d’une couche de métal précieux. Les roues sont rhodiées ou dorées sur la plupart des mouvements. Finalement arrive le moment de se pencher sur l’élément qui surgit le premier à l’esprit lorsqu’il est question de roues : les dents. Dans la plupart des cas, le processus commence par l’assemblage d’un groupe de roues sur une tige, qui sont encadrées de part et d’autre par des roues factices en laiton à chaque extrémité. Les « fausses » roues sont destinées à supprimer la bavure produite pendant la taille des roues réelles. Au fur et à mesure que la fraise s’abaisse à travers la série de roues, des débris de coupe s’accumulent sur la roue factice sise sur l’extrémité la plus éloignée plutôt que de se déposer sur les roues empilées. À l’inverse, les barillets sont taillés de manière individuelle. La fabrication des pignons se déroule d’une manière entièrement différente. Les horlogers distinguent de nombreuses formes de pignons qui se composent en règle générale d’un axe à double portée avec une zone taillée. Les mobiles sont l’assemblage d’un pignon et d’une roue. La majorité des pignons et des petites roues des mobiles appelées « renvois » sont confectionnés en acier, même si certains peuvent être fabriqués en cuivre-béryllium. Le processus de production d’un pignon commence généralement avec une barre du métal choisi. Elle est insérée dans une décolleteuse qui l’usinera à la dimension souhaitée. Ainsi, si le pignon consiste en une petite roue placée sur le milieu d’un axe (donc doté d’un pivot à chacune de ses extrémités), une section de la barre sera décolletée et taillée à l’aide du programme intégré de la machine pour parvenir à la forme désirée. La barre est disposée dans l’automate qui produira un pignon précisément usiné et taillé aux formes et aux dimensions requises. Plusieurs étapes précèdent encore l’achèvement d’un pignon. Premièrement, le métal doit être trempé. Le degré de dureté spécifié par Blancpain est obtenu par traitement thermique. Puis, le pignon est plongé dans l’huile et placé dans une polisseuse à tonneau qui utilise de petites particules de brou de noix pour polir toutes les surfaces. 97 98 | Dans l’air du temps 99 Certains collectionneurs horlogers ont probablement connaissance de ces certifications, illustrées sous la forme d’un marquage, à l’exemple du « poinçon de Genève », et octroyées en fonction de l’observation de divers critères, à l’exemple d’une condition qui requiert la réalisation du travail dans le canton de Genève. La manufacture Blancpain, établie à la Vallée de Joux, ne remplit naturellement pas cette condition essentielle à son obtention. Dans ce domaine, les horlogers de la Cité de Calvin prétendent souvent que le polissage manuel des pignons spécifié par le poinçon de Genève confère aux composants un degré de qualité supérieure. Cet argument comporte assurément une part de vérité en comparaison avec un pignon qui n’est pas poli. Cependant, pour les pignons qui reçoivent un poli de précision comme ceux de Blancpain, cette objection n’a pas lieu d’être, car l’inverse est vrai. Le polissage minutieusement contrôlé au brou de noix, tel qu’il est pratiqué sur les pignons de Blancpain, produit un éclat raffiné que l’œil ne parvient pas à distinguer d’un polissage manuel. Toutefois, le motif pour lequel Blancpain a opté pour cette méthode alternative réside dans la précision du composant achevé. Fatalement, un pignon poli à la main présentera des altérations dans la dimension des dents et de l’axe. Il suffit de polir un peu trop longuement une dent, un peu trop brièvement une autre pour qu’une part de la précision originelle soit perdue. Cet effet pernicieux ne peut être évité par un processus manuel qui dépend de l’évaluation et de la sensibilité de l’opérateur. En outre, le procédé choisi par Blancpain est étroitement contrôlé et la précision apportée à la fabrication du pignon est entièrement préservée au cours des opérations de polissage. Les tolérances se situent dans une plage de deux microns, un résultat qu’aucune autre méthode ne permet d’obtenir, voire d’approcher. Bien que le mouvement ne soit pas muni d’un « authentique » poinçon, une valeur réelle est délivrée au propriétaire de la montre, car ces tolérances nettement plus réduites garantissent des performances supérieures et une usure moindre pour le garde-temps achevé. Un autre processus de fabrication important est utilisé pour la production des mobiles, qui sont l’assemblage d’une roue et d’un pignon. Comme chaque élément est confectionné séparément, il convient donc de les réunir. Cette opération se déroule au cours du rivetage ou du chassage. Un épaulement presque minuscule est réalisé sur une face du pignon. Lorsque cet épaulement est fermement placé sur la roue et le degré de pression exact appliqué, les deux éléments sont solidement fixés l’un à l’autre. S’ il est un thème qui résulte de cette étude, il s’agit assurément de la QUÊTE DE LA PRÉCISION. À gauche, enchaînage de roues sur un fil avant le taillage des dents. 100 | Dans l’air du temps 101 102 | Dans l’air du temps S’il est un thème qui résulte de l’étude des roues et des pignons, il s’agit assurément de la quête de la précision. La même obsession de la précision est observée pour l’assemblage des mobiles. Les deux éléments doivent être minutieusement disposés l’un au-dessus de l’autre afin d’être parfaitement concentriques, solidaires et perpendiculaires. La concentricité est mesurée de manière très précise et la qualité est étroitement surveillée pour satisfaire chacun de ces stricts critères. Certaines vérifications peuvent comporter des procédures destructives. Le contrôle du rivetage n’est pas effectué sur toutes les pièces, car il implique la dissociation du mobile. Néanmoins, pour vérifier que la pression appropriée a été appliquée pendant le rivetage, un échantillon de mobile terminé est disposé sur la machine de test pour contrôler la solidité de la fixation. La roue est maintenue en place dans l’appareil et le pignon tourné jusqu’à leur rupture. La résistance est mesurée pour assurer qu’elle répond aux spécifications de Blancpain. L’une des profondes joies offertes par les collections de montres, en particulier à notre époque de fonds transparents, consiste à admirer les exquis détails d’un mouvement mécanique haut de gamme. Souhaitons que les amateurs, désormais au fait des complexités et des défis posés par la fabrication des roues, des pignons et des mobiles, soient plus nombreux à observer ces éléments avec la même intensité et la même passion qu’ils consacrent aux autres composants d’un garde-temps. • La FINITION DES ROUES ET DES PIGNONS requiert une étude tout aussi attentive que les autres composants du mouvement. 103 104 | Art de vivre Terre de François-Joseph: L’Arctique russe préservé L’expédition Pristine Seas 2013 avec le soutien de Blancpain. 105 À la fin du XIXe siècle, le pôle Nord était toujours entouré de mystères et nul ne savait encore si des terres s’étendaient sous la surface de la glace. À cette époque, de nombreux scientifiques et aventuriers se lancèrent à la conquête du pôle, mais une seule équipe parvint à l’atteindre. L’expédition austro-hongroise Tegetthof, baptisée d’après le nom de son navire principal, découvrit un chapelet d’îles encore inconnues, recouvertes de glaciers et peuplées d’ours polaires. Elle donna à l’archipel le nom de François-Joseph, en hommage à l’empereur régnant. En 1926, l’Union soviétique revendiqua la possession de ces territoires et interdit leur accès aux navires étrangers. Presque un siècle plus tard, au cours de l’été 2013, Enric Sala, explorateur résident de la National Geographic Society a conduit une nouvelle expédition Pristine Seas avec le soutien de Blancpain à destination de la Terre de François-Joseph. L’objectif de cette équipe internationale de spécialistes et de cinéastes consistait à explorer les îles et l’univers sous-marin de l’Arctique. Le prochain numéro des Lettres du Brassus relatera l’histoire de cette extraordinaire épopée ainsi que le travail réalisé conjointement avec les organismes russes afin de protéger cet écosystème unique. • Par Enric Sala, explorateur résident de la National Geographic Society RAISE AWARENESS, TRANSMIT OUR PASSION, HELP PROTECT THE OCEAN 106 | Impressum ÉDITEUR Blancpain SA Le Rocher 12 1348 Le Brassus, Suisse Tél. : +41 21 796 36 36 www.blancpain.com [email protected] CONCEPTION, GRAPHISME, DESIGN, RÉALISATION TATIN Design Studio Basel GmbH www.tatin.info DIRECTION ARTISTIQUE Marie-Anne Räber Oliver Mayer RESPONSABLE DE PROJET Christel Räber Beccia PHOTOLITHOGRAPHIE Sturm AG, Muttenz, Suisse RÉDACTION EN CHEF Christel Räber Beccia Jeffrey S. Kingston PRÉPRESSE ET IMPRESSION AUTEURS PHOTOGRAPHIES / ILLUSTRATIONS Laurent Ballesta Jeffrey S. Kingston Enric Sala Laurent Ballesta Lisa Besset Blancpain Barbara Brou François Golay SA Claude Joray Alban Kakulya Jeffrey S. Kingston Pétrus Rostang Enric Sala / National Geographic Manu San Felix / National Geographic Philippe Vaurès Santamaria Joël von Allmen ADAPTATION FRANÇAISE Jean Pierre Ammon IRL plus SA, Renens, Suisse Imprimé en janvier 2014