Les sectes en France : quel questionnement sur la laïcité

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Les sectes en France : quel questionnement sur la laïcité
« Nouvelles approches de l’histoire de la laïcité au XXe siècle », colloque du Centre d’Histoire Sociale du 20e
siècle (Paris I), Paris, 18-19 novembre 2005.
Les sectes en France : quel questionnement sur la laïcité ?
Jean-Pierre CHANTIN
La célébration du centenaire de la Séparation des Eglises et de l’Etat a provoqué une
réflexion générale sur la laïcité, il est vrai avivée au même moment par la question de la place
de l’islam dans la République française, ainsi que par la discussion autour de l’héritage
chrétien de l’Europe qui devait figurer explicitement, ou non, parmi les valeurs rappelées en
tête du projet de traité constitutionnel pour l’Union européenne. Ce débat aurait pourtant pu se
poser il y a dix ans lorsque la France s’est alarmée du danger des sectes après le drame des
cinquante-trois membres (ou leur famille) de l’Ordre du Temple Solaire retrouvés carbonisés
dans deux chalets de Suisse et au Canada (octobre 1994), puis dans le Vercors français (16
morts en décembre 1995). L’opinion avait déjà été alertée par des événements concomitants
qui renforcent alors l’impression de danger: catastrophe de Waco (Texas) où David Koresch
et 80 disciples, assiégés sept semaines par le FBI, périssent dans un incendie (octobre 1994) ;
attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo par le groupe Aum Vérité Suprême (mars 1995).
Ce contexte a provoqué une intervention des élus français par la mise en place, demandée en
décembre 1994, d’une commission parlementaire ; son rapport est présenté en décembre 1995
et publié en janvier 1996. Or, à la différence d’un premier rapport de 1982-1983, après un
massacre au Guyana en 1978, cette initiative, portée par le contexte et les attentes du public,
provoque depuis une intervention voyante de l’Etat. La question de la pertinence, ou non,
d’une telle démarche, n’a pourtant été posée que très récemment1 par le président de la
Mission Interministérielle de VIgilance et de LUtte contre les DErives Sectaires
(MIVILUDES), en ouverture du séminaire universitaire consacré à « Sectes et laïcité » : « Qui
légitime l’Etat à créer ainsi des structures successives “d’observation”, de “lutte”, de
“vigilance et de lutte” chargées d’observer le phénomène sectaire ? [...] A l’évidence, c’est la
définition d’un Etat laïque du XXIe siècle qui peut seul – ou non – légitimer la vigilance
contre les groupes sectaires ».
1
Discours introductif de Jean-Louis LANGLAIS du 8 octobre 2003, texte disponible sur le site de la
MIVILUDES, www.miviludes.gouv.fr.
1
La relecture, sous cet angle, du rapport de 1995 permet de mieux comprendre ce qu’a
été l’intention des députés lors de leur enquête, et plus particulièrement ce qu’était leur
conception de la laïcité dans ce nouveau contexte. On peut suivre également l’évolution de
cette perception dans les suites données depuis dix ans par l’Etat sur les plans législatif et
réglementaire, ce qui ne manque pas de poser quelques questions plus générales sur la laïcité
française confrontée à la pluralité en marche des croyances.
Le rapport parlementaire
C’est le 7 décembre 1994, soit deux mois après le premier drame de l’Ordre du
Temple Solaire en Suisse dans lequel des Français ont péri, que des députés socialistes
déposent une proposition pour constituer une commission d’enquête « sur les agissements
liberticides de certaines associations dites sectes ». La démarche est approuvée en juin 1995 et
une commission de vingt-cinq membres est constituée en juillet. Après six mois d’auditions et
de recueil d’informations, le rapport est remis en décembre puis publié en janvier 1996 sous le
titre Les sectes en France, rapport parlementaire. Ce texte est particulièrement important
puisqu’il est devenu une référence en matière de lutte contre ce phénomène : la liste des 172
groupes qu’il recense2 a été transmise pour information par le ministère de la Justice aux
tribunaux ; elle est constamment évoquée par les médias pour qualifier tel ou tel groupe de
« secte », sa seule présence sur la liste justifiant la suspicion3. Bien plus, le 2 septembre 2004,
le tribunal administratif de Poitiers a condamné le refus de la commune de Châtellerault de
louer une salle municipale aux Témoins de Jéhovah car elle l’avait fait au motif, jugé illégal,
qu’ils étaient « répertoriés par la commission parlementaire sur les sectes », la liste n’ayant
pas de caractère réglementaire4.
Si les parlementaires ne se posent pas de prime abord la question de la légitimité de
l’Etat a intervenir sur ces questions, c’est qu’il ne s’agit pas pour eux de traiter de problèmes
liés à des groupes religieux. La première question posée dans le rapport est celle de la
définition d’une secte ; la difficulté de la tâche est reconnue, et différentes interprétations
rappelées (« étymologique », « sociologique », « l’impossible définition juridique ») avant de
conclure qu’une « définition objective » est impossible. Ne s’arrêtant pas devant cette gêne, la
commission choisit alors d’adopter les critères retenus par les Renseignements Généraux,
2
En fait 173, si l’on ajoute à la liste les Témoins de Jéhovah, systématiquement comptés à part.
Pour un exemple de dérive de ce type d’approche : Nathalie Luca et Frédéric Lenoir, « L’affaire ‘Lempert’ ;
une chasse aux sorcières à la fin du XXe siècle », Sectes. Mensonges et idéaux, Bayard, 1998, p.292-298.
4
Site : www.prevensectes.com, d’après La Nouvelle République du Centre-Ouest, 3/09/2004.
3
2
basés sur la notion de dangerosité de ces groupes, ce qui rejoindrait « le sens commun que
l’opinion publique attribue à cette notion »5. Il ne s’agit donc pas pour les parlementaires de
partir d’une définition générale des groupes religieux minoritaires, puis de distinguer dans un
deuxième temps entre inoffensifs et dangereux, mais bien de se focaliser uniquement sur ceux
présentant au moins un des dangers précisés, quitte à délaisser des mouvements spirituels se
situant hors des « grandes religions traditionnelles » et qualifiés de sectes, mais ne présentant
pas ces risques. Il est clair pour les parlementaires que les structures ainsi répertoriées ne sont
que des groupes « se présentant comme religieux », ainsi qu’ils le précisent à plusieurs
reprises. Une autre définition peut en effet se lire en filigrane dans le rapport6 : les sectes
incriminées se voient systématiquement refuser toute légitimité spirituelle, à l’inverse de la
situation des « Eglises » (p.23), dites maladroitement « religions reconnues » par Alain Gest
dans sa préface (p.11) - une reconnaissance qui, en régime de Séparation, est sans doute le fait
de l’opinion publique dans l’esprit du président de la Commission – ou encore « religions
traditionnelles », c'est-à-dire, précisent-ils, « chrétienne, musulmane, hindouiste, bouddhiste »
(p.26). Une secte n’est donc pas caractérisée par sa seule dangerosité, mais aussi par sa non
appartenance à ces « religions reconnues » : les rapporteurs conviennent en effet que parmi de
tels « mouvements spirituels », « communément appelés sectes » et n’appartenant pas à ces
grandes structures, certains ne sont pas dangereux, et de citer « les baptistes, les quakers ou
les mormons », le lien des premiers nommés avec le protestantisme n’étant visiblement pas
perçu. Pour les autres, Alain Gest n’y voit que des entreprises d’escroqueries dont l’aspect
religieux n’est qu’un prétexte : ils profitent selon lui de la perte des repères religieux et
politiques de nos sociétés pour organiser des « rencontres fortuites (ou judicieusement
préparées) » avec des personnes fragilisées, en utilisant toutes les « ficelles » pour alimenter
leurs caisses, « motivation première » de bons nombres d’entre eux, devançant de peu les
« déviances sexuelles » (p.11-12). Dès lors, les parlementaires peuvent fustiger « l’apparente
spiritualité d’un discours dont [les adeptes] ont l’illusion qu’il peut apporter la réponse à leurs
attentes » (p.17), ou des mouvements « se présentant comme religieux » (p.25). On comprend
donc dans cette logique manichéenne, qui distingue entre « religions reconnues » et « sectes »,
qu’en régime de Séparation les parlementaires s’autorisent à qualifier des groupes de
5
Les dix critères de dangerosité retenus: la déstabilisation mentale ; le caractère exorbitant des exigences
financières ; la rupture induite avec l’environnement d’origine ; les atteintes à l’intégrité physique ;
l’embrigadement des enfants ; le discours plus ou moins antisocial ; les troubles à l’ordre public ; l’importance
des démêlés judiciaires ; l’éventuel détournement des circuits économiques traditionnels ; les tentatives
d’infiltration des pouvoirs publics. Un seul suffit à qualifier un groupe de « secte ».
6
L’édition utilisée est celle destinée au grand public, publiée aux éditions Patrick Banon, coll. Opinions
Publiques, 1996, 139p.
3
« pseudo-catholiques » au motif que leur doctrine est « le plus souvent tellement éloignée de
la théologie de l’Eglise qu’ils sont exclus de sa communion » (p.64)7, certains célébrants de
« faux évêques [qui] se maintiennent aussi grâce à une utilisation caricaturale des rituels
romains ou catholiques orientaux »( p.77) – quelques-uns étant stigmatisés plus loin comme
« n’obéissant plus à Rome après le Concile de Vatican II » (p.82) – ou à reconnaître une
forme de légitimité initiale à « d’authentiques pasteurs » mais qui ont « basculé dans le rôle de
gourou » (p.78).
La question des sectes n’a donc pas, selon les parlementaires, à être traitée sous l’angle
de la laïcité. C’est d’ailleurs ce principe même qui empêche qu’une définition juridique puisse
servir de base à une riposte, toute distinction entre « religions traditionnelles » et « sectes »
étant rendue caduque par « la neutralité de l’Etat vis-à-vis des cultes » (p.110), les textes de
1789 (article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen) et 1958 (article 2 de la
Constitution) étant rappelés, ainsi que la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’Homme et des libertés fondamentales (1950) ratifiée par la France en 1973 (article 9). La
riposte envisagée au final s’appuie donc sur le dispositif juridique existant, dont les pistes
d’application sont suggérées afin d’enrayer les seules atteintes à la loi des groupes incriminés.
Au nombre de ces limites, on compte le respect de l’ordre public (« tranquillité, sécurité,
salubrité, moralité publiques »), une clause qui a déjà permis de restreindre en 1982 l’exercice
du culte des dévots de Krishna et de refuser le statut d’association cultuelle aux Témoins de
Jéhovah en 19858, ou le respect de la liberté et des droits d’autrui qui peut être invoqué dans
le cas d’enquêtes menées par un groupe qui conduisent à obtenir des renseignements d’ordre
privé. Les rapporteurs regrettent que ces dispositions légales ne soient pas davantage
utilisées : les associations de type « loi 1901 », une structure très prisée par ces groupes,
peuvent faire l’objet de contrôles du fisc et de l’inspection du travail, et elles ne peuvent
recevoir de dons ou legs. Ils rappellent que l’arsenal juridique possède d’autres dispositions
propres à tel ou tel abus : escroquerie, publicité trompeuse, abus de la situation de faiblesse
d’une personne, communauté de vie obligatoire des époux, ou obligation d’éducation agréée
des enfants. La seule mention à une disposition de la loi de 1905 concerne l’article 31 qui
punit « ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre l’individu, soit en lui
7
Les groupes incriminés sont Invitation à la Vie Intense, d’Yvonne Trubert, Tradition Famille Propriété,
d’origine brésilienne, la Fraternité Notre-Dame (Le Fréchou) et la Communauté des petits frères et petites sœurs
du Sacré-Cœur, en fait Contre-Réforme catholique de l’abbé de Nantes (p.65), et, plus loin, la communauté du
Bon Pasteur, de M.Main (p.82), ordonné par « le pape de Palmar de Troya », Grégoire XVII. Sur ces groupes :
J.-P. CHANTIN, Des « sectes » dans la France contemporaine . 1905-2000. Contestations ou innovations
religieuses ?, Privat, coll. Hommes et Communautés, 2004, 157p.
8
Les deux problèmes relevés étaient leur refus d’effectuer le Service militaire, ou un Service civil en
remplacement, et leur rejet des transfusions sanguines.
4
faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou
sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à
cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux
frais d’un culte »9.
Ne traitant pas de problèmes religieux, les parlementaires ne placent donc pas leur
réflexion dans l’ensemble plus vaste de la laïcité de l’Etat. Ils proposent pourtant au final la
création d’un Haut conseil des cultes composé de représentants des autorités religieuses
(« reconnues »), scientifiques et administratives, qui serait chargé d’épauler le bureau des
Cultes pour les demandes relatives à la reconnaissance d’association cultuelle ou de
congrégation, une disposition permise selon eux par les lois de 1901 et 1905. Mais il s’agit,
encore une fois, de distinguer les « religions authentiques », qui pourraient bénéficier de tels
statuts, des « mouvements pseudo-religieux » (p.131-132).
L’Etat et les sectes
L’Observatoire interministériel sur les sectes, formé cinq mois après le rapport, se
situe dans la droite ligne de l’optique prise par la Commission parlementaire qui avait proposé
une telle création: la liste de ses membres distingue des fonctionnaires, attachés à une dizaine
de ministères, mais surtout des « personnalités qualifiées » où l’on retrouve des proches des
associations de lutte contre les sectes, omniprésentes dans les auditions faites par la
Commission, et les principaux parlementaires impliqués dans la rédaction du rapport. La
mission donnée est faite d’une part de « l’observation et du suivi du phénomène sectaire », et
d’autre part « d’actions d’informations et de lutte contre les dérives sectaires ».
Le rapport annuel de l’Observatoire, de décembre 1997 (publié en juillet 1998),
semble actualiser celui des parlementaires de l’année précédente. Il est définitivement proposé
de renoncer à définir la notion de secte, de permettre aux associations anti-sectes de pouvoir
se porter partie civile, d’étudier une modification de la loi de 1901 (« pour améliorer la
transparence et la gestion des associations »), et de modifier la loi électorale afin d’éviter que
certains groupes profitent à cette occasion des aides de l’Etat et de l’accès aux médias comme
cela a été le cas aux élections législatives de la même année10. Mais au final, ces décisions
semblent assez modérées, et en tout cas en deçà des propositions de certains membres de
9
P.101-102
Les deux groupes en cause : le Parti de la Loi naturelle (Méditation transcendantale, de Maharishi Mahesh
Yogi) et le Parti Humaniste (Le Mouvement, de l’Argentin Mario Rodriguez Cobos, dit Silo)).
10
5
l’Observatoire, publiées en annexe du rapport. Le changement de majorité lui porte enfin un
coup fatal en 1998. Avec le retour des socialistes au gouvernement, la nouvelle Mission
Interministérielle de Lutte contre les Sectes (MILS) se voit confier le 24 novembre 1998 un
rôle plus offensif. On y retrouve les parlementaires déjà concernés, ainsi que des membres de
groupes luttant contre les sectes parmi les « personnalités qualifiées » du Conseil
d’orientation, aux côtés d’un groupe opérationnel regroupant des hauts fonctionnaires chargés
de mettre en forme les propositions des premiers, le tout sous la présidence du député
socialiste et ancien rapporteur de 1982 Alain Vivien, par ailleurs président de l’une des
associations anti-sectes. Celui-ci affirme aussitôt que son intention n’est pas de demander une
nouvelle loi, mais l’application plus résolue de celles déjà existantes ; les domaines de la
formation professionnelle, des thérapies et de l’enseignement privé sans contrat avec l’Etat
sont particulièrement dans sa ligne de mire. Dans le même ordre d’idée, les circulaires
ministérielles qui ont fait suite au rapport se contentent elles aussi de rappeler quelles sont les
actions possibles fondées sur le droit existant11.
Il semblerait pourtant qu’un changement de perception du phénomène sectaire soit
intervenu dans le courant de l’année 1999 et que la laïcité elle-même apparaisse enfin comme
la pierre de touche d’une action possible. Paul Airiau a noté cette inflexion dans les propos
d’Alain Vivien12. Si la laïcité est absente jusque là de ses propositions, ou comme chez les
parlementaires reléguée au rang de principe intangible, le président de la MILS la met en
avant lors d’un colloque européen sur les sectes en avril en tant que cadre de l’action de
l’Etat, proposition déjà faite en mars dans le bulletin de son organisation anti-sectes où il
déclare: « Le vrai combat contre les sectes […] est celui de la préservation de la laïcité et de la
démocratie »13. Le rapport de la MILS, de décembre 2000, se place dans cette nouvelle
optique et en 2001, dans le dossier consacré à la laïcité par la Ligue des Droits de l’Homme,
Vivien oppose le cadre des principes républicains (Déclaration de 1789, lois de 1901 et 1905)
qui « gêne considérablement les mouvements sectaires » au « laxisme gouvernemental » des
Etats-Unis en cette matière14. Dans le rapport de 2001, publié en 2002, une distinction est
donc faite entre les « sectes absolues », avec qui tout dialogue est impossible (la Scientologie
est érigée en exemple), et les autres dont seuls certains aspects sont inacceptables (comme les
Témoins de Jéhovah), et avec qui « on peut engager un dialogue pour qu’ils respectent la
11
G.Fenech, Face aux sectes : politique, justice, Etat, Paris, PUF, 1999 ; p.172-183.
« Les fruits incertains d’un parcours historique dans la France d’après 1789 », intervention au séminaire
« Sectes et laïcité » de la MIVILUDES le 20/01/2004, disponible sur le site de celle-ci, op. cit.
13
Regards sur, bulletin du Centre de documentation, d’éducation et d’action Contre les Manipulations Mentales,
mars 1999.
14
« Sectes et principes républicains », Hommes et libertés, n°113-114, 03-06/2001, p.85.
12
6
loi ». Une définition globale est enfin proposée : la secte serait « un groupement ou une
association de structure totalitaire, déclarant ou non des objectifs religieux, dont le
comportement porte atteinte aux droits de l’Homme et à l’équilibre social ». En découplant
ainsi la question des risques « sectaires » de celle de la qualification religieuse – ou pseudoreligieuse - des groupes, il devient possible de légiférer dans le cadre de la laïcité car il ne
s’agit plus que de les poursuivre pour non respect du cadre démocratique. Le vote d’une loi le
30 mai 2001 a donc renforcé le dispositif disponible : elle étend la possibilité de dissoudre une
personne morale « si son but ou l’effet de ses activités est de créer, maintenir ou exploiter la
sujétion psychologique ou physique des personnes qui y participent », et lorsqu’elle a fait
l’objet d’au moins deux condamnations précises (atteinte à la personnalité, mise en péril des
mineurs, fraude, etc.) ; la publicité de ces « mouvements sectaires » (et non plus « sectes »)
est en outre limitée, l’abus de faiblesse réprimé, les associations de lutte contre ce phénomène
reconnues aptes à se déclarer partie civile aux procès.
Il semble que l’on s’achemine définitivement vers une nouvelle orientation de la
politique de l’Etat à l’égard des minorités religieuses dans leur ensemble, depuis les dernières
élections de 2002 et le retour de la droite au pouvoir. La nouvelle Mission Interministérielle
de VIgilance et de LUtte contre les DErives Sectaires (MIVILUDES), mise en place en
novembre 2002, paraît avoir avalisé cette nouvelle orientation, se situant sur le terrain du
trouble à l’ordre public et des atteintes aux droits et aux lois en restant dans le cadre du
respect de la laïcité, bien plus que sur celui d’une « chasse aux sectes ». Comme le note son
président, « la nuance de l’acronyme […] indique bien une volonté de ne pas baisser la garde,
mais de viser la manifestation déviante et non la doctrine ou la croyance » ; il prône donc une
conception rénovée de la laïcité française, où l’Etat est tolérant mais reste vigilant « au nom
de l’ordre public »15. On attend qu’une série de deux condamnations obtenues dans le cadre
de la nouvelle loi fasse jurisprudence: pour la première fois, l’Association spirituelle de
l’Eglise de Scientologie de Paris a été condamnée comme personne morale le 17 mai 2002
pour fichage informatique des personnes ne souhaitant plus recevoir de courriers ; la décision
a été confirmée en cassation en octobre 200416. De même, en novembre 2004, le chef d’un
groupe apocalyptique, dont deux adeptes s’étaient suicidés en 2002 et deux autres avaient fait
des tentatives de suicide, a été condamné à trois ans d’emprisonnement avec sursis pour avoir
« abusé frauduleusement de l’état d’ignorance et de faiblesse de plusieurs personnes en état de
15
16
Discours introductif au séminaire « Sectes et laïcité », op. cit.
Toutes les décisions judiciaires se trouvent sur le site Prevensectes, op. cit.
7
sujétion physique et psychologique », selon la disposition prévue par la loi de 200117. Sur un
plan moins médiatique, les Témoins de Jéhovah ont des démêlés depuis 1997 avec le fisc qui,
depuis un contrôle, réclame une imposition (50 millions d’euros) sur les dons manuels
pratiqués lors des cérémonies, seules les associations cultuelles de type « loi 1905 » pouvant
se prévaloir d’une telle exemption. Mais, là aussi la situation évolue : à la différence d’une
première décision prise en 1985, le Conseil d’Etat, saisi de la question par différentes Cours
d’appel, a déclaré en juin 2000 que deux associations jéhovistes locales18 pouvaient bénéficier
de l’exonération pour leurs lieux de culte, attendu qu’elles « n’avaient pas fait l’objet de
poursuites ou d’une dissolution de la part des autorités administratives ou judiciaires » et
qu’elles n’ont pas incité leurs membres « à commettre des délits, en particulier celui de nonassistance à personne en danger ». Il est donc jugé qu’elles ne contreviennent pas aux critères
définis en 1997 par le Conseil lui même pour reconnaître à une association la qualification de
cultuelle : qu’elle ait pour objet l’exercice exclusif du culte et qu’elle ne porte pas atteinte à
l’ordre public19. Le rapport parlementaire sur Les sectes et l’argent, de 1999, avait déjà noté
que 80% des 305 jugements de première instance sur cette question avait conclu dans ce sens,
ce qui avait déterminé la Direction générale des impôts a interjeter systématiquement appel de
ces décisions20. En fait, comme le note Danièle Hervieu-Léger, ce n’est que l’application de la
« petite loi » de 1907, qui complète celle de 1905, reconnaissant qu’une association à but
cultuel peut avoir parallèlement d’autres objectifs, en conformité avec la loi de 1901 (article
4)21. Il ne reste donc bien de cette décision que l’aspect de trouble à l’ordre public, sans
préjuger du caractère religieux de l’association, une perspective qui a inquiété le président de
la Fédération Protestante de France et celui de la Conférence épiscopale des évêques de
France lors du vote de la loi de 2001. Le gouvernement a donc, dans une circulaire du 27 mai
2005, rendu caduque la liste des groupes dressée en 1995 et rappelé la nouvelle orientation :
17
La décision a été confirmée en appel en juillet 2005 ; il s’agit du groupe Néo-Phare d’Arnaud Musy.
Clamecy (Nièvre) et Riom (Puy-de-Dôme).
19
X.Ternisien, « Le Conseil d’Etat accorde une exonération fiscale aux témoins de jéhovah. Deux de leurs
associations sont reconnues comme cultuelles », Le Monde, 25-26/06/2000. La Cour de Cassation a cependant
confirmé le 5 octobre 2004 le redressement fiscal de l’Association cultuelle Les Témoins de Jéhovah de France,
ce qui a provoqué de la part de celle-ci un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme. On note
très récemment que l’application de la loi Kouchner fait tomber le problème du refus de transfusion sanguine,
puisque le droit des patients de consentir ou non à tout acte médical, décision que le corps médical doit accepter,
est reconnu comme étant une liberté fondamentale (décision d’un tribunal administratif de la Réunion, décembre
2002).
20
Rapport n°1687 de l’Assemblée nationale, p.71-73.
21
La religion en miettes ou la question des sectes, Calmann-Lévy, 2001, p.41. En fait, la loi stipule
qu’indépendamment des associations cultuelles, prévues par la loi de 1905, « l’exercice public d’un culte peut
être assuré tant au moyen d’associations régies par la loi du 1er juillet 1901 […] que par voie de réunions tenues
sur initiatives individuelles en vertu de la loi du 30 juin 1881 et selon les prescriptions de l’article 25 de la loi du
9 décembre 1905 » (réunions publiques, sous la surveillance des autorités dans l’intérêt public, après une
déclaration indiquant le local de réunion).
18
8
« exercer une vigilance particulière sur toute organisation qui paraît exercer une emprise
dangereuse pour la liberté individuelle de ses membres afin d’être prêt à réprimer tout
agissement susceptible de recevoir une qualification pénale ».
De la question des sectes au questionnement sur la laïcité
L’évolution de la politique de l’Etat vis-à-vis des groupes dits « sectaires » peut donc
se résumer dans le passage d’une phase de lutte contre des structures suspectées car étant
étrangères aux « religions traditionnelles », à une nouvelle étape davantage focalisée sur les
dérives répréhensibles par la loi, sans référence religieuse, ce qui rend l’opération compatible
avec la tradition laïque française. Cette mutation amène a formuler quelques pistes de
réflexion sur cette laïcité hexagonale confrontée aux « sectes ».
On peut s’interroger d’abord sur le basculement de 1999. Il est vrai que, dès sa
présentation, le rapport parlementaire de décembre 1995 avait été vivement critiqué, d’abord
par les autorités politiques de plusieurs autres pays, mais aussi par la communauté des
chercheurs en sciences sociales. Outre les protestations régulièrement émises par le
département d’Etat américain dans ses rapports annuels sur la liberté religieuse, la politique
française en ce domaine, qui a d’abord engagé une lutte globale anti-sectes, se situe à l’opposé
de celle de ses voisins européens qui se consacrent à une lutte ciblée, ce qui a fait dire à la
sociologue Nathalie Luca, dans un entretien à La Croix, qu’il devient nécessaire pour l’Etat de
« définir le type de relations qu’il veut entretenir » avec les groupes « qui expriment de
nouvelles formes de spiritualité en dehors des religions instituées », sous peine d’attaques
devant la Cour européenne des droits de l’homme22. Cette éventualité s’est réalisée : en
décembre 2003, à propos de la décision d’un tribunal français de ne pas confier la garde
d’enfants à leur mère Témoin de Jéhovah dans une affaire de divorce, les juges européens ont
donné raison à la mère qui arguait qu’il s’agissait d’une décision discriminatoire fondée sur
son appartenance religieuse, ses qualités maternelles n’ayant pas été mises en cause. L’Etat
français a donc été condamné à une amende pour dommage moral. Le changement de
politique a cependant été noté par la commission permanente de l’Assemblée parlementaire
du Conseil de l’Europe qui a jugé la loi de 2001 compatible avec les valeurs européennes dans
une résolution de novembre 2002. En septembre 2005, le rapporteur spécial sur la liberté
religieuse de la commission des droits de l’Homme des Nations-Unies, Asma Jahangir, en
22
entretien du 22 octobre 2002.
9
visite en France, a pu déclarer : « La situation s’est améliorée. La MIVILUDES a une attitude
plus équilibrée »23.
Les critiques sont également venues de l’hexagone : dès janvier 1996, l’Eglise
catholique, par l’intermédiaire du secrétariat général de la Conférence épiscopale française,
fait connaître publiquement sa satisfaction générale concernant le rapport, tout en émettant
des réserves. Au nombre de celles-ci se trouvent notamment l’absence d’une information
« objective, scientifique, impartiale et permanente » et le défaut d’une approche
pluridisciplinaire. Le jugement est semblable au Conseil de la Fédération Protestante de
France, qui appelle a l’application de la loi à l’encontre de tout mouvement religieux, quel
qu’il soit, « qui porterait atteinte au droit civil et pénal en vigueur »24. Ce sont ces reproches
qui forment aussi le fond de la critique des chercheurs (historiens des religions, ethnologues et
sociologues) gênés de ne pas avoir été consultés. Certains, réunis pour un colloque à Paris
quinze jours après la parution du rapport, ont provoqué une conférence de presse afin de faire
connaître leurs griefs, publiés peu après sous la direction de Massimo Introvigne, directeur du
CESNUR (Centre Studi Sulle Nuove Religioni) et J.Gordon Melton, directeur de l’Institute
for the Study of American Religion25. Ils relèvent ça-et-là de nombreuses erreurs qui révèlent
le manque de préparation du dossier et l’absence de consultation de spécialistes de la
question, et en premier lieu le choix des critères de dangerosité pour stigmatiser ces groupes,
ce qui semble aller à l’encontre de la nécessaire neutralité de l’Etat, et ce d’autant plus qu’ils
sont appliqués avant même toute décision juridique les condamnant. En outre, ces critères ne
sont pas non plus pertinents, certains étant effectivement prohibés par le droit (troubles à
l’ordre public) et d’autres non, le risque étant que ces derniers puissent s’appliquer à de toutes
autres situations : M.Introvigne se demande par exemple si la dîme « perçue de manière
rigoureuse » par de nombreux groupes protestants ne tombe pas sous le coup du deuxième
critère, le « caractère exorbitant des exigences financières »26, et si des congrégations
religieuses ne peuvent pas être considérées comme provoquant « une rupture induite avec
l’environnement d’origine »? Le cas de la manipulation mentale est enfin pour ces chercheurs
un critère très flou, sujet au même moment à de vives controverses aux Etats-Unis
(manifestement ignorées par le rapport), mais permettant aux parlementaires de respecter la
liberté de conscience dans la lutte contre les sectes puisque la volonté des adeptes est ainsi
23
Cité par Xavier Ternisien, Le Monde, 30/09/2005.
Communiqués reproduits dans M.Introvigne et J.Gordon Melton dir., Pour en finir avec les sectes. Le débat
sur le rapport de la commission parlementaire, Cesnur-Di Giovanni, Milan, 1996, p.351 et 354.
25
Pour en finir avec les sectes…, op.cit, 355p.
26
Idem, p.27.
24
10
jugée altérée. Des propositions de prise en compte de cette réalité dans le cadre d’une laïcité
tolérante sont alors avancées, d’abord par Régis Dericquebourg et Philippe Gast dans la
publication du CESNUR, plus tard par Jean Baubérot qui en appelle à la création de
« médiateurs culturels »27, Françoise Champion et Martine Cohen proposant de « clarifier
publiquement l’accès au statut d’association cultuelle » et elles aussi de créer des « instances
intermédiaires de débat et de dialogue »28, et Danièle Hervieu-Léger pour la formation d’un
Haut-Conseil de la laïcité afin de « penser la laïcité au début du XXIe siècle »29. Le correctif
de 1999 est donc une façon de tenir compte de ces différentes critiques, tant internationales
que scientifiques.
Cette politique est aussi révélatrice de la manière dont la France appréhende le
religieux en période de pluralisme et de dérégulation, le phénomène sectaire étant par ailleurs
« un excellent révélateur de la plupart des traits typiques et des paradoxes de la modernité
religieuse » (Frédéric Lenoir30). On note, avec Paul Airiau31, que l’explosion des publications
sur le sujet survient après 1977, au moment des premières affaires d’enlèvement d’adeptes
par leur famille, amplement relayées par les médias; les groupes alors dénoncés sont pour
l’essentiel les Moonistes et l’Association Internationale pour la Conscience de Krishna. C’est
de cette période que datent également les premières associations de lutte contre les sectes, et
que le mot prend sa signification « communément acceptée » (selon le rapport de 1995) de
« groupe dangereux »32. D’une certaine manière, la première tentative parlementaire se situe
au bout de cette période d’incertitude, et l’on comprend mieux ainsi ce que les rapporteurs
entendaient par « religions reconnues ». Face au pullulement de groupes divers et variés, et à
une laïcité qui empêche que l’Etat joue un rôle de régulateur, cette dernière tâche n’étaientelle pas ainsi reconnue implicitement aux plus importantes de ces « structures historiques »
sur qui l’on compte pour veiller en interne à la conformité aux principes de l’ordre public, et
coopérant avec l’Etat? Or, comme le note Silvio Ferrari, cette coopération ne s’exerce pas
avec les confessions les plus réduites, les plus récentes et les plus éloignées « des valeurs
traditionnellement acceptées dans la société »33. En outre, les groupes se séparant - ou
27
« Laïcité, sectes, sociétés », dans Françoise Champion et Martine Cohen dir., Sextes et démocratie, Seuil,
1999, p.329.
28
« Pour continuer le débat », in F.Champion et M.Cohen, op. cit., p.378 et 380.
29
La religion en miettes…, op. cit., p.205 et sq.
30
Les métamorphoses de Dieu. Des intégrismes aux nouvelles spiritualités, Hachette Littératures, coll. Pluriel,
2003, p.152.
31
op. cit.
32
A noter qu’une première vague médiatique de ce type avait eu lieu dans les années 1950 autour du cas du
Christ de Montfavet (cf J.-P.Chantin, Des « sectes »…, op. cit., p.61-62).
33
« Le droit européen en matière religieuse et ses conséquences pour les sectes », in Sectes et démocraties, op.
cit., p.369.
11
ignorant - ces grandes structures faisaient courir ainsi plus facilement le risque de dérives
incontrôlables. Si ce même problème a conduit les autorités à favoriser l’organisation de
l’islam en France, il paraît bien difficile d’obtenir une telle solution avec les 173 groupes
recensés par le rapport de 1995, sans compter les quelques vingt mille recensés au niveau
mondial par J.Gordon Melton34. C’est donc bien d’une redéfinition de la pratique laïque qu’il
s’agit, plus que de la laïcité elle-même, et l’on peut considérer que l’attention portée
davantage en 1999 aux dérives sectaires, plutôt qu’aux groupes eux-mêmes, va dans ce sens.
On s’interroge pourtant, à la suite du président de la Fédération Protestante de France (JeanArnold de Clermont) et de celui de la Conférence épiscopale des évêques de France (LouisMarie Billé) lors du vote de la loi de 2001, sur ce que peuvent être les suites juridiques, ainsi
permises, face à de possibles « dérives sectaires » au sein même des « grandes » institutions,
une question que posait déjà M.Intrigne par anticipation en 1996 en se demandant si, dans le
cadre d’une communauté condamnée, seule celle-ci était menacée de sanction, ou si l’Eglise à
laquelle elle appartenait pouvait être elle aussi rendue responsable, et donc menacée de
dissolution en cas de récidive35. La réponse vient bien entendu du statut légal - association ou
congrégation - de chaque structure, qui restreint donc à elles seules les sanctions possibles, les
Eglises en tant que tel n’existant pas en droit français. On passerait ainsi d’une question
concernant la liberté religieuse à celle de l’égalité de traitement entre l’ensemble des groupes
religieux36. Il y a pourtant loin de la théorie au changement des mentalités. Il a fallu que
l’archevêque de Lyon mette fin en mars 2005 au statut d’association privée de fidèles d’une
communauté dans la Loire, pour que la gendarmerie mène des investigations en juillet sur
« d’éventuelles dérives sectaires » ; or, les premières accusations dataient de 198737!
Dans le vaste mouvement qui voit dans le monde occidental se multiplier les
tendances spirituelles les plus diverses, le débat va donc bien au-delà de la simple question
des « sectes » ; c’est d’une recomposition du religieux qu’il s’agit. J. Baubérot discerne dans
34
Cité par F.Lenoir, Les métamorphoses…, op. cit., 159.
« ‘Sectes’ et ‘droit de persécution’ : les raisons d’une controverse », in M.Introvigne et J.Gordon Melton, op.
cit., p.27.
36
Le problème concerne bien les groupes ou communautés : les infractions commises par des individus en poste
dans une structure n’empêche pas qu’une procédure pénale soit lancée contre eux, comme le cas des accusations
pour pédophilie l’a montré, non sans susciter de débats, comme cela a été le cas lors de la condamnation de
l’évêque de Bayeux et Lisieux, en septembre 2001, pour « non-dénonciation de mauvais traitements ou
privations infligés à un mineur de quinze ans », de la part d’un de ses prêtres, dont il avait eu connaissance (La
Croix, 15/09/2001).
37
Il s’agit des Sœurs mariales du Fils bien-aimé et du Paraclet, de Mère Myriam. Sur cette affaire, voir le site
Prevensectes, op. cit.
35
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cette question des sectes, lorsqu’elles deviennent un problème pour la laïcité, un indice du
passage du second au troisième seuil de laïcisation marqué par le déclin des institutions, une
crise de la morale et un pluralisme éclaté « en affinité avec le double mouvement
d’individualisation et de massification […] qui induit aussi des recompositions religieuses». Il
juge la lutte anti-secte menée dans un premier temps par l’Etat comme se menant au bénéfice
de la liberté de penser, et au détriment provisoire de la liberté de conscience comme au
moment de la lutte contre les congrégations du début du XXe siècle, et en appelle avec Régis
Debray au passage à une « laïcité de l’intelligence » où toutes les mesures seraient valables
pour tous38. Comme en écho, D.Hervieu-Léger rappelle qu’il faut replacer la question dans
son état plus global de problème social39, Emile Poulat craignant que « la lutte contre les
sectes » ne relève du « cachet d’aspirine ou du tranquillisant qui dispense d’examens plus
poussés dont on craint le diagnostic »40. L’Etat laïc tient il sa place dans cette réflexion ? Il
semble que l’inflexion donnée à la politique vis-à-vis des « dérives sectaires » aille dans ce
sens. Il parait d’ailleurs difficile de ne pas tenir compte de l’approche plus nuancée de la
notion de laïcité qu’ont nos voisins européens, d’autant plus que les articles concernant la
liberté religieuse ont été repris sans changement dans le traité établissant une constitution pour
l’Europe. On pourrait s’appuyer sur ce qui forme le nœud du problème dans la lutte contre les
groupes religieux qualifiés de dangereux (expression préférable au trop vague « sectes ») : la
difficile compatibilité entre neutralité de l’Etat (qui garantit la liberté de conscience) et lutte
contre les formes autoritaires intolérantes (et donc au bénéfice de la liberté de penser). Ce sont
leur coordination face à une situation nouvelle, faite d’individualisation des croyances
associée à une offre religieuse qui s’est mondialisée, qui constitue, selon Jean Baubérot, le
défi de la laïcité pour l’avenir41.
38
« Laïcité et sectes », intervention au séminaire de la MIVILUDES, op. cit. ; « Laïcité, sectes, sociétés », op.
cit., p.326-328 ; voir aussi Histoire de la laïcité française, PUF, coll. Que sais-je ?, n°3571, 2000, p.123-124.
39
Intervention au séminaire de la MIVILUDES, op. cit.
40
Notre laïcité publique, Berg International, 2003, p.263.
41
Histoire de la laïcité française, op. cit., p.124.
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