recherches sur toiles

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recherches sur toiles
RECHERCHES SUR TOILES

Direttore
Aurelio P
Università degli Studi Roma Tre
Comitato scientifico
Franca B
Università di Torino
Daniela D V
Università di Torino
Bruna D
Università degli Studi Roma Tre
Giovanni Saverio S
Università degli Studi di Palermo
Laura S
Università degli Studi Roma Tre
Gilles S
Université Paris Sorbonne–Paris IV
RECHERCHES SUR TOILES
La collana accoglie lavori realizzati a livello universitario,
che riguardino la lingua e la linguistica francese nei suoi
più vari aspetti: grammaticale, teorico, storico, didattico e
documentario.
Yannick Preumont
Essai juridique, traduction et
créativité phrastique
Les traductions françaises
de Dei delitti e delle pene de Cesare Beccaria
Ouvrage publié avec la contribution de la Faculté de Philosophie et Lettres
de l’Université de la Calabre (Dipartimento di Filologia).
Copyright © MMXII
ARACNE editrice S.r.l.
www.aracneeditrice.it
[email protected]
via Raffaele Garofalo, /A–B
 Roma
() 
 ----
I diritti di traduzione, di memorizzazione elettronica,
di riproduzione e di adattamento anche parziale,
con qualsiasi mezzo, sono riservati per tutti i Paesi.
Non sono assolutamente consentite le fotocopie
senza il permesso scritto dell’Editore.
I edizione: dicembre 
Table des matières

Introduction

L’adjonction dans les traductions de l’italien en français au XVIIIe siècle

« Peser les mots du titre, et non pas les compter ». Français et italien en contact

Le discours métaphorique sur la traduction. Traduire
les Anciens–Traduire les Italiens

Beccaria et la traduction ethnocentrique. Synonymie
et créativité phrastique

Discours rapportés

Bibliographie

Introduction
En , Marivaux offre avec son Homère travesti un travestissement en douze livres des vingt–quatre chants de
l’Iliade. Douze, précise Gérard Genette, car le véritable
hypotexte est la traduction en douze chants que l’on doit
à Houdard de La Motte . La littérature au second degré
a toujours inspiré la France et l’étude de la traduction
et du conflit des énonciations au XVIIIe siècle propose
d’innombrables et bien intéressants jeux de piste. Marivaux « corrige », comme tant d’autres , l’œuvre d’un
illustre prédécesseur pour en faire une œuvre authentiquement française, et la traduction dont il s’inspire, la version
« réduite » de La Motte, fait bien comprendre à quel point
le dix–huitième siècle n’a rien à envier au siècle précédent
en ce qui concerne les interventions d’auteur dans le domaine de la traduction et, de manière plus générale, de
l’hypertextualité. L’abbé Roman, traducteur de Pétrarque,
s’exprime ainsi:
Ce qui fait tort à Pétrarque, c’est que dans ses Ecrits, le faux
est à côté du vrai, l’esprit auprès du sentiment: je ne l’ai point
dissimulé. Ce qui lui fait tort encore, c’est la monotonie de
son sujet. Je voudrois plus de goût, de variété, de nuances &
de contrastes dans ses Poësies. J’en retrancherois ces ballades
& ces ritournelles qui sont souvent obscures & insipides. Je
. G. G, Palimpsestes, Paris, Le Seuil, , p. .
. Y. P, Les traductions de l’italien en français au XVIIIe siècle et
la construction textuelle du point de vue, Roma, Bagatto Libri, .


Introduction
changerois la chûte de plusieurs de ses Sonnets, dont la fin
n’est pas digne du début. J’effacerois quelques froides allégories, des rimes dures & forcées, des métaphores, des tours de
phrase & des comparaisons qui reviennent trop souvent. Je
réduirois Pétrarque à la moitié de lui–même, & j’aurois un
Recueil digne des plus grands Poëtes.
Dans ce livre , nous approfondissons une réflexion
commencée avec Les traductions de l’italien en français au
XVIIIe siècle et la construction textuelle du point de vue. Nous
étudierons l’essai juridique, la traduction et la créativité
phrastique, avec une focalisation sur l’adjonction et la
modulation dans les traductions du français en italien au
XVIIIe siècle, et cela grâce encore une fois aux résultats
de la recension que l’on doit à Giovanni Dotoli, Vito Castiglione Minischetti, Paola Placella Sommella et Anna Ma. A R, traducteur de P, Lettre a un professeur
d’éloquence, in Le Génie de Pétrarque, ou Imitation en vers françois de ses plus
belles poésies, précédée de la vie de cet homme célèbre, Parme–Paris, Lacombe,
, p. .
. Quatre chapitres ont déjà été publiés sous forme d’articles et ont été
insérés dans ce livre après avoir été mis à jour: « Rhétorique de l’adjonction
et “culminatore semantico” dans les traductions de l’italien en français au
XVIIIe siècle », in Y. P, R. L (dir.), Rhétorique et langues spécialisées, Roma, Aracne, , pp. –; « “Peser les mots du titre, et non pas
les compter”. Français et italien en contact », in R. L (dir.), Le lingue
europee in prospettiva. Orientamenti, alternanze, produttività, (Quaderno del
Centro Linguistico di Ateneo, n°), Università della Calabria, , pp. –;
« Le discours métaphorique sur la traduction. Traduire les Anciens–Traduire
les Italiens », in Y. P, R. L (dir.), Langues–cultures méditerranéennes en contact, Roma, Aracne, , pp. –; « Synonymie et créativité phrastique dans les traductions françaises de l’œuvre de Cesare Beccaria
“Dei delitti e delle pene” », in Atti del convegno “La sinonimia tra langue e
parole nei codici francese e italiano”, Università Cattolica del Sacro Cuore di
Milano, , a cura di S. Cigada e M. Verna, Milano, Vita e Pensiero, ,
pp. –.
. Voir Y. P, Les traductions de l’italien en français au XVIIIe
siècle et la construction textuelle du point de vue, op. cit.
Introduction

ria Rubino: Les traductions de l’italien en français au XVIIIe
siècle .
Le traducteur, qui peut trahir le texte au nom d’une
éthique , n’a-t-il pas un rôle exemplaire à jouer dans le
cas de textes, tels que Dei delitti e delle pene de Cesare Beccaria, déjà si généreux et courageux dès leur publication
en langue originale ? Jean–Baptiste de Mirabaud traduit,
en , La Jérusalem délivrée du Tasse en dissimulant « la
plupart des fautes de goût qu’il avait rencontrées dans le
poème » et le baron Auguste Creuzé de Lesser traduit La
Secchia rapita de Tassoni en insérant, ici et là, « una strofa
moraleggiante » . La recherche menée par Giovanni Do. G. D ; V. C M; P. P S; A.
M. R, Les traductions de l’italien en français au XVIIIe siècle, Fasano–Paris,
Schena editore–Presses de l’Université de Paris–Sorbonne, .
. L’exemple de Prévost (traduisant les Memoirs of Miss Sidney Bidulph.
Extracted from her own Journal) donné par P. B, « Prévost traducteur de Frances Sheridan », in A. R (Recueil préparé et présenté par), La
Traduction des langues modernes au XVIIIe siècle, Paris, Champion, , p. :
« La traduction, fort libre, modifie le sens du roman, en plus de conférer
à Sydney une grandeur tragique qui la rapproche des héros prévostiens.
Chez Frances Sheridan, les personnages racontent leur vie en même temps
qu’ils la modèlent, par l’écriture. De là la forme du journal comme mode
d’expression, partant comme mode d’être. Mais le journal, qui inscrit la
liberté au cœur de l’être, en plus de laisser peu de distance entre les événements et la réflexion qu’ils appellent, ne saurait convenir à Prévost, qui
cherche dans le passé de ses personnages un fil d’Ariane qui le transforme
en destin exemplaire. Aussi, trahit–il le texte de Frances Sheridan, autant au
nom d’une éthique qu’au nom de ses conceptions littéraires ».
. C.B. B, La fortune du Tasse en France, Eugene, University of
Oregon, , pp. –.
. Le Seau enlevé. Poème héroï-comique imité du Tassoni. Par Auguste C***.
Suivi d’un choix des stances les plus intéressantes de l’auteur italien, et de quelques
poésies, Paris, Didot, .
. M. S, Francesi in Italia e italiani in Francia. Studi, ricerche,
diporti, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, , p.  « Persuaso poi
del valore morale ed educativo della “fable”, Creuzé inizia la maggior parte

Introduction
toli, Vito Castiglione Minischetti, Paola Placella Sommella
et Valeria Pompejano, nous permet de jeter un nouveau
regard sur l’essai juridique et les traductions de l’italien
en français au XVIIIe siècle, un regard genettien donc,
mais aussi Folkartien (cf. Le conflit des énonciations. Traduction et discours rapporté). Après avoir examiné avec le livre
précédent l’effritement de bien des textes atteints d’un
« accroissement de l’entropie textuelle » , nous examinerons de nouvelles traductions qui disent « quasi la stessa
cosa » et nous explorerons, pour reprendre des termes de
Michele Prandi, « l’arrière-plan conceptuel des stratégies
plus proprement discursives qui se situent dans l’aire de
l’à-peu-près » .
Les traductions s’éloignent bien souvent, on le sait, des
objectifs de Panckoucke et Framery . Selon ces derniers,
nous rappelle Giovanni Dotoli dans « Italianisme et traduction en France au XVIIIe siècle », « il faut “chercher
les équivalents”, pour garder “les allusions, les jeux de
mots, les allégories”, autrement “la grâce, la légèreté, la
finesse s’évaporent” » . Pingeron, par contre, traducteur
dei suoi canti (II, III, V, VI, VII, VIII, IX) con una strofa moraleggiante, alla
maniera dell’Ariosto ».
. B. F, Le conflit des énonciations. Traduction et discours rapporté,
Candiac, Les Editions Balzac, , p. .
. M. P, « Métaphore, similitude, à-peu-près », in Le français moderne, Tome LXXIX, n° (« Figures de l’à-peu-près. En hommage à Ronald
Landheer »), , p. : « Me situant idéalement aux marges du sujet plus
spécifique de ce numéro, mon propos est d’explorer l’arrière-plan conceptuel des stratégies plus proprement discursives qui se situent dans l’aire de
l’à-peu-près ».
. C.–J. P [; N.–E. F], Sur l’art de traduire, préface
à Roland furieux. Poème héroïque de L’Arioste. Nouvelle traduction par MM.
Panckoucke et Framery, Paris, Plassan, , t. I.
. G. D, « Italianisme et traduction en France au XVIIIe siècle »,
in G. D, op. cit., p. .
Introduction

de Dragonetti:
Comme le Libraire s’étoit engagé à la faire paraître le plus
promptement qu’il seroit possible; je m’en tins purement au
texte; il manqua cependant à sa parole, & ne publia l’édition
Françoise & Italienne que plusieurs mois après mon départ de
Naples. Le hazard m’en fit rencontrer quelques exemplaires à
Paris. Quelle fut ma surprise en voyant mille fautes grossieres!
Je crois donc nécessaire d’en donner une édition dans laquelle
j’ai éclairci le Texte & supprimé quelques comparaisons basses
& triviales: enfin ne me bornant plus au métier servile de
Traducteur, j’ai fait des changements si considérables, que je
crois pouvoir offrir au Public un Ouvrage neuf.
Les lectures–réécritures sont nombreuses et le problème dépasse de loin celui de l’antithèse traduire les
mots/traduire le sens :
Cette traduction [Oronoko ou le Prince Nègre. La traduction du
Royal Slave d’A. Behn par La Place] est une des œuvres narratives d’origine anglaise les plus lues en France au XVIIIe siècle:
très souvent rééditée, elle a joué un rôle essentiel dans la
construction d’une littérature du noble héros noir dans des scénarios divers. On l’a lue comme une œuvre anti–esclavagiste
ou même abolitionniste: il faut corriger ce point de vue. Si
la traduction – que La Place appelle ici «imitation» est bien
une lecture–réécriture d’un texte, c’est–à–dire d’un tissu original où fusionne un ensemble intertextuel et idéologique
. M. P, traducteur de G. D, Trattato delle virtù e
de’ premi per seguire il Trattato dei Delitti e delle Pene. Tradotto nella favella
Francese, dal Signor Pingeron, Capitano d’Artiglioria al servicio di Polonia, In
Parigi, presso Panckoucke, , Traité des vertus et des récompenses, pour
servir de suite au Traité des Délits & des Peines. Traduit, de l’Italien, par M.
Pingeron, Capitaine d’Artillerie au service du Roi & de la République de Pologne,
A Paris, chez Panckoucke, , Préface du traducteur, pp. A–Aij.
. A. R, « Oronoko ou le Prince Nègre. La traduction du Royal Slave
d’A. Behn par La Place », in A. R, op. cit, pp.–.

Introduction
complexe sous-jacent qu’il faut transcrire dans la culture nationale visée, structurée à son tour sur ses propres modèles,
le traducteur, et particulièrement au XVIIIe siècle, doit opérer sur le texte–source une série de transpositions destinées
à l’acclimater, opérations qui dépassent largement en complexité l’antithèse héritée de Cicéron entre traduire les mots
et traduire le sens.
Clarissa de Samuel Richardson est traduit par Prévost,
Suard et Blanchard, mais est aussi adapté au théâtre, et on a
le choix entre le drame et la comédie! L’Angleterre, mais
aussi l’Italie qui semble inspirer les traducteurs désirant
intervenir dans le texte de départ, et pas seulement dans le
domaine exclusivement littéraire, comme nous le verrons,
notamment avec la traduction de Dei delitti e delle pene
par André Morellet considérée comme œuvre particulièrement représentative avec son rôle incontestable dans la
construction dirigée des interprétations. L’effet–point de
vue du traducteur, avec l’expression de pensées et de jugements bien tranchés, vient renforcer, en les diversifiant,
les attaques contre l’ennemi commun, « l’“arbitrio distruttore”, l’interesse particolare armato dalla potenza del privilegio » . Le « refus obstiné de l’équivoque » est bien réel
. A. C, « Bibliographie commentée », in A. R, op. cit, p.:
«Les histogrammes concernant Clarissa confirment le succès de cette œuvre
qui a eu plusieurs traductions différentes (par Prévost, Suard, Blanchard) et
adaptations théâtrales (comédies ou drames!) ».
. A. B, in C. B, Dei delitti e delle pene, a cura di Alberto
Burgio e prefazione di Stefano Rodotà, Milano, Feltrinelli,  ( ),
Introduzione, p. : « L’“arbitrio distruttore”, l’interesse particolare armato
dalla potenza del privilegio. Non mancano di lucidità i giovani philosophes
milanesi nell’analisi della situazione, né di tenacia nella battaglia politica.
Il nemico è individuato con sicurezza, e così la gravità dello stato di cose
presente ».
. P. C, « Le Quinte Curce de Vaugelas à l’épreuve: une relecture
Introduction

au XVIIIe siècle et multiplie les seconds plans évaluatifs qui
renvoient à une même politique traductrice. Nous considérerons la traduction, comme le fit l’Académie française
en – avec le Quinte Curce de Vaugelas, avant tout
comme modèle de « belles lettres françoises » . La manière toute française de « mettre de l’ordre » dans les textes
italiens conduit indubitablement à une certaine distanciation, mais c’est justement le propre de cette distanciation
pour le domaine de la traduction qui permet de renforcer
les liens avec la poétique de l’ironie si chère à Voltaire et
au siècle des philosophes.
Parmi les protagonistes de la réflexion sur la traduction,
de ce discours métaphorique qui peut aboutir à des résultats bien différents de ceux auxquels on pourrait s’attendre,
comment ne pas citer les Français et leur « Tourner: Tourner de mot à mot, est suyvre le fil de la tissure de l’oraison
de l’autheur qu’on traduict » ? Les règles fondamentales
de la traduction constituent un terrain fertile pour la métaphore classique du « tableau »: « Il faut tâcher de rendre
beauté pour beauté et figure pour figure; d’imiter le stile
de l’auteur, et d’en approcher le plus près qu’on pourra:
varier les figures et les locutions, et enfin, rendre notre
traduction un tableau et une représentation au vif de la
pièce que l’on traduit: en sorte que l’on puisse dire que le
françois est aussi beau que le latin, et citer avec assurance
critique à l’Académie Française », in M. B et L. D’H (sous la
direction de), La Traduction en France à l’âge classique, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, , p. .
. Ibid., p. .
. J. N (–), Thresor de la langue françoise. . . (), Paris,
chez David Douceur, , cit. in M. Viallon (dir.), La traduction à la Renaissance et à l’âge classique, Saint–Etienne, Publications de l’Université de
Saint–Etienne, , p. .

Introduction
le françois au lieu du latin » , et Gaspard de Tende : « Car
ainsi qu’un excellent peintre doit donner à une copie tous
les traits & toute la ressemblance de l’original qu’il s’est
proposé de copier; de même un excellent Traducteur doit
faire remarquer dans sa Traduction, l’esprit & le génie de
l’Auteur qu’il a traduit ». L’analyse du conflit des énonciations souligne la difficulté de suivre des règles parfois paradoxales et le problème du rapport entre langue, culture et
traduction renvoie à des choix décisionnels complexes :
La sixième [règle], selon l’Auteur d’une Traduction de quelques
lettres de Cicéron, est de ne pas user de longs tours, si ce n’est
seulement pour rendre le sens plus intelligible, & la Traduction plus elegante. Car il y en a, dit cet Auteur, qui ne pouvant
rendre les choses en peu de mots, & en termes propres &
significatifs, se servent d’un grand tour de paroles superflues,
& prennent des licences qui ne seroient pas permises aux plus
petits écoliers.
Comment « apprendre à suivre la fidelité du sens, sans
blesser l’elegance des paroles, & à imiter l’elegance sans
blesser la fidelité » ? Les textes juridiques ne font pas exception et les citations qui suivent démontrent l’importance
des témoignages du passé pour l’étude de la rhétorique
et de la construction textuelle du point de vue dans le
domaine de la traduction.
La traduction que nous présentons à nos lecteurs est un des
monumens qui font le plus d’honneur à notre siècle. Ce code
. A. L (–), Règles pour la traduction ou moyens pour
apprendre à traduire du latin en françois,  et cit. in M. Viallon, p. .
. G. D T, S D L (–), De la Traduction ou
Règles pour apprendre à traduire la langue latine en la langue françoise, Paris, Le
Mire, , Préface non paginée, et cit. in M. Viallon, pp. –.
. Ibid.
Introduction

criminel, où tout est sagement pesé, où les droits des simples
particuliers ne sont pas moins respectés que ceux du public,
est l’ouvrage d’un grand prince, vraiment philosophe, digne
par ses talens & par ses lumières d’occuper le premier trône
de l’univers.
Quant à ma Traduction, je n’ai pas craint de la rendre aussi
littérale que me l’a permis la différence du génie des deux
Langues, parce que, sans oublier le précepte du Critique Latin,
Nec verbum verbo curabis reddere fidus Interpres :. . . . . . . . . . . . . . .
j’ai cru que, sur–tout dans une matière si sérieuse, je ne pouvois suivre l’Auteur de trop près.
De son côté, l’Imprimeur, en composant les Notes, a eu l’attention de n’y couper ou diviser aucun mot.
En outre, il s’est occupé avec le plus grand soin, de l’Orthographe
& de la Ponctuation de l’Italien: aussi l’une & l’autre sont-elles
ici beaucoup plus exactes, que dans l’Original même.
Le volume est terminé par un Discours sur la Justice Criminelle,
que je prononçai, il n’y a pas long-tems, aux Assises Mercuriales
du Siège auquel j’ai l’honneur d’appartenir. Il me parut avoir
été entendu avec quelque plaisir; &, comme il a d’ailleurs un
rapport marqué avec la Dissertation du Docteur P.V., je me suis
cru permis de le joindre à ma Traduction.
Après la métaphore de la traduction comme « monument » qui fait honneur à notre siècle suit, dans les trois
citations successives, un autre bel exemple de préface où
. A, Nouveau code criminel pour le grand duché de Toscane, publié
par ordre de Son Altesse Royale, Monseigneur le Grand Duc. Traduit de l’italien,
Lausanne, F. Grasset, , Préface, pp. V–VIII.
. P. V, Traité de la peine de mort, traduit de l’italien de M. Paolo
Vergani (sur la seconde édition, qui parut à Milan en , et suivi d’un Discours
sur la justice criminelle. . . ) par M. Cousin, avocat du Roi, etc., Paris, Guillot;
Rouen, Labbey; Dieppe, J.–B.–Joseph Dubuc, , Préface du traducteur,
pp. xx–xxj.
. Ibid., p. xxvj.
. Ibid., pp. xxvij–xxviij.

Introduction
le fait d’informer le lecteur sur l’œuvre traduite signifie
également faire entendre bien distinctement sa propre
voix. Et les exemples de respect « tout en nuances » de la
sacralité du texte italien ne manquent pas:
Je laisserai mes Lecteurs remarquer eux-mêmes le soin avec lequel a été composé son petit Traité, [. . . ]; la sagesse des moyens
qu’il propose; l’intelligence, enfin, avec laquelle il expose les
droits de la Société, & plaide la cause des SOUVERAINS: objets qu’il traite avec toute la clarté possible, & de la manière la
plus satisfaisante.
Comme la candeur fait son caractere, il annonce aux guerriers qu’il veut leur apprendre à connoître les raisons qui
doivent tranquilliser leur conscience, & non pas à masquer
leur conduite aux yeux des hommes. Il explique les différences
qui se trouvent entre l’état de l’agresseur & l’état de celui qu’il
attaque dans le cas d’une guerre juste. M. Murena détermine
par le fait l’état réel de la Violence publique, & traite ensuite
des conséquences qui doivent en résulter. On pourroit lui objecter que l’explication qu’il donne des raisons pour lesquelles
les Hébreux firent sans crime tout le mal possible à leurs ennemis, suivant la volonté de Dieu, n’est pas absolument claire.
Il me semble qu’il eût été plus simple de dire que les Hébreux
ne tinrent une pareille conduite que par les ordres particuliers
de l’Etre suprême.
Il a bien voulu se prêter à ce que j’exigeois de lui, il a rendu
fidèlement en François les idées de l’Auteur Italien; peut–être
même trouvera-t-on qu’elles n’ont rien perdu de leur force,
étant rendues par sa plume.
. M. M, Trattato delle violenze pubbliche e private, del signor Massimiliano Murena, . . . Traité des violences publiques et particulières, par M. Maximilien Murena, auquel on a joint une dissertation du même auteur sur les devoirs
des juges. Traduction de l’italien par M. Pingeron, . . . , Paris, Delalain, ,
Introduction, pp. xxiij–xxiv.
. C. A. P, Projet d’une réforme à faire en Italie, ou Moyens de corriger
les abus les plus dangereux et de réformer les loix les plus pernicieuses, établies en
Introduction

& parmi les gens de Loi, on y compte des Magistrats d’une
probité reconnue, & de profonds Jurisconsultes, qui gémissent
sans doute avec notre Auteur des abus qui regnent au milieu
d’eux: le goût avec lequel la nation Italienne a toujours cultivé
les Sciences & les Beaux–Arts, & ce génie subtil & pénétrant,
qui a toujours fait son caractere distinctif, ne nous permettroient pas d’en douter, si nous n’en avions pas d’ailleurs des
preuves incontestables. Mais en même tems il faut avouer que
l’Auteur de ce Livre n’a que trop de preuves pour appuyer
ce qu’il ose dire des vices qui rendent nécessaire la Réformation tant de la Religion que du Gouvernement de sa patrie.
Seulement j’aurois souhaité que l’impression qu’ils ont faite
sur lui ne lui eût pas suggéré toutes les épithetes odieuses, par
lesquelles il caractérise ceux qu’il en croit la cause; & je ne
les lui pardonnerois pas, si je n’étois pas persuadé qu’un esprit
juste ne peut exprimer ce qu’il pense, que par des expressions
fortes, qui ne sont pas à la vérité toujours les plus propres
à faire impression sur ceux à qui il s’adresse, mais qui sont
cependant les seules capables de bien rendre sa pensée.
Et lorsqu’on passe au texte traduit, ces nuances se transforment bien souvent en changements considérables. Avec
Cesare Beccaria « argument is war », pour faire référence à
George Lakoff et Mark Johnson, et « justice is war », et les
traducteurs français enrichissent de nombreuses variantes
le texte de départ, Dei delitti e delle pene, et nous offrent un
exemple magistral de constructions textuelles du point de
vue pour cet énième livre sur la « Teoria e pratica di un
lavoro difficile e di incompresa responsabilità » :
Italie. Ouvrage traduit de l’italien [de C. A. Pilati, par Jean Manzon], Amsterdam,
Marc–Michel Rey, , Avertissement du libraire.
. Ibid.
. P. N, La traduzione: problemi e metodi. Teoria e pratica di
un lavoro difficile e di incompresa responsabilità, trad. dall’inglese di Flavia
Frangini, Milano, Garzanti, .

Introduction
Les ministres de la vérité évangélique souillant de sang leurs
mains qui chaque jour touchaient le Dieu de mansuétude.
Les ministres de la vérité évangélique, maculant de sang les
mains qui chaque jour touchaient le Dieu de bonté.
Les ministres de la vérité évangélique souillant de sang leurs
mains qui chaque jour touchaient le Dieu de miséricorde.
Et encore:
C’étoit enfin avec des mains fumantes encore de carnage, que
les Ministres de la vérité osoient offrir aux yeux du peuple un
Dieu de paix & de miséricorde.
Et les ministres d’une religion sainte souillant leurs mains de
sang, au nom d’un Dieu de miséricorde.
Les ministres de la vérité évangélique trempant chaque jour
. C. B, Des délits et des peines, introd., trad. et notes de Philippe
Audegean, texte italien établi par Gianni Francioni, Lyon, ENS Éditions,
, chap. V, per « I ministri della verità evangelica lordando di sangue le
mani che ogni giorno toccavano il Dio di mansuetudine » (C. B, Dei
delitti e delle pene, a cura di Franco Venturi, Torino, Einaudi, , cap. V).
. C. B, Le traité des délits et des peines, trad. par Mme Khaiat, in
M. Ancel, G. Stefani (a cura di), Paris, Cujas, , chap. V.
. C. B, Des délits et des peines, trad. par Maurice Chevallier,
introd. et notes par Franco Venturi, Genève, Droz, , chap. V.
. C. B, Traité des délits et des peines. D’après la sixième édition,
revue, corrigée & augmentée de plusieurs chapitres par l’auteur; auquel on a joint
plusieurs pièces très-intéressantes pour l’intelligence du texte. Par M.C.D.L.B., A
Paris, chez Jean–François Bastien, , chap. V.
. C. B, Traité des délits et des peines, traduit de l’italien, d’après
la troisième édition revue, corrigée & augmentée par l’auteur, avec des additions
de l’auteur qui n’ont pas encore paru en italien. Nouvelle édition plus correcte que
les précédentes. Commentaire sur le livre des délits et des peines, par un avocat de
province, A Philadelphie, s.n., , chap. V et C. Beccaria, Traité des délits
et des peines ; traduit de l’italien par André Morellet; nouvelle édition corrigée;
précédée d’une correspondance de l’auteur avec le traducteur; accompagnée de notes
de Diderot; et suivie d’une Théorie des lois pénales, par Jérémie Bentham; traduite
de l’anglais par Saint–Aubin, A Paris, de l’Imprimerie du Journal d’économie
publique, de morale et de politique, An V. , chap. V.

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