colette mechin - Revue des sciences sociales
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SAINT GANGOLF ET LES SIFFLETS DU PRINTEMPS COLETTE MECHIN Au pied du Grand Ballon, à quelques kilomètres de Guebwiller, se tient chaque année, aux alentours du 11 mai (et toujours un dimanche), une sorte de kermesse en l'honneur de saint Gangolf. La chapelle et le vaste terrain herbeux qui l'entoure, sont à l'écart des villages avoisinants Buhl, Lautenbach et Schweighouse, cependant ils ne sont pas pour autant délaissés en dehors du temps fort de la fête. En effet, outre l'existence de deux étangs qui attirent bon nombre de pêcheurs, le large espace près de la chapelle est ouvert aux campeurs et autres adeptes du caravaning. Ces «touristes» sont d'ailleurs pour la plupart, des gens des villages voisins qui installent pour la durée de la belle saison, un campement — ersatz de résidence secondaire — qu'ils ne viennent occuper que durant les week end. La chapelle est un petit édifice sans grand style, dont l'architecture a été remaniée maladroitement. Trop petite pour contenir les visiteurs lors des cérémonies, elle abrite cependant deux autels de pierre dont l'un est surmonté d'une statue du saint barbu, portant cuirasse et bouclier comme un soldat mais avec des attributs de légionnaire romain. Une autre statue en bois, plus petite, figure à côté du second autel. Tout autour, sur les murs à l'intérieur de la chapelle, est représentée par une fresque en cinq séquences, la vie du saint ; deux tableaux complètent la décoration : le premier représente le saint à genoux tenant un drapeau, dans une attitude très romantique ; le second est un ex voto qui figure une armée au bivouac sous la présence tutélaire du saint debout dans un nuage. Au dire d'un prêtre d'une paroisse voisine, il s'agit d'un vœu réalisé par les conscrits de 1793 qui s'étaient voués au saint pour revenir sains et saufs de leur temps d'armée, une autre informatrice prétend que lors d'une attaque des Prussiens dans la région, les habitants du village réussirent avec peu d'armes mais avec le soutien du saint, à chasser l'ennemi, d'où ce tableau. Sans être totalement désaffectée: la chapelle n'est pas l'objet d'un passage obligé des visiteurs : ni cierge, ni brochure ne sont prévus à leur usage, comme dans certains pèlerinages et la messe qui se célèbre le jour de la fête du saint a lieu en plein air devant la chapelle. Un peu en contrebas, à une centaine de mètres de la chapelle, jaillit la fontaine. Elle est dominée par une colonne surmontée d'un saint Gangolf x v u siècle — il porte perruque bouclée et côte de mailles ajustée —. Abondante et fraîche, la source ne tarît jamais et son débit est tel qu'elle alimente prosaïquement la guinguette-restaurant installée sur le terrain et les points d'eau prévus pour les campeurs. D'après un informateur (le président du syndicat de pêche) la source sourdait originellement près de la chapelle : la présence d'un cloaque bourbeux à peu de distance du bâtiment confirme l'information. Cette source qui n'est semble-t-il, l'objet d'aucune vénération particulière est considérée malgré tout comme la seule «bonne» de la région. Certains ajoutent que c'est le saint lui-même qui l'aurait fait jaillir (on verra que ce thème est très habituel dans la légende du saint). e 168 C. MECHIN Le fête de Saint Gangolf ou le Kukusmark La fête débute officiellement par une messe en plein air, accompagnée musicalement par la fanfare des pompiers de Buhl, le village voisin. Ensuite les jeux peuvent commencer, ils dureront jusqu'au soir. Un chamboule-tout est installé près de la fontaine et permet aux gagnants d'emporter des carpes qui attendent dans une grande bassine alimentée en eau courante ... par la source du saint. Un tir aux fléchettes, un jeu d'anneaux qu'on lance au goulot de bouteilles et des comptoirs de dégustation (sucreries et gâteaux pour les dames, vin pour les hommes) sont proposés par déjeunes gens aux visiteurs, dans des stands abondamment décorés de végétal. Un peu à l'écart de ces jeux, est intallé un étalage où l'on vend des poteries. Certaines sont d'usage ménager comme les poêles à fondue ou les moules à kougelhopf, d'autres sont des jouets que l'on offre aux enfants. Il s'agit de rossignols à eau, petites urnes à bec qui produisent des roulades du plus bel effet lorsqu'on souffle dedans et des «coucous» cylindriques dont les trous judicieusement disposés permettent en soufflant d'imiter le chant du coucou, d'où le nom de la fête : le kukusmark, le marché aux coucous (cf. dessins). Braun, qui écrivait en 1866 (') mentionne déjà la coutume, mais il parle également de chouettes en poterie dont nous n'avons trouvé trace ni dans les objets présentés, ni dans la mémoire des villageois. Il nous faut ajouter, avant d'en venir à l'analyse de ces faits, que saint Gangolf en Alsace comme en Lorraine, en Franche Comté et en Bourgogne assume le curieux patronage des maris trompés. (1) C. BRAUN. Légendes du Florival, p. 119. SAINT G A N G O L F ET LES SIFFLETS DU 169 PRINTEMPS Saint Gangolf, Martyr et Maître de l'Eau Originaire d'une noble famille de Bourgogne, Gengoult ( ) , officier de Pépin le Bref (viii siècle) est connu dans les Vies de Saints par deux faits singuliers. A la fin de la guerre, Gengoult 2 rentrant en Bourgogne, passa par le Bassigny : prendre sa à boire, réfection et y ayant trouvé e «// entra dans un jardin très agréable pour y une fontaine fort claire et dont les il demanda au maître du jardin s'il la lui voulait vendre. idiot et après le marché, une personne la sans esprit (...) lui vendit très et se persuadant qu'elle volontiers (...) ne eaux étaient très bonnes Cet homme le prenant pour un laisserait pas de lui demeurer mais Dieu ratifia par un grand miracle le contrat que Gengoult avait passé avec lui car à peine fut-il arrivé à Varennes qui était le lieu où il faisait plus la ordinairement fontaine» son séjour qu'ayant fiché son bâton dans terre, il en sortit une fort belle ( ). 3 L.e deuxième épisode légendaire concerne la trahison de sa femme, devenue adultère pendant son absence. Pour la confondre, Gengoult invente une ordalie d'un genre un peu particulier puisqu'il lui propose de tremper sa main dans une fontaine (celle transportée, précise certaines versions) : innocente, rien ne se produira, coupable — et elle l'était — sa main sera brûlée profondément. L.e martyr de saint Gengoult — puisqu'il est fêté comme un martyr, avec ornements rouges — fut d'être tué par l'amant de sa femme, mais une variante intéressante mérite notre attention ( ) : «blessé à la cuisse par l'amant de sa femme qui le voulait tuer», saint 4 Gengoult voit fondement», son meurtrier tandis que mourir, «pris sa femme est d'un cours de ventre perdre ses boyaux par le atteinte d'une «incommodité honteuse».. En différents endroits de la Lorraine, on retrouve le thème de la source emportée par le saint. A Wargemoulin Perthes, punir, rien (Argonne), la légende raconte ( ) : 4 des femmes qui lavaient dans un petit cours d'eau, il roula sous dire. gouttes Mais du leurs yeux effarés arrivé ruisseau à de étant se mirent à rire du bon saint. le ruban du ruisseau, Wargemoulin, Perthes «Un jour que saint Gengoult passait à il venues s'assit à et s'endormit. tomber, y Pour les le mit dans sa poche et partit sans Pendant son creusèrent sommeil, la fontaine saint quelques Gengoult». Même thème dans la région messine ( ) : 5 «Un jour Metz. courante. genoux, prière. limpide saint Gengoulf cheminait Torturé par la soif Mais toutes sur l'antique il s'engagea dans un ses recherches furent les mains appuyées sur son bâton de A ce moment, et put route romaine qui conduisait vallon près de Zimming, vaines. Las et découragé voyageur et il adressa au de Boucheporn le saint homme sa tomba à Tout Puissant une fervente saint Gengoulf vit sourdre de la cavité qu'avait creusée le bâton, étancher à espérant trouver une eau une source soif...». Il est intéressant de noter qu'une controverse est ouverte à propos de l'endroit du martyr du saint. Si les auteurs s'accordent en général pour placer ce lieu à Varennes sur Amance non loin de Eangres, en Haute Marne, il faut ajouter que, par une confusion sur le nom de Varennes, une dévotion particulière au saint avait cours, il y a peu de temps encore à Varennes en Argonne (dans la Meuse). L.e fait mérite qu'on s'y attarde : L.'abbé Robinet dans son Pouillé du diocèse de (2) textes. (3) (4) (5) Il est GENGOULT en Lorraine, GENGON en Haute Marne, GANGOLF en Alsace et GENGOULF dans certains vieux F. GIRY. Les vies des saints .... p. 1 393. L. I.ALLEMENT, Folklore et vieux souvenirs d'Argonne, p. 46. R. DE WESTPHALEN. Petit Dictionnaire des traditions populaires messines, p. 312. 170 C. MECHIN Verdun (1888) retient comme étymologie, une racine germanique Waren, signifiant «couvert de landes», Dauzat ( ) propose une racine plus lointaine puisqu'il indique le radical vara : eau, et donne comme signification du mot varennes : «délaissé de rivière, friche». Après les légendes que nous avons rapportées, où saint Gengoult se conduit en véritable maître de l'eau domestique — pas celle des étangs ni des fleuves mais des sources potables et des rivières «où on lave» — l'installation de son culte dans des «varennes» gagnées sur le marécage ne peut nous surprendre. Dans les deux localités d'ailleurs, on vénère des sources qui lui sont dédiées. Celle de Varennes sur Amance présente la particularité d'être encavée sous la chapelle du saint (cf. photographie) alors que celle de Varennes en Argonne, à l'extérieur du village, vagabonde au bas d'un talus avant de passer près d'une stèle où existait une statue du saint (volée récemment). Labourasse qui écrivait en 1903, à partir des monographies des instituteurs 6 de la Meuse, précise ( ) : «tous les ans, le second dimanche après Pâques, à l'issue des vêpres, 7 clergé paroissial et se d'autres prières villages de la d'une buissons s'étalaient dans bassin, de liturgiques. Meuse, guérison le rend processionnellement de infirmité des la à Le pèlerinage Marne cette fontaine de Gengoult chantant eut jadis les une litanies grande des l'art médical. chemises, des Tout autour de mouchoirs, des linges la fontaine, vogue. divers Les pèlerins ne quittaient jamais qui, sur les après haies avoir la fontaine sans été en le saints Des et des Ardennes on y accourait chaque jour pour solliciter rebelle à séchaient au soleil. saint en et la les trempés emporter l'eau». Une fête carnavalesque Quoique les traditions restent discrètes à cet égard, il semble que la fête de saint Gengoult donnait lieu autrefois dans certains endroits, à des farces visant les maris trompés ; ainsi en Meuse ( ) 7 : «la veille de la fête de saint Gengoult, maisons avec un personnes de Saint prison à faire et liquide Mihiel blanchir noir indélébile, qui s'en en entier les étaient et à on armoiries rendues traçait sur les portes ou sur les murs des des maris coupables furent leurs frais les façades trompés. En condamnées ainsi polluées. 1769, à quelques huit jours ...» A de l'heure actuelle, les seules farces qui nous ont été données de voir sont d'ordre verbal, elles sont à l'adresse de «ceux-qui-ne-savent-pas» de qui saint Gengoult est le patron : en Alsace et en Haute Marne il y a toujours quelques pince-sans-rire pour demander innocemment aux femmes si elles sont venues conduire leur mari au pèlerinage ou si elles ont besoin d'un «guide» pour visiter la chapelle dans le bois. A y mieux regarder et quoique a priori la fête de saint Gengoult ne fasse pas partie de la période du Carnaval, ces allusions actuelles et ces «farces» d'autrefois rappellent à bien des égards les cours de justice carnavalesques organisées par le groupe des jeunes gens où étaient appelés à comparaître tous les maris bafoués. Cette liaison ne nous semble pas impossible. En effet, une étude des coutumes de la Pentecôte dans l'Est de la France, nous a amené à proposer la date de la Pentecôte comme date ultime des manifestations du printemps, commencées officiellement par Carnaval. Durant cette période dont nous ne pouvons reprendre ici l'analyse dans sa complexité, le groupe des jeunes gens, entre autres actions, dénonce publiquement les alliances tenues secrètes et juge les couples hors de la norme (maris trompés ou battus). A Saint Maurice sous les Côtes (Meuse) d'ailleurs c'est bien la veille de la Pentecôte (6) A. DAUZAT, Dictionnaire Etymologique, s. v. varennes. (7) H. LABOURASSE, Anciens us... de la Meuse, p. 100. «chamboule-tout» près de la Fontaine La source à Varennes sur Aman SAINT G A N G O L F ET LES SIFFLETS DU qu'une «foule souvent accompagnées exemple, d'inscriptions une de anodines sont tracées au sureau. dessins faits énorme, figurée sur sur sa façade» les portes Un ami de 171 PRINTEMPS des la maisons. dive Elles bouteille sont en le plus trouvera par ( ). 8 La moquerie qui s'attache dans nos sociétés au mari trompé est d'une façon discrète connotée dans les légendes concernant Saint Gengoult. Alors que le conte ne parle pas encore de l'infortune conjugale du Saint, l'homme avec lequel il veut passer un marché — concernant la fontaine de son jardin — le prend «pour un idiot et une personne sans esprit», de même en Argonne, les lavandières, sans raison apparente, «se mettent à rire du bon Saint». Outre le fait que les confréries carnavalesques ont souvent été celles des «cornards» et des «cocus», un autre thème permet de rapprocher la fête de saint Gengoult des traditions de carnaval, il s'agit de celui du coucou ; en effet, si un certain nombre d'animaux figure au centre des activités carnavalesques, il est étonnant qu'on n'y mentionne justement pas dans nos régions la présence du coucou (en ancien français : cocu ( )), en Roumanie par contre la veille du mardi gras est l'occasion pour les jeunes gens du village du département de lalomitza de se déguiser en 9 coucou :... au lieu de l'épaisse flanelle habituelle enroulée autour du torse et des bras par une parente ou une jeune fille. clochette (qu'ils de bétail tricotée à la maison, ; (...) par dessus Aux pieds tramaient déjà les la le pantalon, sandales veille). habituel/es Ils ils ont une ceinture rouge ils ont une jupe blanche prêtée portent et tantôt toujours un derrière bâton, instrument en bois qui a la forme d'un angle obtus avec un manche long d'un mètre (...). de coiffure, «sarica» ils (gros portent de façon manteau de l'extérieur de papier blanc ou sortes de dessins. percent de petits chacun, et parallèles «cornes du entre Des qui a un capuchon la forme d'une et sur lequel on brode, sorte le et est de confectionné musette, avec de de-là. A est de une sorte d'échelle. toupets impossible de roseaux. à qui que ce A est Toute cette les à toutes ils la bouche, ils d'un ceux-ci horizontaux construction Au sommet Ainsi parés de tapissée longs bâtons à peu près couleur: soit de En guise l'endroit du nez, bâtons, la un morceau laine de couleur, la place des yeux et de on fixe deux couverte de menu plumage de d'un laquelle la entre eux par trois ou quatre autres tout formant coq ou qu'il trouée de-ci, deux côtés des oreilles, sont unis eux, capuchon» de et coloré curcubacée trous,. lesquels quatre grandes plumes lundi matin, pâtre) ingénieuse, Ce capuchon couvre toute la tète et tombe sur les épaules. y mettent la gorge d'un mètre très eux tantôt s'appelle l'on fixe se présentent les les trois ou coucous le reconnaître» ( ). 10 Il n'entre pas dans notre propos d'analyser la symbolique du costume et sa liaison avec l'oiseau de qui il porte le nom, analyse qui nous entraînerait dans les coutumes de Carnaval et nous éloignerait par trop de celles de saint Gengoult. Cependant, nous pouvons essayer d'expliquer ce qui justifie la présence de ces «coucous» en poterie lors de la fête du saint. Le souffle du printemps Nous avons répertorié un certain nombre de fêtes en Belgique, Lorraine, Russie, Alsace ... où l'usage de sifflets et de rossignols au début du printemps permet de situer l'ambiance dans laquelle la coutume de la Saint Gangolf se place ; ainsi : «à Ath (Belgique) écrit Laport ( ) les 11 (8) H. LABOURASSE, op. cit.. p. 1 0 0 . ( 9 ) E. ROLLAND. Faune populaire, t. 2. p. 8 2 . ( 1 0 ) M. VULPESCO, Les coutumes roumaines, p. 1 3 7 à 1 4 0 . ( 1 1 ) G. LAPORT. Le folklore de Wallonie, p. 3 8 . 172 C. «rossignols à eau» agrémentèrent jusqu'au MECHIN milieu du XIX" siècle la messe du premier dimanche de mai» de même au pèlerinage à Notre Dame de Messine à Mons ( ) , le 25 mars (fête de l'Annonciation) était l'occasion pour les pèlerins d'acheter traditionnellement au sortir de la messe, des fleurs et pour les enfants des «rossignols» que l'auteur décrit ainsi : «Le vase se 12 remplit d'eau et le liquide mis imiter le chant d'un oiseau. en vibration par le souffle, modifie le son du sifflet, Chaque jeu ayant son époque, de manière à on ne songe à ces rossignols qu'à la kermesse de Messine». A Stenay (Meuse) c'était le dimanche de la Mi-Carême que se tenait la «fête des fluteaux» ( ) : 13 ancienne «lorsque le temps était beau, léproserie située sur le jeunes gens qu'ils suspendaient complète achetaient — ces au aux marchands moyen sifflets territoire de jolis étaient faits de la ville qui s'y étaient rubans au autrefois installés, cou avec la population se rendait à Saint Lambert, et où existait jadis des des jeunes filles l'écorce du un sifflets saule ermitage. ou fluteaux qu'ils préféraient— qui, à cette IM, en les étain l'auteur époque, se détache facilement du bois». En Russie, si l'on en croit Sokolov ( ) au temps de l'Annonciation M (25 mars) divers des les endroits branches alouettes, du filles «comme pour représenter le piaillement printanier des oiseaux, village d'arbre où volez vers nous, un chœur à sont fichés l'autre, des de loin oiseaux faits en de loini...) Elles chiffons apportez nous le beau temps». et chantent tiennent souvent elles chantent : E'auteur mentionne aussi en en main Alouettes, au Kalouga, le rite de Pentecôte qui consistait à «enterrer le coucou», c'est-à-dire une poupée faite avec la racine de la plante dite «larme de coucou». En Bretagne, les enfants de Morieux C ) se plaçaient devant le Saint Sacrement à la Fête Dieu 5 (deuxième dimanche après Pentecôte) sifflets plus de plomb ou de bois. discordants mais c'était et «soufflaient de toute la force de leurs poumons dans des Ces musiciens l'usage et d'une nouvelle personne n'en espèce, était faisaient entendre les sons les troublé». Cette série d'exemples montre avec évidence la liaison faite dans l'Europe du Nord Est, entre la venue du printemps et le souffle nouveau mis en action par les médiateurs devenus maintenant habituels dans le maniement des symboles que sont les enfants. Sans nous attarder sur les autres oiseaux représentés (alouette, rossignol) la présence du coucou comme annonce de la saison nouvelle nous paraît intéressante : dans nos régions, cet oiseau arrive à une époque très précise, entre le 21 mars et le 15 avril ; aussi cette remarquable ponctualité l'a hissé au rang de messager horaire puisqu'en horlogerie, les pendules du Jura et de la Suisse font apparaître un coucou chanteur. En corollaire, la tradition lui a octroyé un don prophétique, puisqu'on prétend en Lorraine que pour avoir de l'argent toute l'année, il faut avoir une pièce de monnaie sur soi, la première fois qu'on l'entend chanter. Si son arrivée à date fixe est remarquable, tout aussi extraordinaire est la ponctualité de son départ : comme il se situe à la fin du mois de juin, on dit que le coucou s'en va lorsqu'il voit les faucheurs (de la fenaison) d'où l'idée ardennaise ( ) qu'il s'est «étranglé en mangeant du seigle» (le céréale qu'on fauche en premier) ; de même en Bretagne, on prétend qu'à la saint Pierre, le coucou «rentre à la maison» ( ) bien plus étrange est la croyance qu'à la fin juin, le coucou se 16 17 (12) REINSBERG-DURINGSFEI.D. Traditions et légendes de la Belgique, t. I. p. 193. (13) H. LABOURASSE, op. cit.. p. 95. (14) (15) (16) (17) 1. SOKOLOV. Le folklore russe, p. 93. P. SEBILLOT. Contes populaires de la Haute Bretagne, p. 246. Tradition orale actuelle. E. ROLLAND. Faune populaire, t. 2. p. 87. SAINT GANGOLF ET LES SIFFLETS DU 173 PRINTEMPS change en épervier, d'après Rolland ( ) l'explication de cette croyance se trouve dans la confusion qui est faite entre le plumage du coucou et celui de différents oiseaux de proie diurnes entre autres l'émouchet (une sorte d'épervier). Cette explication nous semble d'autant moins satisfaisante que la transformation coucou-épervier est envisageable dans les deux sens : Granet. dans ses ouvrages sur la Chine ancienne note ( ) : «le petit calendrier des Hia fixe au premier 18 19 mois du printemps la transformation de l'épervier en ramier». Autre fait marquant dans la personnalité du coucou, une réputation de paresse et d'ingratitude lui a été attribuée par le jugement populaire. En effet, on sait que la femelle plutôt que de construire un nid avant de pondre, préfère aller déposer ses œufs dans le nid d'un autre oiseau, quitte à expulser les autres œufs devenus encombrants. Cette action peu morale terminée, le scandale continue puisque les parents nourriciers après avoir couvé la progéniture de l'autre, doivent s'épuiser ensuite à nourrir un vorace parfois bien plus gros qu'eux. La croyance populaire prétend même que devenu grand, le jeune coucou avale père et mère nourriciers. Dans un autre registre, la conduite du coucou est aussi jugée déplorable : en Bretagne, on assure que le coucou va «chier sur votre maison si vous n'y mettez pas un «mai» (branche d'arbre) dans la nuit du premier mai» et en Lorraine, on le traite de «foireux» quand on l'entend chanter ; or ce terme s'applique à celui qui a la diarrhée et, par extension à un poltron ou à un lâche. Ce manque de tenue social est aussi attribué, dans nos sociétés à l'amant : il est celui qui profite «lâchement» de l'absence de l'époux, qui agit «en cachette» ( ) et sans prendre de risque ; mais on l'a vu également dans la légende de saint Gengoult il est aussi le «foireux» au sens strict du terme puisqu'il est «atteint d'un flux de ventre mortel». 20 En dehors d'une analogie populaire facile à comprendre entre les mœurs dépravés de certains humains et les habitudes du coucou, analogie dont nous venons de présenter les principaux aspects, et dans laquelle se trouve impliqué saint Gengoult, il nous semble nécessaire de déborder notre sujet initial centré sur ce saint pour continuer d'explorer la symbolique du coucou, en espérant y trouver une explication de cette fonction de maître de l'eau dévolue comme nous l'avons vu précédemment, à saint Gengoult. Celui qui se cache Les jeux bien connus de la cachette, où des personnes se cachent et crient «coucou» pour guider les recherches de celui qui doit les retrouver, exploitent une des caractéristiques de l'animal dont le cri porte loin mais qu'on ne voit jamais. On a vu également que dans la succession des saisons, sa présence effective ne dure que le printemps (de fin mars à fin juin), or la croyance populaire a imaginé sa transformation en épervier plutôt que son départ. Pour traduire cette double série on peut dire que, en terme de synchronie, le coucou au printemps est là mais qu'on ne le voit pas et diachroniquement que lorsqu'il n'est plus là, il est là malgré tout mais sous une forme, dans les deux cas, il est celuiqui-se-cache. Mais voici plus, dans un conte allemand repris par Sebillot ( ) dans les ouvrages de Grimm, 21 (18) E. ROLLAND, op. cit.. p. 95. (19) GRANET, Fêles et chansons de la Chine ancienne, p. 54. (20) Cf. le caractère de ce personnage dans les comédies de boulevard du îx' siècle de Feydeau, Labiche ... (21) P. SEBILLOT. Légendes et curiosités des métiers, p. 6. 174 C. MECHIN un boulanger refuse de donner un morceau de pain à un disciple du Christ en voyage sur la terre. Sa femme et ses filles plus charitables lui en donnent en cachette. Par punition le boulanger est changé en coucou alors que sa femme et ses filles vont «au ciel» et y deviennent les Pléiades. Dans la mythologie grecque ( ) les jeunes vierges transformées en colombes (les pelleiadès) puis en étoiles par Zeus. sont en oppositions mythique et cosmique avec Orion le chasseur. Les 22 ouvrages d'astronomie font Taureau qui a joué remarquer que «de toutes les constellations zodiacales c'est celle du le principal rôle dans les mythes antiques c'est le scintillant amas des Pléiades qui paraît avoir réglé Pléiades étaient favorable (en la Italie, constellation des commencement navigateurs de mai) et parce avec et dans l'année et le qu'avec leur leur cette constellation calendrier» levée disparition, ( ) 23 commence la mauvaise : la même, or les saison (commen- cement de novembre) ( ) . Or qu'en est-il dans nos régions ? L.es Pléiades apparaissent en juin, à la fin de la nuit, suivies à une quinzaine de jours d'intervalle par Orion. Ces constellations vont occuper différentes position dans le ciel pour des durées plus ou moins longues et ce jusqu'à la fin du mois de mars l'année suivante. Ce qui revient à dire que ces constellations sont invisibles pendant les mois d'avril et mai ( ) , or on le remarquera c'est pendant cette période que le coucou lui, est présent. Tout se passe comme si l'arrivée ou le départ du coucou correspondait au départ et à l'arrivée d'Orion. 24 2S Si cette liaison entre l'animal qui se cache mais qu'on entend puis qui semble disparaître mais qui se transforme, et le «chasseur» Orion qui pourchasse inlassablement les vierges-colombes et qui apparaît dans le ciel quand le coucou-galant et scandaleux se tait, si cette liaison donc se trouvait vérifiée, cela aurait, pensons nous, deux conséquences importantes : 1) nous pourrions dans une démarche exploratoire plus systématique imaginer le rôle cosmique des «maîtres de l'eau» que sont bon nombre de saints (entre autres, saint Christophe, saint Nicolas ...), rôle oblitéré par la tradition chrétienne mais qui se «trahit» fugacement dans quelques légendes devenues incompréhensibles : tout nous porte à croire, en effet que si le couple Orion-le coucou (ou son avatar l'épervier, dont nous n'avons pas eu le temps d'analyser sa fonction symbolique) est significatif, la permanence du thème du transport de l'eau de sources ou de fontaines dans la légende de saint Gengoult, dépasse largement le contexte des fêtes de l'eau nouvelle du printemps bien attesté par ailleurs (nettoyage et décoration des fontaines au mois de mai, etc.) et prend toute sa justification dans une cosmologie où l'apparition d'Orion dans nos régions correspondrait à une régulation des eaux «consommables» perturbées pendant le printemps pour des raisons faciles à imaginer (fonte des neiges ...) ; ainsi s'expliquerait l'attitude du saint versatile qui emporte ou déplace les sources et sème par ce moyen le désordre. Sur ce point, remarquons que sa conduite s'apparente à celle de l'amant qui dans l'ordre social introduit également le désordre. 2) Et ceci découle en fait du premier point, cette perspective ouvrirait des horizons inattendus dans le champ d'investigation de l'ethnologie européenne, vers une recherche de liaison cosmique peu entreprise à cette heure. Cela nécessiterait pour le moins, l'abandon d'une attitude assez générale selon laquelle le paysan européen à l'inverse des populations africaines ou américaines ne-connaîtrait-pas-les-étoiles ... (22) (23) (24) (25) C. KEREMYI. La mythologie des Grecs, p. 199. C. FLAMMARION, Astronomie populaire, p. 413. Dictionnaire la Grande Encyclopédie Larousse, t. 26. p. 41 3. Informations aimablement fournies par Monsieur EGRET, de l'Observatoire Astronomique de Strasbourg.