Quid des schizophrénies résistantes ?

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Quid des schizophrénies résistantes ?
L’Encéphale (2008) Supplément 6, S223–S225
j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e m - c o n s u l t e . c o m / p r o d u i t / e n c e p
Quid des schizophrénies résistantes ?
B. Garnier
Hôpital Sainte-Anne, Secteur 18, 1 rue Cabanis, 75674 Paris cedex 14
Les définitions des schizophrénies
résistantes
Kane 1988
Kane et al. [5] définissent les premiers la schizophrénie
résistante à propos des patients « réfractaires aux
neuroleptiques » selon les critères suivants :
• patient répondant aux critères diagnostiques de schizophrénie du DSM-III,
• au cours des cinq dernières années il n’existe pas de
période où le patient va bien,
• au moins 3 traitements neuroleptiques de familles chimiques différentes (pour deux au moins d’entre eux) ont
été administrés pendant des durées d’au moins six semaines chacune, à une posologie équivalente à au moins 1 g
par jour de chlorpromazine sans amélioration symptomatique significative observée.
Kane a testé l’action de la clozapine chez ces patients
réfractaires en considérant une amélioration qui prenait en
compte sans distinction les symptômes négatifs et positifs
à l’aide des échelles suivantes :
• BPRS : dont le score à l’inclusion devait être supérieur ou
égal à 45, avec des scores d’au moins deux des quatre
items suivants au moins égaux a 4 : désorganisation
* Auteur correspondant.
E-mail : [email protected]
L’auteur n’a pas signalé de conflits d’intérêts.
© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
conceptuelle, pensées inhabituelles, méfiance et comportement hallucinatoire ;
• CGI : dont le score à l’inclusion devait être supérieur ou
égal à 4 ;
• une évaluation infirmière.
Dans cette étude princeps Kane a comparé clozapine
à halopéridol, administrés pendant 6 semaines. Était
considérée comme résultat positif une réduction de 20 % à
la BPRS, CGI = < 3 ou BPRS < = 35.
Guide HAS [3]
La définition de la résistance correspond à 2 séquences de
traitement antipsychotique à posologie et durée suffisantes
(au moins six semaines) sans bénéfice thérapeutique. Il est
précisé la nécessité d’éliminer d’autres causes de mauvaise
réponse qu’une résistance : défaut d’observance, conduites
addictives, interactions médicamenteuses, pathologies
organiques.
NICE guidelines [13]
La définition du NICE est un manque d’amélioration
clinique significative malgré l’utilisation successive à
doses recommandées d’au moins 2 antipsychotiques dont
au moins l’un d’eux doit être un atypique, pendant 6 à
8 semaines.
S224
B. Garnier
Les évolutions du concept
La notion de schizophrénie résistante peut se poser
sur deux axes [14] : persistance de symptômes malgré
des traitements supposés efficaces, ou inefficacité des
traitements dans certaines formes de schizophrénie ? Dans
tous les cas, se pose la question élémentaire suivante :
pourquoi le même médicament n’a pas le même effet sur
la même maladie ?
Le concept de « schizophrénies résistantes » est-il le
passeport de prescription de la clozapine en respectant les
règles de bonne pratique, malgré le risque d’agranulocytose ?
Ou la schizophrénie résistante est-elle une entité clinique,
qui justifie des analyses complètes en terme de diagnostic,
facteurs favorisants, critères de vulnérabilité…
Que s’est-il passé depuis les premières définitions de
1988 ? Les antipsychotiques de deuxième génération sont
apparus. Les neuroleptiques d’action prolongée ont été
diffusés au-delà des frontières françaises, de nouvelles
formes galéniques (Vélotab…) ont vu le jour. Les temps
ont changé, et en même temps, les exigences en termes
d’amélioration des symptômes et de tolérance se sont
accrues, l’information des patients et de leur entourage
s’est développée, et la déstigmatisation de la maladie a
évolué, bien que de manière encore insuffisante.
Tout ceci a pour conséquence, un affinement du
concept, une approche de la schizophrénie résistante
comme une entité clinique avec des études sur les pseudorésistances, la résistance à la clozapine, les alternatives
à la clozapine, l’évolution diachronique de la résistance
aux traitements, l’étude CATIE avec la comparaison de la
situation de recherche clinique versus le « real world ».
Notion de pseudo-résistance
les nouveaux résistants ? Afin d’augmenter l’efficacité de
la clozapine, il est conseillé d’utiliser le sulpiride, ou la
lamotrigine voire éventuellement l’amisulpride. En cas
d’absence d’amélioration, il est conseillé de reprendre la
meilleure prescription précédente…
Une étude montre que l’olanzapine à forte dose est aussi
efficace que la clozapine [11] ouvrant la voie à une révision
des posologies en cas de résistance au traitement. Il faut
noter que les nouvelles formes galéniques ont l’intérêt de
faciliter l’observance.
Le traitement psychosocial est indispensable. Si le
patient ne répond pas, il faut alors envisager les ECT [15].
Des questions pour la recherche… [2]
Elles portent sur les outils aidant au choix de la thérapie la
plus efficace : la définition d’endophénotypes prédictifs de
résistance permettrait cette orientation thérapeutique.
Elles portent aussi sur l’identification des facteurs de
résistance et leurs mécanismes : rôle des toxiques dans
la résistance, analyse de prescriptions (à la recherche
des associations diverses), démarche visant à atteindre
des cibles symptomatiques (signes positifs, négatifs,
fonctionnels, cognitifs…).
Les recherches visent également la mesure de
l’observance et la dose efficace avec l’éventuel dosage des
médicaments.
Se posent aussi les questions du niveau d’attente
par rapport au traitement, de l’évolution diachronique
de la résistance aux traitements et de facteurs tels que
la précocité des traitements sur l’évolution ultérieure
des troubles, l’éventuelle psychose d’hypersensibilité
lors des interruptions de traitement et les rebonds
symptomatologiques.
[12]
Il est précisé qu’avant de conclure à la résistance, il
faut éliminer de nombreux facteurs limitant la réponse
aux traitements. Ainsi, il faut optimiser la posologie des
médicaments en prenant en compte des facteurs comme le
tabagisme (le dosage plasmatique restant peu significatif). Il
faut aussi optimiser la durée de traitement : 6 semaines sont
évoquées, mais certains auteurs évoquent volontiers un an
de traitement comme ce fut montré à propos de la clozapine
avant de conclure. Il est aussi nécessaire de vérifier le rôle
des correcteurs qui peuvent perturber la symptomatologie.
La recherche des facteurs de comorbidité : toxiques,
café, dépression, TOC… est indispensable, tout comme la
vérification de la bonne observance. Il peut également être
intéressant d’utiliser des adjuvants comme la lamotrigine,
ou le valproate…
Patients résistants à la clozapine
[8]
La clozapine donne 30 à 60 % d’efficacité chez des patients
schizophrènes résistants. En simplifiant, 1/3 des sujets
schizophrènes restent résistants, et 1/3 d’entre eux répondent
à la Clozapine. Ainsi 17 % des sujets schizophrènes seraient
totalement résistants. Ces sujets doivent-ils être dénommés
À propos de CATIE
[9, 10]
Dans cette étude, apparaissent de nouveaux critères
généraux d’appréciation de l’efficacité des traitements :
le nombre d’arrêts de traitement est utilisé comme
mesure de l’efficacité clinique parce qu’il reflète dans la
pratique l’évaluation de la médication tant par le patient
que par le médecin. Cette notion est à rapprocher du
critère de durée d’hospitalisation que l’on retrouve dans
les recommandations du NICE. La phase 2 de cette étude
introduit l’utilisation de la Clozapine. La notion vague
de symptômes sévères et les questions sur les posologies
employées, l’utilisation des « critères explicites » de
schizophrénie résistante et non des « critères implicites »
qui seront décrits par Kane, sont d’importantes limites à
cette étude. Cette étude montre que la clozapine facilite
la poursuite du traitement…
Définition actuelle de Kane à propos de CATIE [6, 7]
Kane a affiné les critères de schizophrénie résistante :
manque d’efficacité de deux traitements donnés à dose
suffisante pendant 6 semaines, ce qui justifie l’essai de
la Clozapine. Il recommande la recherche de facteurs
génétiques de survenue d’agranulocytose sous clozapine.
Quid des schizophrénies résistantes ?
Non-observance : Nouvelle résistance ?
Avec l’esprit des études comme CATIE, nous sommes amenés
à nous demander si la non-observance devient nouvelle
résistance [1]. Elle est un problème majeur au quotidien.
Il faut donc rechercher les facteurs aggravant le manque
d’observance, insister sur l’alliance thérapeutique, se poser
les questions éthiques, autour notamment des obligations de
soins. L’intérêt de nouvelles formes galéniques, le rôle des
approches psychosociales et cognitivo-comportementales,
la réhabilitation psychosociale, l’alliance avec la famille et
le travail « institutionnel » ont alors toute leur place autour
de la question de la non-observance. La non-observance,
pose aussi la question de la résistance du schizophrène au
changement dans l’aménagement de son rapport au monde.
Cause non négligeable de manque d’observance ? Ce qui
amène à nouveau à s’interroger sur la notion de la fonction
des symptômes : du délire, de l’abrasion des affects…
temps nécessaire pour trouver un nouvel aménagement ?
Quels critères d’amélioration faut-il choisir ?
La priorité va-t-elle toujours à la disparition des symptômes ?
La question du « vivre bien » se pose aujourd’hui avec plus
d’acuité.
Conclusion
La notion de schizophrénie résistante évolue assez radicalement. L’utilisation de critères implicites – dépendant de
l’impression clinique du thérapeute – donne des chiffres de
résistance estimés à 42,9 % [4]. La notion de schizophrénie résistante pose la question des formes spécifiques de
schizophrénie. Cette notion est difficilement dissociable de
l’observance. Dans tous les cas, et plus que jamais, elle sera
associée à un problème de santé publique, face au nombre
de patients et au coût économique, et soulèvera de lourdes
questions éthiques…
Références
[1] Berg S. CATIE the sequel - what Phase 2 means for doctors and
patients, Schizophrenia Digest, summer 2006.
[2] Delaunay V. Les schizophrénies résistantes : définitions et
conduite à tenir, L’Encéphale, 2006, 32 (5 Pt 4) : 925-6.
S225
[3] Haute Autorité de Santé, Guide, Affection de longue durée,
Schizophrénies, juin 2007.
[4] Juarez-Reyes MG, Shumway M, Battle C et al. Effects of stringent criteria on eligibility for clozapine among public mental
health clients, Psychiatric Services, 1995, 46 (8) : 801-6.
[5] Kane J, Honigfeld G, Singer J et al. Clozapine for treatmentresistant schizophrenic. A double blind comparison with chlorpromazine, Archives of General Psychiatry, 1988, 45 (9) :
789-96.
[6] Kane J. Pharmacologic Advances in the Treatment of Schizophrenia Post-CATIE : An Expert Interview With John M. Kane,
MD, Medscape Psychiatry & Mental Health, http://www.medscape.com/viewarticle/533332, 2006.
[7] Kane JM. Commentary on the Clinical Antipsychotic Trials of
Intervention Effectiveness (CATIE), Journal of Clinical Psychiatry, 2006, 67 (5) : 831-2.
[8] Kerwin RW, Bolonna A. Management of clozapine-resistant
schizophrenia, Advances in Psychiatric Treatment, 2005, 11 :
101-6.
[9] Lieberman JA, Stroup TS, McEvoy JP et al. (Clinical Antipsychotic Trials of Intervention Effectiveness [CATIE] Investigators) : Effectiveness of antipsychotic drugs in patients with
chronic schizophrenia. New England Journal of Medicine,
2005, 353 (12) : 1209-23.
[10] McEvoy JP, Lieberman JA, Stroup TS et al. for the CATIE Investigators, Effectiveness of Clozapine Versus Olanzapine, Quetiapine, and Risperidone in Patients With Chronic
Schizophrenia Who Did Not Respond to Prior Atypical Antipsychotic Treatment, The American Journal of Psychiatry, 2006,
163 (4) : 600-10.
[11] Meltzer HY, Bobo WV, Roy A et al. A randomized, double-blind
comparison of clozapine and high-dose olanzapine in treatment-resistant patients with schizophrenia, The Journal of
Clinical Psychiatry, 2008, 69 (2) : 274-85.
[12] Nasrallah HA, White RF, Treatment-Resistant vs Pseudo-Resistant Schizophrenia, Medscape, http://www.medscape.com/
viewarticle/546631, 2006.
[13] National Institute for Health and Clinical Excellence, Clinical
guideline, Schizophrenia : core interventions in the treatment and management of schizophrenia in primary and secondary care, December 2002.
[14] Nguimfack P. Évaluation de la notion de « schizophrénie résistante ». Aspects pharmacologiques et incidences des nouveaux antipsychotiques. Annales Médico-psychologiques,
Revue psychiatrique, 2004, 162 (6) : 441-52
[15] Pantelis C, Lambert TJ. Managing patients with « treatment
resistant » schizophrenia, Medical Journal of Australia, 2003,
178 suppl, S562-6.