petits meurtres entre amis

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petits meurtres entre amis
N° 937
mercredi 13 au mardi 19 novembre 2013
Pages 16-18
2170 mots
ENQUÊTE—ACTU
petits meurtres entre amis
Courants qui se tirent la bourre, fausses cartes d'adhérents, élections suspectes et trafics
d'influence : le Mouvement des jeunes socialistes n'a rien à envier à son aîné.
Clotûre de l'Université d'été du PS, La Rochelle, août 2013
Q
uand on entre à Solférino, il y a
un couloir sur la gauche au
fond duquel on trouve deux petites
salles. C'est là que le Mouvement des
jeunes socialistes (MJS) tient ses
quartiers : une salle pour les permanents, une autre pour que le trésorier
puisse« centraliser » les adhésions. Le
MJS a beau être une organisation de
jeunesse autonome depuis 1993,
quand il s'agit de recompter le
nombre exact d'adhérents par fédération, c'est dans l'antre du PS que ça se
passe. "Le MJS est peut-être autonome,
mais pas indépendant, faut pas déconner, sourit un cadre du mouvement.
Et puis quand tu fais des crasses, tu les
fais à la maison, pas à Pétaouchnok."
Alors que s'ouvre le congrès de SaintEtienne (du 15 au 17 novembre), les
jeunes socialistes sont tendus. Ce
congrès signe le départ de Thierry
Marchal-Beck, l'actuel président,
après un seul mandat de deux ans.
Pour le remplacer et désigner un
nouveau bureau national, trois motions s'affrontent. La motion majoritaire, Transformer à gauche (TàG),
dont est issu Marchal-Beck. Le MJS
étant une caisse de résonance du PS,
on retrouve des courants similaires à
↑
ceux des aînés. Mais TàG, une coalition qui va de Benoît Hamon, le président historique du MJS, à Emmanuel Maurel en passant par Henri
Emmanuelli, place le MJS très à
gauche par rapport au Parti socialiste. Il y a ensuite les motions minoritaires : celle de la Fabrique du changement (FdC) - proche d'Arnaud
Montebourg, Martine Aubry, et
pages où se côtoient moqueries et
Laurent Fabius - et celle d'Agir en
jeune socialiste (AJS), qui représente
le courant de François Hollande, Lionel Jospin, Pierre Moscovici - une
sensibilité majoritaire au PS, à la
droite du MJS. Alors que les jeunes
socialistes sont appelés à voter, on
murmure que Laura Slimani, la can-
ne laisse jamais la vérité se mettre en
didate TàG, remportera la mise. "Elle
Pour la cuvée 2013, les fédérations
d'Isère, du Vaucluse, des Alpes-Maritimes et de Haute-Garonne, toutes
aux couleurs de TàG, sauf la dernière,
tenue par la Fabrique, ont connu des
irrégularités à chaque étape de la
préparation du congrès. Le processus
commence par la centralisation des
cartes d'adhérents (le 30 septembre),
qui permet de déterminer le nombre
d'électeurs par section. Ces derniers
se prononcent, sur les trois motions
en compétition. Chaque courant obtient un nombre de délégués proportionnel aux résultats, qui, le jour du
congrès, éliront le nouveau pré-
a été parachutée, souffle un militant
d'Ille-et-Vilaine. Elle a travaillé à
peine six mois comme attachée parlementaire pour le député de SeineSaint-Denis, Razzy Hammadi(ex-président du MJS, de 2005 à 2007 - ndlr),
et comme par hasard, elle s'est retrouvée au bureau national du MJS." Un
autre insiste : « Thierry Marchal-Beck
avait choisi Juliette Perchepied pour
prendre sa suite, mais Razzy a préféré
appuyer Laura Slimani. » La jeune
femme dément. « Je comprends pourquoi on me prête des liens avec Razzy
Hammadi, j'ai en effet travaillé quatre,
cinq mois pour lui. Mais j'ai eu un parcours classique au sein du MJS, com-
rumeurs sordides. Exemple : « Quand
l'ancien président apprend ses tours à
la 'future présidente », illustré d'un gif
d'Angela Merkel pointant du doigt
Poutine. Ou encore : « Quand on entend
TàG
défendre
ses
amende-
ments… », suivi d'un gif Boardwalk
Empire où Steve Buscemi explique :
« Première règle en politique, fiston :
travers d'une bonne histoire. »
Bref, plus qu'un bac à sable, MJS Mi
Amor est une source inépuisable sur
les coups tordus au sein du mouvement.
sident. « C'est pire que l'URSS », se
marre un militant parisien.
mencé en Garonne comme militante il y
a trois ans. »
Les militants restent sceptiques.
Il suffit de jeter un oeil au tumblr
MJS Mi Amor, un exutoire de 132
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voir s'il y a eu des crasses, mais plutôt
si ces crasses peuvent vraiment changer le résultat. Le but, c'est que ce soit
aasez crade pour gagner, mais pas assez pour lancer une polémique nationale." Une ligne jaune aux contours
flous qui n'a pas été franchie… sauf
en Seine-Saint-Denis.
Le sort de la fédération du 93 s'est
joué à Solférino, dans la petite salle
au fond du couloir. Le 30 septembre,
l'animateur fédéral, Raphaël Perrin,
centralise ses cartes. Aux 70 déjà déposées en juin, il en ajoute 167. Un
nombre impressionnant. Il les paie,
c'est-à-dire qu'il donne les cotisations de 15 euros versées par ses 167
camarades, en billets de 50 euros. Refus du trésorier, Mehdi Dardouri.
« Billets de 10 ou de 20, mais c'est
tout. » Perrin propose un chèque.
Dardouri persiste : « C'est non. » On
dit à Perrin d'attendre. Il fulmine. A
22 heures, Laura Slimani refuse en-
Des fraudes interviennent à chaque
échelon. Concrètement, ça donne des
des animateurs fédéraux qui « oublient » de prévenir les courants minoritaires lors des votes (à Nice), ou
qui communiquent sur une autre
boucle de mail que celle des informations générales (à Grenoble). Dans
un mail confidentiel, une militante
du
Vaucluse
s'inquiète
de
l'organisation d'une deuxième assemblée générale surprise où TàG
l'animateur fédéral à part. « On va arranger ça. » Les tractations commencent. Curieusement, Raphaël
Perrin fait partie de TàG, tout comme
le bureau national du MJS. Mais s'il
est dans la majorité, pourquoi
cherche-t-on à le déstabiliser ?
Il faut chercher la réponse dans les
tranchées du congrès de Reims de
2008. Auparavant, on trouve deux
courants à la gauche du Parti socialiste : Nouvelle Gauche (NG), avec
Benoît Hamon et Razzy Hammadi, et
Alternative socialiste (AS), avec Henri Emmanuelli et Pouria Amirshahi.
NG et AS fusionnent pour faire naître
Un monde d'avance (UMA) et mieux
peser sur le congrès. UMA engrange
18,5 % des voix, ce qui confère un
poids à la gauche du parti. Au MJS, ils
fusionnent aussi pour devenir TàG.
Très vite, des frustrations émergent
au sein de ce front commun. Au
congrès de Toulouse en 2012, des déçus d'UMA montent Maintenant la
gauche (MLG), emmené par MarieNoëlle Lienemann, Emmanuel Maurel et Jérôme Guedj. On l'appelle aussi la « motion 3 ». Raphaël Perrin est
MLG. Razzy Hammadi est NG.
Le micmac des cartes ne serait
qu'une tentative de reprise de la
pourrait « bourrer les urnes ». "C'est
fédération du 93 par l'ancien pré-
jamais propre un congrès, explique un
sident du MJS. « Il y a eu tricherie »,
pour
l'attaché
parlementaire
cadre. Mais la question n'est pas de sa-
↑
core les cartes. « C'est politique. »,
aurait-elle dit. A 23 h 50, on apprend
à Perrin que 60 cartes venant du 93
ont été déposées à Solférino, remises
par l'attaché parlementaire de Razzy
Hammadi, Lucas Tidadini. Un procédé irrégulier : lorsqu'on adhère à une
fédération, les cartes doivent passer
par les mains de l'animateur fédéral
local. Rarement, voire jamais, par
Solférino. Perrin est furieux. Pourquoi le bras droit d'Hammadi jettet-il 60 cartes dans le jeu au dernier
moment, alors que les siennes sont
rejetées ? Le bureau national prend
Razzy Hammadi, député de Seine-SaintDenis et ex-MJS ; Laura Slimani TàG et
Thierry Marchal-Beck, président du MJS
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d'Hammadi, Lucas Tidadini. Les 60
cartes sont fausses : elles sont au
nom de personnes réelles qui ne se
sont jamais inscrites au MJS. Hammadi aurait payé de sa poche 900 euros pour changer le rapport de force
voir là-dedans », assure Lucas Tidadini. Hammadi dément. « Je ne suis pas
« Balas la défonce : 'C'est quoi ce bor-
au courant et je n'ai pas à commenter
del ? », rapporte un membre bien informé du bureau national. Laura se
L'accord signé entre Raphaël Per-
justifie : « C'est pas moi, c'est des
stipule que le silence sera gardé
mentaire. « Lucas est autonome. C'est
ordres qui viennent d'en haut. » "Com-
sur ces tractations « au vu de la si-
peut-être mon assistant mais il a sa
ment ça d'en haut ? C'est moi, en haut !
tuation exceptionnelle ». Mieux en-
propre sensibilité. Il est majeur et vac-
", la tâcle Balas. Elle se met à pleurer
et finit par lâcher que c'était Hammadi.
core, « le présent accord suppose le
au sein de la fédé ? « Razzy n'a rien à
ces histoires », se défausse Hammadi
avant de blâmer son attaché parle-
ciné. »
Candidat à la mairie de Montreuil,
Razzy Hammadi aurait pourtant
toutes les raisons de vouloir contrôler le MJS. Quasiment inexistante il y
a trois ans, la fédé est passée de 15 à
320 adhérents au moment où, dans le
sillage de l'élection de François Hollande, des personnalités locales ont
investi des postes prestigieux
(Claude Bartolone à la présidence de
l'Assemblée nationale, Bruno Le
Roux à celle du groupe socialiste, Elisabeth Guigou à la commission des
Affaires étrangères) ou devenus députés, comme Mathieu Hanotin et
Razzy Hammadi. "Razzy n'a pas le
même ancrage local que les autres,
analyse Antoine Evennou. Parachuté
à Montreuil en 2008, il souffre d'un déficit de crédibilité vis-à-vis des autres
élus, qu'il comble en contrôlant le MJS
Selon le récit de ce cadre, corroboré
par d'autres témoignages mais démenti par Laura Slimani, Guillaume
Balas a ensuite appelé Razzy Ham-
sein du département. Razzy n'a pas
pris part à la vie de la fédération socialiste du 93, il n'a jamais assisté aux
réunions : le MJS est sa force."
lait faire de fausses cartes, AS a simplement saisi l'opportunité, analyse un
cadre du mouvement. Ils ont laissé
Razzy se faire prendre la main dans le
sac. Il passe pour un con, Raphaël Perrin perd la main sur sa fédération, et
AS implante ses mecs. Qui gagne ? AS."
rin et le trésorier, Mehdi Dardouri,
respect d'un accord oral préalable sur
la composition du corps électoral du
congrès 2013 ». L'accord préalable,
c'est celui passé entre Emmanuel
Maurel et Guillaume Balas. Ni l'un ni
l'autre n'ont voulu répondre à nos
sollicitations. "La crispation au sein
madi, qui « décide de lâcher l'affaire ».
Un autre cadre croit savoir que
Claude Bartolone, figure tutélaire des
élus de Seine-Saint-Denis, est inter-
du MJS vient des cadres nationaux :
venu : « Ça ne vaut pas le coup »,
aurait-il dit à son lieutenant Hammadi.
bureau national. En réalité, l'histoire
quand il y a des gens qui se détestent
en haut, en bas ils t'imposent des trucs
pas rationnels, analyse un membre du
du 93 ça aurait dû prendre 30 secondes. Mais ils se détestent. C'est à
celui qui aura la plus grosse queue."
Cet épisode dure une semaine, durant laquelle un nouvel acteur entre
en jeu. Face au bazar NG/MLG, le
courant Alternative socialiste (AS) se
frotte les mains. Ce mélodrame interne au courant majoritaire va lui
permettre d'infiltrer l'air de rien la
fédération du 93.
pour peser dans le rapport de force au
↑
du MJS savait depuis juin que Razzy al-
Les jours qui ont suivi ont été agités.
Emmanuel Maurel, MLG comme Raphaël Perrin, découvre l'entourloupe.
Il appelle Guillaume Balas, conseiller
régional d'Ile-de-France et chef de
file d'Un monde d'avance (UMA), garant du front commun. Balas tombe
des nues, appelle Laura Slimani.
Il continue : « Aujourd'hui, on laisse
le MJS à Razzy pour ne pas qu'il scissionne UMA. Razzy, mine de rien, c'est
une grosse figure avec de l'influence et
du réseau. »
Raphaël Perrin : « Aujourd'hui, la
question du MJS du 93 est réglée. Evidemment, je n'étais pas content, mais
L'accord conclu le 10 octobre après
moult réunions de l'état-major du
MJS est édifiant. Il stipule noir sur
blanc que sur les dix membres de la
direction du MJS 93, quatre devront
c'est ça la politique. Il faut en passer
être issus d'AS. "En fait, la direction
par Mathilde Carton
par là pour transformer le réel. Ce qui
fait de nous une force, c'est la réalité de
notre action, pas ces bisbilles. » ■
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