RITES DE PASSAGE POUR JEUNES

Transcription

RITES DE PASSAGE POUR JEUNES
2008-2009
RITES DE PASSAGE POUR JEUNES
« Si le feu qui brûle à
l‘intérieur de nos jeunes
n‘est pas intégré à la
communauté de façon
intentionne#e et avec
amour, ils brûleront les
structures de la culture,
juste pour se réchauffer »
Michael Meade
Le goût de vivre
Le goût de mourir
Par Paule Lebrun
Je connais une photo — vous
l'avez peut-être déjà vue — de
trois enfants bleus, entre 12 et 15
ans. Ils s’apprêtent à devenir des
hommes. La peinture bleue qui
les recouvre les rend invisibles au
monde des vivants. Elle signifie
qu’ils sont retournés au monde
des esprits, pour un temps
d’incubation, avant de naître à
nouveau.
Dans le monde tribal, on
considère que tous les enfants
demandent à naître deux fois, la
première, du ventre de leur
mère, la seconde, de façon
symbolique: ils meurent à leur
enfance et renaissent en tant
qu’adultes responsables. Cette
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seconde naissance leur donne
aussi accès à ce que nous
pourrions appeler la dimension
mystérieuse de la vie. L’Initiation
suppose que votre naissance
physique ne vous a amené dans
le monde que partiellement.
Vous n’êtes pas encore tout à fait
présent. Vous pouvez vivre une
vie inconsciente, végétative toute
votre vie, une vie de robot, sans
jamais être en contact avec cet
impalpable niveau d’existence.
Toutes les initiations ont à voir
avec le besoin de se souvenir de qui
on est.
Chez les Dagaras
d’Afrique, par exemple, on
considère que, lorsque l’enfant
naît, une âme vient s’installer
dans le corps. Les 15 premières
années, l’âme apprendra à voir à
travers ce vêtement de chair, à
régler son regard de manière à
évoluer efficacement. Une fois
ces apprentissages accomplis sera
venu le temps de l’initiation.
L’adolescent aura à faire le
voyage inverse et à se souvenir
qu’il est une âme qui regarde à
travers le corps. Il devra rompre
m o m e n t a n é m e n t ave c s o n
identité corporelle, se séparer de
sa communauté et retraverser le
miroir...
Aujourd'hui, dans notre
culture occidentale, l’éducation
de masse s’attache
essentiellement à faire de nos
jeunes de meilleurs travailleurs et
néglige complètement les
questions beaucoup plus
radicales qui réfèrent au sens de
la vie, à cette ouverture, cet éveil
au Mystère et à la Beauté, qui
doit prendre place dans chaque
humain. L’âme s’acharne: I want
more! Mais il y a méprise, car on
a oublié que le langage de l’âme
est, par nature, symbolique... On
lui répond: "achète!" ou alors
"Performe!" Cette littéralité est,
d’après la merveilleuse
psychanalyste torontoise Marion
Woodman, la base de toute
dépendance.
Mon coeur a faim, je me
bourre! Mon âme a soif: je bois
comme un trou! Mon être veut
plus, je consomme. De plus en
plus de chercheurs sont
convaincus que la violence, la
consommation d’alcool ou la
dépendance aux drogues sont des
tentatives ratées d’auto-initiation,
une réponse, inconsciente mais
directe, à l’incapacité de décoder
ce besoin sans fin de l’âme.
Quand un jeune devientil adulte? Quand il peut voter,
quand il obtient son permis de
conduire, ou quand il fume son
premier joint? Quand il fait
l’amour pour la première fois, ou
quand il devient indépendant
financièrement? Pour le garçon, à
sa première saoulerie? Et pour la
fi l l e , à s e s p r e m i è r e s
menstruations, ou quand elle est
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enceinte? Ces expériences sont à
leur façon des initiations, mais
sans l’encadrement culturel et la
signification existentielle qu’on
leur donnait dans les anciennes
sociétés.
Autrefois, on n’y allait pas
de main morte avec la dimension
symbolique: on couvrait le jeune
initié de cendre ou de boue, pour
bien signifier qu’il quittait ce
monde-ci; adios papa mais,
surtout, adios maman, sécurité de
la chair douce et de la présence
qui console! Puis, le futur adulte
était envoyé seul dans la nature
sauvage, sans rien à manger; il
était marqué d’entailles rituelles
qui, une fois cicatrisées, lui
rappelleraient pour toujours ce
qu’il avait dû affronter. Durant
son séjour solitaire dans la
sombre forêt, dans la jungle ou
au sommet d’une montagne, son
courage était mis à dure épreuve,
de même que sa capacité de
survivre sans les outils de son
enfance. Au cours de cette
période magique, littéralement
entre la vie et la mort, il parlait
aux animaux, il recevait de la
nature des enseignements secrets,
il faisait des rêves bouleversants,
il avait même des visions, et
finalement, s’il survivait, il
revenait vers sa tribu dans la
peau d’un nouvel homme. Dans
certains cas, on l’accueillait en
héros, porteur de la nouvelle
vitalité de la tribu; dans d’autres
cultures, on semblait d’abord ne
pas le reconnaître: dépouillé de
son ancien nom, son lit d’enfant
brûlé, il devait, parfois durant
plusieurs semaines, réapprendre
les gestes quotidiens comme
manger seul, ou même marcher.
Puis, il était salué, en grande
cérémonie, comme celui qui
revenait d’un autre monde, qui
avait passé l’épreuve, et qui était
prêt à entrer dans son nouveau
rôle.
L'âme humaine évolue très
lentement; ses voeux sont
aujourd’hui les mêmes qu’aux
jours les plus anciens. Les jeunes
gens que je rencontre ces tempsci sont beaux, sauvages et
ouverts. Ils sont prêts à
retraverser le miroir. Quel
miroir? Il n'y a pas de miroir... Ce
déni des réalités invisibles sape le
goût qu’ils ont de continuer.
Secrètement, les jeunes veulent
mourir et ne savent pas pourquoi.
À ces ados, je dirais: «Parfois on a
le goût de vivre, parfois, le goût
de mourir. Et le goût de mourir
est un signe qu'il faut écouter. Ça
ne veut pas dire que vous devriez
mourir physiquement. C'est votre
âme qui murmure que vous êtes
prêts à passer à une autre étape,
que quelque chose doit mourir en
vous, comme une graine meurt
pour laisser place à la plante. Le
Quand ce besoin archétypal de
mort-naissance n'est pas satisfait,
l'énergie devient violente et
dangereuse. Si le feu qui brûle à
l’intérieur de nos jeunes n’est pas
intégré à la communauté de
façon intentionnelle et avec
amour, ils brûleront les structures
de la culture, juste pour se
réchauffer, écrit Michael Meade.
Quelles seraient les bases d’une
initiation pour de jeunes urbains
d’aujourd’hui?
On peut probablement garder la
même structure mythologique
qu’autrefois: la séparation,
l'épreuve et le retour. «Sortez
momentanément le jeune de
cette jungle de ciment, dit
Malidoma Somé. Exposez-le au
monde de la nature, permettezlui d’expérimenter directement,
d’être en contact avec les arbres,
les montagnes, les rivières. Quoi
que ressente le jeune initié avant
d’entrer dans ce cycle (et que cela
relève de la peur ou de la
bravade), ce doit être reconnu et
accepté, de telle sorte qu’il ne
rejette rien de ce qu’il est et se
sente entier...
«Ensuite, il doit y avoir
un véritable défi, une épreuve où
le jeune se surpasse, de la
solitude, du danger. Ce type
d’initiation ne peut arriver dans
un collège, ou même dans un
camp, mais dans un lieu où l’on
se sent plus grand, où l’on est
livré à soi-même. Mais le plus
important, je crois, c’est l’étape
d u r e t o u r, q u i m a n q u e
cruellement en Occident. Une
communauté forte, prête à
accueillir ceux qui passent à
travers l’épreuve. L’accueil doit
être marquant: pas une petite
cérémonie sans âme comme une
remise de diplôme, mais un rituel
puissant, venu du coeur, qui
valide le courage des initiés, qui
manifeste, de la part des plus
vieux, la volonté de leur faire de
la place et de reconnaître leur
pouvoir nouveau au sein de la
communauté.»
* Ce texte est tiré du livre de
Paule Lebrun,
La déesse et la
Panthère, publié aux Éditions du
Roseau.
Voyageuse de long cours, journaliste de grand reportage et auteure du livre La
déesse et la panthère, une série de chroniques inspirées en grande partie de ses
aventures en Orient et dans le Sud-Ouest américain, Paule Lebrun s’intéresse
depuis toujours aux cultures autochtones et orientales. Fascinée par la diversité
et la puissance des rituels de ces traditions millénaires, elle les a analysés en
profondeur pour en saisir l’essence et elle s’est donnée pour mission de les
réintroduire peu à peu dans la culture occidentale . Depuis plus de 15 ans, elle
offre des conférences, anime des ateliers et guide des voyages où elle communique et partage sa
passion. Dans le cadre de son entreprise Ho Rites de passage, elle dirige aussi une formation en
travail rituel pour les gens qui veulent apprendre à concevoir et animer des rituels et des rites de
passage dans leurs communautés ainsi que pour les professionnels désireux d’intégrer cet outil
supplémentaire d’intervention dans leur pratique. Infos: 514-990-0319
[email protected] www.horites.com
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