(Lecture seule)MEP 97-Mulhouse - Wk-rh

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(Lecture seule)MEP 97-Mulhouse - Wk-rh
Vie des entreprises
reportage
PSA tousse,
Mulhouse
s’inquiète
Production en baisse, congés imposés,
jours chômés… La crise qui frappe
le constructeur fait peser une menace
sur tout le bassin d’emploi,
s o u s-t raitants et intérimaires en tête.
Par Anne Fairise
Photos : Pascal Bastien
ans le bassin de
Mulhouse, la
crise automobile n’a pas encore éteint les
revendications.
Le 14 nove mbre, à l’appel de
la CGT, 50 s alariés de PSA Peugeot Citroën
et de ses sous-traitants manifestaient route de Chalampé, à
Sausheim, devant les grilles
du constructeur. Le plus gros
e m p l oyeur du Haut-Rhin, devant les hôpitaux. Chaque
j o u r, les navettes dra i n e n t
10 500 salariés vers les huit
usines PSA, d’où sont sortis
l’an passé 18 % des véhicules
made in France. Selon les spécialistes du cru, la « bagnole »
représenterait 45000 emplois
indirects. « Tout le monde est
attentif à la manière dont
Peugeot Citroën respire. La
filière automobile représente
plus de 50 % des emplois de
50 Liaisons sociales magazine / décembre 2008
la métallurgie dans le départ e m e n t », résume Yves Lemaître, secrétaire gé n é ral de
l’U I MM 68.
Depuis l’été, Mulhouse retient
son souffle. En août, une semaine de congé supplémentaire a été imposée aux ateliers
de ferra ge, peinture et mont a ge. Le brusque démantèlement de l’équipe de nuit, le
24 octobre, après trois petits
mois d’activité, a marqué
l’entrée dans la crise, la fin de
300 contrats intérimaires d’ici
à mi-2009 et le début des réorganisations. À la Toussaint,
5 000 salariés ont passé ch e z
eux la « semaine 44 ». Rebelote en novembre. « Un ou
deux jours chômés à la maison, ça arrive régulièrement.
Mais des semaines complètes,
c’est anormal », note, catastrophé, un opérateur du montage. Fin 2008, la production
du groupe aura diminué de
30 %. « Avec, au total, vingt et
un jours non travaillés pour la
majorité des salariés. Les intérimaires trinquent les prem i e r s. Leur départ signe la
dégradation des conditions de
t rava i l : postes supprimés,
jours de congé imposés, mais
cadences identiques. Il faut
t r o u ver d’autres solutions
pour passer la crise », martèle
Vincent Duse, délégué CG T
du site de Sausheim qui a déf rayé la chronique au printemps 2007 avec cinq suicides
de salariés. « Sans cause professionnelle avérée », précise
toutefois le cégétiste.
Congés « solidaires ». La
placide Sausheim n’est pas
Sandouville, où l’usine Renault
multiplie les débrayages, éreintée par des mois de ch ô m a ge
technique et exaspérée par le
plan de départs volontaires imposé par le constructeur au losange. Sur le site alsacien, les
«suspensions de séance» n’ont
“Le départ des intérimaires signe la dégradation
des conditions de travail”
Vincent Duse, délégué syndical CGT de PSA à Sausheim
pas amputé les salaires des
permanents, sauf des primes
de panier et des indemnités de
t ra n s p o rt. La pluria n n u a l isation du temps de travail, signée en 1999, permet encore
d’amortir le coup de frein. « Le
salaire est maintenu tant que
les compteurs temps comportent assez d’heures, économisées en période de haute activité, pour compenser celles
non travaillées», note la direction. « On nous prélève des
cotisations chômage sur le salaire, et pourtant on se paie
notre propre chômage », soupire un ouvrier. Ici, les compteurs « H + » et « H – » du dispositif de modulation, au bas
des fi ches de paie, ont été rebaptisés « compteurs ch ôm a ge». Pour beaucoup, y puiser n’augure rien de bon. « Si
la demande repart, on aura
l’obligation de récupérer une
partie de la production. Et on
se verra imposer une enfilade
de samedis matin trava i l l é s.
C’est usant d’e n chaîner six
jours », anticipe un ouvrier de
Colmar, qui se lève à 3 heures
pour être en poste à 5 h 25.
Ma i s, pour l’instant, c’est la
c rainte du chômage partiel qui
t a raude le personnel. « On n’y
a pas été depuis 1999. Avant,
toute séance annulée, c’était
4 0 % de salaire journalier
b ru t en moins. C’est beaucoup», précise un ancien, payé
1 500 euros net après dix-sept
ans de chaîne, en deux-huit.
Même crainte chez les soustraitants de PSA qui ont aussi
réduit la voilure. Chez Ge f c o,
logisticien accolé au constru cteur, l’a r r i vée de l’équipe du
matin a été repoussée de 4
à 5 h e u r e s. À Ensisheim, à
1 5 k i l o m è t r e s, le fa b r i ca n t
japonais de guidages linéaires
THK a vu débarquer, le 1er o ctobre, le président de la filiale
France, Akihiro Te ra m a s h i ,
qui a promis de la sueur et des
l a r m e s. « Il nous a dit que la
concurrence allait se durcir et
qu’on comprendrait son discours en 2009. C’est fl i p p a n t .
Les réorganisations sont acceptées sans broncher », note
un opérateur.
B u r n h a u p t - l eHaut, à 25 k i l omètres de là,
Fa u r e c ia Bl o c
avant, qui suspend sa production en même
temps que PSA, a supprimé
son équipe de nuit et p u i s e
dans les compteurs. « Les salariés qui voulaient se faire payer,
pour les fêtes, une partie des
samedis matin travaillés sont
effondrés », précise un opérateur payé 1 200 euros net. À
Rouffa ch, à 30 kilomètres, le
fa b r i cant de systèmes de cl imatisation Behr a établi le
solde de jours de congé pour
chaque salarié, ligne de production par ligne de production. Mi -octobre, 50 étaient
en deçà du seuil nécessaire
pour amortir les deux à cinq
semaines de fermeture prog ra m m é e . Is s u e t r o u vé e ?
Prendre, par anticipation, des
c o n gés ou RTT 2009, indique
la DRH de l’é q u i p e m e n t i e r
dans une lettre aux managers,
qui ont été chargés de faire adhérer les ouvriers à la mesure.
Et leur font signer des lettres
d’engagement, de gré à gré.
« Certains sont poussés à se
mettre en maladie. Les pressions ont été dénoncées
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Vie des entreprises
La “chambre patronale” est assaillie de questions
sur l’indemnisation du chômage part i e l
en comité d’établissement », souligne la CFDT.
Bassin sinistré. « Les entreprises activent toutes les solutions pour tenir jusqu’à la fin
de l’année. Mais 2009 s’a nnonce difficile», reconnaît Yves
Lemaître, de l’U I MM 68, qui
j u ge le coup de frein économique similaire à celui de
1993. Depuis mi-octobre, les
quatre juristes de la chambre
patronale sont assaillis par les
adhérents de questions sur
l’indemnisation du ch ô m a ge
partiel : «Une habitude perdue
depuis les accords d’annualisation du temps de trava i l »,
précisent-ils. À la Direction départementale du travail, les demandes de chômage partiel
p o rtaient, fin octobre, sur un
volume d’heures… presque
trois fois supérieur à celui enregistré pour tout 2007! «80%
concernent la filière automobile », indique la DDT E F P.
Pa s d e b o n a u g u r e p o u r
Mulhouse, qui n’en finit pas de
vivre le déclin d’e n t r e p r i s e s
ayant fait sa prospérité. Comme le groupe textile bicentenaire DMC, placé en redressement judiciaire en mai. La
crise automobile saisit un
bassin d’emploi frappé du
plus fort taux de chômage d’Alsace (9,3 %). « L’impact est, en
partie, masqué par le trava i l
frontalier en Suisse et en A l l emagne », indique un expert.
Conscient des enjeux, Bernard
Jacquelin, directeur de PSA
Sausheim, a rencontré, fin octobre, le maire Jean-Marie Bockel, ex-PS rallié à Nicolas Sar-
“Il sera difficile de trouver aux intérimaires
de l’automobile une possibilité immédiate de rebond”
Mireille Thuet, directrice de la région de Crit Intéri m
kozy, devenu secrétaire d’ É t a t
aux Anciens combattants. Et
qui, dit-on, a obtenu, avant les
municipales, un engagement
du patron de PSA, Christian
Streiff, sur la pérennité du site
de l’Est mulhousien.
l’agence ANPE
G l u ck, implantée sur le site de
l’ancienne filature Schlumpf et
spécialisée dans l’industrie et
l’intérim, les agents s’efforcent
de positive r. « L’intérim représentait, en 2007, un tiers
de nos offres d’emploi », rappelle Dominique Arnould, son
directeur. Depuis le début de
l’année, l’agence a vu l’offre industrielle se rétracter (– 2 %),
en dépit du renforcement de
10 % des démarch a ges d’e ntreprises. Les effets de la déc é l é ration de l’a u t o m o b i l e
n’avaient pas encore joué, ni
en septembre ni en octobre,
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sur le nombre des inscrits
(5 000). Malgré les premières
fins de contrats d’i n t é r i m .
S u rtout dans les PME de la filière, abonnées aux missions
de quinze jours. A contrario
de PSA, qui a moralisé ses pratiques depuis 2003, avec une
durée moyenne des missions
de six mois. « Du coup, le
plein effet de la fin de l’équipe
de nuit n’i n fl u e ra sur les statistiques du ch ô m a ge qu’à la
fi n d u p r e m i e r t r i m e s t r e
2009 », reprend Dominique
Arnould.
En reva n che, l’effet a été imm é d iat dans la soixantaine
d’agences d’intérim maillant
Mulhouse. Surtout celles dédiées à l’automobile. Chez
Crit Intérim, deux des huit
s a l a r i é s d e l’a ge n c e a u t omobile vont être redéployés
vers d’autres missions : PSA
est le plus gros client, son nom
fi g u ra n t s u r l a m o i t i é d e s
c o n t rats signés. « Le ra l e n t i s-
sement gé n é ral nous pousse
à nous repositionner sur le
m a r ch é d e s C D D e t d e s
CDI », note Mireille Thuet,
directrice de la région Est. Le s
p e r s p e c t i ves pour les intérimaires de l’automobile sont
peu réjouissantes. « Il sera difficile de leur trouver une possibilité immédiate de rebond
dans le département, déjà en
proie à une désindustrialisation tardive. Nous leur proposerons des dispositifs de
formation », souligne-t-elle.
La logistique en renfort.
Adjoint aux finances et au développement économique,
Philippe Maitreau temporise:
« Nous allons vers des diffi c u ltés import a n t e s, et nous le
s avo n s. Mais le territoire de
Mulhouse a les outils qui lui
permettront de rebondir. » Sa
botte secrète ? La gestion terr i t o r ialisée des ressources humaines, la GTRH, pilotée par
Vie des entreprises
“Le territoire de Mulhouse a les outils
qui lui permettront de rebondir”
Philippe Maitreau, adjoint au maire, chargé
des finances et du développement économique
“Les entreprises activent toutes
les solutions pour tenir jusqu’à la fin de
l’année. Mais 2009 s’annonce difficile”
Yves Lemaître, secrétaire général de l’UIMM 68
la maison de l’emploi et de la
formation (MEF), créée il y a
deux ans. En décembre, la région Alsace va lui confier les
manettes d’une plate-forme
GTRH dédiée au textile, qui
s e ra ensuite étendue à d’autres
secteurs. Comme l’automobile. « L’o bjectif est de réunir
tous les acteurs – entreprises,
syndicats, Opca, ANPE, etc. –
pour réfl é chir à l’évo l u t i o n
du secteur et à la transférabilité des compétences vers les
emplois de demain», décrypte
O l i v i e r Pi h a n , d i r e c t e u r
adjoint de la MEF. À court
terme, l’élu table sur l’i m p l a ntation d’une plate- forme logistique mi-2009. Crit Intérim
va proposer des formations
aux métiers de la logistique aux
intérimaires sans contrat. Un
petit bol d’oxygène dont Mu lhouse a grand besoin. Depuis
2001, ses effectifs industriels
diminuent de 4,5 % ch a q u e
année. ■
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