l`enseignement du fait religieux a l`ecole
Transcription
l`enseignement du fait religieux a l`ecole
LONCLE JULIEN N° de dossier : 0366170L L’ENSEIGNEMENT DU FAIT RELIGIEUX A L’ECOLE Mémoire suivi par M. Jean Michel. Formation des professeurs des écoles 2005 Table des matières : Introduction :..................................................................................................2 I) Regards sur une prise en compte récente.......................................................4 A) LA PARTICULARITÉ DE LA FRANCE AU NIVEAU EUROPÉEN ...............................................................................4 - Des enseignements confessionnels............................................................................................................................. 4 - Vers la sécularisation de l’enseignement des religions.......................................................................................... 5 B) EVOLUTION DE LA PLACE DU FAIT RELIGIEUX À L’ÉCOLE EN FRANCE .....................................................................6 - Une prise en compte progressive................................................................................................................................ 6 - Qu’en est-il à l’école primaire ?................................................................................................................................. 7 II) Quelles approches ? ................................................................................. 10 A) A PPROCHES DISCIPLINAIRES ET PLURIDISCIPLINAIRES DU FAIT RELIGIEUX … .....................................................10 - La prédominance de l'histoire dans cet enseignement..........................................................................................10 - L’apport des arts visuels et de la littérature...........................................................................................................14 B) …LE TOUT DANS UNE FINALITÉ CITOYENNE...............................................................................................................16 - Une approche laïque...................................................................................................................................................16 - La nécessité du comparatisme...................................................................................................................................17 - Le fait religieux : un outil pour lutter contre le racisme ? ...................................................................................19 III) Des objectifs d’éducation à la citoyenneté difficiles à atteindre ................. 21 A) DANGERS DE CERTAINES INTENTIONS CITOYENNES...........................................................................................21 B) M ÉTHODE OU SAVOIR ?..................................................................................................................................................23 - Donner une dimension religieuse à la culture des élèves ....................................................................................23 - Travailler la notion de point de vue .........................................................................................................................24 Conclusion.................................................................................................... 26 BIBLIOGRAPHIE :...................................................................................... 28 ANNEXES .................................................................................................. 29 1 Introduction : Parler de religion à l’école laïque a souvent provoqué un malaise. Ce malaise dû à une mauvaise définition de la laïcité confondue avec le laïcisme fait que la religion n’a jamais eu explicitement sa place à l’école. Il a fallu attendre les années quatre-vingt pour que se dessine enfin une prise de conscience que la religion a bel et bien sa place à l’école. En effet, lors de ces vingt dernières années, les débats portant sur les contenus des programmes d’histoire se sont de plus en plus intéressés à la place que devait avoir la religion. Au fil des années, suite aux réflexions portant sur ce thème et à la prise de conscience que l’histoire n’est pas la seule discipline concernée, "l’histoire des religions" a peu à peu laissé la place à une nouvelle expression, "le fait religieux". Si cette expression est actuellement très en vogue dans les débats relatifs à l’école, le fait religieux reste en revanche difficile à définir et fait souvent l’objet d’une confusion avec l’histoire des religions 1 . Dans son rapport sur l’enseignement du fait religieux, Régis Debray a été amené à donner la définition suivante : « Un fait de psychologie collective, d’ordre mental, mais ayant acquis en chemin une dimension totalisante, en affectant réellement un espace social, des comportements individuels et des formes d’organisation collective […] Trois critères pour accéder à une incontestable factualité : le volume, la longue durée, l’existence d’empreintes »2 . Si l’on reprend la définition du médiologue, le fait religieux doit avoir une dimension sociale et sociétale. Pour qu’il y ait fait religieux, il faut que les croyances de masses (« le volume ») aient un impact sur l’environnement, sur l’organisation sociale. Cette définition peut paraître convaincante si l’on s’en tient à ce qui est étudié à l’école, dans la mesure où les thèmes abordés répondent à ces critères. Elle exclue en revanche, toutes les sectes religieuses qui ont existé tout au long de l’histoire, mais qui n’ont pas eu la chance de convaincre les populations pour pouvoir prétendre adhérer au club des faits religieux. Elle correspond par ailleurs plutôt à la définition de la religion. Cette définition permet néanmoins de se détacher de la seule histoire des religions. Pour ce qui nous concerne, nous nous limiterons à définir simplement fait religieux, un fait qui concerne une religion. Traiter du fait religieux à l’école ne signifie donc pas faire un cours de religion. Il s’agit plutôt de pendre en compte la religion dans ses différents aspects, dans ses différentes manifestations (monuments, édifices, culture, 1 Cf. Le Monde du 20 février 2005. DEBRAY Régis. L’enseignement du fait religieux dans l’Ecole laïque. Rapport à Monsieur le Ministre de l’Education nationale. Odile Jacob, 2002, p. 174. 2 rites…) pour aider l’enfant à mieux comprendre ce qui l’entoure, à savoir son espace social (par exemple, l’organisation spatiale des villages autour des églises), sa culture (l’origine religieuse des fêtes qui rythment nos calendriers), mais aussi ce qui lui est étranger telle que la culture d’autrui. L’objectif d’un tel enseignement est, en somme, de donner une dimension religieuse à la culture générale. Cette prise en compte du fait religieux dans l'enseignement ne prévaut ainsi en rien le retour du religieux dans les écoles ou une transgression des principes laïques de la loi de 1905. Il s’agit simplement d’une « laïcité intelligente » qui s’oppose à une « laïcité d’incompétence et d’abstention »3 qui consisterait à nier le fait religieux. Refuser l’entrée du fait religieux à l’école, ce serait nier l’importance de la religion dans le fondement de nos sociétés. Exclure le religieux de l’école reviendrait par ailleurs à renvoyer cet enseignement aux communautés religieuses, rendant par là même impossible tout enseignement laïque des religions. Ainsi, l'enseignement du fait religieux peut et doit s'inscrire dans une optique laïque en vue de former les élèves à l'esprit critique. Ce travail consistera donc à montrer quelles peuvent être les modalités d’un enseignement du fait religieux à l’école primaire pour répondre à un tel objectif. Pour ce faire, nous étudierons tout d’abord, dans une première partie, l’évolution de la place du fait religieux dans l’enseignement en indiquant les demandes, les besoins auxquels semble répondre cette évolution. Ces besoins ne concernant pas seulement l’histoire, nous verrons dans une deuxième partie, à travers l’étude de séances effectuées en stage, quelles doivent être les modalités d’approche du fait religieux. Pour ce faire, nous montrerons d’une part comment inscrire l’enseignement du fait religieux dans une pluridisciplinarité en lien avec notamment la littérature, les arts visuels et l’éducation à la citoyenneté et d’autre part les principes qu’un d’un tel enseignement se doit de suivre pour prétendre à la construction d’une culture générale et à la formation d’un esprit critique. Enfin, dans une dernière partie, nous reviendrons sur ce qui a été fait en classe avec un regard critique afin de proposer des suites possibles pour la mise en place d’un enseignement du fait religieux. 3 WILLAIME Jean-Paul, « L’enseignement du fait religieux : perspectives européennes », in L’enseignement du fait religieux. Actes du séminaire interdisciplinaire organisé à Paris les 5, 6 et 7 novembre 2002. SCEREN, 2003, p. 115. 3 I) Regards sur une prise en compte récente A) La particularité de la France au niveau européen 4 La place que le fait religieux occupe à l’école est souvent révélatrice de l’histoire des rapports entre l’Etat et les institutions religieuses. Ces rapports ayant été conflictuels dans l’histoire de la France, la prise en compte du fait religieux ne pouvait être que tardive. Ces rapports sont en revanche différents dans les autres pays d’Europe où l’on observe une coopération plus étroite, coopération qui se manifeste entre autre dans le domaine scolaire. Dans ce domaine, la France fait preuve de singularité. Les modalités de l’enseignement du fait religieux en France se distinguent nettement de celles observées chez ses voisins européens. Pour comprendre la particularité de la France par rapport à ses voisins, il convient de voir comment ces pays inscrivent le fait religieux à l’école. - Des enseignements confessionnels Si la séparation des Eglises et de l’Etat est effective dans la majorité des pays européens, il n’empêche que pour la plupart, la religion soit explicitement présente à l’école. Il s’agit le plus souvent de cours de religion d’ordre confessionnel. En Grèce, par exemple, où l’instruction a entre autre comme devoir de développer la conscience religieuse des élèves, les leçons de religion orthodoxe devaient être dispensées par un orthodoxe. Par ailleurs, seules les enfants d’une autre confession que le catholicisme orthodoxe pouvaient être exemptés de ces cours de religion. En Allemagne, la Loi fondamentale qui fait office de constitution commune à tous les länder rend obligatoire l’instruction religieuse dans les écoles publiques. L’application de cette loi diffère cependant selon les länder. On distingue en effet d’un côté une application très stricte au Bade-Wurtemberg où l’école publique est appelée "école commune chrétienne" et de l’autre une prise en compte des évolutions de la société avec des tentatives de mise en place d’un enseignement de l’Islam observées en Westphalie 5 . Loin d’entretenir l’anticléricalisme qu’il a connu dans les années trente, l’Etat espagnol affirme au contraire dans sa constitution qu’il entretient des relations de coopération avec l’Eglise 4 Il convient de préciser que l’approche de ce thème s’appuie sur l’article de WILLAIME Jean-Paul, « L’enseignement du fait religieux : perspectives européennes », in L’enseignement du fait religieux. Actes du séminaire interdisciplinaire organisé à Paris les 5, 6 et 7 novembre 2002. SCEREN, 2003, pp. 115- 134. 5 Il peut être intéressant de noter que le système allemand prévaut également en Alsace-Moselle. Dans les départements de Meurthe-et-Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, les programmes de l’école primaire prévoit 1h d’enseignement religieux par semaine. Il semblerait cependant que les enseignants ne respectent pas cette heure (O,3 % d’après le site http://www.europe-et-laicite.org). 4 catholique et les autres confessions. De ce fait, la constitution espagnole garantie elle aussi un enseignement religieux, mais qui reste facultatif. Si, à travers ces exemples européens, nous avons pu voir que le fait religieux a été pris en compte plus tôt qu’en France, de telles modalités de l’enseignement des religions seraient impensables dans notre système scolaire, du fait de leurs aspects confessionnels. Ce confessionnalisme laisse pourtant place depuis quelques années à une certaine sécularisation. - Vers la sécularisation de l’enseignement des religions En Grèce, cette sécularisation s’observe dès 2002, année à partir de laquelle les enseignants dispensant des cours de religion orthodoxe ne sont plus obligés d’appartenir à cette confession. En Allemagne, dans certains länder de l’est, malgré la Loi fondamentale, l’enseignement religieux peut-être remplacé par des cours d’éthique, alors que ces cours d’éthique n’étaient prévus dans la loi que pour les élèves sans confession. Dans ces mêmes länder, l’enseignement des religions n’est par ailleurs pas confessionnel, c’est à dire qu’un élève sans confession peut bénéficier d’un enseignement religieux. Cette déconfessionnalisation progressive du public des cours de religion fait que l’on glisse de plus en plus vers un enseignement certes de culture religieuse mais plus ouvert et plus critique. Ce phénomène de sécularisation s’observe également au Danemark, pays dans lequel l’Etat reste pourtant très lié à l’Eglise luthérienne. Cette sécularisation se traduit par un enseignement des religions qui se veut pluraliste, c’est à dire qu’il aborde toutes les religions mais aussi les conceptions non religieuses de la vie. Il en est de même en Grande-Bretagne où depuis les années soixante-dix, les cours de religion chrétienne ont laissé la place non seulement aux autres expériences religieuses mais aussi aux courants non religieux voire antireligieux. Sans renier la tradition chrétienne, les programmes scolaires préconisent une éducation religieuse pluraliste puisque y sont inscrits l’étude de six religions. La sécularisation et la pluralisation de l’enseignement des religions que connaissent certains pays européens convergent d’une certaine manière vers la prise en compte du fait religieux à l’école en France. Néanmoins, cet enseignement ressemble parfois à des cours de morale ou de catéchisme. Il est d’ailleurs question dans ces pays d’un enseignement de la ou des religions et non pas comme en France de l’enseignement du fait religieux. Au-delà des modalités de cet enseignement et des principes très variés qui le guident, se dessine des objectifs communs que sont notamment l’éducation à la citoyenneté et à la tolérance 5 religieuse, éducation qui s’avère nécessaire lorsque l’on vit dans des sociétés plurielles au niveau culturel et religieux. Mais c’est également la volonté de lutter contre l’inculture religieuse des jeunes qui guident aujourd’hui ces rapports entre écoles et religions. C’est certainement cette volonté qui a prédominé dans la prise en compte du fait religieux à l’école en France au cours des années quatre-vingt. B) Evolution de la place du fait religieux à l’école en France - Une prise en compte progressive Les programmes ont toujours laissé la possibilité de traiter le fait religieux à l’école. Cette absence du fait religieux à l’école n’est en rien dû aux programmes. Il faut plutôt y voir une cause externe, à savoir le poids du passé. Si l’école républicaine, à la fin du 19ème – début 20ème s’est construite contre les religions et plus particulièrement contre l’Eglise catholique, cette opposition reste ancrée dans les esprits et peut expliquer ce dénie ou cette crainte à l’égard du fait religieux. La prise de conscience de la nécessité de travailler sur le fait religieux, de le prendre en compte se dessine au début des années quatre-vingt. Un bilan sur l’enseignement de l’histoire et la géographie demandé par Alain Savary en 1982 tire la sonnette d’alarme sur le manque de connaissance des enfants, sur l’absence de repères chronologiques. Cette insuffisance historique conduirait à la perte d’un savoir commun, d’une culture commune. Dans la continuité de ce constat, est également pointée l’inculture religieuse des élèves. En 1982, la Ligue de l’enseignement préconise ainsi la mise en place d’un enseignement des religions à l’école. Le besoin de trouver une solution se fait donc sentir au cours de cette décennie et se traduit timidement dans les compléments des programmes d’histoire de 5ème et de seconde écrits en 1987 où la dimension religieuse est plus explicite. Deux ans plus tard, dans un B.O. de février 1989 consacré à la terminale, il est clairement écrit que la religion a toute sa place dans l’enseignement « étant donné l’importance actuelle du fait religieux pour comprendre de nombreux phénomènes politiques, sociaux et culturels ». L’enseignement du fait religieux n’est donc pas une fin soi, mais une nécessité, un outil si l’on veut permettre aux élèves de comprendre l’histoire mais aussi notre société actuelle. 6 L’avenir de cet enseignement s’annonce donc prometteur dans la décennie qui suit. En 1989, une nouvelle étude consacrée à l’enseignement de l’histoire et de la géographie pointe les lacunes de l’enseignement de cette discipline et notamment les lacunes dans l’histoire des religions. En réponse à cette étude qu’il a dirigée, Philippe Joutard, avec le C.R.D.P. de Franche-Comté organise un colloque intitulé "Enseigner l’histoire des religions dans une démarche laïque". Ce colloque a le mérite de mettre en lumière les interrogations jusqu’alors inexprimées sur cet enseignement. Quelques réponses apportées par ce colloque seront par la suite reprises par les programmes d’histoire des collèges et lycées de 1996 telle que la nécessité d’une approche pluridisciplinaire. La prise en compte du fait religieux dans ces programmes est désormais explicite et ne concerne plus seulement le champ disciplinaire de l’histoire. Le dernier épisode relatif à cette évolution s’est manifesté par le rapport Debray6 . Ce rapport est demandé par Jack Lang, à l’époque ministre de l’éducation nationale, alors que la France est traversée par un débat public portant sur les problèmes communautaires à fortes connotations identitaires et religieuses, ce à quoi il faut ajouter des interrogations sur la définition de la laïcité en France. L’originalité de ce rapport, comme son titre l’indique, est qu’il ne se limite plus comme les précédentes études aux problèmes de l’enseignement de l’histoire et plus particulièrement de l’histoire des religions, mais au fait religieux. Se poursuit ainsi l’idée que les autres champs disciplinaires sont également concernés par les problématiques soulevées par l’enseignement du fait religieux. Par ailleurs, le rapport Debray comprend non seulement des propositions pour les futurs programmes mais aussi des suggestions quant à la formation des enseignants dans les IUFM. Si le fait religieux a désormais sa place dans les enseignements, tout reste néanmoins à faire quant à sa définition précise et sa mise en place en relation avec les programmes. - Qu’en est-il à l’école primaire ? Les différentes étapes relatées ci-dessus se retrouvent dans les programmes de l’école primaire. Un catalogue des références à la religion dans les différents programmes peut s’avérer utile pour dégager les caractéristiques de l’évolution de la prise en compte du fait religieux à l’école. 6 DEBRAY Régis. L’enseignement du fait religieux dans l’Ecole laïque. Rapport à Monsieur le Ministre de l’Education nationale. Odile Jacob, 2002. 7 Tout d’abord, avant les programmes de 1985, l’histoire faisait encore partie de ce qui était appelé les activités d’éveil. Il était alors laissé une grande liberté à l’enseignant dans les thèmes à travailler. Dans les programmes du cycle moyen de 1980 est toutefois proposé comme thème à étudier (et non pas imposé) « les cathédrales et abbayes » qui témoignent de « l’essor des 12ème et 13ème siècles ». Rien n’est précisé quant à l’approche : s’agit-il de dégager les caractéristiques architecturales de ces édifices ou de montrer l’importance de l’Eglise au moyen âge à travers ses lieux de cultes ? Il est probable que les problématique s liées à cette approche ne faisaient pas partie des centres d’intérêt de l’époque. La totale liberté de l’enseignant dans ces activités d’éveil se ressent encore à la lecture des programmes du cycle élémentaire de 1983 dans lesquels aucune allusion n’est faite à la religion. Traiter d’un fait lié à la religion relevait donc du bon vouloir de l’enseignant. On peut noter qu’à cette époque, il était déjà possible de faire un travail pluridisciplinaire puisque les arts faisaient partie de ce domaine des activités d’éveil et qu’en conséquence l’instituteur était libre de cette mise en place. Les programmes de 1985 remédient à cette absence de réels contenus dans les précédents programmes. Dès le cours élémentaire, en histoire, les instituteurs devaient faire une « première étude de la société française d’aujourd’hui et du passé récent (vie matérielle et économique ; vie politique et culturelle ; croyances) » 7 . Si ce point concerne l’enseignement de l’histoire, il peut être élargit à l’éducation civique puisqu’il était en partie question de la France actuelle. Il était donc possible de faire un état des lieux quant aux croyances religieuses en France et à leurs manifestations. Toujours dans ces mêmes programmes, les références à la religion en histoire au cours moyen sont multiples. Pour la période médiévale, dans le point relatif à l’art et la culture, il est demandé de travailler sur le rôle de l’Eglise et de la religion. Pour l’époque moderne, ce sont les problèmes religieux liés à la Réforme et aux guerres de religion qu’il faut étudier avec les élèves. Enfin, lors de l’étude de la France au 19ème, un arrêt sur les lois laïques devait être fait 8 . Ces programmes de 1985 donnaient ainsi une large place au fait religieux. On peut y voir, en comparaison avec les programmes de 1980 et 1983, une prise en compte du constat alarmiste dressé suite au bilan demandé par Alain Savary en 1982. Devant la volonté de combler l’inculture religieuse des jeunes, les contenus de ces programmes semblent tomber dans l’excès. On peut en effet se demander si rendre compréhensible la Réforme à des élèves de cours moyen ne serait pas un objectif quelque peu prétentieux. 7 8 Ministère de l’éducation nationale. Ecole élémentaire. Programmes et instructions. CNDP, 1985, p.61. Ibid., pp.63-64. 8 A cette abondance du religieux, les programmes de 1995 préfèrent un allègement. Dans ces programmes, il n’est question que de la christianisation, des guerres de religion et de l’école laïque. On peut se demander les raisons de cet allègement alors que le vent souffle dans le sens inverse. Enfin, dans les programmes de 2002 qui nous concernent donc aujourd’hui, c’est un certain équilibre qui s’observe. Ces programmes respectent une cohérence quant à la place de la religion dans l’histoire. Sans tomber dans le tout religieux, l’importance de la religion dans l’histoire des sociétés est pour autant prise en compte. La nouveauté significative de ces programmes par rapport aux précédents est l’obligation de traiter la naissance de l’Islam9 . Ainsi, comme pour les programmes d’histoire des collèges et lycées, les programmes de l’école élémentaire laissent une place au fait religieux. Cependant, les programmes de 2002 ne prennent pas en compte les solutions apportées pour une approche convenable du fait religieux. Rien n’est en effet proposé quant à sa mise en place, à l’apport des autres disciplines pour cette approche. C’est ce manque, ou cette liberté laissée à l’enseignant, que nous allons nous attacher à étudier en montrant quelles sont les approches possibles du fait religieux. 9 Une allusion implicite y était toutefois faite dans les programmes de 1985 (cf. III-A). 9 II) Quelles approches ? A) Approches disciplinaires et pluridisciplinaires du fait religieux … Si auparavant, le problème de l’enseignement du fait religieux ne concernait que l’histoire, les différents rapports, commissions ont permis de montrer que ces problèmes dépassaient le seul champ historique, au point que, suite au rapport de la commission Stasi, a été évoquée l’idée de créer un corps d’enseignants spécialisé pour le fait religieux et donc de créer une nouvelle discipline, proposition qui a été clairement rejetée. Le fait religieux devra donc être abordé dans diverses disciplines. Si d’autres disciplines sont concernées par le fait religieux, l’histoire reste tout de même sur le devant de la scène. - La prédominance de l'histoire dans cet enseignement C’est en effet principalement en histoire que le fait religieux a été abordé lors de mon stage en cycle 3 dans une classe de CM2. Cette approche historique du fait religieux doit cependant nécessiter à chaque fois une explication sur la religion. C’est cette orientation que j’ai tentée de suivre par le choix des documents et des questions sur lesquels les élèves avaient à travailler. Les documents traitaient d’un fait lié à la religion et demandaient pour une bonne compréhension une explication plus théologique. Cet aspect théologique ne doit pas cependant faire l’objet des séances. Parler du Coran ou de la Bible est certes souhaitable mais il faut néanmoins faire attention. Il ne faut pas limiter le fait religieux à une théorie, à un dogme. Il est en effet nécessaire de faire de l’histoire sociale, c’est à dire lier l’histoire et l’anthropologie. Par exemple, parler de l’Eglise au moyen âge, de sa place et de son rôle dans l’organisation de la société féodale permet de présenter la religion comme une expérience humaine. Il y a certes la Bible, les réformes, les différents conciles, mais il y a aussi le rôle social du prêtre dans la seigneurie, ses relations avec les différentes catégories sociales et la manière dont celles-ci vivent leurs fois religieuses. Avec les élèves de primaire, ce n’est donc pas tant le contenu des différents conciles de Latran qui nous intéresse mais plus la pratique de la foi, le rôle social et politique 10 de l’Eglise dans la mesure où ces thèmes seront plus accessibles pour les élèves. Ils auront d’autant plus de sens qu’il est plus aisé de travailler sur des documents sources relatifs à ces thèmes. C’est cet aspect social que je me suis efforcé de travailler lors de mon stage en classe de CM2 lors d’une séance intitulée "L’importance de l’Eglise au moyen âge" (cf. annexe 1). A partir d’un texte extrait de la règle de Saint-Benoît, les élèves devaient être capables de se faire une idée de ce que pouvait être la vie des moines. A travers la lecture d’un deuxième texte relatif à la paix de Dieu (cf. annexe 2), était abordé le poids de l’Eglise dans les régulations de l’espace sociale 10 . Les élèves devaient enfin étudier une estampe représentant des sœurs soignant les malades. La question qui demandait une lecture iconique permettait d’identifier les sœurs et le lieu, suite à quoi une lecture iconographique faite en collectif dégageait le devoir charitable, d’aide qu’avaient les clercs envers les pauvres et les indigents. Quelques aspects sociaux de l’Eglise ont pu ainsi être vus. Mais pour une compréhension plus certaines de ces faits et des documents étudiés, ce travail devait être accompagné d’une explication religieuse. A partir de questions portant sur la définition d’apôtres et sur la forme des églises, il a été fait allusion au christ et à sa crucifixion. Une question relative à l’excommunication montrait l’importance à l’époque d’appartenir à la communauté des croyants. L’approche historique de faits religieux laisse ainsi la possibilité d’une part de comprendre certains aspects d’une période historique (ici l’Eglise au moyen âge) et d’autre part de donner une culture religieuse aux élèves. S’il est en effet intéressant de transmettre une culture religieuse, l’enseignement du fait religieux, en histoire, doit néanmoins s’en tenir aux faits historiques, d’une part par principe de neutralité et d’autre part pour permettre aux élèves de distinguer ce qui relève du fait scientifiquement prouvé de ce qui est propre à la croyance, à "l’histoire sainte". Construire ses connaissances à partir de faits avérés doit permettre à l’élève de comprendre ce qu’est l’histoire. Cependant, rien n’interdit, bien au contraire, de faire ce que René Nouailhat appelle « un travail de reconstruction symbolique ». Si l’existence d’un personnage de telle ou telle religion n’a pas été scientifiquement attestée, ce personnage peut néanmoins avoir pris une dimension historique dans la mesure où il est une référence de la religion. Lors d’une séance sur la naissance de l’Islam, les élèves avaient à lire un récit expliquant cette naissance, à savoir la descente de l’archange Gabriel rendant visite à Mahomet dans la grotte (cf. annexe 3). Si l’existence de l’archange Gabriel ne nous a pas encore été confirmée, il paraît pour 10 Etant donné la difficulté qu’avaient certains élèves dans la compréhension de texte, la lecture de ces deux textes était dans un premier temps silencieuse puis collective et faisait l’objet d’une explication en commun. 11 autant impossible d’expliquer la naissance de l’Islam et le statut de prophète de Mahomet, sans faire allusion à ce personnage. Lors de la correction des questions relatives à ce récit, les élèves ont manifesté un certain enthousiasme difficile à maîtriser. Il importait pour eux de me faire état de leurs connaissances en la matière. Mais ces connaissances mêlaient faits historiques et croyances sur Mahomet. Il s’en est alors suivi une discussion. En jugeant intéressant leurs propos, je leur ai demandé si d’un point de vue historique, tout ce qu’ils disaient était vrai. La réponse ne pouvait être qu’affirmative puisque c’était écrit dans le Coran ou cela leur avait été raconté par leurs parents. J’ai alors essayé de les faire réfléchir sur ce qu’était la croyance religieuse. Puisque leur affirmation reposait sur le Coran, je leur ai demandé si tout le monde croyait ce qui était écrit dans ce livre. Cela leur permettait de comprendre que ce qu’ils affirmaient n’était vrai que pour les musulmans 11 . Nous avons ensuite fait un retour sur le texte pour faire la part entre ce qui est vrai donc pour les musulmans et ce qui est vrai pour tout le monde 12 . Je leur ai demandé quelle expression dans le texte nous indiquait que c’était vrai pour les musulmans mais pas forcément pour tout le monde. Certains élèves ont alors relevé dans le texte l’expression « selon l’Islam » qui permettait de différencier les faits historiques de la croyance. Cette séance a montré d’une part la difficulté que pouvaient avoir des élèves croyants pour distinguer ce qu’ils tiennent pour vrai de ce qui est fondé historiquement et d’autre part celle de l’enseignant qui catalogué de fait comme non musulman n’est pas aux yeux des élèves la référence pour parler d’Islam. S’il est inévitable de parler du fait religieux en histoire, faut-il conclure pour autant qu’il ne concerne que le cycle 3 ? La réponse est évidemment négative étant donné que l’enseignement de l’histoire se prépare aux cycles 1 et 2 à travers le domaine de la structuration du temps. Pour que l’étude des faits religieux en histoire ait un sens, il importe d’en faire une première approche dès la maternelle. Il ne s’agira pas de donner une dimension religieuse aux faits abordés, mais simplement de relever l’existence de ces faits, notamment dans la culture. Les religions s’inscrivent en effet dans les cultures des différentes sociétés. En conséquence toute culture porte les traces de religion. Une de ces traces qui est rapidement observable, c’est notre calendrier. Celui-ci est en effet rythmé par les fêtes religieuses. 11 12 Il peut être utile de préciser que je n’ai jamais prétendu que leurs affirmations étaient fausses. L’expression « vrai pour tout le monde » avait plus de sens que « vrai d’un point de vue historique ». 12 Travailler ainsi sur le calendrier, sur l’aspect cyclique des fêtes avec des élèves de maternelle permet de faire acquérir des pré-requis indispensables pour comprendre par la suite les bases chrétiennes de nos sociétés. C’est sur ces pré-requis que je me suis efforcé de travailler lors de mon stage en classe de M.S. et G.S.. Ce stage s’effectuant en période de carnaval, un travail autour de ce thème a donc été fait dans le domaine de la structuration du temps. L’objectif général était de « reconnaître le caractère cyclique de certains phénomènes » et d’ « utiliser des repères relatifs aux rythmes de l’année »13 . En demandant aux élèves ce qu’ils savaient sur le carnaval, ce que l’on faisait à cette occasion, ces derniers m’ont fait part de leurs souvenirs du défilé du carnaval de l’année précédente. Il a été alors possible de dégager un caractère annuel de cette fête. Les élèves ont été amenés à conclure que le carnaval avait lieu chaque année, à la même époque. Il a été alors fait de même pour les autres fêtes religieuses qui sont évoquées à l’école (Noël, l’épiphanie et Pâques). Le travail consistait à replacer ces fêtes (matérialisées par des étiquettes illustrées) sur le calendrier. Les élèves pouvaient ainsi percevoir que notre calendrier était rythmé entre autre par des fêtes d’origine religieuse 14 . Il ne s’agissait pas d’expliquer le contenu religieux de ces fêtes, mais simplement de prendre en compte leur place d’une part dans notre calendrier et d’autre part dans notre culture. C’est sur ce second aspect que notre travail s’est prolongé. Cette classe avait déjà travaillé sur les châteaux forts et les chevaliers (construction d’une maquette d’un château fort, dessins de chevaliers…). Etant donné qu’ils avaient déjà visualisé des images du moyen âge, il était intéressant de leur présenter une copie de la peinture de Combat de Carnaval et de carême de Bruegel l'Ancien (1559) illustrant comme son titre l’indique une scène de carnaval au moyen âge. Il a été demandé aux élèves de situer la période à laquelle se déroulait la scène. La réponse attendue n’était pas le moyen âge mais tout simplement l’aspect lointain de la période. Cette réponse donnée, ils devaient ensuite justifier cette réponse. Les éléments de justification donnés furent l’habitat et les vêtements. En guidant l’observation des vêtements, l’action des personnages de la scène et en faisant certainement le rapprochement avec l’activité précédente, les élèves ont ainsi pu voir qu’il était question ici du carnaval. L’approche du fait religieux peut ainsi être effectuée dès la maternelle, mais sans donner à ces faits un sens religieux. 13 14 Ministère de l’éducation nationale. Qu’apprend-on à l’école maternelle ? CNDP / XO éditions, 2003, p.133. Cette origine religieuse n’était bien entendu pas évoquée avec ces élèves. 13 Nous avons donc pu voir que le fait religieux avait toute sa place dans l’enseignement de l’histoire, mais qu’il nécessitait certaines précautions si l’on voulait éviter quelques travers. L’enseignement du fait religieux ne saurait se limiter pour autant à l’histoire si l’on veut dépasser la simple histoire des religions. D’autres disciplines ont également leur rôle dans l’enseignement du fait religieux, notamment la littérature et les arts. - L’apport des arts visuels et de la littérature En lien avec l’histoire, dans une approche pluridisciplinaire, il est tout à fait envisageable de traiter du fait religieux aussi bien en littérature que dans les arts visuels. Une dimension religieuse peut être abordée en fonction des faits étudiés tout en conservant la spécificité de ces disciplines. Lorsque Jean Carpentier affirme qu’« il est aussi important de dire la destination première des édifices religieux que leurs qualités artistiques ou leur rayonnement matériel et intellectuel » 15 , précisons néanmoins que si l’on étudie ces édifices religieux lors d’une séance d’arts visuels, il faut respecter les objectifs de ce champ disciplinaire et s’intéresser plus particulièrement aux qualités artistiques et architecturales. Lors d’une séance d’arts visuels consacrée à l’art roman et gothique 16 pendant laquelle les élèves visualisaient des diapositives d’édifices de ces deux courants artistiques, l’objectif était de dégager leurs caractéristiques. Les interrogations des élèves sur certains éléments de l’architecture ont dans un second temps permis de faire plus explicitement référence à la religion. Suite à une question portant sur la différence de taille des fenêtres dans une église romane et gothique, il me semblait absurde de se limiter à répondre que c’est pour avoir plus de lumière. Sans aller jusqu’à dire que c’était une manière de représenter la Jérusalem céleste, affirmer que c’était en rapport avec la lumière divine permettait de donner une dimension religieuse à cette architecture. Il en est de même quant à la forme des églises et des cathédrales. J’ai en effet demandé aux élèves quelle était cette forme et pourquoi17 . Il a donc été fait une nouvelle fois allusion à la crucifixion du Christ. Dans une deuxième séance, nous avons observé les chimères de Notre-Dame de Paris en vue de réaliser des têtes de chimères en terre. Identifiant ces statues comme des monstres, 15 CARPENTIER Jean. « L’enseignement de l’histoire des religions : réflexions de l’Inspection générale », Historiens et Géographes, n° 343, mars-avril 1994. 16 Cette séance faisait suite à la séance d’histoire portant sur la place de l’Eglise au moyen âge. 17 Il s’agissait d’une question de réinvestissement puisque dans la séance d’histoire, la même question portait sur le plan de l’église de l’abbaye de Cîteaux (cf. annexe 1). 14 je leur ai donné le vrai nom de ces statues et ai demandé à un élève de chercher la définition de chimère. Nous nous sommes alors écartés de l’art gothique de Notre-Dame de Paris pour glisser succinctement vers la mythologie grecque. Cette étude de l’art roman et gothique en art visuel et le travail sur l’Eglise au moyen âge en histoire se sont poursuivis en littérature. En effet, toujours dans une approche pluridisciplinaire, deux séances ont porté sur la lecture de l’album de Fabian Grégoire intitulé Le trésor de l’abbaye 18 . L’aventure se déroule à l'abbaye cistercienne du Thoronet à la fin du 13ème siècle. Dans cet album, l'évocation de l'abbaye est très précise et assez cohérente avec la réalité. Les illustrations restituent l’abbaye dans son état d'origine. Cet album permet ainsi d'imaginer facilement le mode de vie des moines cisterciens. Cette aventure permet de plus de se familiariser avec les objets précieux du moyen âge, à savoir un livre orné d’enluminures. L’album se termine enfin par quelques pages documentaires sur l’abbaye. Dans la première séance, l’objectif était principalement axé sur la compréhension de l’histoire tout en laissant les élèves faire le rapprochement avec ce qui avait été vu en histoire, à savoir le texte sur la vie des moines et le plan de l’abbaye de Cîteaux. Lors de la deuxième séance portant sur cet album, les élèves devaient mettre en relation certains extraits de l’album avec des photos personnelles de l’abbaye du Thoronet. Il leur était possible de s’aider des illustrations de l’album, ce qui permettait par ailleurs de relever la précision des illustrations. L’objectif était ici de distinguer fiction et réalité. Si l’aventure de l’album est fictive, les lieux sont quant à eux bel et bien réels, ce que prouvait le travail à partir de photos. En fin de séance, ces photos ont été aussi l’occasion de faire un rapprochement avec la séance d’art visuel consacrée à l’art roman et gothique. A partir des caractéristiques de l’art roman qui avaient été dégagées en séance d’art visuel, les élèves, en s’appuyant sur la forme des voûtes et la taille de l’édifice, ont conclu d’eux-mêmes que l’abbaye du Thoronet était plutôt romane. Afin de poursuivre cette étude des architectures religieuses, lors d’une courte séance d’arts visuels, j’ai ensuite dévié de l’art roman pour s’intéresser de plus près à l’art cistercien en partant de l’abbaye du Thoronet. Une comparaison a été faite avec les abbayes de Fontenay et de Pontigny, abbayes également cisterciennes et des photos d’églises avec beaucoup de décoration. Le style cistercien a ainsi été défini par la quasi absence de décoration. Le fait religieux ne concerne donc pas seulement l’histoire et peut être abordé dans d’autres disciplines. S’il est tout à fait envisageable de traiter des faits religieux sans mettre en 15 rapport plusieurs disciplines, j’ai néanmoins opté pour une approche pluridisciplinaire, celleci donnant plus de sens au fait étudié et suscite plus facilement la motivation des élèves. Le thème de l’Eglise au moyen âge a été l’occasion de croiser trois disciplines. Si l’objectif de chaque discipline doit être conservé, il importe d’inscrire l’enseignement du fait religieux dans une optique plus large, à savoir l’éducation à la citoyenneté. B) …le tout dans une finalité citoyenne. L’objectif de l’enseignement du fait religieux à l’école n’est pas de former des spécialistes de la religion avec comme avenir une thèse en théologie. Lorsque l’historien Antoine Prost souligne que l’enseignement de l’histoire à l’école n’a pas pour objectif de former des historiens mais des citoyens 19 , il en est de même pour l’enseignement du fait religieux. Pour répondre à cet objectif, il est nécessaire de respecter certains principes. - Une approche laïque Ces principes exigent de la part de l’enseignant une certaine déontologie. Ils se traduisent par ses paroles, ses angles d’approches, sa manière d’aborder les différents thèmes. Un principe qui doit absolument guider l’enseignement du fait religieux, c’est celui lié à la laïcité. L’enseignant n’a pas à témoigner de sa croyance ou de son incroyance. Cette lapalissade qu’il est toujours utile de rappeler répond au principe de neutralité de l’enseignant. Ce principe, s’il est respecté, permet de garantir un recul, un travail objectif, une présentation distancée des religions sans jugement anachronique. Lors des différentes séances d’histoire, j’ai essayé d’être attentif aux propos que je pouvais tenir, à la manière de répondre aux interrogations des élèves afin de ne pas juger ce que eux tenaient pour vrai20 . Ce recul peut être d’autant plus garanti si cet enseignement est fait par des laïcs. L’investissement personnel d’un religieux étant tel qu’il lui sera difficile de relativiser ses propos afin de ne pas témoigner sa foi. On peut également s’interroger sur les contenus des réponses d’un enseignant religieux face aux critiques que pourraient formuler certains élèves à l’égard de sa religion. La nécessité d’enseigner le fait religieux par un laïc ne fait pourtant pas l’unanimité et l’on peut d’ailleurs 18 GREGOIRE Fabian. Le trésor de l’abbaye. L’Ecole des loisirs, coll. Archimède, 2004. PROST Antoine, "Lire en histoire", in JDI n° 1587, avril 2005, p.18. 20 Cette attention était surtout manifeste lors de la séance portant sur la distinction entre fait historique et croyance. 19 16 observer certaines ambiguïtés de la part d’auteur référant dans le domaine de l’enseignement du fait religieux21 . En traitant des religions en classe, l’enseignant ne pourra pas par ailleurs échapper à la question fatale des élèves, à savoir si l’on croit ou non en dieu. Cette question m’a été posée lors de la séance sur l’Islam. J’ai alors tenté de leur faire comprendre que ce qui nous importait ici, ce n’était pas ce que chacun croyait, mais ce en quoi les Arabes croyaient à l’époque et ce qui changeait dans cette nouvelle foi par rapport aux anciennes croyances 22 . Toujours dans un souci de laïcité, l’enseignant se doit d’éviter tout jugement anachronique. Traiter le fait religieux en classe ne doit pas avoir comme but de témoigner des biens faits ou des fautes réalisées par telle ou telle religion. L’enseigner ne doit pas chercher à valoriser ou dévaloriser une religion. De même, il ne s’agit pas de discréditer une religion par rapport à un fait historique qui viendrait la contrecarrer. Dans cette même logique, il n’est pas non plus envisageable en éducation à la citoyenneté de se référer aux textes religieux et aux valeurs qui y sont développées pour aborder les droits de l’homme et les idées de tolérance et de respect. - La nécessité du comparatisme Le principe de laïcité ne suffit pas cependant à lui seul à garantir une bonne approche du fait religieux. La manière d’aborder cet enseignement peut avoir des conséquences sur le contenu transmis aux élèves et peut traduire une certaine conception de la religion. On peut en effet observer deux approches dans l’étude des religions : une première qui s’attache à dégager les différences et une seconde qui préfère montrer les similitudes. C’est cette dernière que critique René Nouailhat. Il rejette en effet une approche qui viserait à faire identifier pour chaque religion le nom du livre sacré, du dieu, du lieu de culte « sous forme d’un tableau à double entrée dont il suffit de remplir les cases ». Cette approche ne respecterait pas les 21 Je fais ici allusion à René Nouailhat qui, dans sa ferveur laïque, semble se contredire. Ce dernier écrit en effet qu’ « il n’est pas conseillé de s’en remettre, dans le cadre d’un cours d’histoire [ …]au curé ou pasteur de la paroisse, à l’imam du quartier […] qui ne demanderaient pas mieux que de venir exposer leurs convictions à l’école » suite à quoi il précise « que l’enseignant censé aborder le fait religieux soit un laïc ou un religieux n’a donc aucune importance, si c’est bien son propre travail d’enseignant qu’il poursuit. », in NOUHAILHAT René. Enseigner le fait religieux : un défi pour la laïcité. Nathan, 2004, p. 131. 22 Cette remarque permettait par ailleurs d’aborder et d’expliquer l’hégire. 17 spécificités de chaque religion. A cela, il oppose un comparatisme basé sur la recherche des différences. Travailler par exemple sur les différences des lieux de culte, leurs différentes fonctions selon les religions permettrait d’ « apprendre à repérer et à respecter les spécificités » 23 . Cette approche revient d’une certaine à répondre à la question suivante : qu’est-ce qui diffère dans les points communs des religions (le point commun étant ici que toute religion universaliste a un lieu de culte) ? Or, pour répondre à cette question, il peut être utile de connaître ces points communs. Travailler ainsi le comparatisme, à l’école primaire, à partir des similitudes peut être un moyen de faire acquérir des pré-requis indispensables pour travailler par la suite dans le secondaire les spécificités de chaque religion. C’est sur ces similitudes que j’ai interrogé les élèves. Lors de la séance consacrée à la naissance de l’Islam, une question portait sur la définition de "monothéisme" et sur le nom des deux autres religions monothéistes. Le premier point commun entre ces trois religions, à savoir la croyance en un seul dieu, a été le prétexte pour entamer une rapide comparaison. Les noms des différents lieux de cultes étaient à ma surprise connus par les élèves. Pour ce qui concerne les livres, le terme de Thora m’a été donné par trois élèves. Ces questions sur certains aspects des religions étaient intéressantes dans la mesure où elles indiquaient le niveau d’éducation religieuse donnée par les parents. Les élèves de cette classe avaient tous, à l’exception de six d’entre eux, des connaissances liées à l’Islam. Par rapport aux questions posées, il était facile de voir quels enfants bénéficiaient d’une éducation religieuse élargie aux autres religions. Il aurait été également possible d’étendre ces similitudes à l’origine commune de ces trois monothéismes, à sa voir Abraham24 . Comparer les religions à partir de leurs similitudes ne revient pas à conclure que les religions sont toutes identiques. Il s’agit, dans un souci de respect, d’éducation à tolérance, de montrer qu’elles ne sont pas étrangères les unes des autres. Ce comparatisme, quelle que soit l’approche, est un outil d’éducation à la citoyenneté dans la mesure où il donne l’occasion de décentrer le regard. Comparer les religions les unes par rapport aux autres, c’est les confronter et cela demande à celui qui fait cette comparaison un certain esprit critique, un esprit d’analyse. Les attitudes vis-à-vis de la religion (croyance, agnosticisme et athéisme) peuvent également faire l’objet d’une comparaison au même titre que les religions. Comparer est une démarche intellectuelle qui nécessite de prendre en 23 NOUAILHAT René. Enseigner le fait religieux : un défi pour la laïcité. Nathan, 2004, p.145. 24 Cette approche d’Abraham aurait été l’occasion de faire une nouvelle fois ce travail de « reconstruction symbolique » vu précédemment. 18 compte plusieurs éléments, dont d’une part leurs existences respectives, et d’autre part ce qui les rapproche ou ce qui les distincte et les oppose. Cette démarche ne peut se faire sans prendre du recul par rapports aux thèmes étudiés, recul qui laisse ainsi la place au regard et à l’esprit critique. - Le fait religieux : un outil pour lutter contre le racisme ? Si l’approche du fait religieux peut être un outil d’éducation à la citoyenneté, cette approche n’est pas toujours volontaire, et ne fait pas parfois l’objet d’un enseignement. Je tiens en effet à relater une expérience malheureuse survenue au hasard et qui était liée au fait religieux et à l’éducation à la citoyenneté. Dans la classe de CM2 où j’ai effectué mon premier stage en responsabilité, celle-ci était composée de 20 élèves d’origine maghrébine, 3 maliens et 3 d’origine française. Parmi ces 3 élèves d’origine française, un était juif. Dès le premier jour, j’ai été confronté aux insultes racistes et antisémites contre cet élève 25 . Ne connaissant pas les élèves et ne m’attendant pas à de tels propos de la part de jeunes élèves, je n’ai pas très bien su comment il fallait réagir. Il me semblait vain de juste dire aux élèves injurieux de s’excuser et de les punir pour leurs propos. J’ai donc demandé aux élèves de répéter ce qu’ils venaient de dire. Je les ai alors interrogés sur le sens de « sale juif », et ce qu’était un juif. Les élèves concernés n’avaient bien entendu pas de réponses à apporter puisque ces propos étaient vides de sens pour eux. Une autre élève propose comme réponse que dire « sale juif, c’est comme dire sale arabe ou sale musulman ». Demandant aux élèves ayant proféré l’insulte s’ils apprécieraient que quelqu’un les traite de cette manière, ces derniers me répondirent que non parce que cette personne serait raciste. Le contenu raciste de leurs propos a alors été rapidement mis sur le même plan que la comparaison proposée par leur camarade. Involontairement, j’ai dû essayer de répondre aux objectifs liés à l’éducation à la citoyenneté, à savoir la lutte contre le racisme et l’intolérance religieuse. Malheureusement, au lieu de « refuser tout recours à la violence dans la vie quotidienne à l’école », mes élèves ont préféré l’accepter 26 . Cet incident montre l’importance de traiter la religion lors de séance 25 Je qualifie ces insultes de raciste et antisémite bien que je doute que les élèves les ayant proférées aient conscience de la signification de leurs propos. 26 La suite de cet incident n’est pas très heureuse, puisque le soir même l’élève juif s’est fait frapper par ses camarades. Sa mère a alors préféré retirer ses deux enfants de cette école. 19 consacrée à l’éducation à la citoyenneté, et qu’il n’est pas utile d’attendre que l’on arrive à l’holocauste en histoire pour aborder ces problèmes. A travers les différentes situations où le fait religieux fut abordé en classe, il est donc apparu que l’enseignement du fait religieux nécessitait certaines précautions. Il est tout d’abord important que l’élève comprenne ce qu’est la croyance, la foi, mais qu’il puisse en même temps distinguer ce qui relève de la croyance de la réalité 27 . Par ailleurs, pour que l’enseignement du fait religieux soit plus compréhensible, une approche pluridisciplinaire semble plus à même de répondre à cette finalité. La pluridisciplinarité décloisonne non seulement l’histoire mais justifie l’idée que le fait religieux laisse maintes empreintes dans nos cultures et ce dans plusieurs domaines. Si donner une dimension religieuse à la culture générale est un moyen d’éducation à la citoyenneté, celle-ci exige en plus de cette culture des principes pour la transmettre, notamment celui de laïcité. Cet objectif d’éducation à la citoyenneté, de formation à l’esprit critique est loin d’avoir été atteint lors de ma courte expérience. Cette faillite partielle mérite une réflexion pour en chercher les causes et apporter quelques réponses. 27 J’utilise le thème de "réalité" et non pas de "vérité", car la notion de vérité en ce domaine est toute relative. 20 III) Des objectifs d’éducation à la citoyenneté difficiles à atteindre A) Dangers de certaines intentions citoyennes Dans les nouveaux programmes, on lit comme point fort « […] une civilisation fondée autour d’une nouvelle religion, l’Islam. Entre chrétiens et musulmans, des conflits mais aussi des échanges. ». Deux de mes séances portaient sur ces points, avec dans un premier temps la « naissance de l’Islam » et dans un deuxième temps, « l’expansion du monde musulman et ses différents contacts avec l’occident » (cf. annexes 3 et 4). Or, ces titres de leçon soulèvent un problème. Il est donné ici un caractère prédominant à la religion. Cette civilisation ne se caractériserait ainsi que par son identité religieuse et non pas sociale et/ou culturelle, aspects culturels de cette civilisation qui sont par ailleurs antérieurs à l’islam. Cette qualification religieuse pour traiter l’histoire d’une civilisation ne s’observait pas auparavant. En effet, les manuels d’antan aimaient parler de Charles Martel qui arrêta les Arabes à Poitiers, et il était rarement question de musulmans. Par ailleurs, si l’on parle de l’histoire du monde musulman, parle-t-on pour autant de l’histoire de la France chrétienne ? Cette manière de présenter l’histoire du Moyen-Orient et du Maghreb lui donne une homogénéité sur le plan religieux qu’elle n’a pas et qu’elle avait encore moins au moyen âge. S’ils étaient certes minoritaires, les Arabes juifs et chrétiens existaient quand même. L’objectif de ces deux séances était en partie lié à l’éducation à la citoyenneté, avec l’idée de présenter les richesses de cette nouvelle civilisation, de montrer que les contacts avec l’occident n’étaient pas seulement belliqueux à travers les échanges commerciaux et culturels (cf. annexe 4). Autrement dit, il importait de présenter une image de l’Islam autre que celle diffusée aujourd’hui par les médias. Si cet objectif semble louable, il connaît néanmoins un revers. En effet, dans un souci également d’éducation à la citoyenneté, de formation à l’esprit critique, il y a la nécessité de faire comprendre aux élèves que Arabe n’est pas synonyme de musulman, surtout quand on observe d’un côté des préjugés faciles, des classifications rapides et de l’autre des dérives communautaires visant à coller à une catégorie de personnes une identité commune, une référence commune (ici la religion) qu’elles n’ont pas forcément. Pourtant cette manière de traiter l’histoire de « la civilisation musulmane » me paraît aller dans le sens inverse. Cette classification des gens se retrouve dans les propos de Philippe Joutard. Celui-ci justifie cette prise en compte de la civilisation musulmane dans les programmes d’histoire par le fait que nous avons en France « des classes avec une diversité 21 d’origine. Dans cette diversité d’origine, il y a en particulier beaucoup d’élèves de l’autre rive de la Méditerranée. A partir de là, c’est une autre raison pour faire une première ouverture vers ce qui n’est pas strictement européen. D’où […] un point fort sur la civilisation musulmane. […] »28 . Si traiter de ce point en classe est indispensable, les raisons sont quant à elles douteuses. Parce qu’il y a des élèves d’origine maghrébine, il faut étudier l’histoire de la civilisation musulmane. Heureusement que la France a connu une vague d’immigration sinon les écoliers seraient encore ignorant sur l’Islam. Ce raisonnement s’observait déjà dans les programmes de 1985 où l’on peut lire : « Lorsque l’histoire et la géographie de la France s’ouvrent sur l’Europe et le monde, la présence de nombreux enfants d’origines étrangères guident les choix retenus. »29 . De plus, ce raisonnement laisse supposé que les élèves d’origine maghrébine sont musulmans. On retrouve ainsi cette classification des populations qui dans un objectif d’éducation à la citoyenneté doit être combattu. Cette classification peut pourtant apparaître naturelle quand elle se fait d’ellemême. Lors de la séance consacrée à l’expansion du monde musulman, pour tenter de stopper l’agitation de certains de ses camarades, une élève leur a dit d’écouter « le maître, c’est de notre histoire qu’il parle, il parle des musulmans et des Arabes ». Cette motivation, cet intérêt porté par les élèves à cette leçon était agréable, était sur le moment l’objet pour moi-même d’une certaine satisfaction, mais était en réalité, avec du recul très problématique 30 . La plupart de ces élèves s’identifiaient au thème étudié parce qu’il était question des musulmans. Il est vrai que la séance sur l’Eglise au moyen âge avait moins soulevé l’enthousiasme des élèves. Il me semble pourtant important de ne pas susciter l’intérêt des élèves par rapport à leur identité car se serait s’inscrire dans une logique pouvant dériver vers un certain communautarisme. . C’est cette classification des gens qui n’est autre qu’une logique communautaire que je n’ai pas su anticiper. Ce manque d’anticipation s’est d’ailleurs confronté à un problème surgit en classe lors de la séance consacrée à la naissance de l’Islam. Un élève tunisien lance quelques propos qui aux oreilles de ses paires paraissent blasphématoires et affiche clairement son incroyance. Cet élève se trouve vite conspué par les autres qui lui disent qu’il n’a pas le droit de dire ça. Ma seule réaction face à cette scène inattendue fut de demander aux élèves pourquoi ils s’énervaient contre leur camarade. Leurs réponses fut bien entendu qu’il devait 28 JOUTARD Philippe (entretien avec) , « L’histoire dans les nouveaux programmes de l’école primaire », in Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 93, octobre-décembre 2004, p. 94. 29 Ministère de l’éducation nationale. Ecole élémentaire. Programmes et instructions. CNDP, 1985, p.59. 30 J’ai néanmoins répondu à cette élève qu’il s’agissait de l’histoire de tout le monde et que par conséquent elle n’intéressait pas que les Arabes. 22 croire en Allah parce qu’il était arabe, ce à quoi je n’ai fait que répondre que chacun croyait en ce qu’il voulait, que l’on n’était pas obligé de croire en un dieu, et surtout qu’il existait des arabes juifs et chrétiens. Mais mes propos lancés spontanément n’avaient à mon avis aucun sens pour ces élèves. Un travail sur les religions, les croyances, la tolérance était en réalité indispensable. Il aurait très bien pu s’effectuer en éducation civique en parallèle avec les séances d’histoire. C’est certainement ce qui a manqué à mon travail pour répondre pleinement aux objectifs d’éducation à la citoyenneté. Parler ainsi du "monde musulman" en histoire est certes une nécessité, mais elle demande en parallèle un travail sur ce qu’est croire en dieu, sur la tolérance vis-à-vis des différentes croyances et des non-croyants. S’il est important de développer la culture religieuse, celle de l’incroyance, de l’agnosticisme et de l’athéisme ont également leur place dans l’enseignement du fait religieux. B) Méthode ou savoir ? Si l’on se donne comme principal objectif de l’enseignement du fait religieux, l’éducation à la citoyenneté, il convient de se demander quels sont les moyens les plus à même de répondre à cet objectif. Eduque-t-on à la citoyenneté par l’acquisition de savoirs ou par la méthode d’acquisition de ces savoirs ? - Donner une dimension religieuse à la culture des élèves L’essentiel de mon travail sur le fait religieux a consisté, me semble-t-il, à donner une dimension religieuse à la culture générale des élèves. C’est d’ailleurs ainsi que j’ai défini l’enseignement du fait religieux à l’école. Or, cette approche consiste surtout à faire acquérir un savoir sans s’interroger obligatoirement sur le comment. Il peut être satisfaisant de se dire que les élèves que j’ai eus en stage savent désormais qui sont les apôtres, comment selon l’Islam Mahomet est devenu prophète, pourquoi Jésus a été crucifié …etc. Pour autant, en quoi peut-on dire que ces savoirs éduquent à la citoyenneté ? Il peut être facile de répondre que ces savoirs aident à une meilleure compréhension des cultures et des sociétés. Mais il en est de même pour tous les savoirs à faire acquérir aux élèves, dans toutes les disciplines. L’aménagement du territoire permet de comprendre certains phénomènes culturels de notre 23 société (ne parle-t-on pas de culture rurale et urbaine ?) et on ne lui confère pour autant aucune finalité d’éducation à la citoyenneté. L’enseignement du fait religieux n’éduque pas en soi à la citoyenneté et ne peut donc à lui seul répondre à cet objectif qu’est la citoyenneté. Loin de remettre en cause cet enseignement ou de diminuer son importance, il convient de lui attribuer un objectif plus modeste qui n’est autre que de combler les lacunes d’une culture transmise par l’école, car c’est cette culture, dans sa globalité qui éduque à la citoyenneté. En revanche, le fait religieux peut être prétexte à l’éducation à la citoyenneté, comme nous l’avons vu précédemment à travers notamment la lutte contre le racisme ou l’intolérance religieuse. Il peut également participer à l’éducation à la citoyenneté dans la manière dont il est abordé en classe. - Travailler la notion de point de vue La formation à l’esprit critique est d’avantage indispensable à l’éducation à la citoyenneté que la simple dimension religieuse de la culture générale. L’élève peut en effet acquérir des savoirs, combler les lacunes de sa culture, mais si rien ne lui permet de s’interroger sur ce qui lui est donné à lire, à apprendre, il ne s’agira pas d’une culture générale citoyenne qui le rend capable de prendre du recul, de réfléchir, mais d’une culture générale facilitant la victoire à triviale poursuite. Pour aider l’élève à critiquer, à interroger ses lectures et les sources, un travail sur la notion de point de vue se serait avéré utile. Ce travail avait été envisagé à la suite des séances sur l’Islam dans le cadre de l’étude des croisades. Ce thème facilite l’approche de la notion de point de vue. Il aurait été en effet intéressant de confronter un texte d’un catholique romain ou orthodoxe justifiant les croisades et un autre musulman. Cette confrontation de textes qui font office de sources laisse ainsi entendre, non pas qu’il y a aujourd’hui plusieurs opinions sur ce thème et que l’on peut donc choisir son camp, mais qu’à une période donnée, ce fait historique était à la fois approuvé et justifié alors que d’autres le contestaient. Cette présentation de différents points de vue répond, comme l’approche comparative, à la nécessité de décentrer le regard. Il est indispensable d’ouvrir le regard des élèves sur différentes opinions portant sur un même thème. La notion de point de vue aurait très bien pu se travailler aussi au croisement de disciplines telles que l’histoire et les arts. L’art arabe et ses influences en Espagne auraient pu être étudiés en rapport avec son rejet et parfois sa destruction pendant la reconquista. 24 La notion de point de vue a plusieurs avantages. En plus d’un souci d’honnêteté visant à montrer les différentes positions, elle peut montrer comment l’histoire, en tant que science, se construit, c’est à dire qu’une démarche historique se doit de confronter les sources connues. Par rapport à l’objectif qui nous intéresse ici, la notion de point de vue forme aussi l’élève à l’esprit critique. Travailler régulièrement sur cette notion peut l’aider à ne pas prendre pour vérité tout ce qu’il sera amené à lire ou à attendre. Ce n’est donc pas le fait religieux en luimême qui forme l’élève à l’esprit critique mais la manière dont est abordé ce fait. 25 Conclusion L’enseignement du fait religieux à l’école nécessite ainsi une certaine réflexion si l’on ne veut pas tomber dans certains travers plus ou moins importants. Celui qui est le plus souvent observé est de limiter cet enseignement au domaine historique. Or, nous avons vu qu’il était possible d’aborder le fait religieux dans d’autres disciplines, et ce de manière pluridisciplinaire, c’est à dire en relation avec le thème étudié en histoire. Autres travers qu’il est indispensable d’éviter, ce sont les jugements de valeurs de la part de l’enseignant. Non seulement ces jugements risqueraient d’influencer le regard des élèves sur une religion ou sur un fait historique lié à la religion, et dans ce cas l’enseignant tomberait dans l’anachronisme, mais ils peuvent également heurter les sensibilités religieuses de certains élèves. Ces jugements peuvent se traduire par des propos volontaires, mais aussi dans la manière d’aborder un fait. Enseigner par exemple l’histoire des croisades à partir de la seule vision des chrétiens est en effet problématique et est tout aussi grave que des propos allant à l’encontre des principes de neutralité et de laïcité que se doit de respecter l’enseignant. Pour échapper à ces travers, la réflexion doit porter sur la manière de faire de l’enseignement du fait religieux un enseignement favorisant la formation à l’esprit critique. Si je m’étais fixé cet objectif, il n’a été que partiellement atteint. Les raisons déjà évoquées cidessus m’ont amené à conclure que l’enseignement du fait religieux ne peut former à lui seul les élèves à l’esprit critique. Pour atteindre un tel objectif, le fait religieux ne peut être qu’un outil et c’est la façon de manier cet outil, c’est à dire la méthode, qui permettra de répondre à cet objectif. Cette courte expérience dans l’enseignement du fait religieux et la réflexion qui l’a accompagnée m’ont par ailleurs amené à rapprocher le fait religieux du fait politique. Ces deux faits ont en effet plusieurs points communs. Tout d’abord, les références à la politique, comme la religion sont multiples dans notre société et notre culture. Pour comprendre certains aspects de notre société il est donc nécessaire de les traiter à l’école. Par ailleurs, du fait de sa délicatesse, le fait politique nécessite les mêmes précautions, les mêmes principes déontologiques que ceux appliqués à l’enseignement du fait religieux. D’un point de vue plus didactique, le fait politique tout comme le fait religieux peut également se travailler dans une approche pluridisciplinaire. Enfin, l’enseignement du fait politique est d’autant plus proche de celui du fait religieux dans la mesure où il s’inscrit aussi dans l’éducation à la citoyenneté. Cette mise en parallèle me semblait intéressante à faire pour montrer que le fait religieux, 26 malgré son entrée récente dans les programmes et la place qu’il occupe dans les débats actuels sur l’école, n’avait pas de spécificité et que son enseignement posait les mêmes problématiques que celui du fait politique. 27 BIBLIOGRAPHIE : Ouvrages et articles consacrés à l’enseignement du fait religieux : - CARPENTIER Jean. « L’enseignement de l’histoire des religions : réflexions de l’Inspection générale », Historiens et Géographes, n° 343, mars-avril 1994. - Actes du colloque du CRDP de Besançon. Enseigner l’histoire des religions dans une démarche laïque. CNDP, 1996. - DEBRAY Régis. L’enseignement du fait religieux dans l’Ecole laïque. Rapport à Monsieur le Ministre de l’Education nationale. Odile Jacob, 2002. - Actes du séminaire interdisciplinaire organisé à Paris les 5, 6 et 7 novembre 2002. L’enseignement du fait religieux. SCEREN, 2003. - NOUHAILHAT René. Enseigner le fait religieux : un défi pour la laïcité. Nathan, 2004. - CARPENTIER Jean. « L’histoire récente de l’enseignement du fait religieux en France », in Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n°93, octobre-décembre 2004. Articles consacrés à l’enseignement de l’histoire : - PROST Antoine. « Lire en histoire », in JDI n° 1587, avril 2005. - JOUTARD Philippe (entretien avec). « L’histoire dans les nouveaux programmes de l’école primaire », in Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 93, octobre-décembre 2004. Outils : - GILQUIN Jean-Claude. Enseigner l’histoire des religions. CDDP de l’Oise, 1995. - Histoire de France. Des origines à 1715. CM1. Istra, - Histoire-géographie. 5ème. Belin, 2001. 28 ANNEXES Annexe 1 ………………………………………………………………….. p. I Annexe 2 ………………………………………………………………….. p. II Annexe 3 ………………………………………………………………….. p. III Annexe 4 ………………………………………………………………….. p. IV 29 Annexe 1 I Annexe 2 II Annexe 3 III Annexe 4 IV L’enseignement du fait religieux à l’école A l’heure où l’enseignement du fait religieux va s’inscrire officiellement dans les programmes scolaires, il était intéressant de mettre un contenu derrière cette expression encore male définie. C’est à quoi s’attache ce mémoire en montrant quelques modalités possibles à mettre en place en classe. Ce mémoire présente un enseignement du fait religieux appliqué dans une démarche pluridisciplinaire en histoire, littérature et en arts visuels. Cette pratique s’accompagne d’une analyse critique quant aux attentes et aux résultats que l’on est amené à exiger d’un tel enseignement, à savoir comment répondre à des objectifs d’éducation à la citoyenneté à travers cet enseignement. Mots-clés: Religion / laïcité / éducation à la citoyenneté / pluridisciplinarité / histoire.