Écrire pour accepter sa terrible histoire
Transcription
Écrire pour accepter sa terrible histoire
LE FAIT DU JOUR 3 JEUDI 26 MARS 2015 TÉMOIGNAGE Écrire pour accepter sa terrible histoire En 2002, son père assassinait sa mère. Aujourd’hui atteinte d’un cancer incurable, Leslie Demoulin, ex-coiffeuse carolo, livre un témoignage poignant qu’elle espère publier. J e suis forte moralement. Je ne sais pas pourquoi je suis faite comme ça. Comment on se reconstruit après le meurtre de sa mère et le suicide de son père ? Je n’en sais rien. On avance. C’est comme ça. » Etonnante Leslie Demoulin, à la voix si douce et au regard si apaisé. A 33 ans, elle a pourtant déjà vécu une quantité de drames incroyables. « Un best of » commentet-elle dans l’autobiographie qu’elle a commencé à écrire depuis plusieurs mois. Pour tenir le coup, se changer les idées, comprendre peut-être aussi… Abandonnée par son père biologique à la naissance, maltraitée par son beau-père durant son enfance, à 20 ans, elle perd sa mère assassinée par son beau-père qui se suicide ensuite. Ce « crime passionnel » commis à Laon en 2002 fait basculer sa « première vie » dans l’horreur, mais ne l’empêche pas de rebondir, malgré la douleur et une prise en charge psychologique inadaptée : « Je restais face au psy qui attendait que je parle quand moi j’attendais qu’il me pose des questions », se souvient-elle. L’écriture très utilisée en thérapie La psychologue de Forhom Élisabeth Bernussou intervient auprès de personnes souffrant souvent de syndrome post-traumatique. « Notre travail est d’aider la personne à verbaliser ses émotions, à l’accompagner pour comprendre pour rebondir. » Si les mots ne sortent pas, l’écriture peut effectivement être une bonne chose « même si cela ne résout pas forcément les problèmes. Cela permet d’externaliser sur le papier, de déposer. » Passer par la publication révèle un autre besoin : celui de « témoigner », de « partager, non pas sa souffrance, mais son expérience ». Si l’écriture est un bon moyen, la psychologue observe que certains choisiront « d’autres procédés pour partager, l’engagement associatif par exemple. » inter C’est professionnellement qu’elle trouve de véritables satisfactions. La coiffure lui permet de s’épanouir : la participation à des concours, un premier prix en Picardie, un diplôme obtenu en candidat libre, une participation au concours Miss France chapeauté alors par Geneviève de Fontenay… Elle rencontre aussi le grand amour, un Ardennais qui la conduit à Charleville-Mézières, où elle créée son salon de coiffure (Rock’n Roll Star rue du Moulin). Et puis c’est la naissance de sa petite fille, Milla, aujourd’hui âgée 5 ans. Le répit sera de courte durée. Suivra d’abord la liquidation judiciaire de son salon. Un épisode douloureux. Mais la petite famille en profite pour réinventer sa vie et décide de partir s’installer à Montpellier. Leslie décroche tout de suite un travail dans une école de coiffure. Mais c’est sans compter sur une énième mauvaise surprise. Juste après son entretien, elle est prise de douleurs terribles. Le diagnostic est implacable : un can- Malgré les très dures épreuves qu’elle a dû affronter, Leslie Demoulin a une force de vie peu commune et a décidé d’en témoigner dans un livre : « Je crois que cela peut être une bonne thérapie et aider les autres ». cer… « Le plus rare tant qu’à faire ». C’est là que débute sa « deuxième vie, avec son sale ami », le corticosurrénalome, un cancer des 2005 vient en aide aux victimes. ▶L’équipe constituée de juristes et d’une psychologue, a un bureau à la Maison de la justice (10-14 rue Un cancer incurable. Pour autant, Leslie Demoulin garde le sourire, elle rit, elle vit. Même si parfois, elle l’avoue, Forhom peu sollicitée par les victimes de crime Un cas comme celui de Leslie, l’association Forhom créée en 2005 à Charleville-Mézières n’en a jamais rencontré. Pourtant elle est en mesure d’apporter un soutien pour de telles problématiques, informatif, ou psychologique. « En matière criminelle, nous sommes rarement sollicités » déplorent la directrice, Juliette Grandjean et la juriste Emilie Ledoux. Exceptés pour « l’affaire Fourniret ou une affaire de viols en série pour des victimes belges ». Peut-être parce que l’association apparaît comme concurrente ? « Nous ne sommes pas avocat. Notre rôle est vraiment d’informer. Avant, pendant, après le dépôt de plainte. Si ça n’est pas de notre ressort, nous renvoyons vers les structures compétentes ». Plus courantes sont les affaires correctionnelles : vols, voitures incendiées, escroquerie... « Les gens ont besoin de parler. Ce qui paraît anodin peut parfois réactiver des UNE ASSOCIATION CAROLO D’AIDE AUX VICTIMES ▶A Charleville, Forhom créée en glandes surrénales, qui se promène partout dans son corps et lui a déjà valu quatre opérations et plusieurs chimio et radiothérapie. des Chardonnerets 03 24 35 37 30) et au tribunal de Charleville. ▶Leurs missions : information juridique, conseils, écoute... ▶Gratuit et confidentiel. Juliette Grandjean et Emilie Ledoux reçoivent du lundi au vendredi de 9 heures à 12 h 30 et de 13 h 30 à 17 heures. LE CHIFFRE 1000 personnes sont aidées en moyenne chaque année par l’association carolo Forhom aide aux victimes LA PHRASE quand elle est seule, elle a bien du mal à sortir de son canapé. Physiquement et moralement, c’est dur : « Le cancer change tout dans la vie. Tu ne peux plus travailler. Forcément financièrement, ça se complique. Le conjoint est très sollicité. Ça change ton corps. Je ne suis plus qu’un corps malade. Le projet de vie s’arrête. Tu ne peux plus acheter. . » Et puis, le regard des autres qui ne la voient que « comme malade. J’ai quand même été chef d’entreprise. C’est le must dans ta vie. Tout ça, les gens oublient. Ils ne te considèrent plus que comme quelqu’un de malade. T’as des aides et du temps, c’est tout ce qu’ils voient. J’aimerais que les gens me voient comme ce que je suis vraiment, comme ce que j’étais avant d’avoir un cancer. » Et comme Leslie Demoulin est une femme de caractère, elle a décidé de faire en sorte que cela change en prenant la plume et en se racontant. Lui reste à aller au bout de son histoire et à trouver l’éditeur qui l’accompagnera dans cette nouvelle vie. « Je crois que ce livre peut être une bonne thérapie pour moi et aussi aider les autres ». NATHALIE DIOT « Le problème est souvent de trouver le thérapeute adapté. Dans le cas de l’aide aux victimes, on parle de thérapie de soutien. Le thérapeute est au plus près du trauma et aide la personne à reformuler, à extirper certaines choses. On est dans le soutien immédiat » Elisabeth Bernussou, psychologue