La dermatologie sur peau noire

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La dermatologie sur peau noire
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Les Entretiens
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A. Petit*
avantage évolutif à l’espèce. Ainsi l’apparition d’une pigmentation intense aurait-elle suivi la perte du pelage que nécessitait la mise en place du système de thermorégulation sudorale
indispensable aux premiers humanidés du fait de leur intense
activité physique et cérébrale. Le pigment mélanique protège
en effet l’organisme contre le rayonnement ultraviolet, dont
l’impact négatif sur la reproduction de l’espèce serait lié à sa
capacité à dégrader les folates, favorisant entre autres l’apparition d’anomalies du tube neural chez l’embryon. Les migrations vers les régions moins ensoleillées ont conduit inversement à favoriser les teints clairs pour permettre la synthèse de
vitamine  D dans la peau sous l’effet des ultraviolets, limitant
le risque de rachitisme.
RÉSUMÉ
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Le maintien d’une pigmentation intense dans les divers
peuples africains, en dépit d’une diversité génétique globalement plus prononcée que chez les peuples européens ou asiatiques, ainsi que les évolutions convergentes d’autres peuples
installés en zones ensoleillées, confirme la fonction photoprotectrice du pigment mélanique (tout au moins de l’eumélanine). Avec la pigmentation intense, les personnes d’ascendance africaine ont conservé en commun un autre caractère
constitutionnel génétiquement déterminé qui est une pilosité
particulière, caractérisée par un enroulement serré des tiges
pilaires.
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La pratique et l’enseignement de la dermatologie clinique
reposent encore trop exclusivement sur un corpus de
connaissances acquis par l’observation de peaux claires.
Or la pigmentation naturelle intense des peaux dites
noires peut altérer la sémiologie clinique et l’approche
diagnostique « classiques » de nombreuses dermatoses,
gêner l’appréciation de leur évolutivité et de leur sévérité,
modifier la perception qu’en a le patient, amplifier et prolonger la gêne esthétique qu’elles engendrent. Par ailleurs, des pathologies pilaires propres aux personnes
d’ascendance africaine résultent à la fois des caractéristiques constitutionnelles des poils et cheveux crépus et
des pratiques de soins capillaires qui y sont liées. D’autres
particularités importantes sont la fréquence et la gravité
de la maladie chéloïdienne, et les risques liés aux pratiques de dépigmentation volontaire.
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dermatologie, peau noire, pigmentation, cheveu africain,
chéloïde, dépigmentation volontaire
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Introduction
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Ainsi la dermatologie sur peau noire est-elle dominée par les
conséquences sémiologiques, épidémiologiques et évolutives
de la richesse pigmentaire, et par une pathologie pilaire particulière en rapport avec la forme des poils. À côté de ces deux
grands chapitres, l’intervention d’autres facteurs constitutionnels (génétiques), environnementaux ou culturels conduit à
considérer d’innombrables autres particularités, bien réelles
parfois mais parfois aussi imaginaires, liées à des conceptions
« raciales » scientifiquement erronées et idéologiquement
dangereuses.
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Ce qu’on appelle couramment la couleur de la peau décrit en
fait principalement la richesse de l’épiderme en pigment mélanique, qui lui confère une teinte plus ou moins foncée. La
mélanine est produite sous forme de granules cytoplasmiques,
les mélanosomes, par des mélanocytes intercalés entre les
kératinocytes de la couche basale de l’épiderme. Les mélanocytes sont des cellules dendritiques ; les mélanosomes circulent
dans leurs dendrites pour être finalement transférés aux kératinocytes adjacents. Les peaux les plus foncées, dites
« noires », possèdent le même nombre de mélanocytes que
les autres mais synthétisent des mélanosomes plus denses,
plus matures, présents dans le cytoplasme des kératinocytes
jusque dans les couches superficielles de l’épiderme. La régulation de ce système pigmentaire est sous la dépendance de
très nombreux gènes qui ont évolué selon les conditions de vie
des humains, en favorisant les mutations qui confèrent un
Particularités liées à la pigmentation
Le savoir dermatologique s’est construit principalement au
cours du XIXe siècle à partir de l’observation clinique de
patients à peau claire, en Europe puis aux États-Unis. Ainsi
certaines descriptions cliniques classiques, comme celles qui
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* Service de Dermatologie, Hôpital Saint-Louis, APHP, 1, avenue Claude Vellefaux – 75010 Paris
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Sur les peaux très foncées, l’érythème lié à la vasodilatation
est masqué par la pigmentation mélanique, d’autant que l’inflammation provoque une hyperpigmentation per-inflammatoire qui peut persister plus ou moins longtemps en postinflammatoire. Le médecin perd les repères de couleur utiles
au diagnostic et à l’appréciation de l’évolutivité : une même
hyperchromie peut traduire une lésion active (acné, lichen,
lupus…) ou une séquelle ancienne. La gêne occasionnée par
les dermatoses est elle aussi différente dans sa nature et sa
dynamique : une acné sévère avec de gros nodules sera relativement mieux supportée s’il n’y a pas trop de dyschromie ;
une minime acné pourra occasionner des taches noires très
mal ressenties et parfois persistantes. L’acné, un des premiers
motifs de consultation en dermatologie quelle que soit la couleur de peau, est ainsi une source majeure de gêne esthétique
chez les femmes adultes à peau foncée. La patiente, très
attentive à l’homogénéité de son teint de peau, est surtout
désespérée par ces taches, d’autant qu’il n’existe pas de bon
traitement contre la pigmentation post-inflammatoire persistante. Le médecin doit savoir la convaincre de l’utilité d’un
traitement qui ne s’adresse pas à la pigmentation lorsque la
maladie est encore active, et de l’inutilité des manœuvres
agressives (frottements appuyés, abrasions…) sur la pigmentation post-inflammatoire, qu’elles ne font généralement que
renforcer. De plus, une très grande prudence est nécessaire
avant d’envisager toute manœuvre traumatique, notamment
à visée esthétique (lasers etc.), du fait des risques d’hyperpigmentation post-inflammatoire.
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Les particularités de la pathologie pilaire chez les sujets d’ascendance africaine se déclinent schématiquement ainsi : chez
la femme, une fragilité des tiges pilaires (cheveux cassants
comme de la paille sèche, qui ne poussent pas) aggravée par
les démêlages et les défrisages, des alopécies de traction marginales (notamment fronto-temporales) liées à la tension des
tresses et au poids éventuel des ajouts, et une chute définitive
appelée « alopécie cicatricielle centrifuge du vertex » dont
l’étiopathogénie reste débattue. Dans les deux sexes, les folliculites d’incarnation succédant au rasage ou à l’épilation sont
extrêmement fréquentes, celles de la barbe représentant un
problème quotidien pour une majorité d’hommes noirs ; elles
peuvent conduire à des développements chéloïdiens. Chez
l’homme, un tableau particulier est celui des folliculites chéloïdiennes de la nuque ; des folliculites de l’ensemble du cuir
chevelu ne sont pas rares, sans doute favorisées par la mode
du rasage. Il faudrait enfin ajouter la question des teignes
anthropophiles qui, pour des raisons discutées, ont
aujourd’hui une prédilection particulière pour le cuir chevelu
des enfants d’ascendance africaine.
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Un ressenti fréquent de sécheresse cutanée, parfois attribué
aux changements de mode de vie ou de climat, a fait discuter
l’existence de différences physiologiques constitutionnelles
entre les épidermes « noir » et « blanc ». Le même type de
question s’est posé pour le prurit. Dans les deux cas, des facteurs environnementaux et culturels sont importants à prendre
en considération : notamment les habitudes de toilette « abrasive » (toilette au filet…) visant à éliminer une desquamation
physiologique qui peut donner un aspect terne et « cendré »
sur fond foncé (alors qu’elle ne se voit pas sur peau claire),
toilette souvent suivie d’applications d’émollients.
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Autres particularités
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L’hypopigmentation, elle, est plus rare mais plus riche d’information clinique. Comme sur peau claire, elle peut correspondre à un trouble primitif de la fonction pigmentaire tel que
vitiligo ou albinisme. Mais, en outre, un nombre limité d’affections se reconnaissent plus facilement sur peau foncée grâce
à leur tendance particulière à déclencher une hypopigmentation (et non une banale hyperpigmentation inflammatoire). Il
s’agit par exemple d’inflammations granulomateuses comme
dans la lèpre, la sarcoïdose ou le lichen nitidus, de lymphomes
T comme le mycosis fongoïde, du psoriasis, du pityriasis lichénoïde ou encore de la sclérodermie.
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La fréquence et la gravité de la maladie chéloïdienne sont globalement très supérieures sur les peaux foncées, surtout en
cas d’ascendance africaine. Le défaut d’offre de soins, d’enseignement et de recherche concernant cette affection chronique est aujourd’hui flagrant en France.
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Des pratiques de dépigmentation de la peau saine sont très
fréquentes dans le monde entier, soutenues par des motivations variées qui peuvent mêler souci esthétique et quête des
marques d’un statut social élevé, y compris dans une perspective matrimoniale ; symbolique « raciale », phénomène de
mode, pression commerciale, revendication d’autonomie, etc.
Cette « dépigmentation volontaire » comprend des pratiques
dangereuses pour la peau mais aussi pour la santé générale
comme des applications quotidiennes de dermocorticoïdes
très puissants (clobétasol) ou de dérivés mercuriels. Le dépistage et la prévention des complications de la dépigmentation
volontaire doit passer par une formation spécifique de divers
acteurs de santé, en particulier les médecins généralistes.
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Si la composition chimique, la densité, la structure histologique ou le cycle du poil ne varient guère entre les peaux
claires et foncées, il existe en revanche une diversité de forme
des poils terminaux (cheveux, barbe…) qui constitue schématiquement un spectre continu entre les cheveux « asiatiques »
(tige pilaire droite de section arrondie et large) et « africains »
(tige pilaire très enroulée de section elliptique et étroite) en
passant par les cheveux « européens », intermédiaires.
L’enroulement de la tige pilaire sur un rayon de courbure très
court, caractéristique du poil crépu, est lié à une asymétrie
déterminée par le follicule lui-même, implanté obliquement
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Particularités liées à la pilosité
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dans le derme et de forme recourbée. Ce poil est caractérisé
par une fragilité constitutionnelle (moindre résistance à la traction), une tendance à l’emmêlement et à la formation de
nœuds, et une tendance à l’incarnation (la tige pilaire quittant
son trajet intra-folliculaire pour faire irruption dans le derme).
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s’appuient sur les nuances d’érythème, sont-elles caduques
pour une bonne partie de la population (la couleur rosée du
pityriasis rosé, la teinte violine du lichen plan ou rouge foncé
du psoriasis...).
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Conclusion
La pathologie cutanée des peaux très pigmentées présente de
réelles particularités qu’il est indispensable que la dermatologie prenne en considération. L’intérêt pour les particularités
« ethniques » des maladies, ancré dans la tradition hippocratique, doit cependant veiller à départager facteurs constitutionnels et environnementaux, et naviguer entre les deux
écueils opposés que sont une « racialisation » injustifiable et
d’un déni des différences.
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En dehors de l’acné, la pratique quotidienne du dermatologue
est dominée, sur peau claire, par le dépistage et le traitement
des lésions cancéreuses et précancéreuses de la peau favorisées par l’exposition aux ultraviolets du soleil. Du fait de la
photoprotection naturelle conférée par leur pigmentation, les
peaux noires développent moins de cancers. Il faut être d’autant plus attentif à des circonstances particulières : albinisme,
carcinomes spinocellulaires sur des cicatrices dyschromiques
ou inflammatoires, topographie acrale du mélanome…
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Dadzie O.E., Petit A., Alexis A.F. Ethnic Dermatology, principles and prac-
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tice, 302 p. Oxford, Wiley-Blackwell, 2013.
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Questions à choix multiples
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1. Quelles caractéristiques de la peau « noire » des personnes d’ascendance africaine sont bien réelles ?
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a) Une tendance à développer des taches pigmentées parfois persistantes
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b) Une grande résistance aux traumatismes et aux allergies
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c) Un plus grand nombre de mélanocytes dans la couche basale de l’épiderme
e) Une couche cornée plus épaisse et plus sèche
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2. Une lycéenne de 17 ans sans antécédent pathologique, d’ascendance malienne née en France, est désespérée par des
taches noires du visage et du pubis. Vous constatez une dizaine de macules et papules hyperpigmentées ainsi que
quelques comédons sur le front et les joues, des papules hyperpigmentées et une petite chéloïde sur le pubis qui est
rasé. Que lui prescrivez-vous ?
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d) Une fréquence moindre de cancers cutanés photo-induits
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a) Une préparation dépigmentante sans hydroquinone
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b) Un arrêt du rasage pubien
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d) Un traitement anti-acnéique oral (cycline) et topique
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c) Un prélèvement bactériologique et une antibiothérapie de 7 jours par amoxicilline – acide clavulanique
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e) De ne pas faire de piercing
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Réponses : 1. a), d) – 2. b), d), e)
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Absence de liens d’intérêts déclarés par l’intervenant
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