La dermatologie sur peau noire
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La dermatologie sur peau noire
es ti nt er di te . at , 20 o To e d 1 u p u c ou 6 a s t r i © o t d s i e n L dr l l e m e oi s ê e ts E s n t r tie in és tre t ns er er tie d v n d é i ou s e t e s d B . te e i T c r o B h e pa rti el le Dermatologie W êm La dermatologie sur peau noire De n m Les Entretiens de Bichat 2016 od uc tio A. Petit* avantage évolutif à l’espèce. Ainsi l’apparition d’une pigmentation intense aurait-elle suivi la perte du pelage que nécessitait la mise en place du système de thermorégulation sudorale indispensable aux premiers humanidés du fait de leur intense activité physique et cérébrale. Le pigment mélanique protège en effet l’organisme contre le rayonnement ultraviolet, dont l’impact négatif sur la reproduction de l’espèce serait lié à sa capacité à dégrader les folates, favorisant entre autres l’apparition d’anomalies du tube neural chez l’embryon. Les migrations vers les régions moins ensoleillées ont conduit inversement à favoriser les teints clairs pour permettre la synthèse de vitamine D dans la peau sous l’effet des ultraviolets, limitant le risque de rachitisme. RÉSUMÉ er di te rti e lle es ti nt Le maintien d’une pigmentation intense dans les divers peuples africains, en dépit d’une diversité génétique globalement plus prononcée que chez les peuples européens ou asiatiques, ainsi que les évolutions convergentes d’autres peuples installés en zones ensoleillées, confirme la fonction photoprotectrice du pigment mélanique (tout au moins de l’eumélanine). Avec la pigmentation intense, les personnes d’ascendance africaine ont conservé en commun un autre caractère constitutionnel génétiquement déterminé qui est une pilosité particulière, caractérisée par un enroulement serré des tiges pilaires. pa 20 16 © Le s En tre pr tie ns La pratique et l’enseignement de la dermatologie clinique reposent encore trop exclusivement sur un corpus de connaissances acquis par l’observation de peaux claires. Or la pigmentation naturelle intense des peaux dites noires peut altérer la sémiologie clinique et l’approche diagnostique « classiques » de nombreuses dermatoses, gêner l’appréciation de leur évolutivité et de leur sévérité, modifier la perception qu’en a le patient, amplifier et prolonger la gêne esthétique qu’elles engendrent. Par ailleurs, des pathologies pilaires propres aux personnes d’ascendance africaine résultent à la fois des caractéristiques constitutionnelles des poils et cheveux crépus et des pratiques de soins capillaires qui y sont liées. D’autres particularités importantes sont la fréquence et la gravité de la maladie chéloïdienne, et les risques liés aux pratiques de dépigmentation volontaire. êm e MOTS-CLÉS od uc t io n m dermatologie, peau noire, pigmentation, cheveu africain, chéloïde, dépigmentation volontaire pr Introduction ,T ou s dr o its ré s er vé s -T ou te re Ainsi la dermatologie sur peau noire est-elle dominée par les conséquences sémiologiques, épidémiologiques et évolutives de la richesse pigmentaire, et par une pathologie pilaire particulière en rapport avec la forme des poils. À côté de ces deux grands chapitres, l’intervention d’autres facteurs constitutionnels (génétiques), environnementaux ou culturels conduit à considérer d’innombrables autres particularités, bien réelles parfois mais parfois aussi imaginaires, liées à des conceptions « raciales » scientifiquement erronées et idéologiquement dangereuses. at Ce qu’on appelle couramment la couleur de la peau décrit en fait principalement la richesse de l’épiderme en pigment mélanique, qui lui confère une teinte plus ou moins foncée. La mélanine est produite sous forme de granules cytoplasmiques, les mélanosomes, par des mélanocytes intercalés entre les kératinocytes de la couche basale de l’épiderme. Les mélanocytes sont des cellules dendritiques ; les mélanosomes circulent dans leurs dendrites pour être finalement transférés aux kératinocytes adjacents. Les peaux les plus foncées, dites « noires », possèdent le même nombre de mélanocytes que les autres mais synthétisent des mélanosomes plus denses, plus matures, présents dans le cytoplasme des kératinocytes jusque dans les couches superficielles de l’épiderme. La régulation de ce système pigmentaire est sous la dépendance de très nombreux gènes qui ont évolué selon les conditions de vie des humains, en favorisant les mutations qui confèrent un Particularités liées à la pigmentation Le savoir dermatologique s’est construit principalement au cours du XIXe siècle à partir de l’observation clinique de patients à peau claire, en Europe puis aux États-Unis. Ainsi certaines descriptions cliniques classiques, comme celles qui © Les Entretiens de Bichat 2016 - 1 20 16 © Le s En tre tie ns de Bi ch êm . de Bi ch at ,T ou s dr oi ts ré se rv és -T ou te re pr * Service de Dermatologie, Hôpital Saint-Louis, APHP, 1, avenue Claude Vellefaux – 75010 Paris MG_013_petit.indd 1 21/07/2016 14:12 es ti nt er di te . at , 20 o To e d 1 u p u c ou 6 a s t r i © o t d s i e n L dr l l e m e oi s ê e ts E s n t r tie in és tre t ns er er tie d v n d é i ou s e t e s d B . te e i T c r o B h pr Sur les peaux très foncées, l’érythème lié à la vasodilatation est masqué par la pigmentation mélanique, d’autant que l’inflammation provoque une hyperpigmentation per-inflammatoire qui peut persister plus ou moins longtemps en postinflammatoire. Le médecin perd les repères de couleur utiles au diagnostic et à l’appréciation de l’évolutivité : une même hyperchromie peut traduire une lésion active (acné, lichen, lupus…) ou une séquelle ancienne. La gêne occasionnée par les dermatoses est elle aussi différente dans sa nature et sa dynamique : une acné sévère avec de gros nodules sera relativement mieux supportée s’il n’y a pas trop de dyschromie ; une minime acné pourra occasionner des taches noires très mal ressenties et parfois persistantes. L’acné, un des premiers motifs de consultation en dermatologie quelle que soit la couleur de peau, est ainsi une source majeure de gêne esthétique chez les femmes adultes à peau foncée. La patiente, très attentive à l’homogénéité de son teint de peau, est surtout désespérée par ces taches, d’autant qu’il n’existe pas de bon traitement contre la pigmentation post-inflammatoire persistante. Le médecin doit savoir la convaincre de l’utilité d’un traitement qui ne s’adresse pas à la pigmentation lorsque la maladie est encore active, et de l’inutilité des manœuvres agressives (frottements appuyés, abrasions…) sur la pigmentation post-inflammatoire, qu’elles ne font généralement que renforcer. De plus, une très grande prudence est nécessaire avant d’envisager toute manœuvre traumatique, notamment à visée esthétique (lasers etc.), du fait des risques d’hyperpigmentation post-inflammatoire. tie ns de Bi ch at ,T ou s dr oi ts ré se rv és -T ou te re Les particularités de la pathologie pilaire chez les sujets d’ascendance africaine se déclinent schématiquement ainsi : chez la femme, une fragilité des tiges pilaires (cheveux cassants comme de la paille sèche, qui ne poussent pas) aggravée par les démêlages et les défrisages, des alopécies de traction marginales (notamment fronto-temporales) liées à la tension des tresses et au poids éventuel des ajouts, et une chute définitive appelée « alopécie cicatricielle centrifuge du vertex » dont l’étiopathogénie reste débattue. Dans les deux sexes, les folliculites d’incarnation succédant au rasage ou à l’épilation sont extrêmement fréquentes, celles de la barbe représentant un problème quotidien pour une majorité d’hommes noirs ; elles peuvent conduire à des développements chéloïdiens. Chez l’homme, un tableau particulier est celui des folliculites chéloïdiennes de la nuque ; des folliculites de l’ensemble du cuir chevelu ne sont pas rares, sans doute favorisées par la mode du rasage. Il faudrait enfin ajouter la question des teignes anthropophiles qui, pour des raisons discutées, ont aujourd’hui une prédilection particulière pour le cuir chevelu des enfants d’ascendance africaine. es ti nt er di te Un ressenti fréquent de sécheresse cutanée, parfois attribué aux changements de mode de vie ou de climat, a fait discuter l’existence de différences physiologiques constitutionnelles entre les épidermes « noir » et « blanc ». Le même type de question s’est posé pour le prurit. Dans les deux cas, des facteurs environnementaux et culturels sont importants à prendre en considération : notamment les habitudes de toilette « abrasive » (toilette au filet…) visant à éliminer une desquamation physiologique qui peut donner un aspect terne et « cendré » sur fond foncé (alors qu’elle ne se voit pas sur peau claire), toilette souvent suivie d’applications d’émollients. . Autres particularités od uc t io n m êm e pa rti e lle L’hypopigmentation, elle, est plus rare mais plus riche d’information clinique. Comme sur peau claire, elle peut correspondre à un trouble primitif de la fonction pigmentaire tel que vitiligo ou albinisme. Mais, en outre, un nombre limité d’affections se reconnaissent plus facilement sur peau foncée grâce à leur tendance particulière à déclencher une hypopigmentation (et non une banale hyperpigmentation inflammatoire). Il s’agit par exemple d’inflammations granulomateuses comme dans la lèpre, la sarcoïdose ou le lichen nitidus, de lymphomes T comme le mycosis fongoïde, du psoriasis, du pityriasis lichénoïde ou encore de la sclérodermie. -T ou te re pr La fréquence et la gravité de la maladie chéloïdienne sont globalement très supérieures sur les peaux foncées, surtout en cas d’ascendance africaine. Le défaut d’offre de soins, d’enseignement et de recherche concernant cette affection chronique est aujourd’hui flagrant en France. vé s Des pratiques de dépigmentation de la peau saine sont très fréquentes dans le monde entier, soutenues par des motivations variées qui peuvent mêler souci esthétique et quête des marques d’un statut social élevé, y compris dans une perspective matrimoniale ; symbolique « raciale », phénomène de mode, pression commerciale, revendication d’autonomie, etc. Cette « dépigmentation volontaire » comprend des pratiques dangereuses pour la peau mais aussi pour la santé générale comme des applications quotidiennes de dermocorticoïdes très puissants (clobétasol) ou de dérivés mercuriels. Le dépistage et la prévention des complications de la dépigmentation volontaire doit passer par une formation spécifique de divers acteurs de santé, en particulier les médecins généralistes. ré s its dr o s ,T ou En tre tie ns de Bi ch Si la composition chimique, la densité, la structure histologique ou le cycle du poil ne varient guère entre les peaux claires et foncées, il existe en revanche une diversité de forme des poils terminaux (cheveux, barbe…) qui constitue schématiquement un spectre continu entre les cheveux « asiatiques » (tige pilaire droite de section arrondie et large) et « africains » (tige pilaire très enroulée de section elliptique et étroite) en passant par les cheveux « européens », intermédiaires. L’enroulement de la tige pilaire sur un rayon de courbure très court, caractéristique du poil crépu, est lié à une asymétrie déterminée par le follicule lui-même, implanté obliquement er Particularités liées à la pilosité at 20 16 © Le s En tre pr êm dans le derme et de forme recourbée. Ce poil est caractérisé par une fragilité constitutionnelle (moindre résistance à la traction), une tendance à l’emmêlement et à la formation de nœuds, et une tendance à l’incarnation (la tige pilaire quittant son trajet intra-folliculaire pour faire irruption dans le derme). êm m od uc tio n s’appuient sur les nuances d’érythème, sont-elles caduques pour une bonne partie de la population (la couleur rosée du pityriasis rosé, la teinte violine du lichen plan ou rouge foncé du psoriasis...). e pa rti el le W Dermatologie 20 16 © Le s 2 - © Les Entretiens de Bichat 2016 MG_013_petit.indd 2 21/07/2016 14:12 es ti nt er di te . at , 20 o To e d 1 u p u c ou 6 a s t r i © o t d s i e n L dr l l e m e oi s ê e ts E s n t r tie in és tre t ns er er tie d v n d é i ou s e t e s d B . te e i T c r o B h e pa rti el le Dermatologie W Conclusion La pathologie cutanée des peaux très pigmentées présente de réelles particularités qu’il est indispensable que la dermatologie prenne en considération. L’intérêt pour les particularités « ethniques » des maladies, ancré dans la tradition hippocratique, doit cependant veiller à départager facteurs constitutionnels et environnementaux, et naviguer entre les deux écueils opposés que sont une « racialisation » injustifiable et d’un déni des différences. rv és -T ou te re pr od uc tio n m êm En dehors de l’acné, la pratique quotidienne du dermatologue est dominée, sur peau claire, par le dépistage et le traitement des lésions cancéreuses et précancéreuses de la peau favorisées par l’exposition aux ultraviolets du soleil. Du fait de la photoprotection naturelle conférée par leur pigmentation, les peaux noires développent moins de cancers. Il faut être d’autant plus attentif à des circonstances particulières : albinisme, carcinomes spinocellulaires sur des cicatrices dyschromiques ou inflammatoires, topographie acrale du mélanome… ré se RÉFÉRENCE Dadzie O.E., Petit A., Alexis A.F. Ethnic Dermatology, principles and prac- ts 1 at ,T ou s dr oi tice, 302 p. Oxford, Wiley-Blackwell, 2013. Bi ch Questions à choix multiples de 1. Quelles caractéristiques de la peau « noire » des personnes d’ascendance africaine sont bien réelles ? pr tie ns a) Une tendance à développer des taches pigmentées parfois persistantes En tre b) Une grande résistance aux traumatismes et aux allergies Le s c) Un plus grand nombre de mélanocytes dans la couche basale de l’épiderme e) Une couche cornée plus épaisse et plus sèche © . 2. Une lycéenne de 17 ans sans antécédent pathologique, d’ascendance malienne née en France, est désespérée par des taches noires du visage et du pubis. Vous constatez une dizaine de macules et papules hyperpigmentées ainsi que quelques comédons sur le front et les joues, des papules hyperpigmentées et une petite chéloïde sur le pubis qui est rasé. Que lui prescrivez-vous ? er di te 16 20 d) Une fréquence moindre de cancers cutanés photo-induits nt a) Une préparation dépigmentante sans hydroquinone es ti b) Un arrêt du rasage pubien pa rti e d) Un traitement anti-acnéique oral (cycline) et topique lle c) Un prélèvement bactériologique et une antibiothérapie de 7 jours par amoxicilline – acide clavulanique êm e e) De ne pas faire de piercing tie ns de Bi ch at ,T ou s dr o its ré s er vé s -T ou te re pr od uc t êm io n m Réponses : 1. a), d) – 2. b), d), e) © Les Entretiens de Bichat 2016 - 3 20 16 © Le s En tre Absence de liens d’intérêts déclarés par l’intervenant MG_013_petit.indd 3 21/07/2016 14:12