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De la singularité à la communauté
[…] La question du rapport de l’individu à la communauté est également l’un des sujets principaux de
son dernier film, Les Protestants (2005). Pour ce projet, qui l’a occupée pendant trois ans, Clarisse Hahn
a pris comme sujet une famille protestante bourgeoise, la sienne. Elle poursuit ainsi ses interrogations sur
ce qui forme une communauté, comment se construisent les liens entre les personnes appartenant à une
même famille, quels sont les codes de comportement exigés pour faire partie de cette communauté. Ce
film nous plonge encore une fois dans la position du voyeur, car l’artiste nous introduit dans des intérieurs
silencieux et protégés, dans une sorte d’univers clos avec ses propres règles et ses propres rituels.
En regardant ce film dans le contexte du travail de Clarisse Hahn, on est tout d’abord frappé par la
réticence exprimée face à la caméra, surtout de la part des hommes. Ce sentiment de gêne à dévoiler
même les aspects les plus simples de leur existence est un fil conducteur du film, et ceci bien que la
personne qui filme appartienne à la même famille. Si Karima apparaissait tout à fait à l’aise en racontant
sa vie devant la caméra, ces hommes bourgeois sont au contraire méfiants. Ils se sentent sans doute mal
à l’aise devant cette jeune femme qui leur pose des questions sur leur famille, leur vie et leur vision de la
communauté à laquelle ils appartiennent et dont ils défendent les valeurs. Cette réticence fait
transparaître une sorte de conscience de classe. Les différents rituels décrits avec tant de conviction rallyes, scoutisme, une certaine pratique du sport, etc. - apparaissent dans leur rôle fédérateur, comme
des étapes nécessaires pour faire partie de la communauté et donc adhérer à un système de valeurs qui
se transmet de génération en génération. Et pourtant, un certain malaise s’installe. On se demande
parfois si ces hommes, qui ont l’air de défendre leur mode de vie et leur condition de privilégiés, ne se
sentent pas eux-mêmes opprimés par ces règles si strictes et par l’interdiction implicite d’exprimer
librement leur subjectivité, qu’ils essayent de réduire aux conventions imposées par leur classe sociale.
Giovanna Zapperi, hiver 2005-2006
mu s ée d’ art m o d ern e et c ont em p or ain, G en èv e
Alors que l'écran est noir, des voix récitent une profession de foi. Le titre, Les Protestants , barre l'écran.
Une femme âgée apparaît devant l'objectif. Une voix de jeune femme lui demande : " Cela ne te gêne pas
que je te filme ? "
Le nouveau film de Clarisse Hahn (1973 ; vit à Paris) est un film de famille. La jeune réalisatrice explore
l'appartenance familiale. Pour révéler la singularité des liens parentaux, elle évoque avec des membres de
sa proche famille des questions identitaires : religieuses, sociales, générationnelles. Elle élabore ainsi une
galerie de portraits aussi contrastée que cohérente. La famille formant un ensemble de personnalités
partageant un vécu commun, le film implique autant l'intimité de l'artiste qu'il explicite ce réseau de liens
familiers. La pratique religieuse scande la chronologie familiale. Des mariages aux enterrements, l'identité
se construit, le groupe se développe, la mémoire se stratifie. La conscience religieuse contribue aussi, à
mots couverts, à définir une hiérarchie sociale. Les jeunes sont scouts, comme l'étaient leurs aïeux. Les
parents se souviennent des rallyes de leur jeunesse protégée, leurs enfants s'y ennuient à leur tour. Plutôt
que de poser un regard critique ou fasciné sur cette classe bourgeoise protestante dont elle est issue, C.
Hahn s'emploie à franchir insensiblement les frontières entre intimité et extériorité. Elle ne cache pas sa
caméra, les images ne sont pas volées. Les personnes filmées sont conscientes de leur image. Un vieil
homme sportif évoque son goût pour la pratique assidue de la gymnastique, une dame âgée ses
souvenirs de jeunesse au coeur de la société mondaine. Des adolescents expriment leurs rapports
fraternels forts. Chacun serre et desserre les liens de cette identité. Le film est empreint d'une douceur
non feinte. Les générations se tissent les unes dans les autres. Les scènes se succèdent sans lien
narratif. Les décors sont des cadres de vie ou des lieux de travail. Les conversations ont le rythme naturel
des rencontres. Le cadrage, la lumière et les sujets remémorent les scénographies de la peinture des
pays réformés. Les plans du film prolongent cette tradition de l'image, tout en retenue et sobriété.
À nouveau, entre implication et distance, la cinéaste propose un regard sur un univers, une collectivité
structurée par ses codes, ses usages, son rythme, son économie, son esthétique propres - qui se
traduisent notamment dans le rapport de chacun à son corps. Du monde professionnel de la
pornographie (Ovidie, 2000) au désoeuvrement codifié des jeunes marginaux (Boyzone, 1999),
en passant par la dépossession du corps des patients des hôpitaux gériatriques (Hôpital, 1999), l'oeuvre
de C. Hahn semble hantée par l'idée que l'identité morale et corporelle dépend du groupe. La famille
en est un.
Marie de Brugerolle, 24 juin 2005

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