L`importance de l`herpès comme cofacteur du VIH

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L`importance de l`herpès comme cofacteur du VIH
L'importance de l'herpès comme cofacteur du VIH
Revue critique
de l'actualité scientifique internationale
sur le VIH
et les virus des hépatites
n°87 - octobre-novembre
L'importance de l'herpès comme cofacteur
du VIH
Philippe Mayaud
département des maladies infectieuses et tropicales London School of Hygiene &
Tropical Medicine (Londres)
Laurent Bélec
laboratoire de virologie, Hôpital européen Georges Pompidou, Paris
Le rôle de cofacteur des infections sexuellement transmissibles
(IST) bactériennes dans la transmission du VIH est désormais
bien établi. En particulier, il a été démontré que les infections
bactériennes causant des ulcérations génitales (chancre mou,
syphilis, lymphogranulome vénérien, donovanose) multiplient le
risque de transmission sexuelle du VIH par un facteur compris
entre 2 et 10.
Ces données ont amené l'Organisation mondiale de la santé
(OMS) à inciter les gouvernements de pays en développement
(PED), en zone de forte endémie pour le VIH et les IST, à
redoubler d'efforts pour contrôler les IST, notamment par la
prise en charge efficace des infections bactériennes au moyen du
traitement syndromique. Cette approche consiste à traiter
l'ensemble des IST pouvant être en cause pour un syndrome
donné. Par exemple, dans le cas des ulcérations génitales, il
s'agit de fournir une chimiothérapie active sur Treponema
pallidum (syphilis) et sur Haemophilus ducreyi (chancre mou),
mais pas sur Herpes simplex hominis type 2 (HSV-2) car ce
traitement antiviral est relativement peu efficace, peu disponible
et onéreux dans les PED.
En dépit de la reconnaissance déjà ancienne que l'herpès génital
pouvait être un facteur de risque pour la transmission du VIH
dans les populations d'Afrique sub-saharienne, ce n'est que
récemment que cette infection a reçu plus d'attention dans les
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PED, car son rôle dans la transmission du VIH pourrait être
considérable. La conférence de Durban a apporté des arguments
supplémentaires dans les domaines épidémiologiques,
pathophysiologiques et dans la compréhension de l'interaction de
l'infection à HSV-2 avec le VIH. De nouvelles perspectives
d'intervention et de contrôle de l'herpès génital et du VIH ont
aussi été suggérées.
Séro-épidémiologie et comportement sexuel
Les infections dues aux virus Herpes simplex hominis de type 1
et 2 comptent parmi les infections virales humaines les plus
fréquentes. Aux Etats-Unis, les enquêtes de séroprévalence
montrent que 22 à 33 % de la population adulte est infectée par
le HSV-2, ce qui représente une progression de 33 % au cours
des vingt dernières années. La moyenne dans les pays les plus
développés se situe entre 5 et 30 %. En Afrique sub-saharienne,
la séroprévalence pour le HSV-2 est élevée (40-70 %), surtout
en Afrique de l'Est et en Afrique australe. Des taux de
prévalence plus faibles ont été relevés dans une population
rurale d'Afrique de l'Ouest en Gambie1. Dans cette étude, les
taux de prévalence retrouvés dans un échantillon représentatif de
1 700 jeunes gens, âgés de 15 à 34 ans, étaient de 4,7 % chez les
hommes et de 27,2 % chez les femmes. Une étude
multicentrique2, visant à évaluer les facteurs pouvant expliquer
l'hétérogénéité de l'épidémie du VIH en Afrique, a été conduite
dans quatre villes d'Afrique caractérisées par des prévalences
VIH élevées (21 à 35 % selon le sexe, à Kisumu au Kenya, et à
Ndola en Zambie) ou basses (3 à 8 % à Cotonou au Bénin, et à
Yaoundé au Cameroun). Cette étude a montré que la
séroprévalence de l'herpès de type 2 était souvent élevée,
variable selon les villes étudiées, mais en corrélation avec la
prévalence du VIH : de 30 à 68 % chez les femmes, de 12 % à
36 % chez les hommes. Cette étude a aussi confirmé la
prévalence très élevée de l'HSV-2 chez les jeunes femmes de 15
à 19 ans, de 10 à 40 % selon les villes. Peu de données sont
encore parvenues d'Asie, mais une étude menée au Bangladesh
parmi des femmes vivant près d'une gare routière, soumises à un
risque élevé, a indiqué une prévalence de 32%3, alors que le taux
cumulé des IST bactériennes était de 11 %.
La séropositivité pour l'infection par le HSV-2 est associée de
façon indépendante à un comportement sexuel à risque dans les
études africaines, comme dans les études conduites dans les pays
industrialisés du Nord. Il a été suggéré que la sérologie
spécifique à HSV-2 pourrait servir de marqueur assez robuste du
comportement sexuel chez les jeunes1. D'ailleurs, l'impact d'une
intervention visant à modifier les comportements sexuels des
jeunes homosexuels d'Amsterdam a été mesuré par le biais de la
sérologie herpétique (HSV-1 et HSV-2) : une chute de la
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séroprévalence de HSV-2 de 51,3 % à 19,0 % entre 1984-1985
et 1995-1997 a été accompagnée d'une diminution des
comportements à risque dans cette population4.
Ulcérations génitales
L'infection par le HSV-2 est probablement la cause la plus
fréquente des ulcérations génitales dans le monde. Son
importance relative apparaît variable selon les zones
géographiques. Dans les pays où les IST sont correctement
contrôlées et où les étiologies bactériennes des ulcérations
génitales demeurent rares, l'infection par le HSV-2 est la cause
majoritaire d'ulcération génitale. Dans les pays où la syphilis et
le chancre mou sont endémiques, la responsabilité de l'infection
à HSV-2 dans les ulcérations génitales a longtemps été
considérée comme peu importante, alors que les moyens de
diagnostic manquaient.
Des données récentes en Asie et en Afrique indiquent au
contraire que l'infection par le HSV-2 constitue une étiologie de
plus en plus fréquente des ulcérations génitales, suivie de près
par les IST ulcérantes d'étiologie bactérienne. De nombreuses
présentations à la conférence de Durban ont rapporté que la
composition étiologique des ulcérations génitales a changé
durant la dernière décade en Afrique de l'Est et en Afrique
australe, régions à forte progression de la prévalence du VIH.
L'apport des techniques PCR (multiplex PCR permettant de
rechercher à la fois Haemophilus ducreyi, Treponema pallidum
et HSV-2) a permis de conduire des études plus précises et
poussées et de mieux cerner ce phénomène.
A Durban, dans une clinique de référence pour les IST, l'étude
entre 1995 et 1998 de 400 ulcérations consécutives5 a démontré
un recul des étiologies bactériennes, notamment une nette chute
du nombre de cas d'Hæmophilus ducreyi, passés de 35 % des
étiologies des ulcérations génitales en 1995 à 6 % en 1998,
tandis que les cas de syphilis (30 %), de donovanose (4 %) et de
lymphogranulome vénérien (3 %) restaient stables. Dans le
même temps, la proportion des ulcères attribués à HSV-2 est
passée de 11 % en 1995 à 41 % en 1998. En l'espace de dix ans,
la prévalence du VIH dans cette population est elle-même passée
de 5 % à 65 %. Ces observations sont corroborées par les relevés
épidémiologiques du ministère de la santé de la région du
KwaZulu Natal6 qui ont rapporté une incidence annuelle accrue
de toutes les IST (variant de 58 000 à un pic de près de plus de
72 000 par an en 1994), avec notamment une progression
majeure des cas d'ulcérations génitales, dont la proportion, sur
une période de dix ans, est passée de 16,8 % en 1988 à 47 % en
1997. Bien que ces données n'incluent pas toujours de diagnostic
étiologique précis, il est relevé que la plupart de ces ulcères
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semblent être des ulcères récidivants, de type herpétique. La
place grandissante prise par les infections herpétiques a aussi été
rapportée à Carletonville, ville minière du Free State en Afrique
du Sud, où près d'un tiers des 13 500 syndromes IST recensés
sur quatre mois en 1999 étaient des maladies ulcérantes dont la
plupart semblaient s'apparenter sur le plan clinique à un herpès
génital7. Enfin, à Kampala en Ouganda, une étude basée sur
l'utilisation de la PCR a démontré que l'infection à HSV-2 était
présente chez 8 % des patients fréquentant la clinique de
référence des IST, tous syndromes confondus8. Tous ces auteurs
s'accordent pour signaler ce virage inquiétant dans l'épidémie
des IST qui semble lié à la progression de l'épidémie VIH, et
pour laquelle peu d'interventions sont mises en place.
Portage génital asymptomatique du HSV-2
Les personnes séropositives pour le HSV-2 présentent
fréquemment un portage génital en ADN herpétique, souvent
asymptomatique, même en l'absence d'antécédent d'herpès
génital symptomatique. L'utilisation de techniques PCR plus
sensibles que la culture a permis de démontrer que le HSV
pouvait être détecté chez des femmes séropositives au HSV-2
bien que n'ayant pas d'antécédents d'herpès génital, dans 1 à 4 %
des cas des jours sur de longues périodes. Cette excrétion
génitale asymptomatique est considérée comme le moment de
l'histoire naturelle de la maladie herpétique au cours duquel a
lieu la plupart des cas de transmission du virus par voie sexuelle
ou néonatale.
L'histoire naturelle de l'infection par le HSV dans les PED est
encore peu connue et aucune étude à ce sujet n'a été présentée à
la conférence de Durban. Deux études récentes rapportent
cependant une fréquence très élevée de portage asymptomatique
du HSV-2 chez des femmes africaines. A Mombasa au Kenya,
90 % des 324 prostituées séropositives pour le VIH-1 incluses
étaient aussi séropositives pour le HSV-2, et 17 % d'entre elles
excrétaient de façon asymptomatique de l'ADN du HSV-2,
détecté par PCR qualitative9. Une prévalence élevée de portage
génital asymptomatique a été rapportée chez 300 femmes,
séronégatives ou séropositives pour le VIH, consultant dans la
principale clinique des IST de Bangui, en République
centrafricaine10. La fréquence du portage génital en HSV-2 (43
% vs 22 %, p = 0,003), pour la plupart asymptomatique, et les
quantités d'ADN-HSV-2 sécrétées (densité optique médiane 1,85
vs 1,16, p = 0,01) étaient significativement plus élevées chez les
femmes séropositives au VIH. En outre, parmi les 23 femmes
qui sécrétaient de l'herpès au niveau de leur tractus génital, il a
été trouvé une corrélation positive significative entre les charges
virales génitales d'ARN-VIH et les taux d'ADN-HSV-2 sécrétés,
suggérant un effet de synergie entre ces deux infections.
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Ces observations sont d'une importance considérable et peuvent
permettre de réévaluer le rôle méconnu du HSV-2 dans la
transmission du VIH en Afrique sub-saharienne.
Interactions entre HSV et VIH
Les interactions entre les infections à HSV et à VIH ne sont pas
totalement élucidées. De nombreux arguments suggèrent que le
HSV pourrait agir comme un cofacteur de l'infection à VIH, en
augmentant d'une part " l'infectiosité " génitale (charge virale
génitale) de l'individu coinfecté par le HSV-2 et le VIH, et/ou en
augmentant la réceptivité du partenaire séronégatif exposé, et en
pouvant, transactiver in vivo la réplication génitale du VIH,
d'autre part. A l'inverse, l'immunodéficience induite par le VIH
pourrait modifier la virulence du HSV et, par conséquent,
aggraver la sévérité et la durée des présentations cliniques, en
majorant le risque de récurrences et en diminuant la réponse au
traitement. La progression de l'épidémie de VIH dans les PED
pourrait être la conséquence d'une épidémie de HSV, ou avoir eu
des conséquences sur l'épidémie de HSV, si bien que ces deux
infections pourraient entretenir un cercle vicieux de
renforcement mutuel. Nos connaissances fragmentaires dans ce
domaine sont rassemblées ci-dessous.
Plausibilité biologique
D'une façon générale, la plausibilité biologique d'une relation
causale entre une ulcération génitale et l'augmentation de la
transmission du VIH est supportée d'une part par la présence
d'une brèche muqueuse, véritable solution de continuité avec
possibilité de passage direct du virus chez le partenaire exposé,
et d'autre part par l'augmentation du portage génital du VIH chez
les individus séropositifs pour ce virus ayant une ulcération
génitale. Ces éléments sont retrouvés dans le cadre d'infection à
HSV. En effet, l'infection à HSV occasionne de nombreuses
brèches de la muqueuse génitale et de nombreuses études ont
déjà démontré que chez les partenaires infectés par le VIH, de
l'ADN proviral du VIH peut être détecté dans l'exsudat
d'ulcérations génitales chez des prostituées du Kenya11. Une
étude présentée à la conférence a rapporté des données similaires
dans une population de 132 prostituées séropositives au VIH-1
d'Abidjan12. La fréquence de détection d'ARN-VIH dans les
sécrétions génitales des prostituées avec une ulcération génitale
était presque deux fois plus élevée comparée aux femmes sans
ulcérations (46,5 % vs 26 %, p = 0,04), analyse stratifiée sur les
taux de CD4. En outre, la charge virale moyenne était plus
élevée chez les femmes dont l'étiologie des ulcérations était soit
l'herpès soit l'Haemophilus ducreyi (HD) comparée aux femmes
sans étiologie précise de leurs ulcérations (3,2 log copies/ml
pour HSV, 3,3 log copies/ml pour HD, 4,6 log copies/ml pour
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double infection HSV+HD, comparé à 2,5 log copies/ml pour les
femmes avec des ulcères à étiologie indéterminée, p = 0,04).
Par ailleurs, l'infection à VIH majore la fréquence et l'expression
clinique des récurrences herpétiques génitales. Ainsi, l'herpès
cutanéo-muqueux extensif ou chronique touche 15 à 30 % des
patients infectés par le VIH. Aux stades avancés de la maladie à
VIH, les ulcérations peuvent être multiples, confluentes, parfois
nécrotiques. Les lymphocytes T cytotoxiques anti-herpès,
capables de détruire une cellule infectée, jouent normalement un
rôle prépondérant dans l'installation de la phase de latence et
dans le contrôle des réactivations herpétiques. Les personnes
infectées par le VIH ont une perte du contrôle de la réplication
virale par les lymphocytes T cytotoxiques. Les conséquences de
l'infection par le VIH et de l'immunodépression sur le portage
génital asymptomatique du HSV sont cependant encore peu
documentées.
In vitro, des interactions bidirectionnelles et synergiques ont été
décrites entre l'herpès simplex de type 1 et le VIH. De
nombreuses protéines d'expression herpétique, produits des
gènes précoces, sont capables in vitro de transactiver la
réplication du VIH en interagissant avec la région régulatrice
Long Terminal Repeat. Il n'y a cependant pas eu de travaux
démontrant les mêmes mécanismes pour l'HSV-2.
L'ensemble de ces observations permet de poser l'hypothèse d'un
cercle vicieux de boucles de renforcement positives entraînant
au niveau génital les interactions bidirectionelles entre le HSV et
le VIH.
Arguments épidémiologiques
Les données épidémiologiques montrant une association entre la
séropositivité pour le VIH et l'herpès génital en Afrique sont peu
nombreuses et limitées à quelques études transversales. L'étude
multicentrique africaine déjà citée2 a montré que l'infection à
HSV-2 était fortement associée à la séropositivité pour le VIH
dans les quatre sites et pour les deux sexes (odds ratios variant
de 4,2 à 7,3). Cette association épidémiologique entre HSV et
VIH est aussi rapportée dans une étude aux Caraïbes13. Les
limites bien connues pour l'interprétation de ce genre d'études
sont la possibilité de biais confondants, notamment en ce qui
concerne les facteurs d'exposition communs (par exemple
comportement sexuel à risque) et la séquence temporelle des
infections (l'infection à HSV précède-t-elle bien l'infection à
VIH ?). D'où l'importance d'études longitudinales (de cohorte),
mesurant l'incidence des infections, et essayant de " contrôler "
les facteurs confondants soit par le design (essai randomisé), soit
par l'analyse (ajustement), ce qui implique un recueil si possible
détaillé et "objectif" de ces facteurs.
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Un certain nombre d'études de cohortes aux Etats-Unis et en
Thaïlande14 ont démontré que la séroconversion du HSV-2, avec
ou sans présence de signes cliniques, était un facteur de risque
pour la séroconversion du VIH, après ajustement sur les
variables confondantes. Une seule étude d'incidence a été menée
en Afrique, au Zimbabwe15 : la prévalence de l'infection à
HSV-2 chez 2 397 adultes d'Harare était de 39,8 % et l'incidence
de la séroconversion pour le HSV-2 était de 6,2
personnes-années, sans être clairement associée au risque de
séroconversion pour le VIH. Ces mêmes chercheurs ont présenté
des données supplémentaires sur les couples séroconcordants
pour le VIH inclus dans leur cohorte (deux tiers des couples
étaient séroconcordants). Le facteur le plus prédictif de
séroconcordance pour le VIH était le statut sérologique HSV du
partenaire masculin16.
Etudes d'intervention
Le troisième type d'arguments pour étayer l'hypothèse de
causalité d'une association, est la démonstration, par des essais
randomisés, que la suppression de l'exposition (traiter les IST),
permet de réduire l'acquisition de la maladie (séroconversion au
VIH). L'unité d'intervention peut être soit à l'échelon individuel
(par exemple des malades), soit à l'échelon de populations
entières (par exemple, essais communautaires de type Mwanza
en Tanzanie, ou Rakai en Ouganda). Jusqu'à présent, aucune
étude interventionnelle randomisée n'a été réalisée pour
documenter l'impact d'intervention spécifique visant l'herpès sur
la transmission du VIH.
Interaction des épidémies de VIH et de HSV-2
Le " déplacement " déjà noté dans l'étiologie des maladies
ulcérantes n'est pas anodin et pourrait s'expliquer d'une part, par
la progression de l'épidémie du HSV-2 qui prendrait de
l'ampleur pour des raisons encore inconnues d'ordre soit
comportemental, soit à cause de la fréquence du portage
asymptomatique de l'infection (et donc de sa transmissibilité),
soit pour des raisons de dynamique de transmission non encore
élucidées, et d'autre part, par l'extension de l'épidémie du VIH
elle-même qui, dans sa forme " mature " où un grand nombre de
sujets seraient immuno-déprimés, entraînerait une recrudescence
des récurrences d'herpès génital, et donc du nombre de cas
observés dans les cliniques IST.
Deux équipes ont apporté des informations nouvelles pour étayer
ces diverses hypothèses. Dans une étude in vitro d'affinité des
agents IST des maladies ulcérantes pour leurs cellules cibles, les
kératinocytes17, il a été démontré que l'attachement
d'Haemophilus ducreyi (HD) aux kératinocytes était fort en cas
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L'importance de l'herpès comme cofacteur du VIH
d'infection isolée ou précédent une infection à HSV, alors que
cet attachement était fortement réduit en cas d'infection préalable
par HSV ou de coinfection HSV-HD. Selon les auteurs, ces
données permettraient d'expliquer en partie la diminution de
l'incidence du chancre mou en corollaire d'une forte poussée de
l'HSV à Durban. Certains chercheurs18 ont modélisé la
dynamique de transmission du VIH et des IST ulcérantes en
Afrique de l'Est en fonction de deux scénarios (scénario 1, dans
lequel toutes les IST ulcérantes augmentent la transmission du
VIH de manière équivalente, scénario 2 dans lequel le VIH
module fortement l'histoire naturelle de l'infection en termes de
fréquence, récurrence et durée des lésions cliniques). Suivant le
scénario 1, le modèle débouche sur une diminution du rôle des
IST dans le temps, mais leur répartition étiologique et leurs rôles
respectifs restent inchangés. Dans le scénario 2, la proportion
d'ulcères attribuée à HSV augmente avec la maturation de
l'épidémie VIH, ainsi que le rôle relatif de HSV dans la
transmission du VIH. Ces observations sont assez proches de la
situation expérimentale de l'étude de Rakai en Ouganda19. Les
auteurs en concluent que la prévention et la prise en charge de
l'herpès devraient prendre une place croissante dans les
épidémies de VIH qui deviennent " matures ".
Implications pour le contrôle et la recherche
L'existence d'interactions bidirectionnelles entre IST et infection
par le VIH a inspiré plusieurs stratégies d'interventions en
matière de santé publique dans les PED. Le succès obtenu par la
stratégie de traitement des IST bactériennes au moyen de
l'approche syndromique dans la région de Mwanza en Tanzanie,
a démontré l'importance de la synergie entre les IST
bactériennes et l'infection à VIH (réduction de 40 % de
l'incidence du VIH sur deux ans)20. Cependant, la
chimiothérapie contre les IST bactériennes, administrée de façon
systématique à l'ensemble de la population adulte du district de
Rakai en Ouganda, n'a pas été suivie par une diminution
significative de l'incidence de l'infection à VIH19. L'existence de
certains cofacteurs de transmission insensibles au traitement
antimicrobien, comme l'herpès génital, pourrait expliquer cette
observation a priori paradoxale, comme l'a rappelé un article
paru dans l'édition spéciale du Lancet pour la conférence de
Durban20 ainsi que Maria Wawer, lors d'un débat sur le rôle des
interventions contre les IST pour la prevention du VIH21.
Les prévalences élevées des infections à VIH-1 et à HSV-2 en
Afrique au sud du Sahara, la fréquence élevée du portage génital
asymptomatique du HSV-2 et l'hypothèse d'interactions
synergiques entre ces deux infections virales devraient inciter à
concevoir des recherches focalisées sur l'herpès génital et le
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L'importance de l'herpès comme cofacteur du VIH
contrôle de la transmission sexuelle du VIH, dans les régions à
forte endémie pour le HSV-2 et pour le VIH. De telles
interventions pourraient inclure l'addition de traitements
antiherpétiques dans les algorithmes de prise en charge de
patients avec ulcérations génitales, comme le proposent de
nombreux auteurs5,8 et la provision de traitement suppressif au
long cours contre le HSV-2 chez les sujets doublement infectés
par HSV-2 et VIH. Cela pourrait comprendre également le
développement et l'évaluation de mesures de prévention tels le
counselling et l'éducation. Cependant, un des espoirs les plus
réalistes repose dans le développement d'un vaccin anti-HSV-2
efficace et sûr. De nouveaux candidats vaccins pour HSV-2 ont
vu le jour pour des applications thérapeutiques ou
prophylactiques en essai de phase III. Comme le suggèrent Tom
Ellman et coll.22, une réduction du risque de transmission du
VIH devrait être un des attendus majeurs d'un essai vaccinal
contre le HSV-2 dans les PED.
Intensifier les efforts
L'importance grandissante de l'herpès dans les préoccupations de
santé publique dans les PED est peut-être apparue lors de la
cérémonie de clôture, où, malgré la faible représentation
numérique du sujet (51 abstracts consacrés aux herpès sur 4 969,
dont 14 seulement ont présenté des données sur HSV-2 et VIH),
le rapporteur du track C a mis l'accent sur l'importance du
contrôle des IST en ces mots : " Nous savons ce qui marche. Il
convient dorénavant de reproduire les efforts à plus grande
échelle, d'identifier les approches les plus adaptées à chaque
contexte épidémiologique, politique et socio-culturel et de
focaliser les efforts sur l'herpès génital ". Voilà, selon les mots
d'Isabelle De Soyza, les termes du défi en ce qui concerne les
IST d'ici à la prochaine conférence internationale sur le sida de
Barcelone en 2002.
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