Les jeux vidéo rendent-ils intelligents

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Les jeux vidéo rendent-ils intelligents
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Les jeux vidéo rendent-ils intelligents ?
Les jeux vidéo
rendent-ils intelligents ?
Selon des chercheurs, ils sont une excellente source d’apprentissage
et de stimulation de l’intelligence.
P
arents, si vous lisez la presse grand public, vous savez déjà tout de l'influence des jeux vidéo sur vos chères têtes
blondes. Vous savez qu'ils vont rendre votre enfant violent et asocial. Ils vont provoquer chez lui une addiction, détruire ses repères, déclencher des crises d'épilepsie et le mettre en contact avec des cyber-criminels. Au final, estimezvous heureux si vous ne retrouvez pas Kévin dans une rue de Bagdad bardé d'une ceinture d'explosifs. Paradoxalement
(ou pas), dans le même temps les médias ont passé sous silence toute une série d'étude tendant à démontrer que les
jeux vidéo pouvaient aussi développer leurs capacités intellectuelles. Visite guidée du bon côté de l'écran.
N
ous autres gamers sommes une
espèce à part. Grâce à la pratique
régulière de notre passion, nous comprenons, nous adaptons et réagissons
plus vite que les humains. Ce n'est pas
moi qui l'affirme, ce sont les scientifiques britanniques du très sérieux
Economic and Social Research Council
(ESRC)*. Ces derniers ont étudié pendant un an un panel de 800 enfants et
ils concluent que les sujets s'adonnant
régulièrement aux jeux vidéo développent une coordination musculaire et
une capacité de concentration dignes
de sportifs de haut niveau ! Et ce n'est
pas tout : ils auraient plus d'amis, travailleraient mieux à l'école et seraient
en avance sur leurs camarades préférant jouer aux Playmobils (ou autres).
Les chercheurs de l'ESRC citent dans le
même rapport des statistiques de l'université américaine de Columbia qui ont
démontré le succès rencontré par les
élèves quand ceux-ci avaient l'habitude de jouer sur des consoles. Non
contents de devenir des surhommes,
les gamers seraient en plus intelligents
et populaires ! Quelque chose aurait-il
changé depuis le mythe de l'ado joueur
complexé et boutonneux ?
En fait, tout cela n'est pas vraiment
nouveau. Cela fait quelques années que
les scientifiques creusent la question.
En 2001, déjà, le Ministère de l'Intérieur
britannique synthétisait une quarantaine d'enquêtes menées depuis les
années 80 au Royaume-Uni et aux USA
sur la nocivité de ces jeux. Outre qu'il
relativisait leurs effets néfastes sur des
bambins sains de corps et d'esprit, ce
rapport soulignait déjà qu'ils pouvaient
avoir un impact sur l'intelligence, dans
le sens où des chercheurs avaient
constaté que des enfants en retard se
remettaient plus facilement à niveau
lorsqu'ils jouaient sur un ordinateur.
Mario Prix Nobel
Précision : nous ne parlons donc pas
ici de jeux pédagogiques, de simulations pré-professionnelles ou de logiciels d'entraînement cérébral. Il s'agit
bien de jeux grand public bêtes et méchants, à base de monstres gluants ou
de voitures de course.
Un jeu comme Tetris stimule momentanément l'activité cérébrale. Selon des chercheurs américains
de l'université de San Diego, ses joueurs utilisent
leur mémoire immédiate de façon tellement
soutenue qu'ils s'offrent de nombreuses connexions
neuronales supplémentaires.
Nous savons depuis la nuit des
temps que le jeu est une activité fondamentalement éducative, qui participe au développement psychique et
intellectuel de l'enfant. Ce n'est pas
par hasard si les jeux attribués aux
garçons et aux filles ont constitué pendant des siècles un entraînement à ce
que la société attendait du futur adulte
(poupées pour les filles, épées en bois
pour les garçons - pour prendre les
exemples les plus caricaturaux).
Et si les jeux vidéo, avec leur complexité qui suppose un niveau d'attention de plus en plus élevé, continuaient à divertir jeunes et moins
jeunes tout en les préparant à leur vie
d'adulte ? Pour le psychanalyste Serge
Tisseron, il est établi qu'ils aident à développer des compétences utiles à la
vie de tous les jours : « Ils stimulent les
fonctions d'attention – notamment visuelle – et de résolution d'énigmes, ils
favorisent l'apprentissage de la gestion de plusieurs tâches en parallèle
– ce qui sera de plus en plus important
dans une société où les stimulations
sont toujours nombreuses et variées –
et ils constituent enfin d'excellents
supports de socialisation »*. Ce dernier point n'est pas une surprise. Tout
joueur expérimenté de World of Warcraft sait ce qu'abattre le monstrueux
Illidan implique en termes d'organisation, de travail d'équipe et de discipline. Dans un groupe de plusieurs
dizaines de joueurs, chacun doit tenir
Dawn of War 2 (Relic Entertainment)
Warcraft (Blizzard Entertainment)
Command & Conquer (Westwood Studios)
Une étude ultérieure effectuée sur
303 opérations confirmait cette
tendance : les jeux impliquant des
compétences spatiales et nécessitant une bonne dextérité manuelle
augmentent significativement le
taux de réussite et la rapidité des
opérations.
son rôle à la perfection sous peine
de provoquer un échec collectif. Pas
besoin d'être un scientifique pour
s'imaginer qu'une telle expérience
puisse être instructive en termes de
communication et de discipline de
groupe (voir notre interview).
Certaines implications sont plus
inattendues, et elles ne concernent
pas que des enfants ou des adolescents. Dans une série d'études
présentées à la conférence 2008
de l'American Psychological Association (APA), le Dr Douglas Gentile, directeur du Media Research
Lab de l'Université de l'Iowa, a
exposé combien les jeux vidéo
pouvaient se révéler bénéfiques
pour l'activité de chirurgiens (et
donc pour leurs patients) ! Un premier test portait sur 33 opérations.
Il montrait une corrélation forte
entre la pratique vidéoludique et
la rapidité et la précision du praticien. Les chirurgiens gamers opèreraient ainsi 27 % plus vite, tout
en faisant 37 % moins d'erreurs !
Homo ludicus
Habileté, réflexes, rapidité : les
jeux vidéo participeraient ainsi au
développement de l'intelligence
intuitive. Mais qu'en est-il de l'intelligence déductive, celle qui est par
exemple développée à l'école ? « Le
jeu vidéo est d'abord une formidable école pour se rendre disponible
à l'imprévu et faire preuve d'agilité
intellectuelle », affirme Serge Tisseron. « Les logiciels de jeux ont en effet souvent pour caractéristique de
remettre en cause à chaque niveau
les stratégies précédentes, mais
aussi à garder en réserve toutes
les compétences acquises pour les
réutiliser plus tard »*. On sait que
la plupart des jeux d'action ou de
plate-forme mettent déjà le joueur
en face d'énigmes simples au cours
desquelles il devra analyser l'obstacle et remettre en cause sa façon de
jouer pour en triompher.
Cette dimension est encore plus
prégnante dans les jeux de tactique
de type STR (Stratégie en Temps
Réél), une série inaugurée par les
Command & Conquer et autres Warcraft. En multijoueurs notamment,
ces jeux reposent sur l'établissement
d'une stratégie (quels soldats doisje recruter et combien ?) et sur son
adaptation à la stratégie adverse.
L'université californienne de Berkleys
a ainsi mis en place un cours dédié à
l'étude du jeu Starcraft* : celui-ci analyse les mécanismes du jeu et passe
au crible les stratégies des joueurs à
l'aide de parties enregistrées. L'objectif des étudiants est de développer
leurs capacités de prise de décision...
et éventuellement de grappiller quelques points bon marché.
Les qualités de réactivité et
d'adaptation sont davantage sollicitées à mesure que le gameplay de
ces jeux évolue. Par exemple, le studio Relic Entertainment, créateur
des séries Dawn of War et Company
of Heroes, a enrichi ses produits
d'une trouvaille : la retraite ! (NDR :
Bien que ce ne soit pas le seul studio à l'utiliser). Ou comment, sur
pression d'une simple touche, le
joueur peut faire détaler ses braves
guerriers comme des lapins. Loin
d'être un détail, cette nouveauté a
transformé le gameplay de ces jeux
de combat. Il n'est plus seulement
question de construire une armée
à la chaîne et de l'envoyer au casse-pipe en espérant que vos pertes